Le temps en montagne
Avec 3 illustrations.
Par R. Eggîmann.
Reste l' état du ciel et l' étude attentive des nuages. Ces observations-là sont à la portée de tous et ne présentent pas d' insurmontables difficultés. On peut ainsi devenir, pour soi et pour les autres, un bon — disons peut-être en restant modeste — un assez bon prophète du temps et cela d' autant plus qu' on disposera d' un plus grand horizon et de la vue d' une plus grande fraction du ciel ( on n' ira donc pas se poster, pour faire ces observations, dans des cirques encaissés, aux bords escarpés et dominés par des sommets de 4000 m ., comme le Grand Mountet ). Puisqu' au point de vue pratique il suffit en somme d' une approximation pour réussir la prévision du temps, on finira, dis-je, par être assez bon prophète. Or, les prophètes, sans être prophètes de malheur, sont, par définition, pessimistes, et ils ont raison de l' être ( la 8e béatitude: « heureux les pessimistes, car ils ne seront point déçus » ): ils voient le mal partout comme ils le voient en eux-mêmes, ils condamnent le passé, tancent le présent et appellent des temps meilleurs. Plaignons leur mésaventure, car rien n' indispose autant la foule que les critiques de la situation actuelle; la foule aime à recevoir des nouvelles rassurantes et optimistes. Flattez-la, comme un chat, elle ronronnera; brusquez-la en lui disant la vérité, elle ronchonnera. Dites aux clubistes qui prennent le frais après souper devant la cabane que « le temps s' arrange, qu' il est plein de promesses et qu' il les tiendra », cela a beau être faux, vous êtes tout de suite bien vu et l'on vous croit sur parole. Faites au contraire ce que nous avons fait au Mountet, le 18 août 1938, en levant les yeux vers le ciel étoile et en nous adressant aux touristes qui voulaient, comme nous, faire le lendemain l' ascen de l' Obergabelhorn. Dites-leur ce que nous leur avons dit: « Ne partez pas!... il y a dans l' air et sur la terre tous les signes d' un changement de temps — ce qui était malheureusement vrai et évident, même en cet endroit „ encaissési tout va bien, nous aurons le beau jusqu' à demain à midi — » ce qui était aussi vrai et qui se trouva confirmé par la suite... vous verrez le, succès que vous aurez. C' est la vraie façon, en montagne, de manœuvrer pour se rendre impopulaire. Remarquez que c' est juste le contraire de ce que dit Pascal: « Otez la probabilité, on ne peut plus plaire au monde; mettez la probabilité, on ne peut plus lui déplaire. » Vous avouerez que le monde est mal fait...
Dans la prévision du temps, une attitude sceptique, pessimiste est de rigueur: il est bon de s' attendre à tout. Il faut se rappeler qu' en été, dans nos Alpes, la plupart des périodes de beau temps — trois jours au maximum — se terminent par un orage. Les paysans et les montagnards le savent bien; ils ne se gênent pas de vous le dire: « C' est trop beau pour que ça dure. » Et il faut les croire. Leur sagesse fruste mérite notre attention, notre respect, notre confiance. Le météorologiste, semblable au médecin, se penche sur le temps et l' ausculte, il applique son stéthoscope sur sa poitrine haletante et soulevée par la fièvre. C' est la méthode scientifique; le paysan fait moins d' histoires: il regarde attentivement la mine du temps, la couleur de son teint et dit, en hochant la tête, « le temps est malade »; c' est la méthode empirique, basée sur l' expérience. S' ils parlent peu, nos paysans et nos montagnards, ils observent beaucoup et arrivent à la vérité par des chemins détournés mais sûrs ( souvenez-vous qu' en montagne le chemin le plus court entre deux points n' est pas la ligne droite ). Il est un sujet qui leur tient à cœur, encore plus qu' aux citadins, puisqu' ils dépendent entièrement de la nature: c' est le temps. Alors pourquoi ne nous adresserions-nous pas à eux toutes les fois que nous hésitons ou que nous ignorons ce que nous aimerions beaucoup savoir? Ils nous tireront d' embarras; leur sagesse nous éclairera, leur bon sens, étayé de l' expérience qu' ils ont des phénomènes naturels, nous aidera et nous tirera d' affaire et d' embarras. Relisons, à ce propos, les belles choses que C. F. Ramuz dit des paysans dans « Besoin de grandir »:
« II y a des hommes qui parlent et il y a des hommes silencieux... En gros, et pour simplifier, il y a les hommes de la ville et les hommes de la campagne. Ceux qui expriment des idées qu' ils n' ont pas, ceux qui n' expriment pas les idées qu' ils ont, ceux qu' on ne peut pas ne pas entendre, ceux qu' on voudrait entendre et qu' on n' entend jamais... Le paysan laisse faire. Il s' est réfugié dans le silence. On se passe de lui, mais il se passe de vous. Il vit sa vie. Il fait et laisse dire. » « On se passe de lui » et on a tort. Seulement, comme il y a fagot et fagot, il y a aussi paysan et paysan, et on ne s' adressera pas au premier venu. On liera conversation avec les montagnards en train de faire les foins sur les pentes raides et avares autour des mazots ou avec les vieux restés au village pour garder les enfants. On s' en tiendra surtout aux proverbes et dictons, transmis de père en fils et qui sont bien, comme on les a appelés, la « sagesse des peuples » — parce qu' ils sont l' aboutissement de lentes et patientes observations et le résultat d' une expérience prolongée. On se fera ainsi une météorologie à soi, tirée des considérations paysannes et montagnardes, passées et présentes, moissonnées en cours de route, établies aussi sur des remarques qu' on a faites soi-même avant, pendant et après les ascensions et découlant de faits glanés et contrôlés durant les étés passés en haute montagne.
Examinons donc, si vous le voulez bien, les moyens de nous tirer d' affaire et d' arriver à prévoir quelques heures à l' avance — en général 15 heures suffisent pour une ascension même difficile — le temps probable; essayons, dis-je, de voir de quelle façon nous arriverons à prédire le temps, le mauvais temps surtout que la montagne nous réserve avant la tombée de la nuit. Regardons bien devant nous, derrière nous, autour de nous et au-dessus de nous. Notons les signes, surtout les signes de pluie, puisque c' est la pluie qu' il s' agit d' éviter; notons les signes de pluie sur la terre et sur l' eau ( nous avons assez de lacs en Suisse, tous les 20 kilomètres nous en trouvons un ), dans le ciel et sur le flanc de nos montagnes. Si nous partons de la cabane, le champ de nos observations sera nécessairement plus restreint et l' idéal serait de pouvoir être encore en plaine, au pied des monts, la veille d' une ascension, parce que la vallée nous fournit déjà nombre d' indices utiles quant LE TEMPS EN MONTAGNE.
au temps. Vous partez « du pied gauche », c'est-à-dire avec l' idée ancrée en vous que dans les Alpes, en été, le temps est en général impossible, que les statistiques prouvent que nous avons chez nous à peine 35 jours très beaux chaque année ( absence totale de vent, de bise et de nuages ), que la Suisse est le grand réservoir et la généreuse distributrice d' eau en Europe ( Helvetia mater fluviorum, comme l' ont répété les anciens timbres de 20 centimes ); vous vous dites, résigné, que les séries de plus de trois jours secs et sereins sont extrêmement rares pendant la « belle » saison, que lorsque le temps est malade il a beaucoup de peine à se remettre — comme les gens nerveux — et que dès qu' il est remis il fait mine de se détraquer de nouveau et d' avoir une rechute; vous répétez mentalement — ce que vous savez déjà — qu' il pleut beaucoup dans le Jura, encore plus dans l' Oberland, et qu' en Valais, à Grächen, par exemple, qui est censé être l' endroit le plus sec de la Suisse, il fait beau trois jours de suite, le quatrième il pleut et le cinquième il neige... Vous vous dites tout cela, vous marmottez ce petit credo, ce petit catéchisme et vous êtes alors prêt à tout, prêt à affronter n' importe quel temps, à braver ( sous toit, cela s' entend ) les pires intempéries. S' attendre au pire est une saine philosophie, recommandable aux touristes qui rôdent dans nos Alpes. Si de Neuchâtel, par exemple, où vous vous préparez à partir, les Alpes sont trop nettes, c' est signe de pluie, même par la bise qui, très souvent, comme disent les paysans, « gonfle » le temps. Si les murs de votre maison se couvrent d' humidité, si les conduites d' eau suintent, si la viande de boucherie se couvre d' une moiteur inaccoutumée, si les limaces, les crapauds et les salamandres « remuent » en se traînant sur les chemins, si la fumée, au lieu de monter toute droite dans un ciel calme comme celle du sacrifice d' Abel, retombe et s' étale autour de la maison, si les hirondelles volent bas, si les corbeaux ne peuvent pas se taire...
« Les cris de la corneille ont annoncé l' orage », si les moineaux et les poules se « pouillent » en se roulant dans la poussière, si le merle chante à découvert, c'est-à-dire sur un toit ou une cheminée, au lieu de rester dans la frondaison des arbres, si par la fenêtre ouverte vous arrivent de Serrières l' odeur vanillée et lourde de chocolat et rappel strident de la sirène de la fabrique, si par-dessus le marché le lac sent le poisson et si sa surface est striée de « ruisseaux », c'est-à-dire de bandes claires alternant avec des bandes plus foncées, des plissements, des froncements ridant à peine les eaux... vous pouvez être sûr que la sérénité, la placidité du temps ne durera pas: tous ces signes sont l' indication d' un changement de régime, l' indice certain de pluies prochaines.
Nous avons quitté Neuchâtel, nous sommes maintenant sur le chemin muletier, presque à pied d' œuvre; en traversant le dernier village, notons les odeurs — les mauvaises aussi — elles ne doivent pas être trop fortes, trop insolentes; observons, en passant, les abeilles:
« If bées stay at home Rain will soon come, 1f they fly away Fine will be thè day. » ( Si les abeilles restent chez elles, il pleuvra bientôt, si elles s' envolent, il fera beau ), jetons un coup d' œil au pré vert tendre; s' il est légèrement blanchi, répétons le dicton « Après la gelée la lavée. ». Si le croissant mince de la lune est encore visible dans l' air lumineux du matin, murmurons, résigné, cet autre proverbe pessimiste:
« Si la lune renouvelle avec le beau, dans trois jours on aura de l' eau. » Plus haut, dans les derniers pâturages, cherchons du regard .les moutons ou les chèvres; s' ils montent — comme le baromètre — le temps est sûr, s' ils descendent, c' est la pluie à bref délai. C' est du moins ce que disent les bergers.
Le soir déjà nous sommes à la cabane. C' est le moment d' ouvrir l' œil... et le bon, de scruter le ciel et d' examiner la terre sur toutes ses coutures... pour éviter de se faire battre, le lendemain, « à plate couture » par un ennemi aussi prompt que fourbe. Il s' agit d' être à l' affût des signes précurseurs d' un orage, de guetter les nuages avant-coureurs de bourrasques sournoises, d' épier les brouillards, ces « messagers fidèles » — comme disent les journaux — de la pluie. Il y a surtout une espèce de nuages qui ne trompe pas, ce sont ceux auxquels j' ai déjà fait allusion au commencement de cet article, je veux parler de ceux que les paysans appellent des « queues de renard », de ceux qu' ils montrent en hochant la tête et en disant: « II y a du mince là-haut, c' est mauvais signe! » Ce sont des cirrus, c'est-à-dire des filaments ténus en forme de plumes légères, de balais très fins et vaporeux. Ils se traînent en général dans un ciel bleu de turquoise et dès qu' ils strient l' horizon ou le zénith de leurs formes diaphanes, il faut se signer en prévision d' un malheur et prendre le deuil de l' ascension projetée. Dans nos Alpes, ils apparaissent déjà au bout du deuxième jour de beau temps — man sollte nie den Tag vor dem Abend loben— et ils annoncent la fin de la série des vaches grasses et le commencement de la série des vaches maigres. Les stratus, en forme de longues bandes effilées et souvent effilochées comme une étoffe de soie frangée ne valent guère mieux, ce sont des nuages de fœhn, moins dangereux que le « mince », moins traîtres que les « queues de renard », mais redoutables tout de même, parce que le temps reste beau à peine 24 heures après leur naissance ( génération spontanée ). La Suisse allemande a exprimé cela fort bien dans le proverbe:
« Abe Föhn Morge schön. » ( le soir fœhn, le lendemain beau ), mais cela s' arrête là et cela ne va pas plus loin, c'est-à-dire qu' on a le beau le lendemain encore, mais pas plus longtemps. Ces nuages de fœhn ont une forme très caractéristique et différente de celle de tous les autres nuages: ils sont allongés en fuseau, appointis aux deux bouts, comme un amphioxus qui, d' après Larousse, est un « animal pisciforme qui représente le premier échelon des vertébrés ». Ces nuages sont suspendus très haut dans le ciel et ne bougent absolument pas; j' en ai photographié un en montant à la Ruinette en 1929, plusieurs fois pendant la matinée: il est posé sur le dôme du Grand Combin comme une quenouille sur une LE TEMPS EN MONTAGNE.
table « nappée » et il reste en place, semblable à lui-même, du commencement à la fin de l' ascension. Un ciel marbré, ce que les Anglais appellent « mackerel-sky », c'est-à-dire un ciel ressemblant à un banc de maquereaux, n' annonce rien de bon non plus: le proverbe connu le dit très justement:
« Ciel pommelé et femme fardée Ne sont pas de longue durée. » Il y a enfin une espèce particulière de nuages suspects, tout à fait suspects, ceux-là: ce sont ceux que nous appelons les « choux-fleurs d' Italie », arrondis et moutonneux comme la mer qui va se fâcher, qu' on aperçoit du haut des sommets de 4000 m. vers 8 ou 9 heures du matin et qui forment, au-dessus des Alpes Maritimes et italiennes un océan très vaste et opaque de brouillards très épais. La science classique les appelle, je crois, des cumulonimbus. Dès que vous apercevez ces nuages au sud vous pouvez prendre la sage décision de ne pas vous attarder au sommet et de ne rien entreprendre le lendemain, sans quoi vous serez surpris par la pluie dans le courant de l' après. Car le temps en montagne — il ne faut jamais l' oublier — se gâte avec une rapidité effrayante — l' infection marche aussi vite que celle de l' angine ou de l' appendicite —. C' est bien pour cela et par la faute de ces nuages mêmes que nous avons été foudroyés, mes copains et moi, au sommet du Laquinhorn, le 6 août 1932 ( voir « La Souricière », page 447 des Al pes, année VIII.
En montagne, le mauvais temps ne pardonne pas; il est bon de le répéter, il est utile de s' en convaincre. Je ne lui connais guère qu' une seule humeur chagrine qui ne soit pas dangereuse, c' est celle du matin. Quand il est maussade à 7 heures, le temps peut devenir jovial à 10 heures. Nous disons: « Pluie du matin n' épouvante pas le pèlerin »... mais elle mouille parfois les pèlerines... les Anglais disent à peu près la même chose:
« Rain before 7 Sun after 11. » ( pluie avant 7 heures, soleil à partir de 11 heures ), et les Bernois expriment cela à leur façon:
« Morgeräge u Wyberweh Isch am Abe nienemeh. » ( la pluie du matin et les chagrins des femmes... le soir ça n' existe déjà plus ).
Prière de ne pas confondre cette pluie matinale avec celle qui commence à tomber plus tard et qui dure — surtout lorsqu' elle est déclenchée entre 11 heures et midi — toute la journée. Et cependant l' atmosphère reste claire, le ciel presque lumineux, si bien que cette pluie fine et vaporeuse a l' air d' être quantité négligeable. A vrai dire elle n' en finit pas, et les Anglais disent avec raison:
« Bright rain, long rain. » ( pluie claire, longue pluie ). C' est la pluie qui s' installe après le vent, la pluie visée par le proverbe connu:
« Petite pluie abat grand vent. » Pour que le temps soit sûr le lendemain, il faut encore que la veille il ne fasse pas trop chaud devant la cabane, à l' altitude de 3000 m ., et qu' on se sente mieux dedans au coin du feu que dehors sous le ciel étoile. Et encore il ne faut pas qu' il y ait trop d' étoiles; la voix lactée doit être à peine visible et le cocher de la Grande Ourse quasi imperceptible.
Il faut aussi que le coucher du soleil se fasse bien, que l' horizon à l' ouest soit empourpré:
« Rouge soirée, grise matinée Sont garants d' une belle journée »; par contre un lever de soleil écarlate et violacé annonce un changement de temps.
Il est enfin une source de renseignements sûre dans notre petite Suisse montagneuse, un livre plein d' informations utiles à tous ceux qu' intéresse la prévision du temps: ce sont les sommets eux-mêmes, vus de près ou de loin. « Je lève les yeux vers les montagnes de l' Eternel » Le papa Vianin, au Mountet, ne fait pas autre chose quand, en clignant de l' œil, il nous dit d' un air navré, mais entendu: « Ce n' est pas bon! la Dent Blanche fume sa pipe... » Certaines sommités sont comme les rhumatisants: de vrais baromètres vivants. Vous connaissez la Dent d' Oche, par exemple, en Savoie, au-dessus d' Evian. Il y a belle lurette que les Vaudois l' observent et que les vignerons de Lavaux répètent le dicton:
« Si la Dent d' Oche a son chapeau, Dans deux jours on a de l' eau. » Et cela ne rate jamais. Il y aurait un seul petit nuage voyageant dans un ciel pur, pas même de quoi se faire un foulard, mais juste assez pour coiffer la Dent d' Oche, s' il prenait fantaisie à ce nuage minuscule et ridicule de venir se glisser devant sa face et finir par se poser sur son front, vous verriez aussitôt d' autres nuages l' imiter et le temps s' embrouiller et s' embarbouiller pour devenir tout à fait mauvais le lendemain ou le surlendemain. Pour le Pilate c' est la même chose:
« Si le Pilate a son chapeau Bientôt nous aurons de l' eau. » Quant au Niesen, c' est un vrai laboratoire de météorologie naturelle et appliquée puisque, à lui seul, il détient trois secrets, trois signes précurseurs du temps probable:
« Hat der Niesen einen Hut, So wird das Wetter werden gut; ( variante: so bleibt das Wetter schön und gut ;) Legt er an den weissen Kragen, Darfst du noch hinaus dich wagen; Schnallt er aber um den Degen, Bleib zu Haus ': es gibt bald Regen. » Ce qui veut dire: Si le Niesen a un chapeau, le temps a tendance à s' amé ( le temps reste « bel et bon » ); si le Niesen met un col blanc, tu peux encore t' aventurer dehors; mais s' il met l' épée au côté ( c'est-à-dire si des nuages se forment dans les couloirs de sa belle pyramide verte ), s' il met l' épée au côté, reste à la maison: il va bientôt pleuvoir.
LE TEMPS EN MONTAGNE.
Encore une recommandation avant de conclure: méfiez-vous surtout des orages du matin, ceux qui éclatent entre 9 et 10 heures, ils sont heureusement rares, mais très dangereux, criminels même. C' est un de ceux-là que nous avons essuyé — comme on essuie le feu de l' ennemi levé avant soi — au Laquinhorn en 1931 et qui a coûté la vie à deux alpinistes, à la même heure matinale, de l' autre côté de la vallée du Rhône, au Finsteraarhorn. Un orage du matin est très méchant et il gâte le temps pendant plusieurs jours. Raison de plus de s' en métier et de se garder à carreau.
Et voilà! Je crois vous en avoir assez dit sur les moyens pratiques et naturels dont on dispose pour prévoir avec une certaine sûreté le mauvais temps qui « mijote » et menace de faire échouer vos entreprises, je crois cependant devoir répéter qu' un pessimisme, fait de prudence et de défiance, est plus indiqué qu' un optimisme naïf et par trop confiant, mais que cela n' empêche pas l' attitude résignée des gens qui savent à quoi ils s' engagent et ce qui les attend. Il ne faut surtout pas désespérer de notre temps suisse et plutôt répéter ces deux adages anglais si poétiques dans leur prose lapidaire:
1. « Remember that every cloud has its silver lining » ( souviens-toi que chaque nuage a sa bordure d' argent ).
2. « Turn your face to the sun, and let the shadow fall behind you » ( tourne to face vers le soleil et laisse l'ombre s'allonger derrière toi ). Les habitants du Val de Ruz expriment la même idée à leur façon lorsqu' ils disent:
« II y a encore du soleil derrière Chaumont. » Toutefois, il est de notre devoir de vous rendre attentif à ce fait désolant, décevant: que dans le domaine de la météorologie, théorique ou pratique, on ne peut rien affirmer, que la prévision du temps « reste le problème le plus difficile que puisse se proposer la science », qu' il faut user de prudence, de discrétion et de circonspection et se souvenir du proverbe pince-sans rire:
« Qui veut mentir n' a qu' à parler du temps. » C' est précisément l' attitude adoptée par les Suisses allemands qui disent avec humour:
« Kräht der Hahn auf dem Mist, So ändert das Wetter oder bleibt, wie es ist. » ( si le coq chante sur le fumier, le temps change... ou reste tel qu' il est ).
Prédire le temps en montagne est une entreprise pleine d' aléas, mais il vaut la peine de la tenter, puisqu' elle nous oblige d' être sans cesse aux aguets, d' ouvrir les yeux sur les grandioses phénomènes de la nature en montagne, de les lever vers les cimes drapées de nuages subtils plutôt que de les river aux aspérités du sentier, d' admirer, en reprenant son souffle, la course folle des cirro-nimbus, de respirer, une fois la descente terminée, l' odeur de poussière mouillée sur la route lavée par l' orage et de laisser pénétrer et s' installer en nous l' apaisement final qui met un point d' orgue béni à toute ascension longue, laborieuse et réussie.