Itinéraire du Voyage à Chamouny
Chez Jullien & fils, Libraires à Genève, 1829Par E. Gos
Autour du Mont Blanc, aux Grand et Petit St-Bernard et autour du Lac de Genève Lausanne Avec 4 illustrations ( 80-83 ) Nous nous faisons un plaisir, qui sera certainement partagé par nos lecteurs, de donner ici un aperçu des passages les plus amusants et intéressants de ce charmant petit livre.
Si les conseils et recommandations qu' on va lire nous font sourire aujourd'hui, n' ou pas qu' ils devaient certainement être très appréciés à l' époque de nos arrière-grands-pères qui déjà aimaient aller à la découverte des Alpes.
Dans l' Avertissement, on nous informe que toutes les distances indiquées sont calculées en minutes de la lieue suisse1 ou de Berne, de 18 000 pieds de Berne, soit 16 250 pieds de roi.
Argent. L' argent de France est le plus recherché dans ces régions. La monnaie de Genève n' a point cours légal dans le canton de Vaud et en Savoie seulement jusqu' à Bonneville et Thonon. En revanche, on perd sur les batz à Genève. Dans cette dernière ville, les banquiers comptent en livres, sous et deniers courants. Dans le commerce ordinaire, on compte en florins, sols et deniers.
Diligences et voitures. Tous les jours, à 7 heures du matin, il part une diligence de Genève pour la Savoie jusqu' à Chamouny. Le courrier pour Milan, par Evian et St-Maurice, part à 5 heures du soir. A 3 heures du matin et midi partent des diligences pour Lausanne, Fribourg, Berne, Morat, Neuchâtel, Vevey, etc. Le courrier de la malle-poste pour Paris part tous les jours à 3 heures après-midi. Le trajet se fait en 36 heures.
Bateaux à vapeur. Tous les jours, pendant la belle saison, il part du Grand Quai du Rhône à Genève un bateau à vapeur, touchant à tous les ports de la côte suisse. Il y a deux départs pendant l' été et un seul en automne et au printemps. Le service est assuré par Le Léman, Winkelried et Guillaume Tell.
Pour la côte de Savoie, on signale simplement, sans fixer l' heure de leur départ que « quelquefois » les bateaux longent aussi la rive gauche du lac, touchant tous les ports. Le Léman et VAigle font 960 pieds dans une minute et YHelvétie 1080.
Auberges et passeports. On recommande de ne coucher que dans les endroits indiqués en lettres italiques, les autres auberges étant fort médiocres. Il est très nécessaire de se munir d' un passeport et de le faire viser au Consulat-général de S. M. Sarde à Genève pour faire des excursions en Savoie et surtout pour faire le tour du Mont Blanc.
Observations pour le voyageur à pied. Celui-ci devra se munir de souliers très forts, garnis de clous; des bas de fil, doublés au talon et aux doigts; des guêtres en cuir ou en coutil russe, sans sous-pieds, attachées au soulier avec des boutons « qu' on y fait mettre ». Pas de havre-sac, mais une ou deux chemises, une ou deux paires de bas, quelques mouchoirs, couteau, gobelet en cuir, boussole, briquet phosphorique, cartes, crayons, petit portefeuille à placer dans la poche du gilet. Le tout pourra se loger dans les poches de la lévite. Faire de cette lévite un long rouleau ( intérieur en dehors et les pans aux deux extrémités ). On enveloppera son linge également plié en long et soigné dans un mouchoir; enfin, on joindra les deux extrémités pour les serrer avec une courroie ou un ruban très fort. De 1 Lieue suisse = 5,278 km .; pied de roi = 0,325; pied de Berne = 0,293.
même, il faut serrer ce rouleau en plusieurs endroits, puis le suspendre sur l' épaule gauche, passant au côté droit. Ce procédé est d' une grande utilité pour la transpiration et en même temps pour la respiration. Seulement, lorsqu' on est au courant d' air, il faut vite mettre son habit.
Il faut aussi au voyageur à pied un chapeau à larges bords, un crêpe vert, pour s' en couvrir la figure au soleil en traversant les neiges et les glaciers; des bretelles blanches en poil de chèvre, et non pas en daim; des gants très hauts et très forts en toile grise ou écrue; des chemises avec des petits boutons en nacre sur la poitrine et au cou, pour ne pas être brûlé par le soleil; une forte canne assez longue, sans nœud, et garnie d' une pointe de fer; un petit collet ou manteau en taffetas ciré, pour se garantir contre la pluie; une bouteille à panier, remplie d' eau de cerises ou de vinaigre de framboises; une demi-livre de sucre candi ou blanc, du thé, des aiguilles et des épingles; du fil blanc et du fil noir, de la ficelle un peu forte; un peigne, un rasoir, un petit miroir dans le portefeuille, un encrier en come, deux bouts de bougie pour visiter les grottes souterraines, des clous de soulier.
Manière de voyager. Il faut toujours partir de grand matin ( à 4 heures ), déjeuner une ou deux heures après, puis marcher jusqu' à 10 ou 11 heures, se reposer deux ou trois heures et s' avancer lentement vers son gîte, qu' on devra atteindre vers 7 ou 8 heures du soir au plus tard. Il ne faut pas voyager en nombreuse compagnie, parce qu' il n' y a très souvent que trois ou quatre lits dans les auberges de village, et qu' en outre on serait mal servi.
Au commencement de la journée, ou en montant, il faut marcher lentement, pour ménager ses forces et sa respiration. En montant, et surtout en descendant, il ne faut pas regarder les objets environnants, mais s' arrêter pour cela. On tombe aisément en détournant les regards de son chemin. Ne faites pas des détours pour voir un glacier, une cascade ou une montagne de près; Féloignement dans les Alpes est extrêmement trompeur; vous aurez deux ou trois lieues à faire où la distance ne vous paraît que de 15 minutes. Il faut toujours prendre un guide en montant sur un glacier; qu' il soit muni d' une hache, de cordes, de crampons, etc.
Blessures aux pieds. En marchant, on éprouve souvent des chaleurs sous la plante des pieds, d' où résultent des ampoules. Pour modérer ces chaleurs, entrez de temps en temps dans un ruisseau, et faites-vous y mouiller les souliers et les bas. Si pourtant les ampoules se sont déjà formées, il ne faut pas les couper, ni avec des ciseaux, ni avec un canif; mais il faut y passer, au moyen d' une aiguille, un fil de soie aussi près de la chair que possible, sans la blesser. On coupe le fil des deux côtés, et la douleur passe promptement. La peau a-t-elle été écorchée par le soulier, il faut y mettre un linge enduit fortement de suif. Tous ces incidents n' empêchent pas de continuer sa marche.
Provisions. Voulant traverser une montagne, il faut se charger d' un peu de pain, de fromage ou de viande, vu qu' on ne trouve souvent ni auberges, ni chalets ( et dans ceux-ci rien ou presque rien ) pendant plusieurs heures de marche. L' eau de cerises mêlée d' eau pure dissipe la fatigue. Il est aussi bon d' avoir toujours du sucre pour se mouiller la bouche. La poudre de limonade et la crème de tartre, sont également bonnes. Il ne faut jamais boire avec trop d' avidité, l' eau des montagnes et des glaciers étant très froide. Le fromage gras est très malsain, surtout celui qu' on fait rôtir; il cause souvent des coliques, comme la crème la diarrhée. Le lait pur est plus sain. Celui que constipe le laitage, peut être soulagé par la crème de tartre.
Dépenses. La dépense journalière d' une personne qui voyage modestement à pied et sans guide, peut être évaluée ( déjeuner, second déjeuner, dîner et souper ) et gîte compris à 6 francs de France.
Ceci dit, le « guide » nous entraîne dans une sorte de voyage en zigzag autour du lac et du Mont Blanc. Nous avons préféré, pour en faciliter la lecture, classer dans l' ordre les lieux traversés, en notant ce qui les caractérisaient à l' époque. Rajoutons que toutes les villes et villages sont minutieusement décrits, mais nous n' avons relevé que ceux dont il y avait un fait typique à souligner, les descriptions des autres, toutes proportions gardées, étant conformes à celles d' aujourd, nous n' avons pas jugé utile d' en parler. Précisons encore que l' orthographe a été scrupuleusement respectée.
Première recommandation pour le voyageur qui passe la douane à Annemasse ( douane sarde ), la poudre à canon et le tabac sont prohibés.
A Servoz, on peut visiter la ruine de St-Michel, histoires de sorciers et de diablotins.
A Sixt, les hommes de cette vallée sont presque tous maçons. Chamois vivants. Echo.
Le Prieuré de Chamouny ( Champ du Mouni ou Meunier ) possède une ancienne Abbaye de Bénédictins fondée en 1090. La vallée elle-même a été découverte par les Anglais MM. Windham et Pokocke et décrite par MM. Bourrit et de Saussure. Excellent miei blanc. Le Mont-Anvert, ou Mont-en-Vert peut être atteint à dos de mulet. Belle vue sur la Grande Jorasse. Au col du Géant se trouve la cabane de M. de Saussure, entre les glaciers de Freti à l' O et d' Entrèves à l' E.
L' ascension du Mont Blanc a été faite 13 fois. Le 8 août 1786 par MM. Paccard et Balmat, le 3 août 1787 par M. de Saussure de Genève, le 9 août 1787 par M. Beaufroy \ Anglais, le 5 août 1788 par M. Woodley, Anglais, le 10 août 1802 par M. Doorthesen, Courlandais, et M. Forneret de Lausanne, etc., etc Guides et porteurs indispensables. Raréfaction de l' air. Le Grand Plateau est presqu' uni et couvert de neige. On commence à avoir beaucoup de soif. Mésavanturede M. Hamel aux Rochers-Rouges ( 3 morts ). Grandes et nombreuses avalanches. ( Le sommet du Mont Blanc ou la Bosse de Dromadaire est à 11 030' au de Courmayeur et de 11 580' au de Chamouny. ) Les guides recommandés qui ont fait plusieurs fois l' ascension sont: Jos.Marie Couttet, Pierre Tairaz, Devouassoud le jeune, Simon Devouasson, Jules Devouasson, Simon Tournier, Michel Devouasson, Pierre-Jos. Simon.
Au Col de Bohomme, on peut voir un tertre haut de six pieds, composé de cailloux qui, selon la tradition, couvrent le corps d' une grande dame et de sa femme de chambre, trouvées mortes sur cette place.
A Villeneuve d' Aoste, grand nombre de crétins, qu' on nomme ici Marons.
Gignaudprès Aoste, magnifique vue dans le Val-Pelline et les vastes glaciers de la Rolle 2, qu' on traverse pour aller à Evolène et Sion.
Au Grand St-Bernard, le voyageur aisé ( y ) trouve un gîte et une société agréables et dans l' église un tronc pour le soulagement des voyageurs pauvres et le maintien de ce refuge vraiment chrétien. La morgue où l'on conserve les momies des personnes trouvées mortes sur la montagne. Les maronniers ou domestiques de l' Hospice s' occupent des gros dogues, dressés pour la recherche des voyageurs égarés ou ensevelis dans les avalanches.
Le Col de la Fenêtre est la limite entre la province d' Aoste et le dizain d' Entremont. Ce passage est très fréquenté par les déserteurs et les contrebandiers. Il y a même souvent 1 Ca. M. Beaufoy.
2 Arolla. Il y aurait de nombreuses corrections à faire dans les noms de lieux et de personnes cités.
des combats assez sanglants vu que les contrebandiers se réunissent en bande de 40 individus et plus, armés jusqu' aux dents et soutenus par leurs porteurs, pour forcer le passage. C' est par cette même montagne que Calvin se rendit à Genève.
Au Col de Ferrex, dans un ravin profond sous le Mont Dolent, se trouvent de petites cavernes dans lesquelles les bergers se retirent pendant l' orage. Ce sont de véritables trous de marmottes.
A Praz-le-Fort. Méchant cabaret, construction singulière des maisons; costume bizarre des habitants.
Torembec. Vallon couvert de beaux pâturages près de Gétroz. Débâcle du glacier en avril 1818. La digue de glace qu' il avait formée à l' extrémité septentrionale du vallon de Torembec était haute de 400 '. Un lac se forma derrière cette digue, et couvrit toute l' alpe et une partie de celle des Vingt-Huit. L' eau rompit la digue le 16 juin et submergea toute la vallée de Bagne, et celle de St-Branchier et se précipita dans le Rhône près de Martigny. Presque tous les chalets, pâturages, forêts, villages sur ce long trajet furent détruits, 50 personnes perdirent la vie et le dommage fut évalué à 1 million et demi de livres suisses.
Martigny-le-Bourg. Longue rue mal pavée, beaucoup de marchands. Bons vins de Coquempin et de la Marque. Aqueduc romain. Du temps des Romains, le bourg s' appe Octodurus ou Vicus Veragrorum. Jusqu' au 6e siècle les évoques du Valais résidaient ici. Inondations de la Dranse, la dernière en 1818. Grand nombre de crétins. Tour de la Bâtie. Gouffre du Trient. Chemin à Salvent et Finhauts. Bac sur le Rhône. Chute de la Sallenche ou Eau Noire ( Pissevache ). Grande chute de la montagne à Bois Noir et Evionnaz en 502. Destruction de l' ancienne ville d' Epaunum où s' était tenu un grand concile en 517.
Saint-Maurice. Chapelle des Martyrs où, selon la tradition, la légion Thébaine et son chef Maurice furent massacres en 302, par ordre de l' empereur Maximinien. Ermitage du Cex, à gauche la pente de rocher. Superbe écho. Pont d' une seule arche sur le Rhône. Abbaye d' Augustins fondée en 851 par Sigismond, roi de Bourgogne, incendiée en 1693 et reconstruite. Collège, bibliothèque, grand nombre de manuscrits historiques. Convent de Capucins fondé en 1612. La ville s' appelait anciennement Tarnade, depuis 385 Agaunum et depuis le 9e siècle St-Maurice. Elle était déjà chrétienne en 58. Cimetière romain. Goitreux et crétins.
A Champéry. M. le curé loge les voyageurs.
Tauretunum. Ancienne ville et fort romains détruits en 563 par une immense chute de montagne d' en haut les Dents D' Oche, qui fit déborder les eaux du lac, et qui submergèrent l' ancien Lusonium dans la plaine de Vidy; Lisus ( St-Prex ), Collium ( Cully ), Calarona ( Glé-rolles ), Vibiscum ( Vevey ) et Pennilucus ( Villeneuve ). Tout le vallon dans lequel Tauretunum était situé, est rempli de décombres à la hauteur de 500 pieds. On n' y a jamais fait de recherches.
Vionnaz. Village paroissial. Près d' ici les monts Recon et Inseng sont fameux par leurs revenants.
Grion. Fête de la Michantin.
Aigle. Les maisons sont construites d' un marbre noir et brut. Près d' Aigle, champ de bataille de victoire remportée par Divico et les Helvétiens sur les Romains cent ans avant notre ère.
Montreux. Village de 2750 habitants. A l' église il s' appelle les Planches. Auberge de la Couronne. Bon vin, fruits méridionaux. Opulence des habitants. Résidence du célèbre doyen Bridel.
Tels sont en résumé les passages les plus caractéristiques de ce charmant petit livre qu' on aura du plaisir à lire en entier.