Piz Palü, Bumillerpfeiler
i Alpinisme et autres sports de montagne i Alpinismo e altri sport di montagna i Alpinismus, Berg- u.a. Sportarten
Texte: Stefan Müller, Oberkirch Illustrations: Alexandre Luczy, Bienne
Dans l' estomac du monstre
Le disque de la lune vient de disparaître derrière une crête, et je suis prisonnier du gigantesque estomac d' un monstre endormi. J' ai escaladé le remblai circulaire formé par les avalanches de neige fraîche, derrière lequel se dresse une croupe profondément entaillée, flanquée des deux côtés par de sombres parois. L' immense fosse est remplie de blocs de glace à moitié digérés et de restes de neige broyée. L' endroit est sinistre.
J' avance pas à pas dans la ligne de chute des séracs. Mon plus grand souci: ne pas réveiller le géant. Un clignement des yeux, et des tonnes de glace dégringoleraient la gorge étroite, faisant de moi, en quelque sorte, leur repas de minuit.
Je pense à Jonas, le prophète qui passa trois jours dans le ventre d' une baleine. A quelle fausse prédiction est-ce que j' essaie d' échapper? Quel enseignement vais-je en tirerJe grimpe avec prudence le long des parois ondulées de cet estomac en faisant attention de ne pas les chatouiller à un point névralgique. Je traverse au centre 1'«œsophage », et progresse jusqu' au « pharynx ». Mais là, une « glotte » de glace me barre le passage. Il y a dix jours encore, on pouvait la contourner par la gauche et sortir en empruntant la rangée inférieure des dents rocheuses. Maintenant, une profonde fissure bâille sous les rochers. Certainement un cas de parodon-tose!
J' emprunte donc la voie centrale et escalade directement la « langue » de glace. Suivant une côte, je m' accroche vers la gauche à la paroi de glace
abrupte. Eviter de patiner avec les crampons, bien doser les coups de piolet... Si jamais le géant se met à se racler la gorge, je pars en vol plané.
Lorsque la paroi est devenue moins raide et qu' il n' y a plus besoin d' enfoncer la lame du piolet, la sortie s' ouvre devant moi. Je sors rapidement de la gueule béante, traverse une « lèvre » supérieure bien rasée, recouverte de neige, et j' arrive au pilier rocheux, le « nez ». M' assurant avec un des brins de la corde, je contourne sa base en prenant légère-
Les trois piliers nord-est du Piz Palü: faut-il les comparer à trois sages somnolant depuis la nuit des temps, ou à trois monstres chauves à longues moustaches qui n' aiment pas trop les alpinistes?
ment à gauche. Les « narines » cachées exhalent un souffle régulier. Le monstre expire calmement, il ne se réveillera pas de sitôt. Et ses yeux sont fermés, malgré le soleil qui se lève. Impossible de dire toutefois où ils se trouvent, personne ne les a jamais vus et personne ne souhaite les voir, vu le cataclysme que la créature déclencherait si elle venait à se réveiller!
L' escalade ne pose pas de problème, la roche est excellente. Arrivé au petit toit, j' essaie la variante classique par la gauche, qui s' avère tout aussi pénible que la voie directe. La route est complètement équipée, par endroits même trop. A part des coinceurs, je n' ai pas besoin de matériel supplémentaire. La dernière longueur est à la fois la plus difficile et la plus exposée. Ici, je suis content de pouvoir utiliser les pitons déjà en place.
Je grimpe non encordé la section supérieure, moins raide, et arrive à la racine du nez. Sur la dernière petite plate-forme, j' échange les coinceurs contre les vis à glace et fais une pause. Le soleil est déjà étonnamment haut. Mes réserves d' eau sont pratiquement épuisées et ma gorge me donne l' im d' avoir bu de la colle à bois.
Les yeux dans les yeux
Mais j' ai encore devant moi le point fort de ma course: passer les bourrelets des « yeux » formés par le barrage supérieur des séracs. Comme la fine bande de névé à son pied a fondu, je suis obligé de traverser à gauche en faisant les pointes. J' enfonce
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avec élan mon matériel à glace en croisant les bras. Léger comme un danseur, je plane au-dessus du gouffre tout en veillant à raidir mes hanches pour éviter que les crampons ne glissent. Je dois m' arrê trop tôt; cinquante mètres de corde, c' est parfois si court!
Comme il faut redéfaire le relais inférieur, je manque par trois fois mon « pas de un » et me retrouve, pas très rassuré, à nouveau sous la zone à risque. Je viens juste de me mettre à l' abri des chutes de séracs et redoute de m' exposer encore une fois au danger. Finalement, je me hisse dans un « staccato furioso » hors du passage critique.
Encore une dernière longueur de moins en moins raide vers le haut, et je me trouverai sur le « front » aplati du géant. Je suis pratiquement au bout de mes peines, mais ne me fie pas à la couverture neigeuse dans le dernier ressaut. Je reste donc encordé. J' atteins le plateau neigeux au-dessus sans trop de difficulté. « Très bien, mais comment fixer ma corde dans cette neige gros sel? Aussi profond que je creuse, je ne trouve pas de glace. Il ne me reste plus qu' à enterrer mon piolet et à l' utiliser
Pendant toute la nuit, je suis hanté par l' énigme des trois piliers nord-est Si jamais il venait à se réveiller, le monstre déclencherait un véritable cataclysme!
comme ancrage !» Cette pensée me terrifie. « Enter-rer » signifie dans ces conditions « cimenter sous un gros tas de neige ». Je descends prudemment avec une drôle de sensation et c' est seulement quand j' arrive en haut, et une fois les difficultés maîtrisées, que la tension se relâche. Il ne me reste plus maintenant qu' à traverser le « front » parcouru de rides pour arriver tout en haut.
Tempête
Je n' ai pas remarqué jusqu' à maintenant que le vent a forci. N' ai pas assez pris de précautions et réveillé le monstre? Aucun doute, quelque chose bouge, il respire plus fort! La seule possibilité qui me reste, c' est de monter. J' essaie de traverser le plus rapidement possible le champ de neige pourrie. Au ralenti, comme dans un cauchemar, je me vois brasser la neige, la respiration haletante. Le sommet semble infiniment loin et dans mon dos, l' orage se prépare.
Je n' ai pas encore eu le temps de passer le front plat que le monstre se réveille! Il écume de rage! Vite, se tenir, s' enterrer dans la neige, s' accroupir, passer le sac bivouac sur la tête! Le ciel est déchaîné, la neige tombe dru, masquant la vue, alors que les coups de tonnerre se rapprochent de façon mena-
çante. Autour de moi, tout est blanc, on ne voit plus la différence entre la terre et le ciel.
Pendant quelques instants, j' ai l' impression que mon sac bivouac flotte dans le vide. Impuissant comme une chenille maladroite, je regarde par l' ouverture et attends avec inquiétude ce qui va se passer.
Les éléments se calment peu à peu, l' orage prend la direction du sud-ouest et une chenille jaune reprend vie sur le Piz Palü. Je m' extrais de ma cachet-
Personne n' a jamais vu les yeux du monstre et personne ne souhaite les voir
te et monte jusqu' au « crâne » chauve du sommet principal. De là, je continue ma traversée et gagne la tête du géant, à l' est. Celui-ci n' a rien vu du spectacle et dort paisiblement. Utilisant la voie normale d' ascension comme une piste de bob, je descends en glissade et me hâte de regagner la Diavolezza. Quel nom pour un endroit où trouver refuge!
a. < Traduil de l' allemand par Monique Muraglia
listoire, culture littérature alpines
Alpine Geschichte, Cultur, Erzählungen
Storia, cultura, letteratura alpina
près de vingt-cinq jours à Martin Vaiar pour réaliser son œuvre, haute de quarante mètres et large de quatre-vingts, avec de simples moyens. Il est descendu plus de trois cents fois en rappel, rouleau et pot de peinture à la main. Les contours des soldats et des pions ont été reportés à l' aide d' énormes pochoirs. La peinture, de la dispersion pour l' extérieur, devrait résister vingt à trente ans aux assauts du temps.
Le peintre Martin Vaiar a transformé le mur de rétention du barrage de Panix en une fresque monumentale qui met en scène le retrait du général Souvorov et de son armée. La commune grisonne de Pigniu ( Panix en allemand ) possède ainsi le barrage le plus original d' Europe.
Il y a dix ans, on a construit un barrage au fond de la vallée qui domine la petite commune grisonne de Panix, dans le Vorderrheintal. Depuis peu, son mur de béton offre aux promeneurs un tout autre visage. Si l'on emprunte le chemin qui mène au lac d' accumulation, on distingue des carrés noirs et blancs déjà dans les premiers contours, après le village. Puis une immense tour bleu vif se dresse tout à coup entre les sapins. A côté sont disposés les pions d' un jeu d' échecs, debout ou couchés. Plus loin, la vision disparaît. Mais voici que toute une armée de têtes affublées d' immenses chapeaux surgit au milieu d' une rangée de baïonnettes. On distingue enfin les soldats russes, qui progressent, en colonne de gauche à droite, vers la tour. Le mur s' efface: il a laissé place à une magistrale fresque historique.
Un rêve devient réalité Réaliser un rêve, voici le but atteint par l' artiste Martin Vaiar, originaire d' Engadine, en peignant cette œuvre monumentale. Il envisageait depuis longtemps de transformer un mur de rétention d' eau en une fresque, malgré les difficultés posées par la taille et le type de construction. Le mur du barrage de Panix, haut de cinquante mètres, long de deux cent quarante à la couronne et rectiligne, offre à ce titre des conditions presque idéales.
Le début des travaux, prévu pour mars, a dû être reporté au mois de mai à cause de la neige et de la fermeture de la route d' accès. Il a fallu Jeu d' échecs, jeu de stratèges La fresque de Martin Vaiar représente un jeu d' échecs. Un jeu de stratégie populaire en Russie et dont l' inspiration militaire est de circonstance: il y a deux cents ans, le général russe Aleksandr Vassilievitch Souvorov, qui poursuivait les troupes napoléoniennes en fuite, a quitté Elm avec son armée et franchi le col de Panix. Les soldats, affaiblis par la progression difficile et par la neige tombée tôt dans la saison, sont arrivés très Les soldats mesurent douze mètres
Une partie des soldats russes, tel un essaim de sauterelles, traverse le mur sous la conduite du général Souvorov, la tour vacillante diminués à Panix, où ils ont mis le village à sac.
Le général Souvorov est représenté sous la forme d' une tour vacillante. Avec son armée, il fut déplacé d' un côté à l' autre de l' Europe par les puissants de l' époque, comme les pions d' un jeu d' échecs. Ses soldats tombés en route sont représentés par les pions, alors que les rangées inter- minables qui franchissent le mur figurent les troupes russes qui ont survécu.
Pour Martin Vaiar, une chose importe avant tout: « L' art devrait aller vers les gens et non pas le contraire.
Le 3 juillet 1999, les soldats russes sont revêtus de leurs pantalons blancs. Pour cet habillage, Martin Vaiar a dû faire pas moins de vingt-sept rappels le long du mur Une oeuvre qui n' est pas regardée n' a pas de sens. Mon art doit inviter à la réflexion. L' art est un processus qui se déclenche chez l' artiste. Ce processus est transmis au moyen de l' œuvre et suscite une réaction chez la personne qui la regarde. L' art peut et doit être éphémère. » Patricia Fontana, Castrisch ( trad. ) M Histoire, culture et littérature alpines a.