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Le regard de Mendelssohn

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Mendelssohn

Edmond Pidoux, Belmont-sur-Lausanne

Le paysage est une littérature non écrite. ( Hippolyte Taine: Voyage aux Pyrénées ) 107 Nous possédons tous, ou peu s' en faut, le même appareil optique, nos deux yeux, mis à la disposition de notre cerveau. Placés au même point de vue, nous recevons les mêmes images. Mais c' est dans leur interprétation -leur lecture - qu' apparaissent les différences dues... à l' imagination de chacun. C' est elle qui fait, de la vue, notre regard.

Pascal voit en elle une « maîtresse d' erreur et de fausseté », mais il la reconnaît « seule capable de mettre le prix aux choses ». Baudelaire l' appelle la « reine du vrai. Mystérieuse faculté, écrit-il, que cette reine des facultés. Elle touche à toutes les autres, elles les envoie au combat... » Il faut reconnaître, hélas! que chez trop de gens elle reste en panne, à la remorque. Flaubert le déplore: « Nous sommes habitués à ne nous servir de nos yeux qu' avec le souvenir de ce qu' on a pensé avant nous sur ce que nous contemplons ». Un proverbe ghanéen le dit à sa manière: « Un étranger ne voit que ce qu' il connaît ».

C' est en étranger pourtant qu' arrivait dans les Alpes Félix Mendelssohn, I' imaginatif dont nous voulons suivre le regard.

Un premier voyage en famille lui avait révélé la montagne à treize ans. A vingt-deux, il se retrouvait à Chamonix et en Suisse au cours d' un voyage de deux ans que sa famille lui avait offert à travers l' Europe pour parfaire son ouverture au monde. Il était déjà un musicien célèbre, mais d' abord un surdoué formé par les meilleurs professeurs de langues, anciennes et modernes, de musique, de peinture et de dessin, de sport, equitation et natation. Fort de sa renommée, de l' aisance et des relations familiales, il entreprend son voyage, le bagage plein de partitions, de compositions en cours ou achevées, s' arrêtant ici ou là pour travailler, donner concert, visiter les orgues, sa passion. Comme il le note dans un « trou comme Sargans »... « il n' est heureusement dans ce pays aucune localité, tant petite soit-elle, où l'on ne trouve un orgue ».

Mais surtout il regarde, il regarde... et il marche. Et quasi quotidiennement écrit aux siens des lettres que nous font connaître en français les éditions Stock-musique sous le titre VOYAGE DE JEUNESSE, Lettres européennes ( 1830-1832 ). En cours de route encore, il remplit son album de dessins et de croquis, confirmant ce que révèlent ses lettres: un regard d' une merveilleuse intelligence.

Mais pour le plaisir, rappelons les promesses de sa toute jeune carrière. A douze ans, il improvise au piano et à l' orgue, le tout Berlin se presse aux concerts familiaux. A seize ans, son Octuor pour cordes, sa vingtième œuvre, connaît un succès retentissant. A dix-sept, l' ouverture du Songe d' une nuit d' été le place encore plus haut. A vingt, c' est lui qui sort de l' oubli J.S. Bach et fait exécuter sa Passion selon saint Matthieu. En concert, à Londres, il connaît de nouveaux triomphes...

Tel est le garçon heureux et favorisé qui retrouve la montagne en 1831 et la reverra une dernière fois en 1842, cinq ans avant sa mort, à trente-huit ans.

Ils meurent jeunes, ceux qui sont aimés des dieux...

Tempérament généreux, caractère rayonnant, d' un optimisme toujours rebondissant mais lucide, il sait reconnaître ce qu' il doit. Ainsi lorsque, le 31 août 1831, il écrit de Schwytz à ses parents:

« J' ai constaté, hier et aujourd'hui, avec un sentiment de vive reconnaissance, dans quelles favorables conditions j' ai vu pour la première fois ce pays ', et combien cela a contribué à m' ouvrir l' esprit et à rendre mes jouissances plus vives d' avoir été témoin jadis de l' admiration enthousiaste qui vous faisait tout oublier devant ces merveilles ».

Devant cette attitude des parents, plus d' un jeune réagirait en s' opposant. « Otez ces montagnes, qu' on voie la mer! » On connaît ce cri rageur mis à la mode. Sincère bien souvent. Mais il faut croire que dans la famille Mendelssohn l' authenticité du sentiment savait s' exprimer et se communiquer. Car leur fils, aussi bien que ses deux sœurs, auxquelles nombre de ses lettres s' adressent, ne manquait pas d' esprit critique. Mais l' enthou 1 Neuf ans plus tôt.

siasme l' emporte toujours. Quelqu'un a-t-il voulu le rabattre, il s' interroge et conclut:

« On avait voulu me persuader que mon imagination s' était exagéré les proportions des montagnes; mais hier, au moment du coucher du soleil, me promenant de long en large devant la maison, j' essayai, à chaque fois que je tournais le dos aux montagnes, de m' en représenter les masses aussi vivement que possible, et chaque fois, en me retournant, je les trouvais en réalité plus grandes que je ne me les étais figurées » ( de Chamonix, fin juillet 1831 ).

Qui n' en a fait autant, à Zermatt par exemple, pour mieux voir, pour mieux « croire » le Cervin?

« Nathanaël, ne rebois jamais les eaux du passé! » Comme s' il connaissait le conseil d' André Gide, le jeune Mendelssohn craint, en revenant à la montagne qu' il a découverte à treize ans, de voir ce monde enchanté perdre son premier charme. Il n' en est rien:

« Je m' imaginais que les glaciers ne pouvaient faire une si grande impression que la première fois, à cause de la surprise qu' on éprouve lorsqu' on n' en a pas encore vu. Mais je m' aperçois que cette impression est presque encore plus grande à la fin qu' au début ».

C' est ce qu' il écrit au sommet du Righi, le 30 août 1832. En l' occurrence, il s' agit des glaciers qu' il revoit à distance panoramique après les avoir découverts de près, et il analyse l' effet du recul:

« Lorsqu' on vient ainsi des montagnes et qu' on regarde du haut du Righi, cela me fait le même effet que si, à la fin d' un opéra, l'on entendait exécuter de nouveau l' ouverture et d' autres morceaux: tous les endroits se représentent encore une fois l' un à côté de l' autre, et l'on peut leur faire ses adieux ».

Vue proche: analyse.Vue lointaine, synthèse. C' est à notre regard d' aller de l' une à l' autre dans un mouvement qui donne relief et profondeur au paysage.

Le spectacle des glaciers en chutes de séracs l' a fasciné:

« Je me prends d' un amour tout particulier pour les glaciers. Vous n' avez pas idée de la manière dont tout cela est jeté pêle-mêle. Ici c' est une série de pics, là une masse d' énormes tuyaux ( il y voit naturellement des orgues ). Au-dessus, des tours et des murs, et dans les intervalles, des cavités et des crevasses sans nombre, le tout en cette glace admirablement pure qui ne supporte aucun mé- lange de terre, et rejette immédiatement à la surface les pierres, le sable et le gravier qui tombent des montagnes. Ajoutez à cela la magnifique couleur que prennent les glaciers quand le soleil les éclaire, leur marche inquiétante vers la vallée, leur grondement pareil à celui du tonnerre, leurs craquements terribles, le bruit de toutes les sources qu' ils renferment ou qui les entourent, bref, ce sont de splendides merveilles ».

Je le veux bien, il y a là un peu de grandiloquence et une explication naïvement animiste de la pureté de la glace refusant la souillure ( un peu son âme à lui !). Mais je note aussi une curiosité attentive qu' il ne serait pas péjoratif de qualifier d' enfantine. Ah! qui nous rendra cet âge du ravissement?

Le voici après un temps abominable dans la vallée de Lauterbrunnen que des trombes d' eau ont ravagée, comme il le verra ailleurs encore en Suisse ( c' est un été de désastres, comme celui de 1987 ). Le charme des lieux n' en opère pas moins:

« La beauté de la vallée m' a produit malgré tout cela une impression plus grande que je ne puis vous dire. Le « Moine noir » ( Schwarzmönch ), avec toutes les montagnes neigeuses qu' on aperçoit derrière, devient de plus en plus colossal et imposant; de tous côtés, de brillantes cascades de poussière d' eau tombent dans la vallée; on se rapproche sans cesse, à travers les forêts de sapins, les chênes et les érables, des montagnes neigeuses et des glaciers qui forment le fond du paysage; les prairies humides sont couvertes d' une prodigieuse quantité de fleurs (... ). Sur le côté, la Lütschine roule des blocs de rocher les uns sur les autres (... ); ajoutez à cela les maisons brunes en bois sculpté, les haies si fraîches qui les entourentc' est l' idéal du beau! J' ai aussi essayé de dessiner le « Moine », mais que voulez-vous que l'on fasse avec un petit crayon de mine de plomb? Hegel dit bien, il est vrai, que toute pensée humaine est plus sublime que la nature entière, mais ici je trouve cette prétention peu modeste. Pour ma part je m' en tiendrai à la nature entière: on risque moins de s' égarer en la prenant pour guide ».

Va-t-on parler d' un romantisme facile, d' une idylle alpestre un peu fade? Mais voyez le choix du motif: le Schwarzmönch, ce colossal bastion de rocher gris pareil au torse convulsé d' un géant. Il fallait un fameux sens architectural et un « sauvage amour » de la roche nue pour s' exalter là où d' autres crie-raient à l' écrasement.

Même sens de la beauté minérale et structurelle en passant à Grindelwald par la Petite Scheidegg, puis à Meiringen par la Grande:

« Cela me faisait mal au cœur de m' éloigner de la Jungfrau ». C' était pour monter à l' hôtel du Faulhorn, bâti depuis un an au sommet de la montagne, à 2683 mètres - celui qui nous héberge encore plus de cent cinquante ans après. De là, il écrit, le 15août:

« Oh! que j' ai froid! Il neige dehors à gros flocons, le vent souffle en tempête, c' est un vrai ouragan. Nous sommes à plus de huit mille pieds; il nous a fallu pour y arriver marcher longtemps sur la neige, et maintenant me voici cloué là! On ne peut absolument rien voir... Quand je pense comme il faisait beau hier! » Ce n' est plus l' idylle, mais la sévérité de la nature ne lui parle pas moins. Il a repris sa route de marcheur solitaire et, par le Grimsel, passera du Faulhorn à Hospental à travers neige, pluie et brouillard. Deux jours où il n' a guère contemplé que « les coins usés de « son » parapluie ». D' Hospental, il écrit:

« J' ai traversé ces jours-ci les plus beaux sites et je n' ai absolument rien vu, dans le ciel, entre ciel et terre, et sur la terre, que des brouillards gris et de l' eau. Le Finsteraarhorn s' est laissé entrevoir un instant aujourd'hui, mais il avait un air sinistre. Et cependant, lorsqu' il y avait une heure sans pluie, c' était superbe. Un voyage à pied à travers ce pays est vraiment, même par le temps le moins favorable, la chose la plus délicieuse qu' on puisse imaginer; lorsqu' il fait beau, on doit suffoquer de plaisir. Aussi n' osé pas trop me plaindre du mauvais temps, car il vous laisse encore une masse de jouissances. Seulement, les jours précédents, j' ai éprouvé le supplice de Tantale; sur la Scheidegg, on apercevait de temps à autre le commencement du Wetterhorn, et ce commencement seul était déjà d' une grandeur, d' une beauté sublime; mais je n' ai pu voir que le pied ».

Quel tempérament! Quelle imagination! Car si vous êtes allé à la Grande Scheidegg par un jour de pluie, avec le brouillard coupant à deux ou trois cents mètres au-dessus du col les parois noires d' humidité, parions que vous n' aurez su dire que: « Fichu temps, fichue montagne! » Et vous aurez tourné le dos.

Il faut le dire enfin: le plaisir du jeune Mendelssohn, dans ce qu' il a de plus intime et personnel, est architectural et musical. Du détail, qu' il voit si bien, il va spontanément à l' en; de l' accidentel à l' essentiel. Et l' es de la montagne, c' est sa structure, le développement vertical et l' enchaînement horizontal. Ce qui lie sans discontinuité les parties et réside en puissance dans chacune d' elles. Il en a eu le sentiment raisonné en retrouvant la Jungfrau de son enfance, mais dans un regard moins subjectif. Il écrit, le 14 août, en arrivant à Grindelwald après la journée glorieuse que devait suivre le lendemain la tourmente neigeuse du Faulhorn:

« D' après le souvenir qui m' en était resté, je me représentais les montagnes comme de grandes dents; j' avais été en ce temps-là trop frappé de leur hauteur. Aujourd'hui, ce qui m' a le plus impressionné, c' est la largeur énorme, le développement prodigieux de ces épaisses masses, toutes ces tours colossales qui se succèdent, se tiennent et semblent se donner la main. Imaginez-vous avec cela tous les glaciers, les champs de neige, les pics resplendissant aux rayons du soleil, et sur d' autres chaînes, des sommets lointains qui leur font vis-à-vis et semblent les regarder; cela doit, j' imagine, ressembler aux pensées de Dieu ».

... A celles d' un musicien, en tout cas: harmonie et symphonie, ensemble concertant du monde, tel que notre esprit peut le percevoir.

Mendelssohn avait développé un réel talent de dessinateur. Ses croquis de montagne frappent par une justesse du trait rarissime à l' époque dans la représentation du monde de la troisième dimension. Il nous suffirait pour preuve d' avoir sous les yeux celui qu' il fit des Aiguilles de Chamonix, vues de ce village, le 14 août 1842, lors de son troisième et dernier voyage dans les Alpes. Le regard qu' il pose sur elles est celui d' un alpiniste rochassier -ce qu' il n' a jamais été que par l' imagination contemplative.Voyez comment il capte, parfaitement individualisée, la physionomie de chaque aiguille. On croirait qu' il en fait le même choix amoureux que nous, grimpeurs, quand nous caressons en rêve les promesses d' une montagne qui s' offre à nous en représentation ou dans sa réalité. Son dessin va dans l' intimité de ces formes lointaines et mystérieuses. Il se projette en elles, il se les approprie et nous les donne.

Voyez encore comment, d' un seul trait sans repentir de son « petit crayon de mine de plomb », il trace le panorama du Faulhorn. Chaque visage de montagne est présent, sa personnalité dégagée. Mais notez encore le soin qu' il met à en connaître les noms, comme Adam - selon la Genèse - invité par le Créateur à nommer les animaux défilant devant lui. A en prendre possession par la parole, par laquelle nous sommes créateurs-délégués.

Mais ce qui nous séduit le plus à la lecture des lettres de Mendelssohn, c' est qu' elles nous font vivre avec un homme curieux des autres et porté vers eux par la sympathie. Un homme de contact ouvert à toute rencontre. L' hospitalité montagnarde, rarement démentie, le ravit. A Engelberg ( 23 août ), « L' hôte est un vieillard à cheveux blancs; la maison construite en bois est toute seule sur une prairie, un peu à l' écart de la route, et les gens ont des manières si cordiales et en même temps si simples qu' on se croirait chez soi ».

Nouvelle idylle à Trogen ( 4 septembre ) chez le « messager » qui doit lui remettre son bagage: « Je le trouvai chez lui dans une maison de bois nouvellement construite, d' une propreté admirable, le véritable idéal d' un intérieur suisse. Il était assis devant la table avec toute sa famille; une douce chaleur se répandait dans la chambre et partout régnait un ordre parfait. Le vieux messager se leva, vint au-devant de moi, me tendit la main et me força à m' asseoir. Une délicieuse petite fille à chevelure blonde faisait un travail d' aiguille, la vieille mère lisait dans un gros livre, le messager lui-même lisait les derniers journaux; c' était un tableau superbe ».

Amoureux comme il l' est de la Suisse, on comprend que la froideur dédaigneuse de certains touristes à la mode l' exaspère. « Quand je vois des gens qui traversent la Suisse en courant, en n' y trouvant rien de plus remarquable qu' ailleurs, si ce n' est qu' ils n' y ont pas toujours toutes leurs aises; quand je les vois, sans être le moins du monde émus ou ébranlés, regarder froidement les montagnes d' un air stupide, il me prend parfois envie de les bétonner ». Ainsi d' un couple anglais qui « semble être de bois », voyage en aveugle et grogne contre tout. « Tout ce qui les entoure leur paraît commun, parce que tout est commun en eux. Un autre aurait remercié Dieu de pouvoir contempler toutes ces belles choses. Je veux être cet autre! » L' indifférence peut habiter même chez un poète. L' heureux Félix ( nom prédestiné !) le déplore dans une lettre où il se demande, après sa visite enthousiaste au Schmadrital: « Comment se fait-il que la Suisse n' ait inspiré à Goethe ( grand ami de sa famille ) que quelques poèmes faibles et des lettres plus faibles encore? » Voilà ce qu' on ne dira pas de celles du musicien, qui s' émerveille même quand le ciel est bouché. Car, dit-il, « lorsqu' on voit peu en Suisse, on voit encore plus que dans les autres pays ».

Panorama du Faulhorn. Dessin de Félix Mendelssohn 23 août 1842. « Souvenirs d' un voyage en Suisse » Album de 1842. Editions Bartholdy, Bâle 1966.

L' ouverture et la pénétration de son regard, c' est générosité de tempérament, de son coeur, mais aussi de toute sa personne physi-que.Voyageant le plus souvent à pied dans les montagnes, il se dépense sans compter dans des étapes aussi rudes qu' une journée de Martigny à Chamonix par les cols de la Forclaz et de Balme, ou que les deux journées du Faulhorn à Hospental par un temps abominable. Son approche de la montagne est une preuve de plus qu' on ne voit réellement ce monde de la troisième dimension que dans le mouvement. Il exige qu' on se déplace, plus près, plus loin; plus haut, plus bas; qu' on y tourne et retourne avec les heures et les jours, les jeux de la lumière, les humeurs du temps. Et sur ce point, notre voyageur n' a pas été gâté, tant l' année fut de catastrophes: inondations, éboulements, ruines et victimes, avec la neige en plaine à fin août, sur les prés et les vergers couverts de boue. Mais c' était pour Mendelssohn comme un défi à relever, comme il le dit dans une lettre écrite le soir du 5 septembre, à Lindau:

« Quand je me mis en route, le temps semblait vouloir me dire: Ah! tu veux me braver? Eh bien! nous allons voir qui sera le plus fort. En effet, la tourmente redoubla de fureur. On eût dit par moments qu' une main vigoureuse empoignait mon parapluie, le secouait, le tordait; mes doigts engourdis pouvaient à peine le retenir; le chemin était glissant comme du savon, à tel point que mon guide ( un jeune garçon, fils du « messager » de Trogen ) tomba devant moi de tout son long dans la bouemais malgré cela, nous allions toujours, pestant et chantant de tout notre cœur ».

Et il s' interroge, étonné: « C' est une chose singulière: quand je suis obligé d' aller à pied par un tel temps et d' en souffrir de dures, cela ne me met pas de mauvaise humeur; au contraire, je me réjouis toujours de ce que ces sortes d' inconvénients ne puissent rien sur moi. Vous ne pouvez imaginer quel étonnant sentiment d' indépendance on éprouve lorsque par un temps pareil et par de pareils chemins on traverse une forêt. Tout au long de la route je criais et chantais des tyroliennes ».

Beau tempérament de sportif - et un optimisme à tous crins qui entraîne la sympathie amusée du lecteur.

Mais si le lecteur est vaudois, il ne sait s' il doit être fier ou confus en découvrant le dithy-rambe que les bords du Léman et leurs habitants inspirent au compositeur du Songe d' une nuit d' été:

« De tous les pays que je connais, c' est le plus beau, et celui où j' aimerais le mieux vivre si je devenais bien vieux. Les gens y sont si contents, ils ont l' air si heureux et le pays aussi! On se sent souvent ému jusqu' aux larmes en voyant que l' honnêteté trouve encore ici un refuge et qu' elle n' a pas entièrement disparu de ce monde; on est heureux de n' y plus rencontrer de mendiants, d' employés bourrus, bref, d' y trouver tout le contraire de ce qu' on voit ailleurs parmi les hommes ».

L' indigence s' en est allée pour de bon, c' est vrai. Mais quoi, de l' air content, du visage heureux, de l' abord affable? Qu' en penserait Mendelssohn aujourd'hui? Ne serions-nous pas quelquefois de ceux que, malgré son optimisme, il aurait « envie de bâtonner »?

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