Emploi de pitons et de la perceuse en escalade (L'-)
Histoire, technique et problématique L' escalade a connu ces dernières décennies une évolution très rapide, caractérisée par un bond en avant des degrés de difficultés et la multiplications des voies, phénomènes eux-mêmes encouragés par la généralisation de l' emploi de la perceuse autonome pour l' installation de points d' assurage fiables.
Ces rapides et parfois imprévisibles changements invitent désormais à une pratique de l' esca et surtout à un équipement des voies plus respectueux du rocher, qui laisse le moins de traces possible et provoque un minimum de dégâts...
Eléments d' histoire Dès les débuts de l' alpinisme, l' homme a eu recours à du matériel pour s' aider ou s' assurer: échelles en bois, piolets, souliers ferrés, crampons, cordes, fiches de fer...
Des cordes sont attachées dès 1860 aux endroits les plus difficiles du Cervin. Le 10 août 1865, une équipe de la section des Diablerets du Club Alpin Suisse monte le flanc S des Diablerets. Vers 3 000 mètres, tout en construi- Un relais comme on en rencontre couramment jourd' hui: deux points d' ancrage reliés par une chaîne et des maillons rapides ( Verdon ) tier relevait en 1907 déjà le souci d' éthique de certains puristes qui refusaient de se tirer aux broches de la qu' Abotse ou de les toucher!
En 1897, au Petit Clocher du Portalet, M. Crettaz et E. Revaz forent la roche et posent 5 chevilles de fer, pour effectuer la première ascension de ce vertigineux sommet. En 1911, au Cervin, lors de la première ascension de l' arête Furggen, M. Piacenza, en compagnie de J.J. Carrel et J.Gas-pard, fore et pose une broche dans un passage du 4e degré à plus de 4200 mètres.
En 1911, le Munichois O. Herzog emprunte aux sapeurs-pompiers l' usage du mousqueton, tandis que H. Dülfer découvre de multiples techniques d' escalade grâce aux possibilités du nouveau matériel. Dans le milieu alpin, on commence à parler d' abus d' artifices...
D' une manière générale, nous utilisons dans Les Alpes le terme de gollot pour désigner tout piton de modeste dimension ( excluant donc les broches ) dont l' installation requiert le forage préalable d' un trou circulaire, préférant ainsi un mot français à l' anglais spit II fournit par ailleurs un équivalent commode au mot allemand Bohrhaken. Red.
2 Augsburg 1888 {2e édition ). Traduction française: tes dangers dans la montagne, Neuchâtel 1886.
Dans les gorges du Verdon, site phare des années 1975-1990 Escalade libre / Compétition Dans les années 30, l' Italien E. Comici, tout comme le Français P. Allain, enrichissent l' escalade d' une nouvelle dimension, celle de l' esthétique. En 1939, E. Frendo, de Chamonix, publie son ouvrage Procédés artificiels d' es, tout un programme qui dominera l' escalade des années 1950 et 1960. Mais ce sont les techniques américaines de l' escalade libre et artificielle, après le début des grandes voies du Yosemite, qui vont imposer l' esprit des décennies suivantes.
Ceux qui forent... et les autres Aux USA, dans les années 50, quelques spécialistes - telle l' équipe menée par Dale Johnson en 1953 lors de la première du surplomb NW du Maiden - connaissent déjà les trois principaux types de pitons impliquant le forage d' un trou: piton à compression, à expansion ( ces deux types étant souvent « bricolés-maison » et confondus ) ou gollot Phillips dénommé « Red Head » à cause de son cône rouge. Leur usage est réservé à l' escalade artificielle, bien qu' il y ait déjà des exceptions. En 1957, le plus grand rochassier de l' époque, l' Américain L. Kor, réalise la première de Budge, à Redgarden Wall, sans pouvoir se protéger dans le passage le plus dur de la voie. Kor revient peu après en rappel, et place... un gollot! Le fait le plus marquant de l' emploi systématique de ce nouveau genre de pitons, cependant, est la première ascension du Nose ( El Capitan, Yosemite ), en 1958, réussie par une équipe conduite par W. Harding grâce à de nombreux pitons dont... 125 à expansion.
Dans un style différent, signalons les tours de grès de l' ex de l' Est et de la Tchécoslovaquie, où se pratique un style unique d' escalade libre sur protections naturelles, lunules ou nœuds de cordelettes coincés dans les fissures, tandis que des « rings » -sortes d' énormes pitons à compression - peuvent être placés mais uniquement par un grimpeur en tête et selon des règles strictes impliquant un très grand engagement. Quant à la Grande-Bretagne, on s' efforce d' y pratiquer l' escalade la plus respectueuse qui soit, en libre et sur protection naturelle, suivant le leitmotiv « ne pas endommager le rocher et ne pas laisser de traces ».
Les Alpes, berceau de l' alpinisme, avec leur passé et leur histoire ainsi que la quantité de roche disponible.
De l' antique mini-piton au gollot ou « spit » d' au. A dr .: derrière, vieux piton à compression modèlent un état d' esprit différent. La notion du but à atteindre ( le sommet ), fortement ancrée, prime sur celle des moyens mis en œuvre pour grimper.
En 1952, lors de la première ascension de la face W du Petit Dru, l' équipe conduite par L. Bérardini et G. Magnone fore des trous pour des pitons à expansion. Ils rejoignent, depuis la face N, le plus haut point atteint auparavant dans la face ouest afin de poursuivre l' ascension.
La première ascension considérée comme « technologique » est celle du Pilier Jaune, au Salève, par R. Habersaat et R. Wohlschlag, les 2 et 3 juin 1956, nécessitant le forage manuel de trous successifs pour enfoncer des « chevilles de fer ». De vives critiques s' élèvent alors. Du matériel semblable n' en est pas moins utilisé pour permettre la directissime Brandler-Hasse, en 1958, à la Cima Grande di Lavaredo ( Dolomites ): 180 pitons, dont une quinzaine à expansion, sont plantés dans cette voie dont la réussite est saluée comme l' un des plus formidables exploits alpins. Un exploit qui sera répété l' année suivante sur la proche paroi de la Cima Ovest par l' ouverture de la voie helvéto-ita-lienne ( H. Weber et consorts ), tandis que sur la même paroi, l' équipe française menée par R. Desmaison vient aussi à bout d' une autre voie grâce à la pose de nombreux pitons, dont une trentaine exigent un trou foré.
En 1966, en hiver, dans la directe nord de l' Eiger, quelques pitons à compression sont plantés; et trois ans plus tard, dans la même face, en ouvrant la directissime lors d' une vérita- de 6 mm; devant, « puce » M6 et vis; au milieu: gollot Phillips cassé; à g.: boucle et tampon IV110 modernes ble expédition, des Japonais enfoncent 250 gollots.
Mentionnons enfin un étonnant fait isolé: au début des années 60, H. Horlacher équipe « sa paroi » ( propriété privée, entrée payante ) de Bellinzone, au Tessin. Dès 1965, il place uniquement des gollots. Il est certainement le pionnier de l' équipe fiable et rapproché dans les voies abordables, du 2 au 5+ ( 26 voies d' une hauteur de 150 mètres ).
Des années 70 à aujourd'hui, l' uti des pitons installés dans des trous forés se poursuit, selon une technique qui évolue avec l' apparition de mortiers de scellement fiables.
La perceuse L' emploi de la perceuse est resté limité jusqu' aux années 8O. Auparavant, en effet, il fallait l' alimenter par un générateur et un câble électrique. Ce moyen fut utilisé de manière spectaculaire dans les Andes de Patagonie pour l' ascension du Cerro Torre par une équipe italienne conduite par C. Maestri en 1971 et il a provoqué moult réactions. Il faudra donc attendre l' apparition de perceuses autonomes à la fois suffisamment puissantes et raisonnablement maniables pour que cette pratique prenne son essor.
En 1975, sur la falaise de St-Loup, au nord de Lausanne, C. et Y. Remy avec M. Ziegenhagen remplacent les pitons de voies comptant parmi les plus dures du pays. A l' aide d' une perceuse ils posent des gollots M8 dans le but de favoriser l' escalade libre. L' année suivante le même trio, avec une perceuse, franchit le plus grand surplomb à l' époque, celui de la Reçu- Une broche à boucle tchécoslovaque Face sud des Wendenstöcke, « coeur de la Suisse » mal considérées. A la fin des années 70, quelques grimpeurs commencent discrètement à équiper avec des cordes depuis le haut. Une approche finalement acceptée en école et falaise mais qui ne s' est pas généralisée sur de grands itinéraires; à part quelques cas et régions, les grandes voies des Alpes ont continué d' être ouvertes depuis le bas, comme auparavant.
Le choix de la méthode appartient d' abord aux grimpeurs concernés ( du moins tant que notre sport de liberté sera lié au bénévolat ). A eux de décider si, partant du bas, ils veulent vivre une aventure qui reste pénible, parfois très risquée, ou s' ils veulent placer un équipement, de préférence irréprochable, depuis le haut.
Une voie ouverte depuis le haut devrait être équipée de manière à limiter les risques et favoriser la gestuelle. D' autre part, il faut souligner que cette méthode d' ouverture entraîne une systématique et un « quadrillage » des parois plus importants que si l'on ouvre depuis le bas.
Le gollot, véritable symbole de l' escalade moderne Au fil des décennies, on a constaté que les pitonnages et dépitonnages répétés endommageaient le rocher. Par ailleurs, les fissures dans le granit bougent imperceptiblement; des pitons enfoncés à coup de massette sortent tout seuls l' année suivante... Les gollots apportent une solution à ces inconvénients et, de plus, ils permettent d' explorer des zones impensables avec du matériel traditionnel.
Outre leur fiabilité, supérieure aux pitons, les gollots peuvent êtres placés de manière à faciliter le mousquetonnage ( point important dans les lée des Planches dans le Jura français, posant 250 gollots.
En 1979 et 1980, le Zurichois H. Howald, avec différents compagnons, ouvre des voies dans la vallée du Haslital, au cœur de la Suisse et... des Alpes. L' équipe remonte d' immenses dalles de granit, d' aspect lisse. Howald place des gollots, parfois du haut et à l' aide d' une perceuse. Au pays du respect de la tradition, l' af provoque également des remous.
Questions de méthode Ouvrir du bas, équiper du haut?
Jusqu' aux années 70, toutes les voies étaient ouvertes depuis le bas, à de rares exceptions près, par ailleurs pas difficiles ), à diminuer le « tirage » de la corde et surtout limiter les chutes dangereuses. Ils offrent ainsi une sécurité qui sera l' un des éléments clés du bond en avant effectué dès les années 70 dans le domaine des degrés de difficultés et un confort favorisant des retraites depuis quasi n' importe où. Bref, les gollots M8, puis M10, voire M12, sont devenus le nouveau symbole de l' escalade moderne sûre, d' abord de haut niveau puis de l' escalade plaisir. En Europe, c' est d' abord en France que leur usage s' est imposé ( dès le milieu des années 1970 dans le Vercors, puis dans le Midi, à Buoux et dans les gorges du Verdon ), combiné souvent avec l' ouverture des voies depuis le haut.
Cependant, l' emploi généralisé de la perceuse autonome à accumulateur et l' ouverture des voies depuis le haut multiplient les voies, parfois jusqu' à l' excès ( non seulement en France mais désormais presque partout ).
Attention aux excès et au brouillage II faut bien avouer que la multiplication des voies et des gollots sur certaines parois dévalue parfois l' intérêt du site. Au-delà de toute polémique et sans passion partisane, il faut essayer désormais de résoudre au mieux cette problématique du quadrillage des parois - caractérisée en particulier par deux aspects regrettables: l' ab de concertation et le brouillage des anciennes voies.
En école d' escalade, la juxtaposition proche des voies ne pose pas enee « » Escalade libre / Compétition trop de problèmes. Mais sur des itinéraires de plusieurs longueurs où se croisent des voies anciennes et récentes, avec des relais communs, il devient parfois difficile aux grimpeurs de s' y retrouver, sans parler de la disparition de l' aventure. Il existe des solutions ( à appliquer avec l' accord des personnes concernées ), telles que revoir le cheminement des voies afin d' éviter ou limiter les croisements, supprimer certaines voies ( selon des critères à déterminer ), ou colorier les gollots d' une couleur différente d' une voie à l' autre. Par ailleurs, on ne devrait pas rééquiper des voies et des sites sans l' accord des ouvreurs et des grimpeurs concernés. De même, il semble indispensable de conserver des voies, des sites tels que nos prédécesseurs les ont pratiqués, témoi- utili testé par gnages de performances qui devraient faire partie d' un patrimoine à protéger.
Quant à l' aspect « protection de la nature » des problèmes évoqués ici, ne perdons tout de même pas de vue qu' il est pour le moins relatif par rapport à d' autres atteintes autrement destructrices telles que barrages, places de tir, carrières etc..
Conclusion S' il n' est pas souhaitable de réglementer les Alpes ( malheureusement, c' est un peu ce qui se passe autour de Emploi de la perceuse lors de l' ouverture d' une voie ( Eldorado, Grimsel ) Escalade sur coinceurs {Ou-bli, Eldorado, Grimsel ) nous: en Allemagne de nombreux sites sont interdits à l' escalade; en France, le COSIROC a édité des normes d' équipement... ), il est néanmoins nécessaire de respecter ce qui est en place, les voies existantes, le site et par-dessus tout la nature, d' être discret, de ne pas laisser de déchets... Mais nous devons nous garder de la mise en place pernicieuse d' une réglementation de l' activité via la pose de l' équipement et les exigences du plus grand nombre... Les parois rocheuses nous offrent des possibilités aussi riches et diverses que notre imagination. Laissons se côtoyer les styles, Au Sphinx ( Tour d' Aï ) n' uniformisons pas l' escalade, ne la « vendons » pas systématiquement aseptisée ou selon une seule « vérité ». Evitons de transformer l' escalade en plein air, sport de liberté par excellence, en une activité codifiée.
Du reste, comme l' histoire le montre, l' escalade évolue par phases successives. La multiplication des voies et des gollots dans les faces rocheuses est l' une des caractéristiques de la période actuelle. Peut-on imaginer grimper des voies et parois semblables avec un matériel plus limité ou plus discret? C' est à espérer. De toute façon, d' autres directions se profilent déjà, comme celle du « bloc », une activité qui se contente d' effleurer le rocher avec élégance et dans le plus grand respect...
Remerciements et sources Les auteurs remercient M. Brandt, H. Horlacher, L. Piguet et Ch. Remy pour leur aide dans la réalisation de cet article. Ils ont par ailleurs puisé des informations aux sources suivantes:
D. Scott: Big Wall Climbing, Londres 1974.
B. Godfrey and D. Chelton: Climb! -Rockdimbing in Colorado, Alpine House Publishing, Boulder ( Co ) 1977.
R. Vogler: Les Etats-Unis, éd. Denoël, Paris 1984.
Revues Mountain, Les Alpes ( CAS ), La Montagne et Alpinisme ( CAF ).
Claude et Yves Remy, l' Eglise / Renens VD