Malade à l'Aconcagua ou malade de l'Aconcagua?
Wolfgang Nttsche, Nuremberg
Situé dans la Haute-Cordillère sur territoire argentin, l' Aconcaguaveilleur de pierre ) est le plus haut sommet du continent américain et le seul 7000 en dehors de l' Himalaya. L' altitude qu' on lui attribue varie entre 6959 et 7030 mètres, selon que les mesures se basent sur l' océan Atlantique ou sur le Pacifique, d' altitudes différentes. Ce sommet a été gravi pour la première fois en 1897 par le guide suisse Zurbriggen; mais, en 1883 déjà, le professeur berlinois Güssfeldt l' avait reconnu et était parvenu jusqu' à l' altitude de 6600 mètres. Quant au sommet sud, plus bas de 30 mètres, mais plus difficile, il ne fut vaincu qu' en 1947 par Th. Kopp et L. Herold.
Après avoir gravi le Mont Blanc, l' Ararat, le Demavend et le Kilimandjaro, le guide tyrolien Hans G. et moi-même rêvions d' une expédition à l' Aconcagua. Aux nombreux préparatifs de ce voyage s' ajoutait un vaccin antivariolique qui ne devait pas remonter à plus de trois ans. De plus, nous avions avec nous une carte de notre groupe sanguin et un certificat de santé décrivant en détail l' état de notre cœur et de notre circulation sanguine, ainsi qu' un électrocardiogramme. Nous avions fait traduire le certificat en espagnol.
Le 19 février, nous nous envolions enfin de Zurich, dans un DC-8 d' Airtour Suisse à destination de Rio de Janeiro ( avec escale à Dakar ), où nous pûmes, après douze heures et demie de vol, prendre contact avec le climat tropical humide et chaud. Le lendemain, le voyage se poursuivit jusqu' à Buenos Aires avec un appareil de la compagnie brésilienne Varig ( trois heures de vol ), puis, après avoir gagné en auto en une heure et demie l' aéroport intérieur de la capitale, nous nous envolions pour Mendoza, notre but, à i too kilomètres de là. 90 minutes plus tard, nous atteignîmes cette ville universitaire de 213000 habitants située à 760 mètres d' altitude, au pied de la « Precordillera », haute de 3000 mètres, et dépourvue d' eau. Par sa production de vin ( plusieurs millions de litres par année ), Mendoza est devenue la ville la plus riche d' Argentine.
Ce n' est que peu à peu que nous nous habituons au passage d' un hiver tyrolien à l' été sud-améri-cain. A cette saison, la température atteint à Mendoza 300 à l' ombre. Je savais par l' ambassade d' Allemagne fédérale à Buenos Aires qu' un permis était nécessaire pour l' ascension de l' Acon. Pour l' obtenir, il fallait nous adresser au « Comando del Ejercito » ( quartier général de l' armée ), à Mendoza. J' avais déjà informé ce bureau militaire de notre intention avant mon départ par une lettre en espagnol ( les demandes en allemand ou même en anglais n' étant pas prises en considération ), mais sans recevoir de réponse. Cependant, je pus y présenter une copie de ma lettre, sur quoi un « capitano » nous reçut rapidement et aimablement. Il nous enumera les étapes de la marche à suivre: police, Département de la santé, Club andin et encore une fois les militaires. Au poste de police, on procéda à une identification: empreinte digitale des dix doigts!, remise de quatre photos passeport en noir et blanc ( deux de face et deux de profil ) et d' une photocopie du passeport. Au Département de la santé, notre cœur et notre circulation sanguine furent examinés, et on conserva nos certificats de santé. Le président du Club andin nous rendit visite le soir à l' hôtel pour contrôler ( superficiellement ) notre matériel. Nous lui donnâmes, sur sa demande, une liste des courses de montagne que nous avions effectuées ainsi qu' une description exacte de l' ascension projetée - dans notre cas, il s' agissait de la voie normale. Lorsque nous retournâmes le lendemain au Comando del Ejercito, nous avions passé presque deux jours à courir les bureaux, et pourtant tout s' était fait rapidement. Le capitano nous souhaita bonne chance et annonça notre arrivée par radio à Puente del Inca, le point de départ de l' Acon.
Enfin, nous pûmes quitter Mendoza. Nous fîmes en taxi la route de 190 kilomètres ( dont un tiers n' est pas asphalté ) en l' espace de deux heures et demie et arrivâmes le soir à Puente del Inca ( 2720 m ). Nous nous rendîmes immédiatement à la caserne, à la porte de laquelle on peut lire: « Les meilleurs soldats d' Argentine franchissent cette porte. » Mais le commandant ne fut pas très heureux de nous voir, malgré la lettre de recommandation revue à Mendoza. La raison en était probablement qu' on avait retrouvé deux jours auparavant les cadavres de deux Nord-américains disparus depuis deux ans - et qu' un Japonais venait d' être redescendu d' urgence dans un état presque désespéré sans avoir atteint le sommet.
— Vous serez soumis immédiatement à un examen médical, nous informa le commandant, et si votre état de santé n' est pas O. K., vous pouvez faire demi-tour.
Alors que nous venions de franchir une dénivellation de 2000 mètres, entre Mendoza et Puente del Inca, nous dûmes donc à nouveau subir une mesure de la pression, un contrôle du pouls, une auscultation des poumons et du cœur, et cela avant, puis après quinze génuflexions. Le médecin pouvait-il entendre quelque chose dans cette caserne bruyante? Ma pression sanguine était certainement trop haute après l' effort fourni. Lorsque je sortir de la salle d' examen, je n' en crus pas mes yeux: Hans avait dû étaler sur le plancher notre matériel au grand complet et même tous nos vivres. Je me trouvai involontairement ramené à l' époque de mon service militaire, lors d' un appel général. Puis je dus également présenter ma veste et mon pantalon duvet, mes gants, bas de rechange et bonnets. Notre sac de bivouac suscita un intérêt particulier; il semblait inconnu ici. De plus, tous nos médicaments furent contrôlés. Une douzaine environ d' officiers et de sous-officiers passèrent en revue notre équipement. Puis le verdict tomba:
- C' est le meilleur équipement que nous ayons jamais vu!
En plus des vêtements en duvet déjà mentionnés, nous emportions des sacs de couchage, des matelas pneumatiques, un sac de bivouac, une tente himalayenne pour deux personnes, une bouteille d' oxygène, des vaches à eau, des chaussures de montagne avec chausson intérieur, des sur-moufles, des capuchons avec protection pour le visage, une corde, des vis à glace, des crampons, un altimètre, une boussole et bien entendu les vêtements d' hiver habituels. Nous eûmes l' autori, tout comme les autres touristes, de loger et de manger au mess des officiers - contre rémunération. Quant aux vivres pour l' expédition, c' est à Mendoza que nous les avions achetés. Le jour suivant, il ne se passa rien, car il n' y avait apparemment aucun mulet à disposition. Nous fîmes les cent pas et admirâmes le célèbre pont naturel et l' hôtel thermal détruit par une avalanche. Le soir, des guides du pays arrivèrent et demandèrent des mulets pour le lendemain matin. On leur en donna tout de suite, et même des bêtes de selle. Là-dessus, nous obtînmes aussi un mulet qui devait transporter nos deux sacs à dos jusqu' à Plaza de Mulas.
Hans et moi nous mettons en route le 27 février à 6 heures du matin. Le jour se lève. Comme nous ne voulons pas remonter en une seule journée la vallée du Horcones, aride et longue de 38 kilomètres, il nous reste encore beaucoup de matériel à transporter, surtout du matériel de camping. Nous marchons environ dix minutes sur la route qui mène au Chili, puis nous prenons le sentier muletier qui s' élève à droite, sur des collines de cailloutis. A 5 kilomètres au-dessus de Puente del Inca, nous obliquons à droite dans la vallée du Horcones, d' où on aperçoit pour la première fois l' Aconcagua ( face sud ). Quelle vision grandiose! Par sa forme, cette montagne rappelle la Jungfrau! Après avoir contourné quelques petits lacs, nous devons bientôt traverser le Rio Horcones, un torrent fort impétueux, sur un pont fait d' un simple tronc d' arbre fixé de chaque côté. Puis nous gravissons plusieurs collines raides, couvertes d' une végétation steppique. Derrière une colline particulièrement large, nous apercevons le Rio Horcones dans une gorge profonde, à cent mètres au-dessous de nous. Nous traversons bientôt un torrent près duquel se trouve un abri. De l' autre cté, le chemin continue à monter sur des collines à l' aspect de steppe. La vallée s' infléchit légèrement à gauche, car nous contournons l' Acon par l' ouest. Nous pouvons voir maintenant le fond de la vallée; au premier plan, les dernières prairies s' étalent le long d' un bras du torrent. C' est ici que, au début de l' après, nous montons la tente, et Hans met tout de suite en route le réchaud. Quelques touristes, portant eux-mêmes leurs bagages, redescendent de la montagne. Le soleil est brillant, on ne peut pas se tenir sous la tente, tant la température est élevée. Je me fabrique une sorte de parasol à l' aide de quelques vêtements. La coupe et la goulache que nous avons préparées ont de la peine à passer. Peu après le repas, je me mets à vomir. Je pense tout de suite au mal de montagne, dû à l' altitude. Mais ce n' est guère possible, car nous ne sommes qu' à 3500 mètres, et j' ai déjà supporté des altitudes supérieures à 5000 mètres. L' après et le soir, les vomissements continuent; mon estomac rejette même des médicaments antiémétiques. Je ne peux avaler qu' un peu de thé noir sans sucre. La nuit, je somnole, souffrant d' un violent mal de tête. Le thermomètre descend à zéro degré dans la tente, et de l' eau de condensation se forme contre les parois.
Au lever du jour, nous attaquons la deuxième partie de la vallée du Horcones: un immense désert de pierres et des moraines gigantesques. Je n' ose rien manger. Ce paysage montagneux étranger nous oppresse dans sa solitude. On ne rencontre presque plus de végétation; nous marchons sur de la pierre rougeâtre, violette, vert pâle ou jaune selon les endroits. Nous sommes en route depuis deux heures environ lorsque mon estomac se rebelle à nouveau; comme il est vide, je crache des sucs gastriques puis de la bile. Je commence à croire à une maladie de l' Aconcagua. Mais comme elle ne semble pas exister, je conclus à un ulcère d' estomac ou à des calculs biliaires ( ce qui se confirmera malheureusement plus tard ). Je dois avoir un air de « retour du sommet ». Je me traîne péniblement et je dois rassembler toutes mes forces pour sauter par-dessus les nombreux ruisseaux que nous devons traverser. Deux heures avant d' atteindre la cabane, nous suivons un sentier qui passe par des versants morainiques crevasses et, dans l' après, nous arrivons enfin au camp de base, la nouvelle cabane de Plaza de Mulas ( 3970 m ). Elle ne date que de quelques années, et elle est construite selon les normes modernes, mais elle n' est pas gardiennée et présente déjà des signes de décrépitude. Nous y trouvons nos sacs à dos, car c' est le terminus du chemin muletier. Nous sommes seuls, les indigènes ont déjà rebroussé chemin. Epuisé, je me couche immédiatement sur mon matelas pneumatique.Vu mon état de faiblesse, Hans insiste pour me faire absorber du sucre de raisin. Je lui fais ce plaisir, mais j' ai de nouveau une crise de vomissements.
- Demain, nous ne monterons que très peu, tu pourras te reposer.
Je passe une nuit agitée et rumine sans arrêt.
Le lendemain, le ciel est toujours sans nuage. Pour ne pas nous exposer inutilement au soleil, Grand glacier d' Aletsch, le u septembre igy6. Photo H. Widmer, VAW.
La vue de Belalp nous montre ( en bas, au premier plan ) la langue qui se termine dans la gorge de la Massa, à 1506 mètres d' altitude. Sa couverture de débris rocheux provient principalement de la moraine médiane séparant la glace qui s' écoule sur le côté orographique droit du Grand Aletschfirn et celle, à gauche, provenant du Jungfraußrn. La troisième partie de la langue est originaire de l' Ewig et se termine au pied du Bettmerhorn ( à droite sur la photographie ), à une distance de 2 kilomètres environ, derrière le front du glacier. Devant la pente uniforme, couverte de dépôts morainiques ( située à gauche du centre de la photo ), on reconnaît une zone d' affaissement, grande de l' ordre de dix hectares. Ce phénomène s' est développé au cours des 75 dernières années à la sortie du vallon dénommé Tälli, à la suite du recul rapide de la langue glaciaire. La zone affaissée est limitée, à son arrière, par la paroi de rocher verticale, au pied de laquelle le Triestbach s' écoule vers le glacier. Sa limite frontale ( la gorge profondément entaillée par le torrent émissaire du glacier d' Oberaletsch ) est cachée sur cette photo par l' éperon rocheux remontant du front du glacier. Elle est parfaitement visible sur les figures 2 à y qui illustrent les étapes marquées de l' affaissement. La bande morainique claire, située au-dessus de cette zone, est limitée à environ igoo mètres d' altitude de façon nette par un vallum latéral qui indique l' étendue du glacier lors des crues des XVII' et XIX' siècles. Depuis cette époque, la surface de la glace s' est abaissée de plus de 200 mètres dans la zone de l' affaissement. A l' horizon, le Strahlhorn et l' Eggishorn encadrent le vallon du Märjelensee. Figures 2 à y: Zones d' affaissements rocheux au Grand glacier d' Aletsch.
Figure 2: Affaissements du Tälli et de V Aletschwald, le 4 octobre 1965. Détail du cliché aérien N° 3825 L+ T. Figure 3: Affaissement du Tälli, le 26 septembre ig6y. Détail du cliché aérien3g6o L+ T. Figure 4: Affaissement du Tälli, le 21 septembre igyo. Détail du cliché aérien N° rjyy L+ T. Figure5: Affaissement du Tälli, le 8 octobre igyj. Détail du cliché aérien N° 6630 L+T. Figure 6: Affaissement du Tälli, le u octobre ig6y. Photo H. Widmer, VAW. Figure y: Affaissement du Talli, le 15 juillet igy5- Photo M. Aellen, VA W.
Une grande partie de nos paysages helvétiques a été façonnée ou remodelée par les glaciers, surtout pendant l' époque diluvienne, caractérisée par ses longues périodes répétées de glaciation presque totale du territoire suisse. Des phénomènes connus: les roches moutonnées, les stries glaciaires, les blocs erratiques, les moraines, etc. sont les témoins les plus communs de leur influence active sur l' environnement. Moins fréquents et moins connus sont des phénomènes où les glaciers jouent un rôle passif dans les procès naturels façonnant la surface terrestre. La nature nous en a donne tout récemment un exemple au glacier d' Aletsch. Au début de la dernière décennie, notre collaborateur H. Widmer a constate qu' un tuyau en acier, plante, en igj4, à la sortie du Tälli comme point de repère pour les mesures annuelles du glacier, s' était déplacé avec son support rocheux. En ig66, une faille ouverte a déchiré le sommet de la pente, située entre le Triestbach et VOberaletschbach sur toute la largeur d' environ350 mètres. Les rochers s' écaillant, les échancrures fraîches dans la falaise et les cônes d' éboulis récents au pied de la pente raide, arrosée par le Triestbach et surcreusée par le glacier et V 0beraletschbach, sont d' autres indices révélant que cette pente était devenue instable en quelques années seulement, à la suite de la régression rapide du glacier. En automne ig6$ ( figure 2, en haut ), la pente parcourue alors en ligne directe par le Triestbach ne semblait pas encore touchée. Deux ans plus tard ( photographies 3 et 6 ), elle avait une surface toujours assez compacte, quoique fracturée par des fentes et des failles secondaires, tandis que son sommet s' était nettement abaissé sur toute la longueur de la faille principale. Outre cette dislocation, la désintégration totale du rocher cristallin, à l' origine massif et solide, visible près de l' embou primitive du Triestbach ( détourné entre-temps par la faille principale ), montre que l' affaissement était en pleine activité. Jusqu' alors, le repère de mensurations, qui avait été installé à mi-pente environ, s' était éloigné de sa position primitive d' environ 6 mètres à l' horizontale, mais de 14 centimètres seulement à la verticale. Dans les 11 mois suivants, il s' est déplacé encore de 4 mètres à l' horizontale et en s' abaissant de 1 mètre. Une année plus tard, il avait disparu. La désintégration du rocher progressant en direction de VOberaletschbach et vers le sommet de la pente avait atteint, en igyo ( figure 4 ), le fond et la bordure droite de la masse déséquilibrée. Le Triestbach suivait à nouveau son cours normal dans la ligne de pente. Après la destruction complète des structures superficielles originales et la disparition de la végétation, la phase finale de l' événement fut atteinte en igy$ ( figures j et y ). Dans quelques années, l' amas désordonné de débris rocheux, niche dans un creux à la forme semi-circulaire caractéristique, présentera un aspect tout à fait pareil à celui de l' affaissement beaucoup plus ancien et qui est reconnaissable dans la moitié inférieure de la figure 2, à la lisière de la forêt d' Aletsch. Cet ancien affaissement est également situé dans la zone abandonnée par le glacier depuis environ 1850. Par la couleur plus claire de sa couverture mixte de jeunes bouleaux et de mélèzes, cette zone se détache sur le terrain plus foncé, recouvert par la vieille forêt vierge et où les aroles sont prédominants. A notre opinion, l' ancien affaissement, s' il n' est pas d' âge préhistorique, a eu lieu, au plus tard, dans le haut Moyen Age, quand le glacier avait atteint une étendue au moins aussi limitée qu' à présent. La preuve en a été fournie par les vestiges d' une forêt écrasée par le glacier au cours des crues de la fin du Moyen Age. A part les deux exemples présentés ici, particulièrement spectaculaires, on peut trouver dans la région d' Aletsch un grand nombre d' affaissements et autres dislocations de terrain, d' âges et de dimensions différents, qui ont été provoqués probablement par les variations glaciaires. Certains indices nous font supposer que l' affaissement récent du Tälli a été précédé par des déplacements sur un système de failles anciennes.
Figure 8: Glacier du Gorner, le 15 juillet igy4- Photo W. Haeberli, VA W.
Sur la photo prise de la Pointe Dufour, on voit nettement que la partie médiane de la langue, provenant du Grenzgletscher, est constituée de glace plus claire que par exemple le glacier du Gorner, affluant de la droite. Les températures mesurées dans un puits de forage perçant la glace « blanche » jusqu' à une profondeur de 180 mètres, étaient de— 2,5° C et ne variaient guère tout au long du puits. Cela nous montre que, à l' endroit des mesures ( situé à 2600 m d' altitude ), la langue du glacier est froide. Cette observation s' oppose à l' hypothèse jusqu' ici adoptée, selon laquelle les glaciers des Alpes sont tempérés au-dessous de la rimaye, c'est-à-dire qu' on n' y devrait
pas trouver des températures plus basses que celles correspondant au point de fusion de la glace à la pression considérée. La glace « blanche » du Grenzgletscher provient d' un bassin d' accumulation situé très haut ( au-dessus de 4000 mètres d' altitude ) où, par le manque presque total d' eau de fonte, la neige reste plus ou moins sèche pendant sa métamorphose en glace. Elle contient donc un nombre bien plus grand de vésicules d' air que la glace « prise » du Gorner qui s' est formée dans des névés moins élevés et par conséquent trempés par les eaux de fonte.
19 Conrad Meyer: le Glärnisch ( 375:475 mm, dessin au pinceau, monochrome gris-bleu, rehaussé de blanc ) Kunsthaus Zürich 20 Conrad Meyer: dans le Löntschbachtal ( 37g X gß mm, dessin au pinceau, monochrome gris-bleu, rehaussé de blanc ) Collection graphique de la Bibliothèque centrale de Zurich 21Conrad Meyer: la rive sud du lac du Klöntal avec le Glärnisch ( 282 x 366 mm, dessin au pinceau, monochrome, gris-bleu, rehaussé de blanc ) Collection graphique de l' EPF de Zurich nous partons rapidement pour l' ancienne cabane de Plaza de Mulas ( 4230 m ) dans laquelle six personnes peuvent trouver place. Il me faut deux heures et demie pour venir à bout de cette courte distance. Peu après la cabane, nous voyons les premiers pénitents de glace aux arêtes aiguës et hauts parfois de dix mètres. De loin, on dirait une foule de pèlerins vêtus de blanc. Leur formation est due au rayonnement solaire vertical et à la rareté des précipitations sur le versant ouest des Andes.
Je ne peux toujours pas avaler un morceau. Tous les médicaments restent sans effet. La nuit la soif me tourmente, mais je vomis même le thé. Je suis donc malade de l' Aconcagua? Le cœur lourd, je prends la décision, vu les circonstances, d' inter l' expédition.
Le jour suivant, nous ne fîmes que redescendre à la nouvelle cabane de Plaza de Mulas où nous attendîmes des bêtes de somme pour transporter nos volumineux bagages — mais en vain. Rien ne bougeait, tout semblait mort dans la vallée du Horcones. Hans lut par hasard dans le livre de cabane: « Les Argentins peuvent aller se faire voir, avec leurs mulets; ça ira aussi sans ça! » Ce fut pour nous le signal du départ. Le soir, nous fîmes soigneusement nos sacs, mais nous dûmes abandonner beaucoup de matériel, notamment les beaux matelas pneumatiques, trop lourds. Le jour du retour, cinquième jour de notre entreprise, fut pour moi le cinquième jour sans nourriture. Mon estomac ne gardait que de l' eau bouillie en petites quantités. La descente de la vallée du Horcones, qui semblait sans fin, prit pour moi l' allure d' une marche de la survie.
-Je n' en peux plus, Hans, je vais rester ici!
- Tu l' as déjà dit, il y a deux heures; en tout cas, moi, je ne campe plus!
22 Conrad Meyer: la rive nord du lac du Klöntal ( 220 x 367 mm, dessin au pinceau, monochrome gris-bleu, rehaussé de blanc ) Kunsthaus Zürich 23a+bConrad Meyer: panorama du Walensee, vu de Biberlikopf en direction du Kerenzer Berg. A gauche: 355 X 471 mm, à droite: 375 X 470 mm Œuvre disparue. Avant 1938, Kunsthandlung Dr Ignace Schwarz, Vienne Les deux dessinateurs. Détail du dessin 20 25 Artiste inconnu: portrait de Hans Rudolf Werdmüller, vers I655 ( 6° X 5°ó cm ). Huile sur bois Château Elgg Et je me traînais encore un moment. Quel effort chaque fois que je me remettais sur mes jambes! Je ne voulais en aucun cas être secouru par les Argentins. Et je tins le coup. En dix heures exactement nous avions accompli les 38 kilomètres qui nous séparaient de Puente del Inca. Nous allâmes rechercher nos passeports à la caserne et continuâmes en auto-stop jusqu' à Mendoza. Là, mon état s' améliora peu à peu grâce aux grandes quantités de liquide que j' absorbai.
J' aimerais conclure par quelques informations sur l' ascension de l' Aconcagua. Depuis Plaza de Mulas, on la fait généralement en trois étapes: qu' au bivouac Antarctica, de là jusqu' au bivouac Berlin et enfin jusqu' au sommet. C' est par des pénitents et des pentes d' éboulis sans fin qu' on atteint en six ou sept heures le bivouac Antarctica ( 5450 m ) qui peut accueillir quatre personnes, mais il est en mauvais état. La température peut y descendre la nuit jusqu' à 200. Le jour suivant, on atteint au terme d' une montée plus brève sur des pentes d' éboulis la cabane de Berlin à Plantamura ( 5850 m ). Cette cabane est un don de la Croix-Rouge allemande à la nation argentine. Trois bivouacs offrent un abri pour 8 ou io personnes. De là, on met huit à douze heures jusqu' au sommet nord ( sommet principal ). Un sentier signalé par des plaquettes de métal y mène à travers névés et pentes de caillasse, en partie très raides ( 3o-400 ). A 6450 mètres d' altitude se dresse le refuge de secours Perôn. Juste au-dessous du sommet, une longueur de 30 mètres environ présente des difficultés du IIe degré.
En ce qui concerne les provisions pour une telle ascension, il faut penser au fait que la composition des sucs gastriques se modifie au-dessus de 5000 mètres. L' appétit diminue à la suite du ralentisse- ment de la production d' acide chlorhydrique; ce sont surtout les graisses et les protéines qui sont moins bien supportées. En revanche, les hydrates de carbone sont plus vite épuisés et doivent être absorbés plus souvent, pour éviter le risque d' hy. D' autre part, l' organisme a besoin, au-dessus de 5500 mètres, de 3 ou 4 litres de liquide par jour, car la respiration haletante dans une atmosphère pauvre en oxygène et l' extrême sécheresse de l' air ( environ i 5% d' humidité relative ) provoquent de grandes pertes d' eau qui peuvent conduire à une exsiccose ( trouble du métabolisme basai consécutif à une déshydratation aiguë du corps ).
En conclusion, on peut dire que l' ascension de l' Aconcagua ne présente pas de difficultés techniques, mais qu' elle est très éprouvante et dangereuse en raison des brusques changements de temps ( dus au « viento bianco » ). Des quatre-vingts victimes environ que cette montagne a faites jusqu' ici, la plupart sont mortes d' épuise ou gelées. Seules des conditions excellentes, une santé parfaite, un équipement de première classe et une acclimatation progressive garantissent le succès. Pour l' expédition complète, y compris les préparatifs décrits au début, il faut compter au moins trois semaines. Une certaine connaissance de l' espagnol représente un avantage important. La saison la plus favorable pour cette ascension se situe en février et pendant la première moitié de mars.
Traduit de l' allemand par A. Rigo