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Voyage au Svartisen

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

( NORVÈGE DU NORD ) PAR G.R.E. BR00KE

Avec 2 illustrations ( 72, 73 ) Le Svartisen étend sur 500 kilomètres carrés un vaste manteau de glace et de neige des deux côtés du Cercle arctique, là où celui-ci traverse la Norvège. C' est le second en superficie des champs de glace de notre continent, n' étant dépassé en grandeur que par l' énorme Jostedalbras dans la Suède méridionale. C' est un vestige de l' époque glaciaire. L' influence conjuguée de l' Océan voisin et de hauts plateaux, provoquant de fortes chutes de neige, a eu pour résultat de maintenir dans cette région un immense revêtement de glace qui recouvre tout le pays, encerclant les plus hauts sommets et s' écoulant dans les vallées environnantes en longs glaciers périphériques descendant parfois jusqu' à la cote 200 ou 300 mètres.

Le Svartisen est coupé en deux, du nord-est au sud-ouest, par la profonde et curieuse faille du Glomdal. Les deux champs de glace adjacents, le Vestisen et l' Ostisen sont à la même altitude moyenne de 1100 m et de superficie presque égale. Ils présentent de longues et molles ondulations de glace, généralement recouvertes d' une couche de neige. Toutefois, lorsque fete est chaud, celle-ci disparaît dans leur partie inférieure, laissant à nu de vastes champs de glace sillonnés de nombreuses crevasses. La couleur sombre de cette glace, qui par endroits se précipite en chutes tourmentées, et salie dans les régions les plus basses par les débris de moraines, a valu à cette cape glaciaire le nom de Svartisen: Glacier Noir.

Les plateaux supérieurs du Svartisen formeraient un paysage singulièrement monotone et désolé sans la présence des « nunataks », pics rocheux isolés qui surgissent de la plaine du glacier et sont les points culminants du pays. Le plus élevé de ces îlots, le Snetind ( Pic de la Neige ), 1599 m, se dresse sur le Vestisen; c' est un dôme neigeux couronné d' une crête de rocher. Toutefois c' est sur l' Ostisen que se trouvent les « nunataks » les plus caractéristiques. Le Sniptind, 1591 m, tient le deuxième rang en altitude; c' est le plus imposant. Son voisin, le Kamplitind, cote 1532 m et le lointain Istind ( Pic de Glace ), dresse à 1577 m sa silhouette sur la bordure nord de l' Ostisen. Ces « nunataks » ont un aspect sévère et dénudé du à la forte action des glaces qui, jusqu' à des temps relativement très récents, ont lime et poli leurs flancs. Ce sont les sommets les plus difficiles à gravir de toute la Scandinavie; ils sont encore très peu visités.

Le but principal de mon voyage en Norvège du nord au cours de fete 1963 était de pénétrer jusqu' au cœur du Svartisen et de gravir l' un de ses principaux « nunataks ». J' eus la chance de trouver pour cette entreprise un compagnon en la personne de Karl Westermark, qui est du pays et possède une connaissance inégalée du champ de glace et des conditions de voyage sur ce terrain.

La voie d' accès la plus commode au Svartisen part de la ville de Mo, située au fond du fjord Rana, à quelque 30 kilomètres au sud du champ de glace. Mo, qui compte aujourd'hui 9000 habitants, a vu ces dernières années un rapide développement grâce à l' établissement d' une importante usine métallurgique ( fer et acier ) dans les environs. Toutefois, l' activité industrielle n' est pas la seule cause de ce développement. Depuis quelques années, l' office local du tourisme, très actif, a contribué énormément à faire connaître et rendre accessible les sites variés et intéressants: fjords, lacs, cascades, glaciers, grottes calcaires ornées de stalagtites fantastiques, etc. Placée sur la route principale et la ligne ferrée qui conduisent dans la Norvège du nord, pourvue de bons hôtels, Mo est rapide- ment devenue un centre d' où le touriste peut gagner facilement l' étrange et splendide région qui chevauche le Cercle arctique.

C' est le 4 août que commença mon pèlerinage aux solitudes désertes du Svartisen. Les 40 premiers kilomètres furent franchis en voiture sur une route raboteuse et poussiéreuse à travers des forêts de pins, dans des vallées où des torrents fougueux bondissent avec un bruit de tonnerre dans d' étroites gorges rocheuses. La route s' arrête au Lac Svartisen, long de 40 kilomètres. Nous le traversons en bateau à moteur jusqu' à un débarcadère à sa tête. Il y a 50 ans, le Glacier d' Osterdal descendait encore jusqu' au lac; il a reculé de plus d' un kilomètre, laissant à nu le fond d' une vallée profilée en U, parcourue par un sentier jusqu' au front actuel du glacier.

Karl Westermark m' attendait là dans une petite cabane. Plutôt petit de taille, c' est néanmoins un homme vigoureux et agile. Son caractère enjoué et sa connaissance parfaite de la région firent beaucoup pour le succès et l' agrément de ma course. Chacun de nous comprenait plus ou moins la langue de l' autre, si bien qu' on s' entendait sans trop de difficulté.

Nous décidons de faire l' ascension du Sniptind, 1591 m, le deuxième en altitude mais le plus grand des « nunataks ». 11 se dresse sur la bordure intérieure de l' Ostisen, là où le terrain plonge à l' ouest dans la fosse médiane du Glomdal. Pour l' attaquer, il nous faut établir un camp au bord du champ de glace dans le cirque du Blakkatind, à 700 m au-dessus de notre point de départ, puis franchir le Glacier d' Ostisen dans sa plus grande largeur pour atteindre enfin le pied de notre montagne. En vue de ce bivouac j' avais emporté une tente de haute altitude pour deux personnes. Elle répondit tout à fait à nos besoins.

L' après est déjà très avancé, lorsque nous quittons la cabane ( 150 m ) pour gravir les rochers raides et polis qui s' élèvent en terrasses au-dessus du front du Glacier d' Osterdal. Es ne sont libres de glace que depuis peu de temps, c' est pourquoi, sur plusieurs centaines de mètres au-dessus du plancher de la vallée, ils ne portent aucune végétation. Lourdement charges comme nous le sommes, nous escaladons péniblement une suite de ressauts abrupts jusqu' à ce qu' enfin nous touchons la limite supérieure des rochers glaciaires et abordons une vaste pente revêtue d' un maigre gazon. Elle doit nous conduire à notre bivouac dans le cirque du Blakkatind. Au nord, nous dominons la formidable chute du Glacier d' Osterdal, large de deux kilomètres, impressionnante rangée de séracs brillant au soleil. Lentement, nous montons jusqu' au fond du cirque, franchissons à gué le torrent et, après 3 h. y2 de marche, atteignons le camp, à deux kilomètres au sud du Cercle arctique, près d' un lac sombre et désolé où quelques névés viennent tremper leur collerette. Le site est exposé et inhospitalier, mais c' est le meilleur que l'on trouve dans ces parages. Il a en outre l' avantage stratégique d' être à proximité d' un point d' accès au glacier facile, à moins d' un kilomètre à travers les moraines.

Etendus sur le sol, nous nous reposons tandis que le soleil plonge derrière les parois septentrionales du cirque et que le crépuscule de la nuit de fete arctique envahit peu à peu le morne paysage. Durant toute la nuit, des pointes de vent glacial balayèrent le camp, l' air froid et lourd du Svartisen descendant pour remplacer l' air plus doux des vallées forestières adjacentes.

Au matin, nous quittons le bivouac de bonne heure, sautillant par-dessus les moraines jusqu' au glacier qui s' élève devant nous. Une étendue en apparence infinie de blancheur pâlissante. Durant la première partie du trajet sur l' Ostisen nous cheminons sur la glace nue et dure où la couche de neige a complètement fondu. Je lace mes crampons, tandis que mon compagnon préfère une paire de vieux skis de bois, aux fixations très lâches, chaussures traditionnelles dans ces régions, qu' il manœuvre avec une adresse et une aisance remarquables. Le glacier est fortement crevasse, mais les fentes sont en général peu larges, si bien que nous pouvons tenir une direction assez régulière, sans faire trop de détours.

Nous franchissons ainsi, presque horizontalement trois kilomètres de glace nue et d' innom crevasses. Puis le caractère du glacier change brusquement, faisant place, sur trois autres kilomètres, à une longue pente de neige molle conduisant vers le nunatak 1417, premier repère marquant de notre route. Lentement, avec de fréquentes haltes, nous nous élevons jusqu' à son pied. Sur une longueur d' environ 1 km il domine de 80 mètres le névé environnant. Non loin de là, nous apercevons deux rennes qui traversent le plateau. On a peine à imaginer ce qui peut pousser ces animaux à s' aventurer dans une région si éloignée de leur source de nourriture. Les vallées entourant le Svartisen abritent quelques rares ours bruns, loups, lynx et autres petits mammifères, mais la cape glaciaire ne peut offrir aucun moyen de subsistance, aussi est-elle pratiquement dépourvue de vie animale.

Longeant le flanc ouest du « nunatak », nous continuons la traversée du névé ramolli, rencontrant ici et là une croûte qui cède sous le pied. Parvenus à son extrémité septentrionale, nous arrivons à un petit col d' où nous obtenons un premier coup d' œil sur le Sniptind qui dresse à trois kilomètres plus au nord sa silhouette caractéristique en forme de cône. Nous repérons immédiatement deux voies d' ascension possibles: par l' arête Est neigeuse, ou par l' arête Sud entièrement rocheuse. C' est cette dernière que nous choisissons, et nous nous dirigeons vers sa base, en tournant par le névé un pic voisin, le Kamplitind, 1532 m.

Le Svartisen est suffisamment vaste pour produire des conditions météorologiques locales différentes. Tandis que nous poursuivons notre marche laborieuse vers le pied de notre pic, le courant d' air venant de l' ouest apporte de petits nuages. L' air humide de l' Océan remonte et, passant sur les plateaux glaciaires, il est refroidi et subit une condensation rapide et générale. Bientôt la crête du Sniptind est voilée; les autres « nunataks » s' évanouissent dans la grisaille. Les immenses champs de neige prennent un aspect sinistre d' une infinie désolation.

Nous parvenons enfin aux premiers rochers de notre arête, dont j' avais estimé la hauteur à 200 mètres. Elle s' élève graduellement au début, puis se redresse fortement. Nous tournons une bosse rocheuse par une traversée facile dans le flanc sud-ouest, puis une grimpée sans histoire sur des dalles brisées recouvertes de blocs instables aboutit soudain à la crête faîtière très étroite que nous suivons sur une trentaine de mètres jusqu' au sommet, marqué par un modeste cairn. Nous avons mis 5 heures depuis le camp.

Le brouillard flottant exclut une vue générale; nous devons nous contenter d' échappées intermittentes et fragmentaires sur l' immense plateau blanc que nous avons traverse et dans la profonde cuvette rocheuse du Glomdal qui se creuse à l' ouest immédiatement sous nos pieds. Westermark déniche sous le cairn une petite boîte de métal contenant la mention de trois ascensions antérieures. Je suppose que le Sniptind a reçu d' autres visites, mais de toutes façons leur nombre ne doit pas être bien grand. Nous y laissons la notice de notre propre course avant de redescendre l' arête et reprendre la longue marche à travers le névé.

Lorsque nous quittons la zone enneigée, nous trouvons la partie dénudée du glacier ruisselante sous une nappe d' eau de fonte de plusieurs centimètres, effet de la chaleur étouffante de l' après.

Le Svartisen a été l' objet, ces dernières années, de nombreuses recherches et études, surtout géologiques, menées par plusieurs expéditions successives de l' Université de Cambridge. Il est évident, même à l' observateur le plus superficiel, que le champ de glace diminue avec une rapidité frappante. Des conditions météorologiques plus douces ont cause un retrait marqué des langues glaciaires péri- phériques, de même que de ses lisières moins épaisses, laissant à nu des étendues de roc et de moraines dont une végétation primitive s' empare lentement. Sous l' influence bénigne d' un climat moins rude, les déserts glacés des régions arctiques prennent graduellement un aspect plus accueillant et plus fertile.

Nous fûmes de retour au camp peu après 5 heures. Westermark devait regagner la vallée le même soir; pour moi, je passai en solitaire une seconde nuit au bivouac. Comme durant la précédente, de violents coups de vent ébranlèrent la tente d' un incessant tir de barrage. Toutefois l' air se calma lorsque le soleil remonta au-dessus de l' horizon oriental. La tente pliée, le camp levé, je descendis à pas tranquilles et un peu las vers les vertes forêts et le royaume des humains.

Le Svartisen est un des derniers vestiges importants de l' âge glaciaire sur le continent européen. Malgré leur aspect stérile et désolé, ces immenses plateaux blancs ont une grandeur austère dans leur silencieuse immobilité. Aucun mouvement en effet, sauf le passage imperceptible de la neige en glace. Aucun son, si ce n' est la plainte funèbre du vent autour des « nunataks ». C' est peut-être ce profond silence du Svartisen qui frappe le plus l' imagination, le silence d' un monde encore implacable, hostile à toute vie, et qui défie les efforts de l' homme. Il y a des millénaires, la plus grande partie de notre continent était asservie à cette tyrannie glacée qui règne encore sur le Svartisen, l' une de ses dernières citadelles. Elle tombera à son tour si la tendance climatologique actuelle se prolonge, et le printemps de la vie s' éveillera là où persiste encore la pâleur de la mort.

( Traduit de l' anglais par f Louis Seylaz )

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