La chute (Gerstenhorn)
Valle mia! Valle mia...
miaperché in temi lavo l' anima della troppa polvere cittadina ) Ora dei Fuochi accesi di Perucca/Bosio ( ed. Priuli e Verlucca )
La chute ( Gerstenhorn )
Pierre Sala. Brienz
J' ai longuement hésité avant d' écrire ces quelques lignes...
Finalement, j' ai pensé que la leçon à tirer de cette longue journée pourrait être utile aussi à d' autres passionnés de l' alpinisme.
Avant le lever du jour, cinq ombres quittent le Grimsel. Leur but: le Gerstenhorn par la face sud-est. L' air est frais, tout est calme. A pas lents, les cinq amis s' élèvent sur les pentes du Nägelisgrätli.
Bientôt, ils quittent le sentier et, à travers des pierriers qui s' éboulent sous leurs pieds, gagnent la base de ce Gerstenhorn, magnifique flèche de roc. Là, assis sur quelques blocs de granit, ils prennent leur petit déjeuner. Tout en grignotant, cha- cun essaie de repérer le meilleur itinéraire dans ce dédale de fissures, de dièdres, de dalles et de surplombs. La face semble les appeler: elle est là, toute dorée de soleil, cachant dans quelques fissures une glace noire et vitreuse... Le cri strident d' un chocard les tire de leur rêverie. Tout en croquant un dernier carré de chocolat, ils endossent leur sac et s' en vont jusqu' au pied de la face, équipés de mousquetons, d' étriers, de pitons et de toute espèce de cordes.
La première cordée, comprenant une femme, un barbu et un « type » casqué, se met en mouvement. L' homme au casque est en tête et grimpe souplement, comme un chat. Arrivé près d' une fissure, il fait monter ses deux compagnons. Puis vient la deuxième cordée. Rapidement, ces cinq amateurs d' émotions fortes s' élèvent dans la fissure. Le premier de cordée crie sa joie et son plaisir de palper un rocher si franc. Il ne peut plus s' arrê, comme poussé par l' envie de découvrir d' au difficultés. Pourtant, il ralentit parfois, juste le temps de planter énergiquement un piton dans une fissure: un mousqueton, la corde... et le voilà reparti pour quelques mètres! Tout se passe bien; on ne perçoit que quelques ordres brefs: « Rouge!... Bleue!... Tire!... Bon!... Venez! » Alors, toute la cordée s' anime.
Plus bas, la deuxième équipe les regarde évoluer, en silence. Elle vient prendre leur place, tout en récupérant au passage cordelettes et pitons.
Les deux hommes de cette cordée se partagent équitablement le travail: ils passent en tête à tour de rôle, afin d' économiser leurs forces.
Les chocards se sont réunis pour les voir gravir ce mur. Sans un seul coup d' aile, ils montent vers la première cordée puis, comme des flèches, piquent vers la moraine en poussant leurs cris aigus et perçants et, sans effort, ils remontent à la hauteur du deuxième groupe. Celui-ci est maintenant sur une petite vire. Pierre hésite: il préférerait se trouver sur le glacier et jouir du soleil! D' en haut, le gars au casque envoie une corde, avec laquelle Pierre pourra penduler. Il s' y attache et hop!... le voilà de l' autre côté du diè- dre. Il laisse partir la corde et commence à gravir un mur légèrement surplombant. Les étriers lui sont une aide appréciable. Une fois au relais, il reprend son souffle. Après s' être assuré, il fait venir son camarade, qui pose un rappel et pendule dans le dièdre. Par des manœuvres acrobatiques, il essaie de récupérer au passage les pitons, pas toujours avec succès, car la montagne se défend! Résigné, il continue et rejoint son camarade, rouge, en sueur et très essoufflé.
Après quelques instants de repos, il escalade une dalle et disparaît dans une fissure surplombante. Seule la corde indique à son ami qu' il progresse toujours. D' après les saccades, « ce n' est pas du gâteau »! Lorsque la corde s' immobilise enfin, Pierre entend faiblement le signal qui lui permet de rejoindre son ami, en récupérant le matériel d' assurage. Levant la tête, ils aperçoivent la première cordée, sous un magnifique toit.
Pierre s' est remis en route. Prudemment, il traverse un névé très dur, s' assure à un piton et continue sa route par un petit dièdre. Une fois au bord, il effectue les manœuvres de cordes traditionnelles et repart vers la gauche. Cette dalle est très lisse, ce qui le freine considérablement; mais il monte toujours. Une fois au relais, il se prépare à assurer son suivant, crie: « Bon! », et la corde se tend... En même temps, une kyrielle de violents jurons rententissent: Roli est coincé dans sa fissure et se tord dans tous les sens pour s' en dégager! Heureusement, il y parvient bientôt, et le voilà qui grimpe, en récupérant lui aussi du matériel. Quand il arrive à la hauteur de son coéquipier, il examine la suite de l' itinéraire et part à la découverte: la difficulté augmente encore. Il a à peine de quoi s' agripper au rocher du bout des doigts et de la pointe des souliers. Vingt mètres plus haut, il est soulagé de trouver deux solides pitons auxquels il passe cordes et mousquetons. De son côté, Pierre, gagné par le froid, enfile une paire de gants de laine, puis assure à nouveau son collègue, qui continue, un peu hésitant. Il monte de quelques mètres, mais redescend bientôt: on le sent gagné par une certaine nervosité. Il se repose, puis reprend son ascension, un peu plus à droite: mètre par mètre, il s' élève, difficilement, cherche de nouvelles prises, mais en vain. Ses bras et ses jambes tremblent, un pied glisse... Couché sur la dalle, il essaie de se rattraper... Impossible... Et tout à coup: « Non!... Ah!... c' est la chute! Toujours plus vite, bras et jambes écartés, il disparaît dans la face... Pierre, heureusement, a eu le réflexe d'«avaler » quelques mètres et, serrant les cordes de toutes ses forces, il attend le choc... Un claquement, il s' arc, en serrant les dents, croit que ses bras vont être arrachés par la violence du choc... puis le calme revient... Quel silence!
Pierre, à peine remis de ses émotions, s' in du sort de son ami: celui-ci, étourdi par sa chute, pend dans la corde. Mais par bonheur, au bout de quelques instants, il réagit, remarque sa position pour le moins inconfortable et, d' un coup de reins, réussit à penduler dans le dièdre, où il peut enfin reprendre ses esprits!
Alors seulement celui qui l' assurait relâche son effort et « récupère » un peu... Mais, en examinant la situation et en contrôlant le matériel, il constate qu' une corde, sous la violence du choc, s' est rompue! Il en a les jambes coupées, et une frayeur rétrospective s' empare de lui. Sans un mot, il montre le bout de corde effilochée à son camarade: pâles et tremblants, ils se rendent compte qu' ils reviennent vraiment de loin!
Quand ils sont capables de raisonner, ils dressent le bilan de l' accident: Roli est blessé, le matériel n' est plus en ordre et surtout, cette chute leur a enlevé toute envie de continuer. Conclusion: il faut redescendre! Ils appellent leurs camarades de la première cordée à la rescousse. En haut, juste sous le sommet, on leur répond qu' on vient.
Mais combien de temps leur faudra-t-il patienter là? Une heure? deux? davantage? Ou même attendre jusqu' à demain? La situation est grave: bivouaquer à cet endroit est impossible! Ils n' ont qu' une petite veste et une paire de gants déchirés! Déjà, le froid les gagne. A quoi pensent-ils? Au bivouac, évidemment, et ils en ont peur. Ils regardent autour d' eux et aperçoivent, quelques centaines de mètres plus bas, une autre cordée, qui rebrousse chemin: malheureusement, elle est trop éloignée pour qu' ils puissent se faire entendre... Encore un espoir qui s' envole! Ils sont bel et bien seuls...
... Enfin, après une attente qui leur a paru interminable, le secours arrive: juste au-dessus des deux malheureux, une tête casquée apparaît! Une espèce de sourire de soulagement se dessine sur leur visage crispé par le froid et l' angoisse; une bouffée de chaleur les envahit. On leur descend un filin de nylon et, bientôt, Roli monte lentement rejoindre l' autre cordée, au prix de douloureux efforts: il boite, et ses mains sont ensanglantées. Il peut à peine aider ses camarades et, parfois, des gémissements de douleur lui échappent. Au prix de grandes souffrances, il se retrouve au milieu d' eux. Pendant que l' un d' eux panse ses blessures et lui passe des vêtements chauds, Pierre s' attache à son tour au filin de nylon et grimpe aussi vite que possible pour retrouver ses amis. Maintenant, une chose au moins est certaine: les deux rescapés passeront la nuit sous un toit!
Bien sûr, il faut raconter ce qui s' est passé; on profite de le faire pendant que l' un des alpinistes pose une corde fixe. Mais il s' agit avant tout de ne pas s' attarder: il faut quitter les rochers avant la nuit. L' un après l' autre, ils traversent la paroi jusque sur l' arête. De là, grâce à un rappel de quatre-vingts mètres, ils retrouvent le glacier. Les manœuvres de cordes sont précises, et rien n' est laissé au hasard. Un frein est installé, et on peut laisser glisser le blessé le long de la paroi... mais, cette fois, il descend très lentement! La descente s' effectue sans problème. Les deux derniers alpinistes récupèrent tout le matériel possible et, à la double corde, glissent silencieusement jusque sur le glacier. Leurs amis sont déjà repartis, afin que le blessé ne prenne pas froid. Entre-temps, la nuit est tombée. Par chance, la lune éclaire quelque peu leur progression. La prochaine halte leur permet de se regrouper, et ils se reposent en admirant encore une fois ce fameux Gerstenhorn.
Après quelques instants de répit, ils se lèvent et clopin-clopant, le groupe atteint enfin le col du Grimsel, qu' il avait quitté quatorze heures auparavant!
Quel accueil chaleureux et réconfortant! Les boissons chaudes sont les bienvenues. Après s' être convenablement restaurés, les cinq alpinistes racontent une nouvelle fois l' aventure arrivée à deux d' entre eux, une aventure qui aurait tout aussi bien pu se terminer en tragédie. C' est à ce moment que Pierre, qui n' a peut-être jamais été aussi sérieux de sa vie, sort de sa poche le bout de corde cassée et le tend solennellement à Roli, qui n' a pas plus envie de rire que son ami. Quel souvenir que ce « talisman »! Et quelle leçon
En effet, après quelques heures de calme, on se remémore l' épisode et la valse des « et si... » va bon train!
- Et si Roli n' avait pas employé les deux pitons, distants de trente centimètres?...
- Et s' il n' avait pas eu un baudrier et un cuissard?...
- Et si ces deux amis ne s' étaient pas encordés avec la double corde?...
- Et si...?
Oui, on pourrait allonger la liste! Sans oublier Dame Chance, qui a voulu que le sauvetage puisse s' effectuer dans de bonnes conditions. La leçon à tirer de cette aventure, c' est avant tout que, en montagne, on ne met jamais assez d' atouts dans son jeu, et cela quelles que soient la force et l' habi des alpinistes. Cet épisode montre clairement le rôle primordial joué par la préparation et le soin apportés à mener à bien cette expédition. On voit bien que, dans une ascension, chacun doit être humble, face à la montagne, et ne négliger aucune précaution, que ce soit avant ou pendant la course.