Apropos de Tauredunum; un nouveau document | Club Alpino Svizzero CAS
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Apropos de Tauredunum; un nouveau document

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Avec 4 illustrations ( 11-14par L Sey|az

II y aura bientôt un siècle et demi que la controverse est ouverte, depuis que le doyen Bridel, cet infatigable fureteur d' archives et de vieilles chroniques, publia dans le Conservateur suisse de 1815 deux textes se rapportant à Féboulement qui, en 563, détruisit le bourg fortifié de Tauredunum et provoqua une inondation des rives du Léman. Peut-être n' est pas inutile, pour la génération actuelle, de rappeler de quoi il s' agit. Une tradition constante, relevée par tous les historiens valaisans, a perpétué jusqu' à nos jours le souvenir d' une catastrophe due à l' écroulement d' une montagne de la rive gauche du Rhône, dans le Bas-Valais, et qui aurait détruit le bourg d' Epaune, remplacé plus tard par le hameau actuel d' Epinassey, au sud de St-Maurice, tradition confirmée par les deux textes, contemporains de l' événement, publiés par le doyen Bridel.

Le premier est tiré de la Chronique de Marius, évêque d' Avenches, celui-là même qui, quelque vingt-cinq ans plus tard, transféra le siège episcopal sur la colline de la cité de Lausanne:

« Cette année-là ( 563 ) la grande montagne de Tauretunum, dans le territoire du Valais, s' écroula si subitement qu' elle engloutit un fort qui était proche, ainsi que des villages avec tous leurs habitants, et elle agita tellement le lac... que sorti de ses rives, il dévasta de très anciens villages avec hommes et troupeaux; il détruisit même beaucoup de lieux saints avec leurs desservants et enleva avec furie le pont de Genève, des moulins et des hommes... » Le second récit, plus circonstancié, se trouve dans VHistoire des Francs, de Grégoire, évêque de Tours:

« Alors il apparut un grand prodige au fort de Tauredunum, qui était situé au-dessus du Rhône, dans la montagne. Après avoir fait entendre pendant plus de soixante jours une espèce de mugissement, cette montagne se détacha et se sépara d' une autre montagne voisine, et se précipita dans le fleuve avec les hommes, les églises, les richesses et les maisons et, lui barrant le passage entre ses rives qu' elle obstruait, refoula ses eaux en arrière; car cette région était enfermée de part et d' autre entre des montagnes formant un défilé par où s' échappe le torrent.

Donc ce dernier, inondant la partie supérieure, détruisit tout ce qui était sur ses rives. Puis l' eau accumulée, se précipitant dans la partie inférieure ( de la vallée ), surprit inopinément les habitants, comme elle l' avait fait plus haut, les tua, renversa les maisons, détruisit les animaux; et elle emporta et entraîna tout ce qui se trouvait sur ces rivages, jusqu' à la cité de Genève, par suite de cette violente et subite inondation... Ce qui n' est pas douteux parce que, comme nous l' avons dit, le Rhône coule resserré entre les défilés des monts, et n' avait aucune issue par où ses eaux interceptées auraient pu s' échapper, et ainsi il déborda par dessus la montagne abattue et détruisit tout. » Où était ce Tauredunum? Quelle est la montagne qui l' a enseveli sous ses décombres? Telle est la question qui, pendant plus d' un siècle, va dresser l' un contre l' autre une vingtaine de savants commentateurs, historiens, naturalistes, géographes, géologues, et provoquer de nombreux mémoires, études, remarques, communications et discussions au sein des sociétés scientifiques. Le lieu de l' éboulement sera situé tour à tour au Bois Noir, à Muraz, à la Porte du Sex, aux Evouettes, à St-Gingolph.

L' un des textes parle du lac qui fut « agité »; l' autre du Rhône qui fut « obstrué ». Bridel n' éprouva aucune difficulté à concilier les deux narrations. Il y a, dit-il, « un grand Die Alpen - 1955 - Les Alpes3 vuide » dans la chaîne de la rive gauche entre la ville de Monthey et la Porte du Sex ( Bellevue-Tour de Don-La Suche ); d' autre part, tout le monde admet que le Léman « était jadis plus long de plusieurs mille pas ». Il n' y a qu' à l' étendre jusqu' à Vionnaz ou Muraz, y précipiter la montagne, et tout le monde est satisfait, y compris la tradition. Car il n' ignore pas la tradition et mentionne la destruction du bourg d' Epaune, où se tint le Concile de 517; seulement, pour accorder les textes avec sa thèse, il le place en aval de St-Maurice dans le voisinage de Massongex.

Doucement, vénéré doyen. Si une grande montagne s' est écroulée à cet endroit, où en sont les débris? Où est cet étroit défilé qu' ils ont obstrué? L' endroit le moins large, entre Muraz et la colline de St-Triphon, mesure encore plus de trois kilomètres. Il est surprenant qu' un homme aussi avisé que le doyen Bridel, qui connaissait bien les lieux, qui avait parcouru à maintes reprises les Alpes vaudoises et celles du Bas-Valais, qui avait vu l' éboulement de Derborence, traverse plusieurs fois le Bois Noir, se soit arrêté à cette interprétation insoutenable. Une idée préconçue endort parfois singulièrement les facultés critiques de l' esprit. C' est aussi qu' en son temps on n' avait que de vagues notions sur la durée des temps géologiques. Lui-même évaluait rage de la Terre d' après les données bibliques, 6000 à 7000 ans avant l' ère chrétienne, et se faisait des illusions sur la rapidité des phénomènes d' érosion et de sédimentation; il croyait que les quelque douze siècles écoulés depuis la catastrophe avaient suffi pour que les alluvions du Rhône comblent le lac sur une longueur de 15 kilomètres et repoussent son rivage jusqu' à la hauteur du Bouveret. De même qu' aujourd encore des gens affirment que certains anneaux de fer scellés à la base des rochers de St-Triphon servaient à amarrer les barques romaines. Il faut dire à sa décharge qu' il n' avait pas connaissance de la description que donne le capucin Bérodi de la débâcle du Bois Noir de 1635, qui peut s' appliquer presque mot pour mot à celles de 1835 et de 1926, postérieures à Bridel, dont nous parlerons plus loin.

Quelques années plus tard l' archéologue Rodolphe Blanchet 1, ayant constaté dans la plaine inférieure du Rhône, entre Noville et Crebelley, la présence d' îlots d' éboulis avec de gros blocs, en cherche l' origine et l' assigne avec raison à l' arête de la Dérotchia du Grammont; mais il en conclut à tort que c' est dans le voisinage des Evouettes qu' il faut situer l' ancien Tauredunum dont parle Grégoire de Tours. Après lui, A. de Morlot, F. Troyon, E. de Vallière, A. Davall abondent dans son sens, et opinent pour le Grammont. Sylvius Chavannes, pasteur-géologue comme il est étiqueté dans le Dictionnaire historique de la Suisse, et qui était aussi un doux poète à qui nous devons la chanson de la Bergère d' Isenau, y va à son tour de son hypothèse. Il avait été pasteur aux Ormonts où il avait pu juger des effets dévastateurs de la colonne d' air chassée par les avalanches poudreuses. Il suppose que le refoulement de l' air cause par l' éboulement du Grammont, et « dévié par le Mont d' Arvel, a agi sur le lac à la manière d' un cyclone, dont les effets sont si désastreux ».

L' éminent historien F. Gingins la Sarra va reprendre la question ab ovo, et, dans un volumineux Mémoire 2, fondé à la fois sur les textes et sur l' étude du terrain, il s' applique à démontrer que la catastrophe de Tauredunum doit se placer au Bois Noir, au débouché de la gorge du St-Barthélemy, appelé jadis Torrent de la Marre. Il produit un nouveau témoignage en faveur de sa thèse et de la tradition valaisanne, celui du capucin Bérodi, natif de St-Maurice, qui écrit dans son Histoire du glorieux St-Sigismond, Martyr, Fondateur du monastère de St-Maurice 3, rédigée sur d' ancien manuscrits conserves naguère à St-Maurice et à Sion:

1 Essai sur l' histoire naturelle des environs de Vevey, 1843.

2 Recherches sur quelques localités du Bas-Valais, Mémoires de I' Institut genevois, 1856. a Imprimée à Sion en 1666.

« Epinassey ( qu' on dit être l' ancienne ville d' Epaune ) pour lors estoit la grande paroisse de ce lieu... En ce temps-là c' estoit un village beaucoup plus grand que la Ville d' Agaune ( St-Maurice )... Ce Village estoit en ce temps fort célèbre à cause qu' il avoit le grand passage d' Italie, du Piedmont, de la Savoye, de la Suise... Du costé du levant, le Rhosne lui servoit de fosse; du couchant, les rochers de fortes murailles... Peu de temps après le Concile ( 517 ), ce village d' Epinassey abysma, fut perdu, submergé et destruict de fond en comble par un grand déluge d' eau qui fit abysmer ( écrouler ) une grande montagne qui se nomme par les habitants du lieu le Jorat, lequel avec ses abysmes ( écroulements ) et ses impétueux ravages s' en vint fondre dans cette belle pianure... Ces abysmes ont fait reculer le Rhosne contre les montaignes du Pais de Berne ( Morcles ), et le passage public qui rendait ce grand Village d' Epinassey fort célèbre s' en est éloigné d' un grand traict de musquet. » Pendant quelques années, on n' entend plus parler du Tauredunum. Le débat va se rouvrir, cette fois dans les pages de Y Echo des Alpes, 1876, avec un article d' Edouard Beraneck, l' ami et compagnon de Javelle. Béraneck a parcouru les arêtes du Grammont et observé les crêtes décharnées de la Dérotchia. Sur la base de ses observations et s' appuyant sur des interprétations toponymiques plutôt fantaisistes, il échafaude une hypothèse audacieuse: Le Grammont n' est qu' une partie d' une sommité beaucoup plus importante qu' il appelle la Chaumény, un pic altier de plus de 3000 mètres, qui s' est écroulé à gauche et à droite de l' arête de la Dérotchia en deux trains de décombres, l' un dans le lac au Bouveret, l' autre dans la plaine du Rhône aux Evouettes, déterminant la chute successive des Crosses et de la Suche.

Beaucoup de fantaisie, disons-nous. Il déclare par exemple « qu' on ne rencontre dans la vallée du Rhône, de Martigny au Léman, rien de semblable aux déchirures, aux érosions puissantes du Grammont ». C' est à croire qu' il n' a jamais vu le cirque du Jorat, avec les crêtes démantelées de Gagnerie et de la Cime de l' Est. Il voit un rapport étymologique entre Tauredunum et le nom du torrent de la Dérotchia qu' il appelle Tore ou Taure. Nous verrons plus loin la valeur de cet argument.

Un article de F. Lombard ( Echo, 1884 ) sur les catastrophes dans les Alpes, va faire rebondir la discussion. L' auteur place le site de Tauredunum près de St-Maurice et « non à St-Gingolph comme on Va cru et écrit longtemps ». Les rédacteurs de YEcho, en prévision de la bagarre éventuelle, insèrent sous l' article une note prudente: « Nous laissons à notre collaborateur la responsabilité de ses assertions et le soin de les défendre si on les attaque. » C' est Ed. Combe, un des rédacteurs de YEcho, qui vient à la rescousse dans le numéro suivant ( Echo, 1885 ): « M. Lombard, dans son dernier article, et M. Béraneck précédemment, ont réveillé la question tant controversée de Tauredunum; chacun d' eux représentant des opinions rivales, je demande la permission d' ajouter quelques remarques. » Et de reprendre les textes tant de fois sollicités, pressés, triturés, pour en conclure que l' éboulement des Evouettes a eu lieu à une époque beaucoup plus ancienne, et qu' en aucun cas le site ne peut cadrer avec la description de l' évêque de Tours. Donc c' est près de St-Maurice qu' il faut placer l' événement.

Béraneck ne se tient pas pour battu. Ne pouvant vier les objections opposées à sa thèse, il s' efforce de minimiser le témoignage de Grégoire de Tours du fait que ce dernier, résidant au centre des Gaules, n' a pu connaître la catastrophe que par ouï-dire, et il aligne de nouveau les preuves de l' éboulement du Grammont - que nul ne conteste - et s' obstine à y voir le lieu du désastre de 563.

Ce sera la fin de la controverse dans les cercles du CAS; mais elle n' est pas morte pour autant. On est pour le Grammont ou pour le Bois Noir; chacun demeure sur ses positions. Cela rappelle la sotte querelle de 1900, au sujet de l' entrée dans le 20e siècle. A tel point que le géologue Alex. Schardt, chargé en 1905 de rédiger pour le Dictionnaire géographique de la Suisse l' article Tauredunum, tout en reconnaissant que l' éboulement de la Dérotchia est préhistorique, ménage la chèvre et le chou et n' ose pas conclure formellement.

Les partisans du Grammont allaient recevoir un renfort de poids en la personne de l' historien genevois P.E. Martin, qui consacre au Tauredunum de nombreuses pages de son livre Etudes critiques sur la Suisse à l' époque mérovingienne 1, où il s' applique surtout à démolir l' argumentation de Gingins la Sarra. Il conteste la valeur du témoignage du capucin Bérodi, qui n' apparaît qu' en 1666, et auquel il assigne, sans dire pourquoi, une origine savante plutôt que populaire. Pour P.E. Martin, le cône de déjections du Bois Noir ne peut représenter l' immense glissement de terrain raconté par Grégoire et Marius. Il n' y voit que les dépôts réguliers d' un petit torrent de montagne, incapable d' avoir causé une catastrophe comme celle de 563.

La savante dissertation de P.E. Martin ne devait pas tarderà être surclassée, comme on dit en langage sportif, par l' étude encore plus approfondie et exhaustive de Fred. Montandon. Basée sur la critique des textes cités, sur l' observation minutieuse du terrain et des lieux et sur la comparaison soit avec les débâcles ultérieures du Bois Noir en 1635 et 1835, soit avec d' autres cataclysmes analogues dans les Alpes, sa démonstration semble péremptoire et définitive: c' est des parois démantelées de Gagnerie ( Jorat ) et de la Cime de l' Est qu' est descendu l' éboulement qui a obstrué le Rhône près de Lavey et cause la double catastrophe de 563, en amont en formant un lac qui a noyé la vallée jusqu' au pont de Saillon, en aval par la débâcle des eaux accumulées derrière le barrage.

Une des grandes objections avancées par les adversaires de la thèse du Jorat est que la masse d' eau retenue par le barrage du Bois Noir, si grande qu' on l' estime, était incapable d' inonder toute la plaine de St-Maurice à Villeneuve et causer une hausse catastrophique du niveau du Léman. Fred. Montandon cite en exemple l' éboulement du Pizzo Magno en Léventine, dont les circonstances répondent point par point à celles du Bois Noir. Le 30 septembre 1512, une masse de rochers descendue du Pizzo Magno, 2298 m ., barra la partie inférieure du Val Blenio ( Tessin ). Les eaux du Brenno s' accumulèrent, formant un lac qui noya le village de Malvaglia jusqu' au haut du clocher. La digue se rompit vingt mois plus tard, le jour de Pentecôte 1514. Toute la plaine, entre Biasca et Magadino, fut dévastée, 400 maison détruites; 600 personnes perdirent la vie. En faisant irruption dans le Lac Majeur, après 32 kilomètres, la débâcle y souleva d' énormes vagues, détruisant les ponts, chemins et digues qui y étaient attenants.

Les partisans du Grammont faisaient grand état de l' argument étymologique. Le nom de Tauredunum, disaient-ils, s' est perpétué dans celui de Taure ou Tore, qui désigne le torrent de la combe du Dérotchia. Or cet argument, comme le montre Fred. Montandon, repose sur une erreur de lecture ou de transcription: le torrent des Evouettes se nomme Tové ( cf. Carte Nationale ).

P.E. Martin, comme on l' a vu, cherchait à déprécier la valeur du témoignage du capucin Bérodi, arguant du fait que celui-ci n' est apparu qu' en 1666, soit onze siècles après l' événement. Or, il y a quelques semaines, à l' occasion d' une recherche sur l' ancienneté 1 Genève 1910.

du mot « glacier », le Dr E. Olivier me signalait le Recueil des plus célèbres Astrologues et quelques Hommes doctes, fait par Symon de Phares au temps de Charles Huitième ( 1470 à 1498 ).

Symon de Phares, médecin-astrologue établi à Lyon vers 1490, fut accuse par le tribunal ecclésiastique de pratiquer la magie et l' art divinatoire, et condamné. C' est alors qu' il tenta de se justifier auprès du roi Charles VIII, qui l' avait honoré d' une visite, en rédigeant cette apologie de l' art des astrologues, conservée en manuscrit unique à la Bibliothèque Nationale et publiée en 1929, en sorte que ni P.E. Martin ni Fred. Montandon n' en avaient connaissance. Symon de Phares se dit être un familier de St-Maurice et du Valais, où il a herborisé pendant quatre années. Voici ce qu' il dit concernant notre sujet:

«... Alpetragius ( 540-564 ) fut à Romme moult aprecié pour sa science en astrolo-gie... Predist aussi la corrucion ( éboulement ) de aucunes montaignes et, assez tost après, la montaigne que l'on dit Salenche en Aganois, se descoingnit ( disjoignit ) et corrua jusque au Rosne et au pié du Mont de Mordes, sans briser aucunes églises et cimitieres qui estoient dessus, comme j' ai veu en allant à Romme, et est assez près du lieu où fut desconfiture de la legion de Thebes, de laquelle St Maurice estoit chef. Aussi à ung quart de lieue est l' abbaye fondée dudit St Maurice par ung roy de Bourgongne nommé Sigismond, motier de 900 moynnes, comme j' ai oy de l' abbé du lieu duquel, pendant que j' estoie fréquentant icelles montaignes, pour les herbes qui y sont, estoie fort son famulier et souvant à sa table ( p. 155 ).... Recite ( raconte ) icellui Jaques ( de la Marche ) qu' il vit en venant de Romme es parties de Bourgongne, dicte Chablais, une montaigne que de nouvel s' estoit séparée d' une autre et avoit couru plus de une demye lieue et suffoqua bien 5000 hommes, et fut arrestée son impétuosité par les haulx rochiers du costé de l' empire, assez près de Saint Maurice en Aganois, c' est assavoir par le mont de Mordes ( p. 194 ).

... Celui an ( 1486 ), j' estoye ou pays de Valoy en Aganoys, où je fus es montaignes de Mordes, de Salenches, es glaciers et autres devers Berne et Monseigneur Bernard ( St Bernard ), serchant aucunes herbes et arbres dont parle Aristote en son epistre à Alexandre, et là ( se ) trouve la mesche en semblance d' alun moussu, qui jamais ne se consomme ou feu ( amiante ?). » Et plus loin:

«... m' en retourné es montaignes de Savoye et voulu congnoistre des herbes et coure par toutes les montaignes dudit Savoye et de Almaigne ( Berne, Haut Valais ), serchant les herbes desquelles traicte Aristote en son Livre des Secretz à Alexandre... et fuz en ceste poursuite par quatre estes et l' wer me retiroye à Genève, à Saint Maurice en Chablais, à Syon, à Berne, à Fribourg ou autre part, es lieux prouchains ( p. 256 ). » Ces textes prouvent combien vivace était encore, au 15e siècle, le souvenir de la catastrophe de 563.

Une autre chronique manuscrite du chanoine Gaspard Berodi1 de St-Maurice ( 1610 à 1642 ), témoin oculaire de l' événement, raconte l' éboulement de 1635:

« En l' année 1635, aux mois de septembre et octobre, la moitié de l' une des arêtes de la Dent du Midi, appelée Dent de Novierraz2, s' écroula subitement et roula sur le glacier avec un fracas semblable aux éclats du tonnerre. Sa chute souleva un épais nuage de poussière noirâtre qui s' étendait de la Dent du Midi à la montagne de Mordes; cette poussière 1 Ne pas confondre avec le capucin Guillaume Bérodi, auteur de l' Histoire de St Sigismond, citée plus haut.

! Ce nom est actuellement inconnu dans la topographie de la Dent du Midi. Serait-ce peut-être l' an de la Dent Noire, qui figurait jadis sur les cartes à côté de celui de la Cime de l' Est?

se répandit ensuite dans l' air jusqu' à Aigle et Villeneuve. Le principal éboulis, composé de gros blocs de rocher, de terre et de blocs de glace, formait une barre de 60 pieds de haut au travers de la combe du Jorat. Ce barrage arrêta pendant plusieurs semaines le torrent de la Marre ou St-Barthélemy, jusqu' à ce qu' un déluge de pluie qui tomba dans la montagne eut surmonté l' obstacle. Alors cette avalanche de rochers et de décombres fut entraînée vers le Rhône par le torrent, dans une coulée qui se partagea en trois branches au débouché de la gorge et couvrit tous les terrains environnants; en sorte que les marchands qui revenaient de la foire de Martigny furent contraints de rebrousser chemin et de prendre sur la rive droite le dangereux sentier de la Crottaz pour se rendre à St-Maurice.

L' année suivante, en juin 1636, une nouvelle coulée arrêta pendant plus d' une demi-heure le cours du Rhône qui reflua et rendit les chemins impraticables jusqu' à Riddes. » ( Cité par Gingins la Sana, op. cit. ) Cette description pourrait s' appliquer presque mot pour mot à Féboulement de 1835 dont Eugène Rambert 1 et mieux encore Emile Javelle 2 nous ont conservé le souvenir. Elle correspond assez fidèlement à celui de 1926, dont quelques-uns d' entre nous fûmes témoins.

Le samedi du Jeûne, les caravanes de touristes en route pour Salanfe furent intriguées par de sourds roulements qui retentissaient du côté du Jorat. Elles pensèrent d' abord à des tirs d' artillerie des forts. Le temps était splendide; le ciel serein, sauf un nuage accroché aux flancs de la Cime de l' Est. Le lendemain, il s' avéra que ce nuage était fait de poussière dégagée par des éboulements dans les parois du Jorat. Les débris s' accumulèrent au fond de la combe en une masse de rochers, de terre mélangée de neige et de glace, qui barrait le torrent. L' eau, la neige fondante et de fortes pluies tombées dans la nuit du 25 au 26 septembre pénétrèrent peu à peu cet entassement, le transformant en une masse fluide, visqueuse, qui s' ébranla et déboucha de la gorge du St-Barthélemy, coupant la route et la ligne du chemin de fer, repoussant le Rhône contre le parc de Lavey. On put alors juger de la puissance du phénomène. La coulée de boue noirâtre, bitume gras, à laquelle rien ne résistait, charriait d' énormes blocs. Selon les jeux de la poussée, l' un d' eux, gros comme un vagon, surgissait à la surface, tournoyait et dansait sur la coulée comme une boîte d' allu.

La querelle pour la localisation de Tauredunum est fine. Dire qu' on a pu tant se cha-mailler sur un nom! Qu' il ait été ici ou là, qu' importe. La vie continue, celle des montagnes comme celle des hommes, aussi précaire l' une que l' autre, bien que le rythme soit différent. Pour les uns comme pour les autres, nul ne sait le jour ni l' heure. 563-1635-1835-1926. Lorsqu' on escalade la Vierge de Gagnerie, on ne peut réprimer un frisson à la vue des profondes fissures qui traversent ses flancs. Il en est de même à la Cime de l' Est. Ces hautes murailles délabrées font peser de terribles menaces sur la vallée, que Rambert a déjà pré-figurées; mais son imagination se refusait à calculer de tels ravages. A la suite des débâcles de 1926, le journaliste Eugène Monod, envisageant la possibilité du pire, avait suggéré de percer un tunnel de dérivation par où le Rhône, en cas d' obstruction, pourrait s' écouler 3. La galerie a été percée, mais juste au gabarit nécessaire à l' alimentation de l' usine électrique de Lavey. Nous ignorons les raisons qui ont dissuade les autorités de participer à 1 La Cime de l' Est.

.'Souvenirs d' un alpiniste, pp. 60-62..

8 Gazette de Lausanne, 6 octobre 1926.

cette œuvre pour en tripler ou quadrupler le profil. Gouverner, c' est prévoir, dit le proverbe. Qu' un pan entier de la Cime de l' Est ou de Gagnerie se détache; qu' une coulée plus forte vienne buter contre les rochers de la Crottaz, c' est l' embouteillage. Ce jour-là, les gens de Fully n' auront pas besoin d' aller jeter leurs tomates au Rhône; le fleuve viendra les cueillir à domicile. Que Dieu nous en garde.

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