Troisième ascension de la Phillip Flamm
PAR ALAN WRIGHT
Avec 2 illustrations ( 86/87 ) Ma nature et mon apprentissage de montagnard ont fait de moi une sorte de « grimpeur du dimanche », c'est-à-dire qui s' entraîne en escaladant des « béquets ». Aussi, en août 1962, la perspective ne m' enchantait guère de monter avec un sac très lourd au refuge Vassoler, le meilleur point de départ pour la plupart des routes de la Civetta. On nous avait bien dit qu' il était possible d' atteindre le refuge en auto; mais comme nous tenions à rentrer en Angleterre, à la fin de nos vacances, dans notre caravane, il était plus prudent de faire à pied le trajet jusqu' au refuge. Nous nous étions entraînés, Pete Crew et moi, en faisant la voie Cassin de la Cima Ovest des Lavaredos; nous abordions donc la Civetta en bonne forme et pleins d' ambition. La montée au refuge, il est vrai, apporta un démenti à la première assumption, mais notre ambition n' en fut nullement ébran- 1 La Civetta, 3218 m ( Dolomites ), domine le Lac Alleghe d' une haute paroi sur laquelle plusieurs itinéraires ont été tracés. Celui du Viennois Walter Phillip aboutit au P. 2992, au nord du sommet principal.
lée. Quinze jours dans le massif de la Civetta nous permit d' inscrire à notre tableau quelques-uns des itinéraires de cette montagne, en particulier la voie Solleder. Avec 4000 mètres d' escalade derrière nous, Pete et moi .estimions avoir atteint le zénith de notre entraînement et le moment était venu, pensions-nous, d' envisager la Fiamma Phillip.
Notre chance voulut que Claudio Barbier se trouve en même temps que nous au refuge Vassoler. 11 avait fait l' année précédente la deuxième ascension par cette route; il nous donna des renseignements supplémentaires sur cet itinéraire. Walter Phillip avait bivouaqué deux fois; Claudio avait ramené ce chiffre à une seule nuit dans la paroi, et avait atteint le sommet en 19 heures de grimpée effective. Nous pensions mettre un peu plus de temps que Barbier, mais espérions qu' un seul bivouac dans la paroi suffirait et que nous passerions la seconde nuit au refuge Torrani au sommet. Toutefois c' est dans des sentiments contradictoires - le mélange habituel d' espoir et d' appréhension -que nous nous installons pour la nuit sous un gros bloc au pied de la paroi, le réveil réglé sur 3 h. 30.
Grosso modo, l' itinéraire peut être divisé en trois sections. La première, haute de 350 mètres, présente surtout des cheminées du 4e et du 5e degré. La section moyenne, un peu plus courte, emprunte un couloir bien visible incliné obliquement vers la gauche où les difficultés augmentent. Le long couloir sommital commence et finit par des passages en artificiel A2. Il présente la seule longueur du 6e degré. Le reste de ses 370 mètres se classe du 2e degré au 5e.
Nous mettons assez rapidement la première section derrière nous et abordons les difficultés plus sérieuses de la partie moyenne. Barbier nous avait avertis que plusieurs des relais étaient mal protégés; c' est pourquoi nous nous sommes munis de pitons à expansion et sommes préparés, si c' est nécessaire, à forer le rocher pour assurer notre sécurité.
Pas de complications jusqu' à la quinzième longueur de corde. Nous suivons longueur après longueur la description écrite par Phillip dans le livre de la cabane. A partir de ce point, le texte indique « droit en haut par le dièdre ». Je perds beaucoup trop de temps à essayer de forcer le passage, incapable de planter une cheville ou de forer un trou pour un piton à expansion. Je finis par trouver une ligne de traverse à gauche qui m' amène à une grosse écaille de roc derrière laquelle se cache un piton, ce qui semble indiquer que l' autre caravane n' a pas, elle non plus, gravi le dièdre. Ayant accroché un mousqueton, je me penche pour libérer une des cordes qui s' est coincée au-dessous de moi et... le piton s' échappe. Cet accident a pour résultat d' abîmer environ 10 mètres de filin, ne nous laissant que deux sections de 30 et 40 mètres pour l' escalade et les rappels.
Sur les quelques longueurs suivantes, nous perdons à la fois l' itinéraire et un marteau. La première de ces pertes est due à une erreur de traduction, la seconde à la hâte du photographe. Ces deux incidents nous coûtent en outre pas mal de temps. Nous avons atteint le bord droit d' une dalle très redressée, juste au-dessous de l' entrée du couloir sommital. Pete n' avait pas eu le temps de traduire plus loin que le mot « traverser ». A notre gauche, le passage de la dalle semble très difficile, tandis qu' à droite la suite semble raisonnablement possible, bien que la roche soit peu sûre. Trois heures plus tard nous sommes de retour au bord droit de la dalle. Pete réussit alors la traversée à gauche, et nous arrivons au pied d' un des passages en artificiel, celui qui conduit au couloir terminal. Il est déjà tard et nous sentons la fatigue; bien que l' emplacement ne soit guère favorable, nous y installons le bivouac.
Nous passons la nuit assis sur un rebord, les pieds dans des étriers et enveloppés dans la toile de bivouac. L' aube ne fut pas trop longue à paraître, ce qui laisse supposer que nous avons di dormir quelque peu. Nous nous accordons un répit, imaginons un copieux déjeuner de porridge suivi d' œufs au lard, de saucisse chaude, pain grille et café... avant de mâcher nos œufs durs et biscuits secs que nous faisons descendre avec une lampée d' eau.
Ainsi réconfortés, nous continuons et Pete surmonte le passage en artificiel qui nous conduit dans le couloir. Deux ou trois longueurs plus faciles nous amènent à un ressaut que les caravanes précédentes ont abondamment pitonné. Bien que délité par endroits, il ne se montre pas trop méchant. La longueur suivante aboutit au luxueux bivouac où Phillip passa sa seconde nuit. A cet endroit, la route Comici se confond sur trois longueurs avec la ligne Phillip Les dix longueurs suivantes passent dans ou hors des cheminées. La description les cote 5 et 5 sup. Dans les conditions normales où nous les trouvons, elles ne nous paraissent pas très difficiles. Walter ( Phillip ) a dû y rencontrer de la glace lors de la première ascension. En outre il en était à son troisième jour.
Les dix longueurs amènent à une bifurcation du couloir où nous trouvons une difficulté imprévue sous la forme d' un petit surplomb. Viennent ensuite des cheminées et des fissures jusqu' à la longueur 32, décrite comme étant un large avant-toit. En fait, ce n' est qu' une paroi bombée exigeant six pitons que nous trouvons la plupart en place. J' y recueille le permis de cycliste de Barbier.
Deux longueurs encore et nous sommes au sommet; c' est la fin d' une magnifique escalade.
( Traduit de l' anglais par t Louis Seylaz )