Un joyau tibétain dans l'Himalaya indien Trekking au Ladakh
Le Ladakh est une région de trekking par excellence. Une fois familiarisé avec l' altitude élevée des cols, l' air qui se fait plus rare et le temps qui s' écoule plus lentement, le randonneur y jouira de vues et d' ambiances fascinantes.
Le Jungfraujoch et la petite ville de Leh ont en commun leur altitude, qui dépasse 3500 mètres. Mais si le rocher et la glace dominent dans l' Oberland bernois, c' est une steppe quasiment nue qui caractérise les environs de Leh. En hiver, la vie s' y voit paralysée par des températures de –30° C, pour s' y exalter en été lorsque le thermomètre monte jusqu' à 40° C. Leh, capitale de la province du Ladakh fortement imprégnée de bouddhisme, se trouve dans l' Etat de Jammu et Cachemire au nord de l' Inde, dans une vallée latérale de l' Indus. Le Ladakh n' est pas qu' une province, c' est aussi une région limitée au nord-est par la chaîne du Ladakh et au sud-ouest par les monts du Zanskar. La chaîne du Ladakh forme avec le
Le Ladakh est surtout un pays fascinant, parcouru depuis des millénaires par ses habitants et par des pèlerins et considéré aujourd'hui comme un paradis du trekking. Il ne faut pourtant pas sous-estimer les difficultés que posent l' altitude, le climat et la topographie de ce nirvana du marcheur. C' est pourquoi, avant de nous envoler pour Leh à l' été 2008, nous nous sommes acclimatés à l' altitude durant quelques jours en Valais. Et nous voilà partis pour une marche de deux semaines dans la vallée de Markha et les contreforts nord-est des monts Stok Kangri. Nous y sommes accompagnés de trois guides ladakhis, d' un cuisinier et d' un palefrenier fournis par une agence locale de trekking.
Notre chemin est bordé d' un gazon maigre et coriace, dont seuls les yaks sont à même de se nourrir. Leur nombre, d' ailleurs, augmente avec l' altitude car ils ne se sentent bien qu' au de 4000 mètres. Ils savent mieux que nous tenir compte de la rareté de l' air, trottinant paisiblement et sans relâche. Leur longue fourrure touche presque le sol. « Ils sont têtus et parfois méchants », nous dit notre guide ladakhi alors que nous reprenons notre souffle. Surtout, ne pas se presser alors que nous sommes en chemin pour notre premier col, le Ganda-La avec ses 4985 mètres. Nos chevaux de bât, moins cabochards que les yaks, mais presque aussi difficiles à aborder, nous dépassent peu avant le col avec nos sacs et notre équipement. Sans s' ar, ils poursuivent dans la rude descente alors que nous nous arrêtons pour contempler au loin le Karakorum et le Tibet.
Le Ladakh occupe une position stratégique d' importance: ses frontières bordent au nord-est la Chine ( ou le Tibet, si l'on préfère ), au nord-ouest le Pakistan et à l' ouest le Cachemire. La Chine a occupé en 1962 les hautes plaines de l' Aksai qui appartiennent en réalité au Ladakh. Bien que cette région soit revendiquée par l' Inde, il n' y a plus actuellement de conflit frontalier et l' Inde s' est accommodée de facto de la domination chinoise sur l' Aksai. Pourtant, la région ne manque pas de combustible politique n' attendant qu' une étincelle. Depuis vingt ans, les troupes indiennes et pakistanaises observent un fragile cessez-le-feu sur une scène guerrière désolée et absurde: Siachen, le plus grand glacier du monde hors des régions polaires et le plus important réservoir d' eau potable de l' Himalaya. Plusieurs milliers de soldats indiens sont aujourd'hui stationnés au Ladakh, ce qui fait que l' armée est devenue le principal employeur de la région.
Après une heure de descente dans une chaleur étouffante, nous atteignons notre prochain campement dans la vallée de Markha. Les chevaux y sont depuis longtemps et puisent une énergie nouvelle dans les sacs d' avoine suspendus à leur cou. Nous ne serons pas moins bien traités: un fumet prometteur nous parvient de la tente de cuisine et le chef nous régale peu après d' un dal bhat et de momos tibétains. En clair: d' une bouillie de lentilles accompagnée de riz et de crêpes à l' étouffée.
La vallée de Markha s' étend sur 35 kilomètres entre 3500 et 4300 mètres d' al. Dans cet environnement hostile, des formations rocheuses aux formes bizarres contrastent avec quelques oasis habitées, taches de verdure égayant les rives de la rivière Markha. La vallée est pratiquement coupée du monde extérieur durant l' hiver, et les conditions d' une production agricole sont difficiles durant la courte période de végétation. Les Ladakhis exploitent alors la moindre parcelle de terrain utilisable, dérivant les ruisseaux de fonte des neiges pour l' irri car la pluie est rare. Les Ladakhis ne manquent pourtant pas de consacrer du temps aux étrangers qui visitent leurs terres, pour les accueillir avec amitié et générosité. Le long du chemin, on trouvera ainsi de simples tentes servant de boutiques où l'on vous servira du thé ou vendra des lainages. Ces rencontres permettent aux nouveautés de se répandre dans la société de la vallée, qui s' en montre friande. Aujourd'hui, c' est avec l' aide internationale ( entre autres de l' Union européenne ) que l' écotourisme se développe, tout comme l' utilisation des énergies renouvelables. On voit ainsi apparaître des capteurs solaires pour la préparation d' eau chaude ou des éléments de façade solaire passive qui permettent de récupérer de la chaleur solaire durant les mois d' hiver très froids mais ensoleillés. Les habitants consom-meront ainsi moins de bouse de yak pour se chauffer et cuisiner, le bois étant une ressource extrêmement rare dans un pays presque dépourvu de forêts.
Le jour suivant et quelques kilomètres plus loin, nous avisons des édifices de pierre ( manis ) servant d' oratoires et d' indicateurs de chemin vers le village ou le monastère suivant. Voyageurs et pèlerins y ont déposé des tablettes de pierre gravées de mantras. A tout bout de champ, nous rencontrons aussi dans la vallée des chortens, que les Indiens nomment stûpas. Leurs coupoles en cloche abritent des reliques de saints bouddhistes, mais elles sont parfois simplement vides.
D' une certaine manière, nous sommes vides aussi. La fringale nous surprend au petit matin au Kang Yatze, à l' extrémité sud-est de la vallée, et nous nous demandons pourquoi. Cette question nous paraît secondaire un peu plus tard, lorsque nous nous arrêtons à plus de 6000 mètres sur l' épaule du Kang Yatze. L' air est d' une clarté cristalline, nous contemplons – comme à portée de la main – le panorama grandiose du groupe des monts Stok Kangri ( qui dominent Leh ) au nord-est de la vallée de Markha, la haute vallée de Nimaling et le col Kongmaru-La. Lorsqu' un jour plus tard nous quittons la vallée par ce col haut de 5289 mètres, nous nous trouvons subitement face à un loup.
Celui qui ne connaît pas l' Inde ne connaît pas le Ladakh, et celui qui connaît le Ladakh ne connaît pas l' Inde. Ce joyau de l' Himalaya indien ne partage pas grand-chose avec sa mère patrie, et le peuple ladakhi en soi n' existe pas. Les habitants de la région descendent de bouddhistes dardes indo-aryens de Gilgit dans le Pakistan actuel, qui étaient d' origine tibétaine. C' est pourquoi le Ladakh est souvent appelé Tibet de l' Ouest ou Petit Tibet, ayant durant des siècles entretenu les relations culturelles et spirituelles les plus étroites avec le Tibet central. Ces désignations n' ont toutefois que peu de signification politique: durant mille ans, le royaume indépendant du Ladakh s' est défendu contre toute mainmise tibétaine. Mais le nom de Ladakh se traduit plus pratiquement, et selon la manière dont il est écrit, par « pays des lamas » ou « pays des cols ».
C’est sur l’un de ces cols qu’un loup en chasse coupe notre chemin sans nous prêter aucune attention, son instinct de chasseur attiré par un troupeau de plusieurs centaines de yaks, dont de nombreuses femelles suitées, paissant en contrebas. Dévalant à découvert la raide pente dominant la vallée, il fonce vers le troupeau dont les adultes forment rapidement un cercle autour des veaux et se mettent en position de défense. Le loup disparaît, toujours à jeun, aussi rapidement qu’il est apparu.
Nous remontons une gorge étroite, traversant souvent la rivière dont les flots, en période de hautes eaux, interdisent tout passage. Comme il y a encore de nombreux cônes d' avalanches, notre pa-lefrenier conduit ses chevaux avec une prudence étudiée. Nous sommes frappés de voir la sûreté du pas de ces petits chevaux, malgré la lourde charge qu' ils portent et la mauvaise qualité des chemins.
Durant les jours suivants nous poursuivrons notre route au nord-ouest du groupe des monts Stok Kangri et parallèlement à la vallée de Markha, à travers des pâturages sis à hauteur de la pointe du Cervin. Nous y voyons déambuler des yaks ainsi que de nombreux dzos, une race issue du croisement du yak avec la vache domestique indienne. Entre ces hardes s' égaillent d' immenses troupeaux de moutons et de chèvres. Il n' y a pas grand-chose d' autre à voir, peut-être de rares découvertes peu spectaculaires au bord du chemin: des bharals ou moutons bleus, des edelweiss ou de minuscules champs fumés à la bouse de yak. Et puis, de proche en proche, un haut col à franchir. Mais l' altitude ne joue plus guère de rôle maintenant et le temps aussi nous semble passer plus lentement, un vrai luxe. Le douzième jour de notre randonnée, nous atteignons le camp de base du Stok Kangri à 4980 m d' altitude.
Nous sommes ici rattrapés par l' Occi et ses touristes attirés par les sommets. Nous nous extirpons de nos sacs de couchage à 2 heures du matin, sans trop savoir pourquoi, et nous engageons dans la fi le des lampes frontales. Par chance, nous aurons rapidement dépassé la cohue, ainsi que les Européens qui s' étaient la veille coltiné tout leur équipement jusqu' au camp de base et avaient moqué nos chevaux de bât. Ils comptaient gravir le Stok Kangri en deux jours seulement et au prix le plus modique possible. Ils ont donc esquivé la taxe d' autorisation d' ascension, un affront cuisant aux généreux Ladakhis. Après un souper fait d' une soupe un peu trop liquide et une nuit trop pauvre en oxygène, ils paieront le jour suivant leur avare présomption. Faute d' une acclimatation suffi sante, ils devront faire demi-tour sur l' arête menant au sommet.
L' ascension est naturellement pénible, mais elle se fait sans problème après douze jours passés entre 4000 et 5000 mètres. Le temps est beau, les températures agréables et comme il n' y a quasiment pas de vent, nous pouvons goûter les splendeurs du panorama durant plus d' une heure sur ce sommet haut de 6139 mètres. Peu avant 10 heures, nous sommes de retour au camp de base. Rayonnant de joie, le cuisinier vient à nous avec un gâteau de sa fabrication. Du camp de base, il nous a observés à la longue-vue alors que nous nous trouvions sur le sommet. Et il a écrit en lettres de sucre, sur le gâteau: « Stok Kangri ».