La forteresse du vide La Petite Dent de Morcles revisitée
Contrairement à sa grande sœur, dont le sommet est accessible aux bons randonneurs, la Petite Dent de Morcles ne se livre qu' aux grimpeurs. Déjà réputée pour son arête nord-ouest et La forteresse du vide, elle s' est enrichie en 2010 de nouvelles voies sur sa face sud-ouest. Petit tour d' horizon.
Durant l' été 2010, quatre nouvelles voies ont été ouvertes sur la face sud-ouest de la Petite Dent de Morcles. Avec humour, certains annoncent déjà qu' en plus des cailloux, il va tomber des spits. Ils n' ont pas tout tort, car le rocher n' inspire pas confiance en quelques endroits, quoiqu' il s' avère de meilleure qualité qu' il en a l' air. Et comme le grimpeur-écrivain Georges Livanos a si bien su le rappeler, « il n' y a pas de mauvais rocher, seulement de mauvais grimpeurs ».
A l' extrémité sud-ouest de la réserve naturelle du vallon de Nant, la Petite Dent de Morcles fait partie du paysage connu qui entoure le haut du Bassin lémanique. Son sommet offre un vaste panorama sur les Alpes, avec l' omniprésent massif du Mont-Blanc, la Savoie, le Jura, sans oublier les impressionnantes perspectives plongeantes sur la vallée du Rhône, située 2500 mètres en contrebas. Un tel à-pic est rare dans les Alpes.
Sommet aux flancs abrupts, la Petite Dent de Morcles nécessite de l' escalade, même pour sa voie normale. Elle est donc peu fréquentée, tandis que la proche Grande Dent de Morcles ( 2968 m ), dotée d' un bon sentier et d' un paysage encore plus vaste, devient vite une « course pour dames ». Peu avant la fin du 19e siècle, la Petite Dent contribue néanmoins à lancer la grimpe dans la région avec la première ascension de l' arête nord-ouest, dite « arête du Roc Champion ».
Les publications de photos, impressionnantes pour l' époque, de cette course en troisième degré homogène, étonnamment abordable pour une telle raideur, vont sensibiliser des pratiquants. Aussi, elle devient rapidement classique. Elle l' est toujours d' ailleurs! Les autres itinéraires qui suivront, six en flanc sud-ouest et deux dans la paroi nord, vierge jusqu' en 1973, connaîtront quant à eux moins de succès.
On assiste en 1979 à l' ouverture de la voie des Enchaînements. Bien qu' elle soit alors la plus belle de la face sud-ouest, toute en libre et sur coinceurs, elle ne sera guère parcourue. Elle annonce toutefois une voie moderne, dont le tracé sera proche: La forteresse du vide. En effet, il semble qu' une veine de rocher soit assez solide pour tenir des spits. Réalisée en 2000, cette ascension sort un peu la Petite Dent de sa léthargie. Depuis, les grimpeurs découvrent dans ce dédale de ruines un étonnant voyage d' étude, d' art et d' effroi. La nature a en effet mis en évidence des couches géologiques laissant apparaître un « Z » monumental que l'on distingue même de la plaine. Cette curiosité, qui intéresse les géologues du monde entier, illustre parfaitement l' histoire géologique des roches lors de la formation de la chaîne alpine. Le géologue et grimpeur Romain Christe nous explique que l' érosion a découpé ce grand pli couché formant la nappe de Morcles, de sorte qu' il ne reste actuellement que son flan renversé. Les falaises sommitales sont taillées dans les calcaires du Crétacé, vieux de 65 à 140 millions d' années. L' alternance de couleur blanche, jaune orangé, rouge et noire reflète les différentes phases de dépôt des couches sédimentaires. Le rocher est ainsi souvent constitué de piles d' assiettes et d' autres blocs douteux, tandis que les pentes et vires sont encombrées de pierres, parfois en mouvement. Pour compléter le décor, des piliers déchiquetés dominent les lieux de manière inquiétante, sans oublier les couloirs remplis de gravats prêts à cracher leur trop-plein. Les risques de chutes de matériaux sont donc évidents. Ils sont encore accrus lorsque plusieurs cordées cheminent en ces lieux, sans parler des chamois et bouquetins qui crapahutent à tout va.
Malgré tout, lorsque le rocher est bon, il l' est vraiment, tout en offrant parfois des formes surprenantes. Ainsi, la zone qui domine la Vire Dessus fait penser à du granit. Les différentes couleurs de la roche – et des mousses – qui se succèdent sont aussi rares que splendides. Des botanistes de renom y ont fait halte, à l' instar d' Albrecht von Haller, illustre scientifique et poète bernois du 18e siècle ( voir Les Alpes 10/2008 ), et des Thomas de Bex!
Aux perspectives d' études s' ajoute un paysage aussi vaste que vertigineux qui devient toujours plus somptueux à mesure que l'on s' élève. Et là-haut, sur ce sommet aérien, mais confortable, à la fois si loin et si proche de tout, règne du bouquetin, de l' aigle et du gypaète, on découvre de nouvelles dimensions.