Les variations périodiques des glaciers des Alpes
Professeur Dr. F.A. Forel de Morges.
Les variations périodiques des glaciers des Alpes Par le ( Section des Diablerets. ) Quatrième rapport. 1883.l ) X. Avant-propos.
Quand j' ai commencé ces études sur les variations périodiques des glaciers, dans mon premier rapport, en 1881, j' ai essayé de formuler en quelques thèses les allures du phénomène. La plupart de ces lois provisoires ont été justifiées par l' observation ultérieure; je suis en mesure aujourd'hui d' en énoncer deux nouvelles.
Les lois que j' ai déjà proposées sont les suivantes:
I. Loi de longue périodicité: „ Les glaciers
varient de grandeur par périodes comprenant
de longues séries d' années; pendant dix ou
vingt ans ils s' allongent, pendant dix ou vingt ans ils se raccourcissent. " Cette loi a été généralement acceptée; elle l' a été en particulier par les deux auteurs qui depuis lors se sont occupés de la variation périodique des glaciers, M. E. Richter de Salzbourget M. M. de Frey de Leipsig2elle a été confirmée par toutes les observations collectées depuis lors. Je puis même aujourd'hui étendre les chiffres donnés pour la durée des périodes de retraite, et me fondant sur l' expérience acquise dans les dernières années dire que „ la période de raccourcissement peut durer jusqu' à trente ans, quarante ans, et plus. "
Ma seconde loi, loi de généralité, et ma troisième, loi des exceptions, sont exactes; mais je préfère les réunir dans la forme que j' ai donnée à ma quatrième loi:
IV. Loi de simultanéité: „ Les glaciers sont soumis à des périodes d' allongement et de raccourcissement qui commencent et finissent à peu près à la même époque pour l' ensemble des glaciers du pays; les glaciers qui commencent les premiers à entrer en variation, et ceux qui commencent les derniers semblent, pendant un temps, former des exceptions à la règle générale. " Je puis ajouter d' après l' ex des dernières années que, dans la période récente de retraite, le début de la période a eu lieu vers 1830 pour les glaciers les plus hâtifs, et vers 1870 pour les plus tardifs; que le début de la période s' est donc étendu sur une durée de quarante années. La période actuelle d' allongement a débuté en 1875 pour le glacier le plus hâtif, le glacier des Bossons; elle n' a pas encore commencé pour la majorité des glaciers des Alpes, dont le plus grand nombre sont encore en période de retraite.
V. Loi des variations de volume. La variation se fait sentir en même temps et dans le même sens sur les trois dimensions des glaciers, sur leur longueur, sur leur largeur et sur leur épaisseur. Autrement dit: il y a variation simultanée dans les dimensions linéaires, dans la superficie et dans le volume des glaciers. Autrement dit: dans la variation périodique il y a changement de volume et non pas seulement changement de forme. Quand le glacier se raccourcit, il n' y a pas compensation par une augmentation simultanée de la largeur ou de l' épaisseur; au contraire, la largeur et l' épaisseur diminuent en même temps ( ou à peu près en même temps ) que la longueur, et il y a diminution de volume. Quand le glacier s' allonge, il augmente de volume.
En me fondant sur l' expérience acquise dans les quatre dernières années, pendant lesquelles j' ai suivi avec attention le phénomène, non seulement je crois pouvoir maintenir la justesse des lois ainsi formulées, mais encore je veux proposer deux nouvelles thèses:
VI. Loi de variation simultanée des glaciers voisins. Les variations de volume débutent à peu près simultanément dans les glaciers du même district de montagnes. Je me fonde essentiellement pour l' énoncé de cette thèse sur ce que nous observons actuellement dans les glaciers du Montblanc. Tandis que la grande généralité des glaciers des Alpes sont encore en retraite nous voyons les glaciers du groupe du Montblanc se mettre les uns après les autres en période d' allongement. Les Bossons, la Brenva, le Trient, le Tour, Orny, la plupart des glaciers de ce massif sur lesquels nous avons des observations précises, sont en voie d' allongement; le glacier des Bois et l' Argentière sont stationnaires; seul le glacier des Grands est encore en raccourcissement. Je pourrais encore citer les deux glaciers de Grindelwald qui, d' après les anciennes observations, et surtout d' après les observations récentes de notre collègue M. G. Strasser, semblent varier presque simultanément.
En admettant que la justesse de cette thèse soit confirmée par des observations ultérieures, il y aura lieu de déterminer si, à ce point de vue, le groupement des glaciers a lieu par massifs de montagnes ou par vallées, par régions orologiques ou par bassins hydrologiques. Mais cette distinction ne pourra être faite que quand nous disposerons d' un matériel d' ob suffisamment étendu.
VIL Loi de variation simultanée des glaciers jumeaux. Quand un même névé donne naissance à plusieurs glaciers, ces divers bras présentent des variations analogues et simultanées. Le lecteur trouvera dans le rapport actuel deux exemples du fait que j' essaie de formuler dans la thèse ci-dessus. En premier lieu le glacier de Fee, qui est séparé en deux bras jumeaux par la Gletscher-Alp, et dont les deux bras ont commencé en même temps à s' allonger; en second lieu les glaciers jumeaux d' Orny et de Trient, tous deux branches d' écoulement du névé du Trient, glaciers qui d' après les mensurations de MM. Guex et Barbey sont tous les deux en voie d' allongement.
Si cette loi se vérifie par d' autres observations, ce sera le cas de rechercher si la simultanéité des allures des deux bras d' un même glacier n' est qu' un fait spécial de la loi précédente, qui constate des variations simultanées dans les glaciers voisins, ou bien s' il y a quelque chose de plus et si la communauté du bassin d' alimentation est pour quelque chose dans la similitude des allures des divers bras d' écoulement de la masse glacée.
XI. Méthode d' observation des variations glaciaires.
De divers côtés l'on m' a demandé des directions sur l' art d' observer les variations des glaciers. Ces observations peuvent se faire de bien des manières. D' une part on peut y appliquer les méthodes les,plus rigoureuses de la technique moderne; d' une autre part, on peut faire des observations suffisantes, utiles et précieuses,^avec les moyens matériels les plus simples. Pour l' ingénieur et le géomètre, munis de leurs instruments de précision, je n' ai pas de conseils à leur donner; ils sauront établir leur méthode suivant les conditions de la localité. Pour le clubiste ou le montagnard, armés simplement d' un mètre ou d' une chaîne graduée, voici ce que je leur proposerai.
Les diverses dimensions d' un glacier variant dans le même sens, il suffit d' étudier l' une d' elles, celle qui varie dans les plus grandes proportions et qu' il est par conséquent le plus facile d' évaluer, c' est la longueur. Que l'on mesure donc la position du front du glacier chaque année, ou du moins le plus fréquemment possible.* ) La chaleur de l' été attaque le front du glacier et tend à le faire reculer; en hiver au contraire l' abla est nulle et l' écoulement de la glace agit seule et pousse en avant l' extrémité terminale. Pour n' avoir pas à tenir compte des différences qui peuvent résulter de la fusion pendant les mois d' été, il est préférable de faire les mensurations des années successives dans le même mois, et si possible dans la même semaine de l' année; quelques jours de différence n' ont du reste, le plus souvent, pas une grande importance.
Si le glacier est en état de raccourcissement, que l'on établisse devant le front du glacier deux ou trois repères, à quelques mètres de la glace. Les meilleurs repères sont de gros blocs de pierre, bien évidents, bien reconnaissables, sur lesquels on peint à la couleur à l' huile, ou on grave à la pointe, quelques signes caractéristiques, comme, p. ex;, les initiales du Club, ou celles de l' observateur, avec le chiffre de l' année.
C.A.S.
* 1883.
Là où il n' y a pas de blocs convenables on peut faire un repère excellent en élevant une colonne de pierres sèches, un Steinmannli.
Puis on mesure la distance entre le repère et le front du glacier, et on la note sur un croquis de la localité.
Quand l' année suivante on renouvellera cette mensuration, on aura par une soustraction la valeur de l' allongement ou du raccourcissement du glacier.
Si le glacier est en état d' allongement, l' expérience est un peu plus difficile; en effet, si la progression est rapide, le glacier pourrait bien bousculer le repère établi trop près de son front, et la seconde mensuration sera impossible. En présence donc d' un glacier qui s' allonge, ou dont les allures sont inconnues, il sera prudent d' établir, pour chaque point intéressant qu' on désire mesurer, deux ou plusieurs repères en ligne, à des distances diverses du glacier, à 10 m, à 50 m, à 100 m du front du glacier. On mesurera soigneusement l' intervalle qui sépare les repères, et en vérifiant ultérieurement ces distances, on constatera si les repères ont été déplacés ou non, et quels sont les repères dont la position peut servir de base.
Dans certains cas où le front du glacier n' est pas abordable, on peut apprécier sa position en cherchant des alignements tangents à son front, et en les marquant par des repères sur la roche ou le terrain accessibles.
XII. Notes et observations sur les variations des glaciers des Alpes pendant l' année 1883 et les années précédentes.
I. BASSIN DU RHONE.
Vallée de Saas. Glaciers de Schwarzberg et Allalin, en grande retraite en 1882 ( M. Ph. Privat de Genève ).
Allalin est encore en forte diminution d' après les habitants de Saas. M. V. Morax de Morges a posé en 1883 des repères à 10 m du front du glacier, sur la rive droite du torrent.
Fee. Ce glacier est divisé en deux branches par la Gletscher-Alp; la marche des deux bras jumeaux est à peu près identique. D' après M. Aloïs Supersax de Fee, le glacier a eu son maximum vers l' année 1824; depuis lors il s' est raccourci de 11k kilomètres environ. Cette période de retraite prolongée et considérable a pris fin et le glacier a commencé à s' allonger en 1881; l' allongement a apparu simultanément sur les deux bras, mais le bras de gauche semble s' allonger plus rapidement que l' autre.
D' après ces données, la période de- décroissance pour le glacier de Fee aurait duré de 1824 à 1880 soit 56 ans. M. V. Morax a placé en 1883 des repères au front des deux bras de ce glacier.
Hochbalm est encore en raccourcissement en 188& ( V. Morax ).
20 Vallée de Turtmann. Glacier de Turtmann. D' après M. Ph. Privat, dès 1862 le glacier diminuait d' épais, mais ne se raccourcissait pas encore; la diminution de longueur n' a été sensible qu' à partir de 1872 ou 1873. D' après cela ce glacier aurait été le plus tardif à prendre le mouvement de retraite dans la dernière période; celui que nous connaissions qu' à présent comme ayant continué le dernier à s' allonger était Yünteraar lequel en 1870 repoussait encore sa moraine frontale.
En 1882, M. Privat a constaté la disparition de l' un des petits glaciers qui se trouvent à la droite du grand glacier de Turtmann; en 1873 il avait déjà diminué de moitié au moins.
Val Ferret. Glacier d' Orny. M. A. Barbey de Lausanne avait établi des repères le 2 juillet 1882 devant ce glacier; le 5 août de la même année il constatait un raccourcissement de 1.85 m, dû sans doute à la fusion estivale. Il y retourna le 10 juillet et le 9 août 1883, et .constata à cette dernière date que depuis le 5 août 1882 il y avait un allongement du glacier de 9.95 m. Le glacier d' Orny appartenant à la chaîne du Montblanc, est donc à ajouter à la liste des glaciers en état d' allongement; nous ne savons malheureusement rien sur le début de la période de raccourcissement qui vient de se terminer, et par conséquent sur la durée de la période.
Insistons ici sur le fait intéressant que nous avons déjà signalé. Ainsi que le fait remarquer M. E. Thury1 ), le glacier d' Orny ne possède pas de névés à lui propres, et il ne doit probablement être considéré que comme un rameau détaché du glacier du Trient. Le névé du Trient, dans la haute vallée limitée par la Grande Fourche au fond, l' aiguille du Tour à gauche, et les Aiguilles dorées à droite, donne naissance à deux bras de glaciers, ou à deux glaciers jumeaux qui s' écoulent, l' un à l' est dans la vallée de la Dranse, le glacier d' Orny, l' autre au nord dans la vallée du Trient, le glacier du Trient. Ces deux bras d' un même glacier ont, d' après les excellentes observations de nos collègues MM. Guex et Barbey, des allures identiques; l' un et l' autre sont actuellement en allongement. C' est un second exemple à ajouter celui du glacier de Fee, à l' appui de la VIIe loi que nous avons formulée dans l' avant de ce rapport.
Vallée du Trient. Glacier du Trient. D' après les repères placés devant le front du glacier, M. J. Guex de Vevey a constaté:
avant 1878 raccourcissement, de 1878 à 1879 allongement 15 à 20 m v 1879 n 1880 12 „ 15 n n 1880 V 1881 raccourcissement 7 V n 1881 n 1882 allongement 3 n n 1882 n 1883 n 10 n L' épaisseur et la largeur augmentent notablement. M. Guex évalue l' accroissement d' épaisseur dans la région terminale à environ 12 m.
Glacier des Grands d' après les mensurations de M. F. Doge de la Tour de Peilz:
de 1881 à 1882 raccourcissement 16 m „ 1882 „ 18831.6 „ Le glacier augmente d' épaisseur, aussi bien dans sa région moyenne que dans sa calotte inférieure.
Glacier des Fonds, derrière les Tours Sallières. D' après M. A. Wagnon de Morges, il y avait en 1883 beaucoup de névés durcis dans les hauts pâturages de Barberine jusqu' au pied du glacier des Fonds, lequel semble en allongement en le comparant à ce qu' il était il y a trois ans. Des mesures exactes n' ont malheureusement pas été prises.
Il y a d' après le même clubiste de grandes accumulations de neiges sur les Tours Sallières et le Mont-Ruan.
Vallée de PArve. ( Notes de M. Venance Payot de Chamonix. ) Glacier du Tour. Il est toujours dans les mêmes limites; il doit s' écouler fort rapidement si l'on en juge par sa grande activité; les avalanches se suivent de minute en minute à l' extrémité inférieure du glacier.
Glacier d' Argentière. Il se raccourcit encore légèrement, mais il arrivera bientôt à l' état stationnaire si l'on en juge par les mesures suivantes: du 18 juin 1879 au 18 octobre 1881, raccour-cissement39.5 m du 18 octobre 1881 au 9 novembre 1883, raccourcissement l.s „ II est probable qu' une prochaine mensuration montrera un état d' allongement.
Glacier des Bois ou Mer de Glace. On ne peut aborder la langue terminale du glacier; elle est au fond d' une gorge inaccessible, remplie par le torrent l' Arveyron, et bordée de parois infranchissables de rochers. Autant qu' on peut en juger dès l' entrée de cette gorge, le glacier en reste dans ses mêmes limites; il est stationnaire.
Glacier des Bossons, en allongement rapide.
1er repère à droite du glacier: du 24 mars 1880 au ler juin 1881, allongement dépassant12.2 m du 1er juin 1881 au 20 mars 1882, allongement considérable; les repères sont bousculés dans la moraine.
du 20 mars 1882 au 17 avril 1882, allongement 3.7 „ du 17 avril 1882 au 8 octobre 1883, allongement dépassant38.85 „ 2e repère, à gauche du glacier: du 15 octobre 1880 au ler juin 1881, allongement 26.2 „ du 1er juin 1881 au 7 octobre 1881, raccourcissement 3.o n Ce faible raccourcissement de 3 m pendant l' été de 1881, dû évidemment à la fusion estivale, ne doit pas nous empêcher de constater l' allongement rapide de ce beau glacier.
Vallée de l' Isère. Glaciers du Dauphiné. M. Paul Guillemin, de Paris, membre du C.A.F., me communique ses observations importantes sur les glaciers du massif du Pelvoux:
„ Le glacier de Girose, branche énorme du glacier de Mont de Lan s, vallée de la Romanche, a avancé de 100 m depuis 1881. Je le sais parce qu' une grotte à cristaux, visitée par moi en 1881, a disparu en 1883.
„ Le glacier Lombard ( entre le Dauphiné et la Savoie ) a presque doublé de 1881 à 1883.
„ Le glacier de la Meije m' a paru avoir allongé sa traînée de cent mètres, dans le même temps, mais son épaisseur a visiblement diminué.
„ Tous les autres glaciers du Dauphiné continuent leur retraite. "
II. BASSIN DE L' AAR.
Vallée de la Lütschine. Les deux glaciers de Grindelwald sont l' un et l' autre en état d' allongement peu rapide. Ce mouvement en avant est plus évident dans le glacier supérieur que dans le glacier inférieur ( Pasteur G. Strasser à Grindelwald ).
D' après une communication de M. Strasser, un touriste anglais, M. Anderson, A. C, a constaté une preuve saisissante de l' augmentation du glacier supérieur de Grindelwald. Le 19 mars 1884 il voulait passer le Milchbachloch * ), pour arriver à la Glecksteinhütte: il trouva le tunnel obstrué par la glace, et après six heures de travail infructueux de ses guides il reconnut que ce n' était point une simple avalanche de glaces, mais que l' obstacle était dû à l' avancement de la masse elle-même du glacier.
D' après les notes précédentes de M. Strasser le glacier supérieur était déjà en allongement en 1881; dans cette année 1881 le glacier inférieur commençait seulement à s' épaisser. Ainsi dans la période actuelle les deux glaciers ont suivi à peu près les mêmes allures, le glacier supérieur devançant de 1 ou 2 ans le glacier inférieur.
La période de retraite avait commencé en 1855 pour le glacier supérieur, et s' est terminée en 1880; durée 25 ans.
Pour le glacier inférieur la période de retraite a commencé en 1855 ( Ch. Grad ), ou en 1860 ( Fritz ); elle s' est terminée vers 1882; durée 27 ans ( ou 22 ans ).
III. BASSIN DE LA REUSS.
Vallée de Maderan. M. Krayer-Ramsperger de Bâle a utilisé cette année les repères établis par lui en 1882. Voici les résultats de ses mensurations: Glacier de Hufì.
Rive droite, raccourcissement 32.o m. „ gauche,21.5 „ Hauteur de la voûte du torrent 6 „ M. Krayer a pu comparer la position actuelle du placier avec ce qu' elle était en 1871 alors que M. A. Heim a établi ses repères; il évalue le raccourcissement de 1871 à 1882 à plus d' un kilomètre, soit à 90 m par an en moyenne.
Glacier de Brunni.
Rive gauche, raccourcissement.... 9.5 m. Rive droite, repère enfoui sous la neige. Hauteur de la voûte du torrent... 2.5 „ IV. BASSIN DU EHIN.
Dans l' important mémoireque M. F. de Salis a. publié l' année dernière sur les glaciers des Grisons,, il y a une foule de notes précieuses pour l' histoire variations des glaciers. J' y renvoie le lecteur, en me bornant à en extraire quelques dates intéressantes-pour nos recherches.
D' après ces notes tous les glaciers des Grisons-sont actuellement en raccourcissement; la diminution est générale depuis une vingtaine d' années; elle a été plus forte et plus rapide dans les dix dernières années.
Vorderrheinthal. Le glacier de Segnassura au-dessus de Flims a eu son maximum vers 1840; depuis lors il est en diminution ( M. Brun de Flims)-En 1881 le raccourcissement a été évalué: Glacier de Medel6 m en une année, „ du Ganneretsch 5de Maigel4Glaciers du Val S*-Pierre 2Glacier de Lavazinappréciable.
Rheinwald. D' après des repères de M. Coaz retrouvés par M. de Salis, le glacier de Paradis a reculé de 10 m entre les années 1868 à 1872.
Vallée de Bergün. Le glacier d' Aela a reculé de 12 m de 1878 à 1861 ( M. Gregor de Bergün ).
V. BASSIN DE L' INN.
Engadine.x ) Le Morteratsch est en diminution rapide; de 1878 à 1881, d' après les repères de M. R. v. Albertini de Samaden, il s' est raccourci de 41 m; il a de même notablement perdu en épaisseur. Le Rosegg observé par M. J. Saratz de Pontresina depuis 1855; en 1881 il y avait raccourcissement de 318 m, soit en 26 ans une retraite moyenne de 12 m par an.
Schwarzensteingrund dans le groupe des Hohe Tauern. Les trois grands glaciers de cette vallée, affluent du Zillerthal, ont été l' objet de mensurations exécutées en 1865 par Sonklar, en 1871 par les ingénieurs chargés du lever de la carte locale, en 1882 par MM. Rehm et Diener de Vienne.2 ) Ces mensurations donnent l' altitude de l' extrémité terminale des glaciers.
186518711882 mmm Waxeggkees1895 1920 1893 Hornkees1916 1970 1941 Schwarzensteinkees 1959 2100 2081 D' après les auteurs du dernier relèvement, ces trois glaciers auraient été en raccourcissement de 1865 à 1871 et les trois en allongement de 1871 à 1882. Mais cette affirmation est contestée par leDr W.Bier-mann 3 ) de Berlin, qui, tout au moins pour le Schwarzen- steinkees, donne des preuves assez plausibles de l' in de la conclusion des auteurs viennois.
Des mensurations exactes, exécutées par le Dr C. Die-ner1 ), lui ont montré que de septembre 1882 à juillet 1883 le Schwarzensteinkees s' est reculé de l1i2 m, de 2 m et de 3 m suivant les points de son extrémité frontale. Ce glacier est donc encore en état de raccourcissement; mais d' après M. Diener on constate un épaississement notable des névés des trois glaciers de la vallée.
Pinzgau. Obersulzbach. M. le prof. E. Richter de Salzbourg, président du Club alpin allemand et autrichien, a publié l' année dernière un beau travail sur ce glacier 2 ); j' en extrais les dates suivantes:
Le glacier d' Obersulzbach avait atteint sa longueur maximale en 1850; depuis lors il est en diminution continue. La carte levée en 1880 et 1882 et figurant en même temps les moraines de 1850, donne les variations s' étendant sur une période de 32 ans.
De 1850 à 1880 le glacier s' est raccourci de 430 m, soit de 14.3 m par an; de 1880 à 1882 le raccourcissement a été plus rapide et s' est élevé à 33.1 m par an.
Le raccourcissement total de 500 m représente le 9 pour cent de la longueur totale du glacier, qui est de 5800 m.
La surface mise à nu par la retraite du glacier a été, de 1850 à 1882, de plus de 50 hectares.
Quant à la diminution de volume dans la même période elle est évaluée par Richter de 60 à 70 millions de m3.
VI. BASSIN DE LA DR AVE.
Tauernthal. Glacier de Schlafen. M. le prof. Fr. Simony de Vienne donne une intéressante étude x ) sur ce glacier, un des plus beaux du groupe du Grand Venediger. J' en tire les dates suivantes:
En 1857 ce glacier avait commencé depuis quelques années déjà sa période de retraite; son front était à quelques mètres de la moraine frontale récente, et les moraines latérales dominaient de beaucoup la hauteur de la glace. Une moraine frontale plus ancienne indiquait une période d' allongement antérieure plus importante que celle qui s' est terminée vers 1850-1855. Cette ancienne moraine datait probablement du commencement du siècle, à en juger d' après l' état de la végétation.
Depuis 1857 le glacier s' est énormément retiré; sa longueur a diminué de plus d' un kilomètre, et sa langue terminale, qui il y a 25 ans descendait jusqu' à l' altitude de 1730™, s' est retirée aujourd'hui au-dessus de la ligne de 2000 m d' altitude.
Deux croquis, dessinés l' un en 1857, l' autre en 1883, montrent d' une manière frappante la différence-de dimensions et d' aspect de ce glacier à 26 ans d' intervalle; ils font ressortir l' état lamentable d' amai dans lequel il est aujourd'hui, Molsthal. Le glacier de Pasterzen est étudié par M. F. Seeland, de Klagenfurt. x ) Le glacier vient battre une paroi de rocher, et ses variations s' appré par des différences de hauteur. Ces variations ont été en moyenne, dans le sens de la diminution i de 1879 à 18808.om „ 1880 „ 18816.41881 à 18827.6 „ De 1856, époque du dernier maximum, jusqu' à 1883 le glacier a perdu, d' après l' évaluation de Seeland, 328 millions de m8, soit environ 12 millions de m8 par an, ce qui est énorme. Comme termes de comparaison je rappellerai que Gösset a évalué à 175 millions de m8 la diminution du glacier de Rhône de 1856 à 1880, et que Richter a estimé cette diminution pour le glacier d' Obersulzbach, de 1850 à 1882r à 60 ou 70 millions de m8. Cela donnerait pour la diminution annuelle:
Glacier de Pasterzen ( Seeland ) 12 millions de ms „ du Rhône ( Gösset7d' Obersulzbach ( Richter ) 2D' après les anciennes moraines du glacier de Pasterzen, l' ablation totale dans les 27 années s' éva suivant Seeland à:
1er profil 2e „ 3 Moyenne Ablation totale.
annuelle.
m m 90 3.5 70 2.7 56 2.1 28 l.i 46 " Le quatrième profil est à 4 kilomètres de l' ex irémité terminale du glacier.
VIL BASSIN DU TAGLIAMENTO.
Le glacier de Canino est actuellement en re-traite. x ) De 1880 à 1881 il y a eu raccourcissement de 10 m et abaissement de 1 m environ.
De 1860 à 1882 le front du glacier s' est retiré en arrière d' une longueur assez grande pour donner une différence d' altitude de 150 m environ.
VIII. BASSIN DU PO.
Vallée de la Mera.2 ) Le glacier de Forno est observé par M. J. Caviezel de Sils depuis 1857. De 1857 à 1882 il y a eu raccourcissement de 140 m, soit 5.6 m par an.
Le glacier d' Albigna a reculé de 150 m en vingt ans, mettant à nu une surface de 71/a hectares.
Vallée de l' Adda. Le glacier du Mont Cristallo s' est allongé en 1883 de 30 m ( C. Gobbi de Stelvio).3 ) F.A. Forel.
En résumé nous avons d' après les notes précédentes à ajouter quelques noms à la liste des glaciers des Alpes qui sont en état d' allongement, à savoir:
1° Le glacier de Fee dans la vallée de Saas ( V. Morax ).
2° Le glacier d' Orny dans le val Ferret ( A. Barbey ).
3° Le glacier des Fondsdans la vallée du Trient ( A. Wagnon ).
4° Les glaciers de Girose, Lombard et la Meije dans le massif du Pelvoux ( P. Guillemin ).
5° Le glacier de Grindelwald inférieur ( G. Strasser ).
6° Le glacier du Monte Cristallo au passage du Stelvio ( C. Gobbi ).
Cela étant, nous aurions actuellement en état d' allongement les glaciers suivants. Je mets un? après le nom des cas qui me semblent encore douteux, et qui demanderaient une vérification ultérieure^ Groupe du Pelvoux:
Girose Romanche Rhône 1881 P. Guilleni Lombard !!
n La Meijen Groupe du Montblanc:
Bossons Arve Rhône 1875 V. Payot.
Brenva Doire Po 1878 Marengo.
Trient Trient Rhône 1879 J. Guex.
TourArve n 1861 Payot.
Orny Dranse n A. Barbey.
Groupe de la Dent du Midi: Les FondsTrient Rhône? A. Wagnon.
Groupe, du Mont-Colon:
Zigiorenove Borgne Rhône 1879 Anzevuy. GiétrozDranse1880 Troillet.
Groupe du Weisshorn: SchalihornViègeRhône 1878 R. de Riedmatten.
Groupe du Dòme: FeeViègeRhône 1880 V. Morax.
Groupe du Finsteraarhorn:
Grindelwald sup. Lütschine Aar 1880 G. Strasser. Grindelwald inf.1882Groupe de l' Ortler: Monte Cristallo AddaPo 1882C. Gobbi.
En faisant entrer en compte les cas douteux, les glaciers actuellement en état d' allongement se répartissent comme suit dans les groupes de montagnes: Groupe du Montblanc5 glaciers.
„ du Pelvoux3de la Dent du Midi 1 glacier. „ du Mont-Colon2 glaciers.
„ du Weisshorn1 glacier.
„ du Dôme1du Finsteraarhorn2 glaciers.
„ de l' Ortler1 glacier.
De ces 16 glaciers en avancement 12 appartiennent au bassin du Rhône, 2Po, 2de l' Aar.
XIII. Variation des glaciers étrangers à la chaîne des Alpes.
Nous avons posé une grande question: La période de diminution que nous avons observée dernièrement dans les Alpes, et que nous avons constatée dans tous les massifs et dans toutes les vallées de cette chaîne de montagnes, cette période qui est en train de prendre fin, est-elle un fait local, est-elle un fait général? Cette période de retraite est-elle propre aux glaciers des Alpes, ou bien a-t-elle été observée simultanément dans d' autres chaînes de montagnes?
Pour récolter les matériaux nécessaires à la réponse, je continuerai à donner ici, comme je l' ai fait dans les rapports précédents, ce que j' ai pu collecter de renseignements sur les glaciers des autres montagnes du globe. Peut-être aurons-nous un jour assez de faits pour tenter une généralisation. Nous sommes encore loin d' en être là.
XIV. Glaciers des Pyrénées.
M. A. Degrange-Touzin de Bordeaux a publié l' année dernière une note l ) sur le retrait des glaciers Pyrénées, dont j' extrais les faits importants.
La diminution des glaciers a été générale dans les Pyrénées; elle a été constatée par chacun. Cette impression d' ensemble est confirmée par l' étude détaillée de deux groupes de montagnes.
1° Monts maudits. Glacier de la Maladetta. De 1873 à 1875 M. Trutat de Toulouse a constaté par des mensurations précises un raccourcissement de 50™.
L' altitude de l' extrémité inférieure du glacier avait été mesurée en 1809 par J. de Charpentier, elle était alors de 2286 m. En 1876 M. Trutat a trouvé pour cette altitude le chiffre de 2550, différence verticale de 264 m indiquant un raccourcissement énorme.
D' après les appréciations d' un guide le glacier descendrait actuellement 200 m moins bas qu' il y a une vingtaine d' années.
Le glacier du Néthou a subi aussi une réduction considérable qu' on peut évaluer à 200 m dans le sens vertical; sa diminution d' épaisseur serait de 8 à 10 m, à en juger par les moraines.
D' autres observations trop longues à résumer ici, l' auteur conclut à un état de diminution général et considérable des glaciers du groupe des Monts-maudits.
2° Haute région d' Oo. La réduction des glaciers y est encore plus sensible. 11 y avait autrefois une couronne continue de glaciers: Gours blancs, Seil de la Vache, Portillon d' Oo, Litayrolles, Crabioules, formaient une ceinture non interrompue de glaciers se touchant tous latéralement sur une largeur de 12 kilomètres. Aujourd'hui les cols neigeux sont dépourvus de neiges; les glaciers au fond des cirques ont mieux résisté, mais les hauts-névés qui les reliaient ayant disparu, ils ne forment plus un champ glacé continu; ils sont isolés, séparés par d' affreuses rocailles. L' auteur a étudié deux de ces glaciers, Litayrolles et Portillon d' Oo, et il a constaté une diminution étonnante des glaces; les anciennes descriptions, même des récits relativements récents, ne répondent plus du tout à l' état actuel des lieux.
21 Il y a de même des preuves nombreuses dans d' autres massifs, dans la région de Gavarnie, dans celle du Vignemale, de la disparition totale de névés ou de glaciers, et de la réduction considérable de ceux qui ont résisté.
Malheureusement l' auteur ne peut indiquer aucune date pour préciser le début de cette période de réduction. Espérons que, aujourd'hui que l' attention est éveillée sur ces faits, nos collègues du C.A.F. prendront les mesures nécessaires pour donner avec précision le moment où les glaciers Pyrénéens, aujourd'hui si réduits, commenceront de nouveau à s' allonger et à revenir à leurs dimensions anciennes.
XV. Glaciers des Alpes Scandinaves.
Je dois à l' obligeance de M. Ch. Rabot de Paris les notes suivantes extraites des travaux de M. C. de Seue de Christiania 1 ), datant de 1870.
Fjoerlandsfjord. Le glacier de Boium aurait diminué de 600 m dans les 150 dernières annéesEn 1869, et peut-être déjà en 1868, le glacier commençait à s' allonger.
Le glacier Suphelle était en 1869 en voie d' al rapide; il s' est surtout remarquablement étendu en largeur.
Sognedalsfjord. Le glacier à' Auster dal était en progression depuis quelques années, en 1869.
. ' ) G. de Seue. Le névé de Justedal et ses glaciers. Christiania 1870.
Jostedal. Le glacier de Tunsbergdal était depuis quelque temps en retraite.
Le glacier de Björnesteg était en progression, tandis que les autres glaciers du même vallon étaient en retraite.
Le glacier du Nigar était en allongement depuis 1868.
Les glaciers de Lodai et de StegehoU semblaient en 1869 être en voie de progression.
Quant au glacier de Jostedal il était en allongement rapide, tellement qu' en quelques jours Seue a observé à l' extrémité terminale un avancement d' un mètre environ.
Glacier de Gredung en progression.
Vallée d' Olden. L' un des trois glaciers de cette vallée s' est développé en glacier de 1er ordre il y a 150 ans environ; il s' est allongé fort rapidement en ravageant une vaste étendue de champs cultivés.
Les trois glaciers ont eu dernièrement une période de retraite prolongée; en 1869 ils semblaient s' être remis en voie d' allongement.
— M. Rabot m' écrivait de Tromsö, Norwège, en date du 6 août 1883:
„ Dans le massif des Oxlinder, à la frontière de Suède et de Norwège, par 66 ° lat. nord, le glacier de 1er ordre est en allongement depuis 5 ans, d' après les Lapons.
„ Le Swartisen qui débouche dans le Holandsfjord s' allonge; la portion supérieure diminue d' épaisseur, d' après les montagnards „ Dans le massif du Kabnekaisse ( point culminant de la Laponie 67° 75' lat nord, altitude 2160 m, montagne découverte récemment et gravie par M. Eabot le 21 août 1883 ), un glacier semble en progression; on n' y voit aucune moraine frontale.
„ D' autre part les chaleurs extraordinaires de l' été ont fait diminuer considérablement d' autres glaciers, ou plutôt des névés en flaques de neiges, car la plupart des vrais glaciers alpins sont en allongement.Dans une nouvelle lettre en date du 20 janvier 1884, M. Rabot résume son opinion sur les glaciers de la Laponie: „ Jusqu' à 3 ou 4 ans en arrière ils étaient en général en voie de retraite; depuis cette époque un bon noinbre d' entre eux se sont mis en allongement. "
XVI. Glaciers du Groenland.Le glacier de Jacobshavn a été visité en 1850 par Rink, en 1875 par Heiland, en 1879 par Hammer. De 1850 à 1879 il s' est raccourci de 6590 m. De l' automne 1879 à mars 1880 son front s' est avancé de 940 m. De 1880 à 1883 le glacier s' est raccourci de 1900 m; en 1883 il est de 7500 m plus court qu' en 1851. C' est là une variation extrêmement rapide dépassant en importance tout ce que nous connaisH. RinJc. Die neuen dänischen Unterà, im Grönland. Petermanns Mitth. XXIX, 128, Gotha 1883, et XXX, 41, Gotha 1884.
Ch. Rabot. Les récentes explorations danoises au Groenland. Rev. se. III, 769. Paris 1883.
Heiland. Quart, journ. geol. soc. XXXIII, 142. Lond. 1877.
sions dans les Alpes. C' est du reste ce glacier qui a offert la vitesse d' écoulement la plus étonnante qu' on ait jamais mesurée. Dans l' été de 1875 Heiland l' a évaluée à 20m par jour; dans l' hiver de 1879 à 1880 Hammer est arrivé à 15 m par jour. Cela représente 60 à 85om par heure.
En 1878 le glacier de Alangordlia s' allongeait.
En 1876 le glacier de Kangerdluarsak s' allon aussi, mais depuis peu seulement; au printemps suivant il était en retraite.
En 1878 le glacier de Frederikshaab était stationnaire avec quelques indices de recul.
En comparant ses mesures de 1875 avec celles de Rink en 1850, Heiland a trouvé les variations suivantes:
Assasak raccourcissement 250m.
Umiatorfìk allongement 50 m.
Sorkak allongement plusieurs centaines de mètres.