Face nord du Petit Clocher du Portalet
Petit Clocher du Portalet, face nord
PAR D. BERTHOLET
Avec 1 illustration ( 136Oh! Oh! Ça vaaaa...?
- Ouiiii...
Jean-Paul et Pierrot, confortablement installés sur une terrasse herbeuse au pied du couloir, à cent mètres sous mes pieds qui balancent dans les étriers, nous hèlent et commentent notre progression, parfois avec ironie. Imitant Jean-Paul lorsque un bloc déraciné avait failli l' entraîner, je hurle en dépitonnant:
- Assuuuuuure!
Et Hubert, vingt mètres plus haut, disparu dans une anfractuosité, répète à l' adresse de nos deux amis:
- Assuuuuuure! Aaaaaah! Suivi d' un grand éclat de rire.
Mais, tout à coup, le coin de bois où sont fixés mes étriers cède. Sans prévenir. D' un coup. Me voici pendu à bout de corde. Les étriers inutiles accrochés au bout des souliers. Trois mètres au-dessus, le prochain coin de bois. Sac de matériel au dos, il me faut remonter ces trois mètres, lisses, légèrement surplombants, à la force des bras. Je crie à Hubert:
- Tiiiiiire! et lui croit que c' est une blague, éclate de rire.
J' ai l' air malin, polichinelle moderne, pendu à mes ficelles, sous l' œil amusé de Jean-Paul et Pierrot qui ne se font pas faute d' envoyer force quolibets. Et la corde autour de la poitrine qui serre, qui serre... Restons calme. Premièrement, attraper mes étriers avant qu' ils ne dégringolent toute la paroi. Han! Les dents, très utiles. Secondement, coincer un pied dans une fissure verticale, trois mètres à gauche. Oh! Hop! Pendule, ça y est. Traction de la main gauche. J' arrive à m' élever un peu.
- Le mou! Hubert comprend que ce n' est plus pour rire et tire.
Monter le pied, la main, traction. Oh! Hisse! en trois ou quatre manœuvres je suis à la hauteur du coin de bois sauveur. Mousqueton. Etriers. Pendule. Ouf! Repos.
Au relais il est midi passé et nous faisons le point tout en nous restaurant. Il y a six heures que nous sommes dans la paroi et nous en avons grimpé la moitié. Le premier quart était relativement facile, seules les trois dernières longueurs nous ont donné du fil à retordre. La suite, verticale, fuit jusqu' au gros bloc en équilibre 60 mètres plus haut. Passerons-nous sans y toucher? Bah! on verra bien, poursuivons.
Cheminée, reptations verticales... Piton. Coincements, efforts... Coin de bois. Hubert se trouve sur un vague relais.
- La prochaine longueur, toute à gros coins de bois! Combien en as-tu encore?
- Des gros, trois.
- Avec celui que j' ai, quatre. Ça passe pas. Conciliabule.
- Tant pis je redescends, on reviendra avec une hottée de gros coins.
D' où je me trouve, il est possible de s' enfiler par une mince fente dans la montagne et rejoindre les cheminées cavernes escaladées par Vaucher-Gamboni l' année dernière. Hubert les connaît déjà et nous n' hésitons pas. En quatre heures d' escalade pénible nous gravissons cette voie de spéléologue et à 18 h. 30 nous débouchons au sommet. Le sac nous joue un tour, se coince. Jurons, supplications. Rien n' y fait. Je dois redescendre les derniers 30 mètres et les regravir. A 20 h. enfin nous quittons le sommet.
Note. Le Petit Clocher du Portalet a été gravi pour la première fois par Maurice Crettex le 26 août 1897 qui emprunta la voie, devenue normale, de l' arête ouest. Exception faite pour Onésime Crettex qui fit une variante en 1902 en montant à l' arête ouest par le versant sud, personne n' a ouvert d' itinéraires valables jusqu' en 1956, année où deux des frères Cretton ouvrirent une voie dans la face nord-ouest, aboutissant également à l' arête ouest. Avec les voies ouvertes en 1958 par Michel Vaucher 1 et en 1959, et toutes les routes encore susceptibles d' être ouvertes ( face est extérieure, face nord directe, face sud, éperon sud-est ), le Petit Clocher du Portalet peut devenir le terrain d' entraînement idéal pour les alpinistes de Suisse romande. Altitude peu élevée, marche d' ap courte, voies difficiles et pénibles ( comparables à la face ouest du Pic Albert, la face nord de l' Aiguille de l' M ou la face sud de l' Aiguille du Midi ) en sont les atouts majeurs.