Sports de montagne: quelle compatibilité avec la nature? De nouvelles zones de tranquillité rappellent la nécessité d’un dialogue entre protecteurs et utilisateurs
Dès le début de l' an prochain, les cantons auront l' obligation de délimiter des zones de tranquillité pour la faune, ce qui pourrait impliquer d' importantes restrictions aux activités sportives en montagne. Le CAS s' engage pour l' élaboration de solutions consensuelles dans le conflit d' intérêts opposant protection et utilisation de l' espace alpin.
Les sports de plein air connaissent toujours plus de succès. Par exemple, selon la NZZ am Sonntag, il s' est vendu en 2008 au moins 75 000 paires de raquettes, alors que les ventes annuelles étaient de quelque 6000 paires au milieu de la décennie précédente. Mais cet engouement ne va pas sans poser de problèmes. Il s' agit surtout de la pression croissante exercée sur l' environnement naturel, surtout à la mauvaise saison ( voir Les Alpes 2/2005, 12/2009, 2/2010 ). Les lagopèdes, grands tétras, tétras-lyres, aigles, faucons pèlerins, grimpereaux des murailles, chamois, bouquetins, cerfs et chevreuils ne trouvent plus guère de repos. C' est pourquoi l'on a depuis longtemps délimité des zones de tranquillité dont l' homme est exclu à certaines périodes, ou dont la traversée n' est autorisée en hiver que le long des « itinéraires autorisés ». Pression et contre-pression Le message introductif à la Loi fédérale de 1986 sur la chasse désignait « la protection de la faune sauvage contre les dérangements causés par les activités humaines » comme un des points principaux du projet, motivé par les développements intervenus dans les sports de plein air. Jusqu' en 2011, 13 cantons ont désigné des zones de tranquillité pour la faune. La démarche est en cours dans deux autres cantons. Ces dispositions ont été prises dans un esprit pionnier et en toute indépendance. Dès juin 2012, elles deviendront la règle pour toute la Suisse. L' initiative visant à la concrétisation de la protection de la faune remonte à un postulat ( 07.3131 ) déposé en 2007 par la conseillère nationale socialiste bernoise Evi Allemann. Elle y exigeait la création de zones de tranquillité d' hiver et leur ancrage dans la loi au niveau fédéral, « afin d' assurer la protection de la faune sauvage contre l' impact des sports à la mode ». Ce serait la seule manière de permettre la pérennité de la faune alpine face à la pression croissante exercée par les activités humaines. Il a été tenu compte de cette requête dans la révision en cours de l' Ordonnance fédérale sur la chasse. La protection de la faune sera donc renforcée dès 2012, et les cantons contraints d' étudier l' opportunité de créer de telles zones et de les édicter là où elles s' avèrent nécessaires et judicieuses. En quelques années, la Suisse devra être pourvue d' un réseau de zones faiblement perturbées dont la surface totale représentera environ 20 % du territoire national. Absence de directives En l' état, l' obligation de respecter la souveraineté cantonale empêche la Confédération d' imposer aux cantons des directives concernant la délimitation de zones de tranquillité. Certains d' entre eux le feront par la planification de l' aménagement du territoire, d' autres par une procédure législative ou par délégation de la tâche aux communes. L' Ordonnance sur la chasse ne fixe pas non plus la liste des acteurs concernés à impliquer dans la procédure. La consultation organisée jusqu' à mi-juillet 2011 a bien mis en évidence la répugnance des cantons à se faire imposer des directives par Berne: une proposition de coordination supracantonale par l' Office fédéral de l' environnement. Pourtant, elle semblerait raisonnable, car les animaux ne sont guère sensibles aux frontières politiques. Pour que l' affaire soit traitée de manière homogène et que tous puissent profiter des expériences faites dans les cantons pionniers, l' Office fédéral de l' environnement a édité cet été un guide pratique sur la question. Droit au but grâce à la concertation L' absence, dans l' Ordonnance sur la chasse, de directives concernant la participation des groupes d' intérêts peut entraîner, selon les cantons, une limitation de la consultation à la procédure législative prévue dans le cadre de la mise à l' enquête publique. Les personnes ou groupes concernés n' ont alors qu' un délai de 20 jours pour faire opposition, ce qui implique aussi que la publication dans le bulletin officiel a été lue. On a pu voir récemment dans le canton d' Obwald ce qui peut arriver lorsque la planification de zones de tranquillité se fait sans consultation des utilisateurs de ces zones. Le premier projet mis en consultation en 2009 par l' Office cantonal des forêts et du paysage avait prévu au Pilate des zones de tranquillité comportant une interdiction d' escalade tout au long de l' année. Sans surprise, les représentants des milieux de l' escalade montèrent aux barricades et firent pleuvoir les oppositions. Le canton dut faire machine arrière et reprendre la procédure à son début, avec consultation des groupes concernés. Il fallut alors des négociations intensives pour conclure un accord ménageant un équilibre entre la protection et l' utilisation. Les solutions dégagées se révélèrent adéquates et même exemplaires. La réglementation de l' escalade fut détachée de la planification de la protection et de l' utilisation des zones de tranquillité. En lieu et place, le canton, les propriétaires fonciers, les chasseurs et le groupe d' intérêts « Klettern am Pilatus » ( Escalade au Pilate ) ont conclu en 2011 un accord stipulant que l' escalade reste autorisée dans les voies existantes. Par contre, certaines voies ont été déséquipées par égard pour la faune, par exemple à proximité d' un nid d' aigle royal. Dans l' hypothèse de conflits à venir entre l' homme et la faune, il a été décidé d' un commun accord que des mesures seraient étudiées de cas en cas. Les avantages d' une solution négociée sautent aux yeux: elle bénéficie d' un accueil favorable et d' un large soutien parmi les cercles intéressés, avec un maximum de flexibilité dans les mesures de protection. De plus, la coopération permet d' arriver au but plus rapidement que dans un contexte de confrontation. Dans le canton d' Obwald, la planification des zones de protection, respectivement d' utilisation des zones de tranquillité de la faune, a commencé en 2006. Elle n' a pas encore pu entrer en force en raison de nombreuses oppositions à la première ( 2010 ) ainsi qu' à la deuxième mise à l' enquête publique ( 2011 ). Identifier les conflits et rechercher des solutions Les procédures sont différentes et plus flexibles dans le canton des Grisons, où plus de 270 zones de tranquillité ont été établies depuis les années 1990 selon deux procédures différentes. D' une part, elles ont été fixées dans le cadre de la planification de zones. Responsable de la question auprès de l' Office de la chasse, Hannes Jenny déclare que ces zones sont bien établies grâce à une procédure qui prévoit une large consultation des cercles concernés, suivie d' une pesée des différents intérêts. Une modification est alors difficilement envisageable, car elle ne peut se faire que dans le cadre d' une révision des plans de zones. Il peut cependant arriver qu' une zone de tranquillité ait été établie et qu' elle ne montre aucune utilité pour la faune. La deuxième procédure présente alors des avantages décisifs: elle prévoit la délégation de la tâche aux communes. Selon la loi cantonale sur la chasse, celles-ci peuvent depuis 1989 définir des zones de tranquillité et restreindre temporairement et localement le libre accès à des forêts et pâturages. Ces zones peuvent être rapidement décidées par les assemblées communales. On peut ainsi vérifier si une zone de tranquillité apporte des avantages à la faune. De plus, ces décisions locales sont acceptées plus facilement. On a trouvé ainsi des solutions raisonnables, permettant la protection de la faune là où elle est nécessaire, mais sans restrictions excessives pour les utilisateurs. Par exemple, on n' a fixé qu' un petit nombre de zones de tranquillité dans les vallées méridionales des Grisons, car on n' y constate guère de conflits. Les interdictions d' itinéraires à skis sont exceptionnelles, et les amateurs de sports de montagne ne connaissent que peu de restrictions. Pourtant, selon notre interlocuteur, l' instrument des zones de tranquillité n' est pas toujours efficace au voisinage des grands domaines skiables: il est alors vraiment d' application difficile. Après 20 ans d' expérience dans l' application des zones de tranquillité, Hannes Jenny constate que seule une procédure de concertation « bottom-up » centrée sur les problèmes peut donner de bons résultats. Mais il observe aussi que la consultation ne s' étend pas à toutes les personnes concernées, car celles qui n' habitent pas la région ont plus de peine à faire connaître leurs besoins. Toutefois, si la collaboration avec les sections locales du CAS est excellente, les autorités locales et cantonales ont souvent des difficultés avec les guides « sauvages » de randonnée sévissant sur Internet. La méthode bernoise Le canton de Berne a adopté une procédure très systématique. Sur mandat du Grand Conseil ( le parlement cantonal ), des zones de tranquillité ont été expérimentées et fixées depuis 2008 sous la responsabilité de l' Inspectorat cantonal de la chasse. Karin Thüler, biologiste et spécialiste de la faune, a fait l' expérience de la nécessité d' une procédure centrée sur les problèmes: « Après identification des conflits potentiels entre l' homme et l' animal, nous convions les milieux concernés à une table ronde à la recherche d' une solution. » L' exemple le plus récent concerne la région de Mürren: des zones d' hivernage des chamois se trouvent sur les pentes sud du Schilthorn. Une zone de tranquillité a donc été délimitée dans le cadre de la modification en cours du plan de zones, avec l' approbation de tous les milieux concernés. Il a fallu trouver une autre solution dans le Kiental, où l'on a balisé des itinéraires de randonnée à raquettes. Notre interlocutrice poursuit: « Une interdiction n' aurait rien apporté, du fait que les raquetteurs sont insuffisamment informés et réseautés. Cette prestation a permis de canaliser, de gérer et de minimiser le dérangement causé à la faune. Nous avons fait là de bonnes expériences. Les circuits balisés sont bien utilisés, aussi par les accompagnateurs professionnels. » Le point de vue du CAS Le libre accès revêt une importance primordiale pour la pratique des sports de montagne. Les restrictions redoutées à l' utilisation de l' espace alpin pour les loisirs sont un sujet de préoccupation. Le CAS approuve en principe la protection de la faune. Mais en même temps, la pratique des sports de montagne doit continuer d' être possible dans une mesure compatible avec la pérennité de la qualité de l' environnement. Dans sa prise de position relative au projet de révision de l' Ordonnance sur la chasse, le CAS a présenté comme exigence centrale que la consultation obligatoire des groupes d' intérêts concernés soit fixée dans l' Ordonnance sur la chasse. Sa conviction est que seul le dialogue permettra de trouver, aux exigences contradictoires de la protection et de l' utilisation, des compromis raisonnables, équilibrés, applicables sans moyens excessifs et politiquement défendables. Le CAS propose que les zones de tranquillité et, en particulier, les itinéraires et chemins autorisés qui les parcourent soient établis dans un processus consensuel de dialogue avec les cercles concernés, qu' ils soient périodiquement révisés et adaptés, le cas échéant, à un changement des conditions. Une révision devrait aussi pouvoir se faire sur demande motivée: la pratique des sports de montagne se déroule souvent loin des infrastructures existantes tel le réseau des sentiers et des routes. Il faut donc pouvoir réagir, par exemple par une adaptation des choix d' itinéraires, aux modifications de l' espace naturel. Dans cet ordre d' idées, on peut mentionner par exemple les altérations dues au changement climatique tels le recul des glaciers, la fonte du pergélisol ou la diminution de l' enneigement aux altitudes moyennes. Appel aux sections Une chose est certaine: dans la perspective de la délimitation de zones de tranquillité pour tout le territoire suisse, l' objectif du CAS est de préserver le droit de se déplacer dans les montagnes librement et sous sa propre responsabilité. La nécessité de protéger la faune et la flore n' est pas contestée. Le CAS est prêt à aider les cantons à élaborer des solutions consensuelles au conflit d' intérêts entre protection et utilisation. Il combattra cependant les restrictions disproportionnées de libre accès au monde alpin. Comme les procédures de protection sont très variables selon les cantons, voire selon les communes, la balle est dans le camp des sections, qui doivent défendre les intérêts des sports de montagne et participer de manière constructive au processus en cours de délimitation de zones de protection de la faune. > LiensPrise de position du CAS au sujet de l' Ordonnance sur la chasse :http://www.sac-cas.ch/Jagdverordnung.2015.O.htmlCampagne « Respecter, c' est protéger »: www.respecter-cest-proteger.chZones de tranquillité: www.zones-de-tranquillite.ch