La cuisine se met au vert Cueillette de plantes sauvages prêtes à déguster
Une pâquerette, quelques violettes, de l’oseille, de l’origan… tous les goûts sont dans la nature et peuvent finir dans notre assiette. Du Jura au Tessin, petit itinéraire botanique et gastronomique pour apprendre à cuisiner sauvage.
Emincer, hacher, tamiser, blanchir avant de rissoler, Véronique et Martine s’activent aux fourneaux pour finir un tzatziki de pimprenelles et un risotto de plantain lancéolé. En cette matinée de juin, les deux comparses préparent un repas aux consonances et aux goûts un peu particuliers… A l’ère du manger sain, bio ou responsable, mettre une touche de sauvage dans son assiette a le vent en poupe. Même les grands chefs comme Anne-Sophie Pic du Beau Rivage à Lausanne quittent leurs fourneaux et partent à la cueillette pour agrémenter leurs plats de plantes collectées dans la nature.
Un garde-manger de proximité
Corgémont, dans le Jura bernois, quelques heures plus tôt. Sous l’œil averti de l’accompagnateur en montagne Noé Thiel, Véronique et Martine arpentent les bords de la Suze et les prairies voisines. Les yeux rivés au sol, le trio collecte les plantes pour composer le menu de leur futur dîner. Un peu de cresson de fontaine pour en faire une excellente salade, des jeunes pousses d’ortie riches en protéines, en fer et pleines de vitamines, des feuilles de plantain lancéolé, des feuilles de sauge des prés à transformer en chips, un peu de thym serpolet, ces plantes s’apprêtent et finissent dans notre assiette. «Ce garde-manger naturel a un avantage: il est juste là, à deux pas de chez soi», s’amuse Martine. Pour peu que l’on sache quoi récolter et éviter les erreurs de casting en remplissant son panier. Heureusement, «il y a très peu de plantes indésirables autour de nous et seulement 10% des végétaux présents en Suisse sont toxiques, fait savoir Noé. Les autres peuvent être consommés.»
Les propriétés gustatives de certaines laissent toutefois à désirer. Comme le fruit de l’aubépine: si son goût fade n’apporte pas grand-chose à un plat, son côté farineux a permis, en temps de guerre, de créer un succédané de farine, et ses feuilles infusées renforcent le cœur. A l’inverse, d’autres plantes sont trop aromatiques et risquent de masquer, voire d’altérer le goût d’un plat. «Le parfum très fort de l’ail des ours pousse à l’utiliser avec parcimonie, contrairement à l’alliaire officinale, plus douce et très agréable à déguster crue. L’amertume des feuilles d’achillée millefeuille peut aussi gêner», met en garde Noé.
Des spaghettis dans la nature
A l’ombre d’un tilleul centenaire, le trio fait une petite pause. «Ses jeunes feuilles se dégustent en salade et ses fleurs en tisane. C’est un peu l’arbre à palabres de nos villages, comme le baobab dans certains pays d’Afrique», s’amuse Noé. En quelques pas à peine, l’accompagnateur ramasse une fleur de trèfle des prés, une pâquerette et ses feuilles, une pousse de gaillet commun et un peu de lierre terrestre. «Voilà une base parfaite pour une salade. Pour compléter, nous allons essayer de trouver quelques herbes du charpentier ou sourcils de vénus, les deux surnoms de l’Achillea millefolium.»
En marchant, Noé explique comment les plantes peuvent être cuisinées. «Ces tiges d’égopode se transforment en délicieux spaghettis que l’on peut poser sur une grande feuille de bardane transformée en assiette. Et cette oseille sert de base à une crème pour accompagner les pâtes végétales.» Chemin faisant, chacun partage ses recettes, confie ses petits secrets et ses conseils culinaires. Chez Véronique, qui cuisine des plantes sauvages depuis des années, les tiges épluchées des jeunes berces se dégustent crues et dégagent un goût subtil de céleri-mandarine. En dessert, les fleurs de reine-des-prés à l’arôme de massepain finissent en beignets. «Je viens d’apprendre que même le rumex crépu, considéré comme une mauvaise herbe par les agriculteurs, pouvait se consommer pour peu qu’il soit cuit à l’eau deux fois de suite», s’étonne Martine. Les paniers se garnissent. Pour l’infusion de fin de repas, reste juste à prendre un peu de hauteur pour trouver du thym serpolet. Et sinon, la menthe aquatique fera l’affaire.
Favoriser les jeunes pousses
A quelques centaines de kilomètres du Jura, Meret Bissegger et son petit groupe d’apprentis cueilleurs remplissent aussi leur corbeille. Après 40 ans de pratique, la Tessinoise est devenue l’une des références suisses de la récolte et de la cuisine des plantes sauvages. «Je commence mes cueillettes dès la mi-mars avec les rosettes basales comme celle du pissenlit. Puis j’enchaîne les collectes jusqu’à fin juin en privilégiant la jeune partie des plantes, plus tendre et goûteuse.» En été, pour compléter les légumes cultivés, Meret cueille aussi les «mauvaises herbes» et les fleurs comestibles de son jardin. Cette autodidacte a tout appris dans les livres et au contact de botanistes, en Suisse et en Italie. «D’une région à l’autre, les végétaux peuvent présenter des différences, et on ne récolte pas toujours la même chose. Aujourd’hui, j’ai une liste de plus de 100 plantes que je collecte selon les spécificités de chacune.» Car de la fleur à la racine en passant par les feuilles ou les bourgeons, les végétaux se consomment tous différemment, et il est bon de savoir quelle partie cueillir. Ne serait-ce que pour ne pas gaspiller!
Retour au bercail. Dans la cuisine de Noé à Corgémont et dans celle de Meret au Tessin, les brigades s’organisent et se répartissent les tâches pour la préparation des agapes. Les odeurs montent des casseroles et titillent les papilles. Peu à peu, les plats se garnissent et prennent de la couleur. Verdict de votre scribe proclamée goûteuse: mélanges de saveurs, textures surprenantes, originalité… La cuisine verte ne manque pas d’arguments pour séduire les gastronomes.