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Une traversée du Strahlhorn à skis

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Par Raymond Lambert.

Un cours de ski de haute montagne, agrémenté naturellement le plus possible d' ascensions intéressantes à ski, était prévu pour le mois de mai 1939 par l' Ecole d' Alpinisme de Genève.

Malgré un temps douteux et beaucoup de neige fraîche en haute montagne, 8 skieurs se rencontrent à Viège. Un petit groupe, dont mon frère fait partie, arrive de Brigue venant d' au des Alpes Bernoises, tandis que le gros de la troupe vient des bords du Léman. C' est une joyeuse bande qui s' installe dans l' autocar postal de Saas-Grund, où nous arrivons par une petite pluie fine et désagréable.

Comme ce village a perdu de son cachet depuis que des garages pour autos, longues bâtisses de planches recouvertes de tôle, ont dû être construits pour abriter tous les véhicules à moteur qui montent le plus haut possible vers nos sites tranquilles de montagne! L' impression maussade est accentuée encore par le mauvais temps et, sans nous arrêter, nous chargeons nos sacs et nos skis et nous dirigeons vers Saas-Fee. Quelques ruelles sombres et boueuses sont traversées, puis la rivière et nous commençons à grimper sur le chemin muletier qui préserve encore Saas-Fee de l' assaut des motos et autos. Notre petite troupe s' échelonne bientôt le long du sentier car les sacs et les skis pèsent sur les épaules.

Peu à peu la vallée de Saas-Fee s' ouvre à notre droite et nous découvrons les premières maisons de ce joli village. Pour aujourd'hui notre but de course est simplement l' hôtel Allalin où nous passerons la nuit. Tous ceux qui entrent pour la première fois dans cet hôtel ne peuvent s' empêcher d' admirer les beaux meubles de style valaisan qui ornent toutes les salles.

Le lendemain matin, pendant qu' il neige légèrement, nous répartissons dans les sacs les vivres pour 8 jours et partons pour la cabane Britannia. Le soleil fait quelques apparitions, mais, ayant gagné un peu de hauteur, nous sommes bientôt enveloppés par le brouillard. La neige est profonde, et ce n' est que lentement que nous atteignons l' Egginerjoch. Là les conditions changent: un vent violent nous accueille, et c' est sur une neige soufflée qu' il faut continuer vers la cabane invisible mais désormais proche. Nous sommes bien accueillis par le gardien qui n' attendait guère de visite par ce mauvais temps.

Le lendemain, avec 20 cm. de neige fraîche et un temps incertain, nous faisons un premier essai vers l' Allalinhorn, mais nous sommes arrêtés par le brouillard au-dessus de la chute de séracs du glacier de Fee. Rentrés de bonne heure à la cabane, nous occupons l' après à des exercices de taille de glace et de sauvetage.

Nous passons la soirée à faire des exercices d' orientation avec carte et boussole. Le baromètre est toujours très bas, et c' est sans grand espoir pour le lendemain que nous nous couchons.

En effet, toute la journée du mardi la neige et le vent nous empêchent de sortir et nous devons nous armer de patience. Le gardien, lui, vaque à ses travaux, fume sa pipe et, en fait d' encouragement, nous communique que, tant que son baromètre indique variable, le temps ne s' améliorera guère!... Malgré ce pessimisme, nous projetons pour le mercredi l' ascension du Fluchthorn 3802 m ., course facile qui devrait pouvoir se faire même avec de la neige fraîche. Comme sous nos coups répétés le baromètre est monté de quelques millimètres, nous nous couchons pleins d' espoir!...

Le mercredi matin il ne neige plus, mais tout est enveloppé de brouillard. Vers 8 heures, nous décidons de tenter l' aventure. La pente raide, au-dessous de la cabane, qui doit nous amener sur le Hohlaubgletscher est descendue. Nous traversons vers la droite le plus bas possible pour éviter les avalanches venant de l' Hinter Allalin. Nous remontons lentement vers le petit col à droite du point 3150 m. et voyons avec plaisir que le soleil réussit à nous envoyer quelques rayons. Une courte descente que nous exécutons encordés provoque quelques chutes et nous arrivons sur l' Allalingletscher. Nous suivons le pied du contrefort de l' Allalin, puis laissons la combe glaciaire qui mène à l' AHalinpass à notre droite pour traverser le glacier et atteindre la base du Fluchthorn. Là, nous faisons une petite halte au soleil, mais tous les sommets aux alentours sont cachés; nous ne pouvons donc pas nous orienter avec sûreté.

Nous reprenons notre marche en direction du col à l' ouest du Fluchthorn, mais n' avançons que lentement, car deux des participants sont fatigués. Après quelques lacets, nous atteignons un replat où nos deux compagnons décident de s' arrêter et de nous attendre. Nous sommes à peu près à 3500 m ., et le sommet du Fluchthorn ne peut être loin. Nous prions nos compagnons d' avoir un peu de patience!... et nous continuons notre route.

Nous sommes bientôt plongés à nouveau dans le brouillard, et la lumière diffuse nous empêche de distinguer le relief du terrain. Nous traversons un champ de blocs de glace qui nous laisse supposer qu' une chute de séracs est au-dessus de nous, à notre droite. La pente se fait plus raide, et nous estimons qu' elle doit nous conduire au col avant le sommet du Fluchthorn; mais elle se redresse de plus en plus, et bientôt nous sommes obligés de repartir vers la droite quoique nous ayons le sentiment que nous nous écartons de la bonne route. Il faut continuer, car descendre cette pente raide dans le brouillard ne nous sourit guère. Au-dessus de nos têtes, à gauche, des séracs menaçants s' inclinent vers nous, et nous hâtons le pas afin de sortir le plus rapidement possible de cette zone dangereuse; au-dessous de nous la pente de neige fuit et est presque surplombante, car nous apercevons très bas des crevasses béantes. Toujours cette atmosphère de chambre à lessive qui cache les choses réelles et rend fantastique chaque bloc de glace. Heureusement, la neige fraîche tombée les jours derniers a déjà été travaillée par le soleil et paraît être sûre. Une avalanche, à cet endroit, aurait des suites désastreuses, car nous irions tous finir dans les crevasses qui semblent attendre leur proie. Nous espérons toujours atteindre le col et de là continuer vers le sommet sur notre gauche. Tout à coup, mon frère a l' idée de contrôler l' altitude et s' écrie que l' altimètre marque 3950 m.! Malgré une erreur possible due aux variations de la pression barométrique, il est certain que nous sommes plus haut que le sommet que nous cherchons qui ne mesure que 3802 m. Un coup d' œil sur la carte nous montre que nous allons bientôt atteindre l' arête qui relie le Fluchthorn au Strahlhorn. Encore un peu de courage!

Le brouillard semble moins dense et il fait excessivement chaud. Après avoir longé encore quelques séracs menaçants, la pente se fait tout à coup plus douce, et brusquement un coin de ciel bleu apparaît, salué par un hourra de celui qui fait la trace. Nous débouchons bientôt sur un plateau au-dessus d' une mer de brouillard qui s' étend à l' infini à une hauteur d' environ 4000 m. Brusquement le flanc est du Strahlhorn se dresse devant nous et resplendit au soleil. Que ces minutes, que seule la haute montagne procure, sont bonnes à vivre!

A droite du Strahlhorn, l' arête dentelée du Rimpfischhorn émerge du brouillard. D' un commun accord, nous cherchons le sommet du Fluchthorn, notre but de course, et finissons par le découvrir bien au-dessous de nous vers l' est. C' est une petite calotte blanche qui n' est visible que de temps à autre. Encore un sommet de manqué! Que faire? Il est 3 heures de l' après. De temps en temps nous croyons percevoir la voix de nos camarades qui nous attendent. Une terrible pente de neige nous sépare d' eux et, devant nous, le Strahlhorn étincelant qui nous nargue... Ah! l' appel des sommets! Irré- sistible pour ceux qui ont goûté aux joies de la haute montagne! Nous décidons tous de tenter la traversée du Strahlhorn, ne serait-ce que pour éviter une descente dangereuse dans le brouillard.

La pente de neige qui doit nous mener au sommet est moins raide que celle que nous venons de gravir et, après de nombreux lacets, nous atteignons la rimaye. Quelques sondages nous indiquent qu' elle peut être traversée sans enlever les skis. De là, nous sommes bientôt au pied de la dernière arête rocheuse. Il commence à faire froid car le soleil perd de sa force, et la mer de brouillard monte lentement derrière nous. Pullovers et gants sont rapidement sortis, puis nous fixons les skis sur le sac. La varappe n' est pas difficile, mais les skis sont des engins très encombrants lorsqu' ils ne sont plus aux pieds. Par deux courtes cheminées nous atteignons l' arête et apercevons le sommet à quelques longueurs de corde. Les rochers de l' arête sont très enneigés et doivent être nettoyés, ce qui exige une attention soutenue, car le vent fait flotter les skis sur notre dos. Vers le sud une pente abrupte de rochers saupoudrée de neige s' enfonce sous le brouillard et laisse deviner un à-pic impressionnant. Un petit mur de neige, et nous atteignons le sommet à 5 heures du soir. Une rapide poignée de main est donnée à la ronde et, sans perdre de temps, nous enlevons les peaux, car il s' agit d' atteindre la cabane avant la nuit. Maintenant que le sommet est conquis, nous pensons de nouveau aux camarades laissés sur le glacier et espérons qu' ils sont sur le chemin du retour.

Pour gagner du temps, nous nous désencordons et filons en bon ordre en direction de l' Adlerpass. L' arête, large au début, se rétrécit, et des bandes de glace nous forcent à enlever les skis. La dernière partie jusqu' à l' Adler nous coûte encore quelques efforts car la neige poudreuse, soufflée par le vent, s' est accumulée dans les revers où nous enfonçons jusqu' au ventre tandis que sur les crêtes de glace nous devons tailler des marches pour ne pas glisser.

Bientôt nous distinguons dans le brouillard les quelques rochers de l' Adlerpass où deux choucas, faute d' aigles, immobiles et sombres montent la garde dans la brume. A la file indienne, tous dans la même piste, nous glissons aussi vite que nous le permet la neige déjà tôlée. Une fois les pentes raides de l' Adlerpass derrière nous, nous obliquons vers la droite pour tâcher de retrouver nos traces de montée, car nous devons aussi vite que possible nous rendre compte si nos deux compagnons sont déjà redescendus. Le fait de les avoir laissés seuls sur le glacier nous tourmente tous. Enfin, voilà les traces régulières de montée, et nous voyons avec joie qu' autour de celles-ci serpentent les pistes de descente de nos deux compagnons. Heureux de ne pas devoir remonter jusqu' à l' endroit où nous les avions quittés, nous faisons une courte halte.

Bientôt nous nous laissons aller à l' ivresse de la descente, car la visibilité est meilleure; nous remontons gaîment au petit col et continuons en direction de la cabane sur le Hohlaubgletscher. Quel n' est pas notre étonnement de voir tout le flanc au-dessous de la cabane sillonné par des avalanches qui ont été déclenchées par le soleil de l' après! Nous remarquons avec intérêt que notre trace de montée n' a été coupée qu' en deux endroits par des coulées de neige peu importantes. Nous pouvons maintenant sans danger nous éviter une remontée désagréable en traçant notre chemin droit en direction de la cabane où nous sommes accueillis par des cris de joie de nos compagnons qui, après notre récit, ne nous tinrent pas rigueur de notre abandon. Le soir, nous fêtions joyeusement avec du fendant du Valais le premier 4000 d' une des élèves de l' Ecole d' Alpinisme et une belle traversée à skis.

Le lendemain, une tentative à l' Alphubel échouait à 4000 m. à cause du mauvais temps et, après cet échec, tous décidèrent de rentrer dans leurs foyers, contents d' avoir, malgré les mauvaises conditions, réussi une belle course pleine d' imprévus.

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