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Le Karma

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Gaetano Vogler, Genève

Dans la philosophie hindouiste le karma est la destinée de chaque homme, le chemin qu' il doit parcourir dans sa vie, de la naissance jusqu' à la mort, ce dernier état n' étant que le passage une nouvelle vie. Ce chemin est plus ou moins accidenté et, dans tous les cas, il faut savoir l' accepter, peu importe qu' il soit facile ou difficile.

1 Type de coinceurs.

La montagne était sauvage et belle, comme au temps des pionniers. La marche d' ap était semée d' embûches, mais les petits hommes désiraient ardemment gravir la grande paroi de granite jaune, encore presque vierge. Aussi franchirent-ils la rivière tumultueuse après un large détour. Ils se réfugièrent sous un abri rocheux pour laisser passer l' orage, prétexte à une photo trompeuse du genre bivouac en pleine tempête. Ils passèrent la nuit dans la partie supérieure de la moraine, mais ni la panne du réchaud, ni le glacier très crevassé qu' ils devaient traverser le lendemain ne les firent renoncer à leur ascension, et, au petit jour, ils trouvèrent un chemin jusqu' au pied de la paroi.

L' escalade était belle et enthousiasmante, mais hélas! au bout de deux cents mètres, ce fut la rencontre avec la grande arête pourrie! Après la « grimpe » légère, en treuillant les sacs, on se retrouve, lourd et en chaussures rigides avec tout le matériel sur le dos!

Quittant un solide relais sur friends\ je progresse vers une petite arête qui semble offrir un terrain meilleur. Je me suis élevé d' une dizaine de mètres et cherche à placer un hexagonal5, mais en vain. Le coinceur n' entre pas dans la fissure. Tant pis, je le mettrai plus haut!

Cependant les quelques mètres qui suivent, je ne les parcourrai jamais! Je sais tout de suite qu' il ne s' agit pas d' un vol « banal », comme on en fait quelquefois au Salève. Ça cogne très dur cette fois! Et le plus terrible, c' est l' arrivée qui me casse en deux, au bout de la corde!

Lorsque je repose enfin sur un semblant de vire, un calme profond m' envahit malgré la douleur: je n' ai pas peur, bien que j' aie conscience que tout est fini. Mes jambes sont mortes, mes bras bougent à peine et, pis encore, les doigts de ma main gauche sont complètement inertes. Mais qu' importe après tout, puisque la montagne est si belle autour de moi! Ma vie donc s' achève, et je fais désormais partie du monde minéral auquel je suis rivé...

Trois mois se sont écoulés depuis ma chute, et je sors lentement du gouffre. Je me hisse à la surface à grands renforts d' haltères, de barres parallèles et d' autres exercices de physiothérapie.

Cet accident a éveillé en moi toutes sortes de sentiments: il y a d' abord eu cette forte émotion, éprouvée après une longue nuit d' angoisse et de solitude, quand j' ai aperçu l' hélicoptère et les premiers sauveteurs. Puis il y a ce sentiment de reconnaissance que je garderai toujours envers mon compagnon de cordée qui, au péril de sa vie, s' est précipité pour aller chercher du secours. Mais cet accident m' a surtout fait comprendre la valeur inestimable de l' amitié manifestée par les copains, médecins et grimpeurs, et le tout Salève venus me rendre visite si souvent à l' hôpi.

Le peu de temps que j' ai de libre, je le passe à rêver. Je revis les dernières courses, les plus belles que j' aie réalisées: la voie Rébuffat avec la charmante Sylvie qui chantonnait en grimpant, et puis aussi, toujours dans le secteur de l' Aiguille du Midi, une série de voies nouvelles ouvertes avec le frangin.

Après un an de séparation, nous avions reformé, mon frère et moi, une cordée homogène et vivions intensément la joie de grimper de nouveau « en famille », l' un riche de son expérience acquise dans la « grimpe » américaine, l' autre marqué encore par son style d' escalade très « saléviste »...

La tente déposée au col du Midi, nous montons à l' Aiguille homonyme par un itinéraire nouveau, tout à gauche de la face sud, et constitué essentiellement de fissures: escalade all nuts2 et totalement improvisée. C' est finalement à moi que revient le plaisir de découvrir le passage-clé, une longueur soutenue et variée ( Dülfer, dalle et toit ) qui me conduit jusqu' à une bonne terrasse, au pied d' un dièdre évident.

Le lendemain, l' escalade est bien différente: nous progressons à gauche de la voie Lachenal, le long d' une veine de quartz très délicate, confiant notre assurage à de petits coinceurs à câble et à quelques « clous » souvent à moitié plantés dans le rocher.

Mon frère Romain conduit la cordée dans les passages les plus ardus, et nous rejoignons bientôt la voie Afanassief par une exaltante fissure à verrous. C' est un de mes meilleurs souvenirs d' escalade: malgré la verticalité de la paroi, les coincements se font aisément et les fissures semblent faites pour la dimension de mes poings ou le calibre des friends que je place l' un après l' autre. C' est une voie fantastique!...

2 Entièrement sur coinceurs.

Je ne grimperai sans doute plus jamais. Je n' en serai tout d' abord pas capable physiquement, d' autant plus que de graves séquelles menacent d' affecter sérieusement mon bras, voire ma jambe gauche. Et puis ce serait manquer de raison, puisque je viens de subir mon quatrième accident! Cette fois j' ai frôlé l' irré de trop près pour vouloir encore jouer avec ma chance...

Je suis retourné au Salève, un dimanche après-midi, au cours d' une sortie de week-end. Je n' ai plus eu envie de faire de l' esca et encore moins de me laisser prendre dans l' engrenage de la compétition, poussée à l' extrême par certains grimpeurs.

Pour l' instant, j' ai des ambitions beaucoup plus modestes: mon seul but est de pouvoir marcher de nouveau, car ici, au centre de rééducation des paraplégiques, remuer son petit doigt peut être aussi difficile que le passage-clé de Y Herbe du diable au Salève, et se tenir debout exige des efforts aussi pénibles que l' ascension du Mont Blanc. Le premier pas réussi m' a arraché des larmes de bonheur.

Tout au fond de mon être, je reste cependant un amoureux de la montagne. Je regretterai certainement les mouvements élégants et souples de l' escalade, les belles longueurs de Y Arc-en-ciel, le Songe d' une nuit d' été, voies que je n' ai parcourues hélas! qu' une seule fois, ainsi que les profondes gorges du Verdon. Je reverrai toujours en rêve l' arête de neige de l' Aiguille du Midi, balayée par le vent ou enveloppée d' épais nuages, décor majestueux de la haute montagne.

J' ai d' autres projets qui n' ont rien affaire avec l' alpinisme. J' aimerais pouvoir pratiquer d' autres sports comme le tennis, la planche à voile et le ski de fond ou m' adonner à d' autres activités, comme la photo, les voyages ou poursuivre encore mes études littéraires.

Puissent mes espérances, après ce terrible accident, contribuer à maintenir l' enthou des grimpeurs, auxquels je souhaite de belles courses sur les sommets qu' ils ont la chance de pouvoir escalader!

Sommaire 68 A. Gansser L' Himalaya du Bhoutan 92 E. Pidoux En marge de la Chronique himalayenne 96 T. Braham Chronique himalayenne 1982 Editeur Club alpin suisse, Comité central; Helvetiaplatz 4, 3005 Berne, téléphone 031/43 36 11, télex 33 016.

Préposé du CC aux publications CC Neuchâtel, 1983-1985 Bernard Grospierre.

Couverture:

Prof. Pierre Vaney, 68b, avenue de Lavaux, 1009 Pully/Lausanne, téléphone 021/28 72 38 ( responsable pour les parties en langues française, italienne et romanche ).

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Impression et expédition Stämpfli + Cie SA, case postale 2728, 3001 Berne, télex 32 950, CCP30-169. Parution Bulletin mensuel, le 15 de chaque mois. Revue trimestrielle, le 15 du dernier mois du trimestre.

Prix Abonnement ( pour les non-membres ): Bulletin mensuel et cahier trimestriel La région sacrée de Sengge Dzong, un des lieux saints du nord-est du Bhoutan. Sédiments lacustres et drapeaux à prières au milieu des sauvages massifs de gneiss.

Photo: A. Gansser

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