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Promenades bernoises

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Au Capitaine Ch. Reitzel.Par Flavien Jeanneret.

Avec 3 illustrations ( nos 132—134 ).

En mai 1942, au début du mois, il a fallu prendre le sac à poil et le mousqueton; le moral n' y est guère, en pleine saison de ski de printemps partir pour un service de garde! Si au moins c' était un cours à ski ou un cours alpin; et, de plus, le bruit court que l'on va dans la région des lacs bernois. Le train nous emmène dans la nuit, assommés par le sommeil et l' inconfort des wagons à six roues, environnés de nuages de fumée, nous ne réalisons pas où nous allons.

Heureuse surprise, le train s' arrête à Kandersteg et l' ordre vient de descendre; cet ordre s' exécute avec une sage lenteur, l' engourdissement y est pour beaucoup et le superbe coup d' œil en face de nous sur la Blümlisalp pour le reste. Distribution d' ordres, répartition des postes et départ pour celui qui nous est assigné. L' impression sur cette relève s' améliore; avec mes meilleurs camarades nous serons seuls, loin de la compagnie et en dehors de Kandersteg. Entre les heures de garde il y aura moyen de parcourir le pays; oh! non de grandes courses, mais de ces promenades qui rappelleront le temps scolaire.

Déjà le premier jour une évasion dans les bruyères du Gasterntal fait voir d' un peu plus près ces sommets toujours vus de loin ou en reproduction dans les Atlas de géographie. Tour à tour les endroits classiques, lac Bleu, lac d' Oeschinen occupent nos instants de liberté; un geste aimable d' un camarade qui fera mes poses me permet de pousser une pointe dans FUeschinen-tal; les nivéoles sortent entre les restes d' avalanches dont l' une, particulièrement grosse, a emporté des chalets vieux de plusieurs siècles, des poses de forêts; mais les montagnards sont déjà là qui trient ce qui est encore utilisable et qui tracent déjà l' emplacement du nouveau chalet.

Par les échelles encore enfoncées dans une épaisse couche de glace qu' il faut tailler avec un caillou pointu, mon camarade et moi nous débouchons sur l' Alpschelen et, par des bandes de neige, gagnons le sommet du First. Mais au lieu de me réjouir de ces promenades, où il ne manquait que l' her et le filet à papillon pour me reporter vingt ans en arrière, je n' avais que des regards concupiscents sur les sommets plus élevés et encore recouverts d' une neige tentante.

Le soir même je reçois l' ordre de faire venir mes skis et du matériel alpin. Deux jours après, tout est là, le corps de garde déjà exigu est encombré de skis, de cordes, de crampons, le piolet menace chaque passant.

C' est samedi, la route de la Gemmi s' égaye de couleurs vives, de voix claires des skieuses; des costumes plus ternes, des voix plus rudes, des skis croisés en ailes de moulin sur le sac, un pas plus lent, mais régulier, des hommes.

Après chaque train le défilé recommence et demain je pose la garde; en attendant j' enrage! Un caporal, le « vieux », arrive à fond de train sur un PROMENADE S BERNOISES.

vélo et m' appelle: « Tiens, voici tes provisions, la gourde est pleine, tu fixeras tes skis sur ce vélo, prendras la corde et te tiendras prêt demain à 3 heures; le capitaine et Henry viendront te prendre. » Rien d' autre, aucune indication de lieu, de direction, et ce vélo encore!

Tant bien que mal je fixe les lattes au cadre et fais des essais entre les marronniers du part, le sac bouclé, souliers cirés je me glisse dans le sac de couchage. 0230 heures, on me secoue doucement, sur la table un ronronnement agréable, le brave appointé a mis le couvert, du thé avec de l' ovo, des tartines au lait condensé.

A l' heure fixée le capitaine est là avec Henry; eux n' ont pas déjeuné, on voit bien qu' ils logent à l' hôtel. Les vélos sont lourds à pousser sur les bords de la route, on trébuche dans les tunnels, il fait froid le long de la gorge, mais nous voici sur ce plateau du Gasi:ern. Un cri étrange: le coq de bruyère nous salue. Non sans une crevaison nous arrivons à Seiden.

Une étable servira de garage et l' escalier de l' hôtel de salle à manger. Le pain se rougit de soya, cependant: que le soleil fait rougir les sommets par ses traits hardis. Nous remontons la Kander, sans arrêt nos regards scrutent les flancs du Doldenhorn et ceux de la chaîne de la Blümlisalp. Vus du Valais ces sommets ont fière allure, de près ce n' est qu' un amoncellement de cailloux et de longs couloirs qui font leurs ga:^garismes matinaux et crachent avec plus de bruit que de tact d' immenses avalanches.

Un sentier agréable sur la moraine conduit rapidement au Kanderfirn, enfin on peut mettre le pied dans l' étrier et s' encorder, car aucun de nous ne connaît le glacier. Avec le régime ce fœhn si habituel en pays alémanique le ciel se couvre rapidement; aussi peine arrivés à la cabane Mutthorn nous décollons les peluches: une rapide visite de la cabane, une bonne soupe, et nous voilà prêts à repartir. Mais le temps fait mine de sourire un peu; alors, bien que partis pour la descente nous nous dirigeons sur le Petersgrat. La vue de cette arête est une des plus belles qui soient: au centre, magnifique premier plan du Bietschhorn et pour l' encadrer tous les fiers sommets valaisans.

De nouveau le fœhn brasse les nuages du côté du Balmhorn; un dernier regard, et c' est une chasse qui commence, le capitaine devant, poursuivi par nous deux; à la fin du glacier de beaux couloirs raides permettent de taquiner de la ruade ( comme disent ceux de Genève ). Rôtis par le soleil, les lunettes fortement marquées en blanc sur nos faces rouges, nous regagnons Seiden. Le restaurant est ouvert, quelques villageois de Kandersteg sont montés en break; il règne une joyeuse animation.

En quelques tours de roues nous voici à mon poste où nous faisons une arrivée remarquée avec christianias sur le gravier. Est-ce la rapide descente, l' effet du soleil ou quelque autre raison qui fait que l'on réussit moins bien ce virage à bicyclette qu' à skis?

Les souvenirs de ce dimanche sont encore tout neufs que déjà un autre ordre se présente. Un ancien désir va se réaliser, serai-je contenté, mon désir sera-t-il outrepassé I C' est avec une vive curiosité que je me joins au groupe qui va monter au Jungfraujoch. Le voyage est plutôt décevant à travers ces vallées sombres, noires, ou d' un vert dur sans une touche de rouge ou de jaune qui donnerait de la vie, de la chaleur à ce pays. Les vaches ont l' air de brouter par devoir, elles font cela avec la conscience d' un fidèle serviteur, sans un pas plus rapide ou un brin de fantaisie. Elles ne choisissent pas telle ou telle touffe odorante, non, avec la régularité d' un faucheur elles broutent leur coin et ne laissent pas un brin d' herbe derrière elles. Ce n' est pas leurs cousines d' Hérens qui s' accommoderaient d' une vie si banale, quasi officielle.

Brrr! Cela me donne les mêmes frissons en remontant cette vallée que lorsque dans un de nos musées je vois une toile alpestre de Diday ou de Calarne. Comme me dit un camarade: On sent que c' est un pays sans vigne.

Les grandes stations, Murren que l'on devine là-bas vis-à-vis, Wengen où nous arrivons, sans leurs parures hivernales sont comme de vieilles reines à qui on enlèverait leur manteau d' hermine et sous lequel on ne trouverait au lieu des habits de cour que des haillons de mendiantes. Il est vrai que le petit air cru, un long voyage en train ne prédisposent guère à une poétique réceptivité, encore moins à l' indulgence.

Sûrement que lorsque le soleil animera le pays il reprendra une allure plus agréable. Au reste les hommes qu' il fournit, pour opiniâtres et volontaires et consciencieux qu' ils sont, n' engendrent pas la mélancolie. Par une des percées dans les tunnels nous admirons Grindelwald étiré et dispersé et plus près de nous les superbes glaciers étincelants de neige fraîche. Au Joch, formalités d' usages, repas et cartes postales; cartes qui feront envie aux camarades et sèmeront un brin d' inquiétude et de fierté dans les cœurs féminins.

Après le dîner nous reprenons sacs et skis et mettons les peluches. Un col est rapidement atteint, nous ne sommes pas seuls, une vingtaine de personnes posent leurs skis et montent une arête mi-rocheuse mi-neigeuse. Le capitaine et moi nous nous encordons; derrière nous viennent l' adjudant du bataillon, le premier-lieutenant-médecin et un camarade.

Rapidement le capitaine m' entraîne; par des rochers nous évitons une neige pourrie et pénible. Avec une politesse, une déférence remarquable, l' une après l' autre des cordées civiles nous cèdent la place, et cela avec une telle insistance qu' il y aurait mauvaise grâce de refuser. Est-ce le prestige de l' uniforme? non, nous comprenons rapidement que la corniche qui vient est la seule raison de ces gestes gracieux.

Quelques coups de la panne du piolet et des coups de pied suffisent pour faire des degrés dans la corniche qui nous mène rapidement au sommet. Un petit incident, une partie de la corniche juge bon de partir avec un bâton de mon camarade qui aurait certainement suivi ce précieux auxiliaire sans la poigne de l' adjudant et la présence d' esprit du médecin. Au sommet, poignées de main énergiques: « On peut bien se féliciter puisque l'on est à 4100 m .» dit le capitaine; je m' étonne, et c' est alors que j' apprends que mes pieds sont sur le Mönch. Le sommet se peuple et les Romands y sont en majorité, cela s' entend et se voit aux conversations qui s' engagent entre inconnus de tout à l' heure et qui maintenant en sont presque déjà aux confidences.

Quelques sauts, une glissade, et nous voilà vers nos skis à 1' Ober. La neige commence déjà à cartonner, et c' est en virages pas très dignes PROMENADES BERNOISES.

de l' école suisse que nous glissons en direction de Concordia. La cabane est encore peu occupée, mais il y a des nuées de mouches sous le .Jungfraujoch; avant qu' elles ne se profilent en silhouettes humaines devant les fenêtres du refuge nous avons le temps de souper. Pour nous dégourdir, nous essayons nos ongles sur les superbes blocs d' excellent rocher qui dominent Concordia. Mais pas pour longtemps; un cri part de la cabane, on demande notre capitaine au téléphone.

Qu' il me soit permis de dévoiler ce qu' il y avait dan s ce téléphone mystérieux. Ici, à la cabane, le capitaine que nous entourons anxieux, à l' autre bout du fil l' appointé du matériel qui annonce qu' il a reçu les crampons ( un peu tard ), et avec une fidélité dont il est seul capable transmet les prévisions du temps.

On s' esclaffe à l' entendre, il annonce pluie et vent avec éclaircies pour demain; il n' y a pas un nuage au ciel. Il en sera de même le matin suivant, mais en montant vers l' Ebnefluh, au moment où les étoiles disparaissent, chassées par l' aurore, quelques traînées paraissent; une heure plus tard il commence à neigeoter, le brouillard arrive d' abord effiloché, puis de plus en plus dense. Demi-tour, filons sur Hollandia, il n' y a qu' à garder la pente à main droite et nous arriverons fatalement au col. Ce raisonnement nous fit arriver sous le col, et toujours avec une pente à main droite nous tournons sous le col avec, cette fois, le Sattelhorn et les flancs de l' Aletschhorn à main droite toujours.

Seuls le vent et la neige que l'on reçoit en poupe an lieu de les souffrir de face nous montrent notre erreur. Une boussole la confirme, des cris de ralliement éclatent de toute part, une véritable foule semble égarée autour de nous. Dans un épais brouillard et une belle tempête nous atteignons le col, puis la cabane. Un touriste a glissé sous la cabane et a eu la chance de rester accroché dans la neige, ses camarades déploient force cordes pour le repêcher.

Bien installés au chaud nous avons un sourire ironique lorsqu' entre un jeune « pistard aux mains blanches », en veston, qui paraît bien regretter de ne pas avoir un solide anorak à capuchon et un gros sac avec linge de rechange au lieu de sa musette.

L' après, le soleil revient et c' est la superbe descente sur Fafleralp. Mon vieux rêve va se réaliser; enfin fouler de mes pas, scruter de mes yeux ce Lœtschental que je ne connais que par renommée, lecture ou film. Mais une surprise un peu spéciale nous attend à Fafleralp, elle nous fait oublier d' admirer les aroles les premières gentianes et anémones; cinq soldats de la compagnie sont là qui nous regardent d' un œil un peu ironique.

Le capitaine demande: « Les vélos sont là? » Ils répondent affirmativement et en souriant d' une façon un peu goguenarde. Cela m' intrigue, et encore plus lorsque nous voulons fixer les skis sur les vélos, de voir que les cinq soldats s' avancent et s' offrent pour nous les porter. On ne peut pas abuser de leur bonté, mais ils insistent en disant que nous comprendrons plus bas. Et nous avons compris, et tous ceux qui, au printemps, sont descendus la vallée de la Lonza comprendront que descendre par ces sentiers caillouteux encore coupés de ruisseaux et de névés n' est pas une sinécure.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, le sentier était encore encombré de promeneurs.

De tous ces villages ou hameaux je n' ai vu que les pavés et les murs menaçants. Bras crispés sur le guidon, essieux fumants, poussiéreux comme des « géants de la route » nous arrivons à Goppenstein; là enfin, grâce à des cartes postales, je puis admirer Blatten, Wiler, Kippel ou Ferden.

Si les yeux ont regretté cette descente, les jambes et les pieds ont été reconnaissants au capitaine d' avoir fait monter ces vélos.

A quelques jours de là, vers 17 heures, je reçois à nouveau un ordre bref, mais agréable: me trouver devant le mess à 19 heures avec corde, piolet et crampons en plus des skis. Où peut-on bien aller à une heure si tardive? Le capitaine qui n' est malheureusement pas des nôtres me dit que nous allons monter, le médecin, Henry et moi, après le souper, à la cabane du Doldenhorn et de là faire le sommet le lendemain.

De l' hôtel Waldrand 1e morceau paraît assez sérieux; enfin, de face cela fait toujours plus raide que ce ne l' est en réalité. Par le sentier qui prend à Egenschwand et passe par Biberg nous rejoignons le chemin habituel qui emprunte, lui, l' Oeschinental.

Si la cabane est facile à atteindre en deux heures de marche lente on paye cet avantage le lendemain. La construction en belle pierre de taille donne un aspect très cossu à cette cabane. Par contre, comme c' est le cas pour toutes les cabanes bernoises que j' ai vues, les sommiers sont loin de valoir ceux de Val des Dix, Trient, Valsorey ou Tourtemagne. Malgré cela on y dort fort bien.

Le lendemain, à 4 heures, en quittant la cabane, nous effrayons un superbe coq de bruyère qui sort avec fracas d' une touffe de rhododendrons. Un instinct ancestral fait battre notre cœur et je me sens venir une âme de braconnier. Un guide de Kandersteg m' avait affirmé que le Doldenhorn à skis était une course très difficile, quasi impossible, sauf pour de bons skieurs; d' autre part, dans le livre de cabane, des Neuchâtelois, sauf erreur, avaient mentionné que ce n' était que grâce à la technique brillante de leur chef de course qu' ils avaient passé la grosse rimaye. Cette note date d' une quinzaine de jours, Par contre, il y a deux noms célèbres à Genève, celui d' une de nos plus grandes alpinistes et un nom masculin qui a déjà fait ses preuves, et aucune remarque sur la course.

On verra bien si entre les trois on ne réussit pas: il y a là un instructeur de ski et deux patrouilleurs de la brigade de montagne 10 et, en plus, nous avons le temps et le matériel. La plus grosse difficulté se présente tout de suite, ce n' est pas une rimaye ni un mur de glace: c' est tout simplement le flanc, puis le couloir raide qui mènent au glacier. A pied on enfonce, à skis la surface glacée ne permet pas aux peaux de marcher de flanc, et c' est trop raide pour monter de face.

Le couloir demande une heure et demie d' effort, mais en conditions normales avec une neige plus agréable il doit se faire en trois fois moins de temps.

Die Alpen - 1943 - Les Alpes.25 PROMENADES BERNOISES.

Un arrêt sur le glacier, un bout de pain et de fromage et un baiser à la gourde sont les bienvenus. Mais ce repas spartiate a au moins l' avantage de ne pas distraire nos regards. Us sont rives sur le massif de la Blümlisalp, et au premier plan vers la belle arête Gallet. Sous nos pieds le lac d' Oeschinen est actuellement d' un beau vert et paraît serti dans l' or, car ses bords sont d' un beau jaune doré, pollen dépose par les pins et autres essences sur ses eaux calmes.

A nouveau les skis sont chaussés et nous voici sur une belle poudreuse. La corde balance mollement entre nous au rythme du « pas de la hotte », démarche caractéristique du patrouilleur chargé et qu' il garde même sans sac.

Voici cette terrible rimaye; un coup d' œil sur sa partie de droite où elle se rapproche de la paroi de rocher prouve que le travail ne sera pas difficile. Deux ou trois coups de pieds chaussés de crampons et me voici hors du pas. Je fais monter mes camarades qui, bien que sans crampons, passent la rimaye comme un escalier. Quelques coups de piolet en grimpant en écharpe au-dessus de l' obstacle et nous voilà sur la lèvre supérieure et en peu d' instants nous montons au sommet non sans avoir eu les honneurs d' un salut d' un avion qui nous survole à deux ou tr:Dis reprises.

Notre sommet a demandé presque huit heures de montée, arrêts compris; par une neige conduisant bien on doit pouvoir raccourcir fortement ce temps. La vue est voilée au sud par un front de fœhn, mais le regard plonge quand même sur le Gasterntal e! le Lœtschenpass pendant une éclaircie; au nord, au couchant et au levant, la vue s' étend magnifique; les lacs brillent et le Jura fait un bel horizon bleu sous un ciel gris.

La descente est rapide; un ou deux ponts de neige sont crevés par des souliers imprudents, mais sans autres conséquences qu' une chute en avant. Mon offre de descendre la lèvre supérieure de la rimaye en un rappel spectaculaire est refusée et on en est quitte pour repasser le chemin du matin plus long et plus banal.

Une photo vite prise et nous avons le plaisir de remettre les skis pour une descente qui promet. La neige est bonne et en quelques minutes nous arrivons au haut du couloir qui a coùti tant d' efforts le matin. Il paraît raide, mais Henry qui est I. S. S. se lance et « déballe une superbe caisse de christianias » comme sur une piste d' école, puis se gare à la droite du couloir pour nous regarder descendre.:

En pivotant alternativement autour des bâtons nous rejoignons Henry; ce couloir est merveilleux et rappelle le couloir qui, de la Ruinette, descend sur le Glacier de Breney, mais celui du Doldenhorn est plus long et plus étroit, de beaucoup même, si ma mémoire et fidèle. Sous le couloir, les bancs de neige qui recouvrent les grandes dalles sont déjà profondément ramollis. Il faut couper en biais et faire descendre les coulées qui, par endroits, font des avalanches assez spectaculaires et, une fois l' excédent de neige enlevé, il reste un bon gros sel très glissant dans lequel on tourne sans peine.

Voici à nouveau la cabane; il a fallu deux heures depuis le sommet pour y arriver. Un repos pour sécher tout ce qui a souffert de l' humidité et humecter les gosiers travaillés par le fœhn, la réverbération et l' effort.

Enchanté de mes courses à ski, je voulais terminer par une course rocheuse. Chaque fois que je m' élevais au-dessus de Kandersteg, soit en montant à l' Oeschinensee, soit à l' Ueschinental ou contre la Fisialp, je voyais dans le lointain un sommet à cinq doigts qui se dressait au couchant. Tous les bazars avaient sa photographie en devanture; intrigué je me renseigne, un petit guide très aimable et qui est un des espoirs de l' endroit me dit que c' est le Tschingelochtighorn. Nom sonore qui fait frémir mes camarades lorsque j' essaie de les tenter. Je leur montre des agrandissements de 130 X 180 cm ., cela n' a guère l' air rassurant. Je leur dis que l'on monte par le versant opposé et que d' après mes renseignements c' est l' avant doigt du côté d' Adel qui est le plus intéressant.

A 3 heures, la sentinelle me réveille, j' allume un feu sous deux gamelles, et bientôt nous sommes quatre à partager ce thé brûlant sentant plus le sapin blanc que Ceylan et du pain fédéral.

Par prudence nous avons, en plus des deux cordes, un piolet, quelques fiches et un marteau; que d' illusions!

Mes renseignements me disaient de suivre l' Ueschinental jusque sous le sommet du Lohner, puis de tirer à droite. Une erreur d' optique et le manque de carte me fait prendre le point 3005 pour le sommet, et, dès l' alpage de Plätzli, nous prenons à droite au lieu de suivre le chemin, puis le sentier qui par Unterbächen mène à Ortellen et ensuite au pied de notre projet. Il en résulte une marche de flanc pénible dans de maigres gazons glissants. La flore, par contre, est remarquable et seule réussit à nous distraire. Par des névés nous arrivons au col qui se trouve entre l' Engstligengrat et notre Tschingelochtighorn. En passant sous nos cinq doigts, nous constatons que le rocher est bizarre comme un poisson qui hérisserait ses écailles à la perpendiculaire; mais ces écailles s' effritent comme des bricelets. Tournons, le regard embrasse maintenant au-dessus d' Engstligenalp tout le massif du Wildstrubel, et plus à droite on voit même les sommets du Pays d' Enhaut. Nous marchons maintenant sur les flancs ouest du Tschingelochtighorn; de temps à autre, en observant bien, on voit un anneau qui blanchit accroché dans la paroi. Sorties de secours? Deux camarades s' engagent sous le sommet du milieu par une faille puis une vire; rapidement nous rappelons les égarés; le plus intéressant est plus loin, ne perdons pas de temps sur ce médius sans attrait. Maintenant nous voici au pied de l' objet de nos rêves. Inutile de s' effrayer, les photos de bazar étaient presque en grandeur naturelle. Par contre, le rocher qui, à la reproduction est immobile, est ici plein d' une vie trépidante et bruyante. Le photographe devait avoir un obturateur ultra-rapide, car sur la photographie on ne s' aperçoit pas du mouvement de ces pierres. Cela tombe de partout, sans arrêt. Pire rocher n' existe même pas dans les Vaudoises ou le massif des Dents du Midi.

Mais notre doigt paraît moins atteint de pelade ou de gangrène. « Il a l' air sûr », dit Marcel; à la même seconde, un pavé gros comme la moitié d' un veau descend en cascade par l' itinéraire de montée, il est suivi d' une pluie de satellites empressés et bruyants. Marcel avait déjà un pied en avant pour attaquer la montée des quelques mètres qui mènent au sommet du doigt; PROMENADES BERNOISES.

j' étais en train de dérouler une coree; mais au moment même où Marcel retirait son pied de la première marche, je revenais en arrière avec mes boucles de cordes et sans un mot, nous partîmes tous quatre d' un immence éclat de rire. La montagne a répondu par son seul moyen d' expression, une formule très lapidaire. Sans trop se moquer de moi, mes camarades font de l' ironie, ma vanité en souffre et c' est à ce moment que je me rappelle le mot de mon petit guide qui vantait tellement ce maudit sommet. Il me disait que le dimanche d' avant il avait été dans le Jura avec des clients bâlois. Je le blaguais sur cette idée pensant que la course ne pouvait être que gastronomique, et c' est alors qu' il me dit: « on serait her d' avoir des varappes aussi belles dans la région de Kandersteg ». Il voulait certainement parler du Raimeux; ne connaissant pas cette région du Jura, je ne me risquerai pas à des comparaisons, mais entre le Tschingelochtighorn et Tête à Pierre Grept ou les Diablerets je préfère encore ces deux derniers. A la descente quelques névés permettent de longues glissades, seul intérêt, avec la vue et les fleurs, de cette malheureuse course.

Un regard sur l' enneigement dans l' Ueschinental me confirme que nous aurions mieux fait d' aller à skis au M ildstrubel et de redescendre par le glacier d' Ueschinen. Ce rocher écailleux me mit dans une telle rage que sept jours plus tard je montais à Arpettaz me consoler avec le granit des Ecandies où la traversée sud-nord, avivée par la comparaison, m' a laissé un de mes meilleurs souvenirs.

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