Chronique himalayenne 1957
GEMÄLDE VON WILLY MAX HUBER, INTERLAKEN
Im September beginnen im Bergwald die Vorarbeiten für die Holzschläge. Der Forstmann hat die Holzanzeichnungen durchgeführt oder angeordnet, damit, wenn der Winter seinen Einzug gehalten hat, die Bergbauern « ins Holz können », um die Bäume zu fällen und Nutz- und Brennholz zu rüsten und für den Abtransport ins Tal bereitzulegen. Eine harte ArbeitKunstmaler Willy Max Huber zeigt in seinem Gemälde zwei Holzer mitten im Wald, wo auf einem Stapelplatz am Fuss des Reistzuges die Stämme zusammengezogen sind. In der obern Bildhälfte sind die senkrechtstehenden Stämme die Zeugen des kraftvollen Schutzwaldes, in den hinein die Lawine die Schneise gelegt hat, die nun als Holzzug für den Abtransport der gefällten Bäume dienen kann. Die liegenden Stämme markieren den untern Bildteil, wie tragende Elemente. Links ist ein Baum-stock erkenntlich, wie der Übergang vom Liegenden zum Stehenden, auch in der Farbe: ins Rotbraune getönt, im Gegensatz zu den blaubraunen und grauweissen Stämmen der Bäume und dem Weissolive der Umgebung, die Kälte winterlicher Ruhe in sich fassend, während die gerüsteten Trämel, von der Sonne leicht erhellt, schon die Wärme in sich tragen, das Holz den Stuben und Kammern als Werkholz und dem Ofen als Brennholz zu geben vermag. Und in dieses Spiel der Linien stellt der Maler die beiden Holzer, zwei stämmige Gestalten, an harte Arbeit gewohnt. Wie ein Kreis fügen sie sich in ihrer Bewegung ins Geradlinige des Bildes und tragen die Farbe im Kleid, die einerseits ins Kalte des Wintertages und anderseits in die Wärme des Werkens und Wirkens von Arbeit und Holz spielt. Und wie zwei Pole leuchten das Purpurrot im Gesicht des einen und das Braunrot der Beinstulpen des andern Holzers auf und zeichnen die Bewegung markant ins sonst recht ruhige und ausgeglichene Bild.M. Oe.
Chronique himalayenne 1957
PAR G.O. DYHRENFURTH
ET NOTES COMPLÉMENTAIRES SUR LES ANNÉES PRÉCÉDENTES Avec 4 illustrations ( 200-203 ) 1° L' année 1957 nous a apporté la première carte de l' Himalaya qui soit conforme à la réalité. Cette carte-relief à l' échelle 1:25 000 « .Mahalangur Himal, Chomolongma-Mount Everest » marque une étape dans l' exploration de l' Himalaya. La triangulation et les levés photogrammétriques, les calculs et leur mise en valeur sont l' œuvre d' Erwin Schneider ( Lech am Arlberg ), la représentation graphique du terrain a été faite par Fritz Ebster ( Innsbruck ). La « .Internationale Himalaya- 11 Les Alpes - 1958 - Die Alpen161 Expedition 1955 », organisée et dirigée par l' un de mes trois fils, Norman G. Dyhrenfurth, s' est heurtée à une attitude hostile de la part de certains milieux, puis on a fait le silence sur elle. Cependant, ce levé de carte représente une œuvre qui, à côté des conquêtes « spectaculaires » de huit mille réalisées par d' autres expéditions, reste une valeur durable et mérite notre estime.
Le relief accusé - dénivellation de 4000 m environ sur 10 km de distance horizontale - et la fréquence des vents soufflant en tempête en altitude et des courants rabattant rendraient difficile, dangereuse et coûteuse une photogrammétrie aérienne systématique. Par contre, la région de l' Everest est un terrain idéal pour la photogrammétrie terrestre. Mais on doit en tout cas choisir judicieusement les stations des photothéodolites en les plaçant en moyenne à 1000-1500 m au-dessus des vallées glaciaires, soit en général à l' altitude de 5300 et 6000 m. Erwin Schneider, passé maître dans sa profession, a fait tout le travail sur le terrain en 20 jours, répartis essentiellement sur les mois de mai et octobre 1955. Il a utilisé pour son travail 73 paires de plaques = 146 photos ( plaques Topo 13 x 18 cm ). Toute son équipe se composait de 6 Sherpa et 2 Sherpani; le chef des porteurs était Dawa Tondup, qui fut déjà 1'«orderly » de Schneider au Nanga Parbat en 1934. L' officier de liaison népalais, N. Vaidya, de Kathmandu, a rendu de grands services en inscrivant les résultats dans le registre des levés.
La mise en valeur fut réalisée plus tard à l' échelle 1:10000; comme échelle définitive de la carte on a choisi 1:25000. Ebster eut à sa disposition cinq mois à peine pour rédiger la carte totale en trois couleurs. En dépit de ce temps limité et d' une nécessité constante de faire des économies, le résultat de ce travail fut une œuvre remarquable, « la plus belle carte du plus haut massif de l' Himalaya », œuvre pour laquelle nous devons être reconnaissants aux auteurs, au spécialiste du Tibet Peter Aufschnaiter ( qui a contrôlé la toponymie ), à l' ÖAV, aux autorités autrichiennes, à la Deutsche Forschungsgemeinschaft et au DAV.
Littérature: Les Alpes, avril 1956, p.86-104; Bulletin mensuel de février 1958, p.21; fascicule trimestriel 1958, p. 60-65. Jahrbuch des ÖAV 1957 ( Alpenvereinszeitschrift, vol. 82 ), p. 5-15 et cartes annexées. Les cartes peuvent être obtenues auprès de l' ÖAV, Gilmstrasse 6, Innsbruck.
En ce qui concerne les ascensions, 1957 marque un certain recul après la série de succès des années 1953 à 1956. Ce recul se manifeste non seulement par un nombre relativement plus restreint de premières ascensions, mais surtout par de graves accidents, des maladies et des gelures. Commençons de nouveau à l' est:
2° S' élevant à la frontière tibétaine, au sud du fameux Shisha Pangma ( 8013 m ), situé au-delà du « rideau de fer », le Jugal Himal se trouve cependant à 60 km seulement au NE de Kathmandu. Ce massif peut donc être atteint rapidement. Les sommets les plus élevés du Jugal Himal sont de « petits sept mille », avec point culminant à 23 240 ft. = 7083 m. L' expédition féminine écossaise 1955 a fait connaître ce massif montagneux dans un large public, sans toutefois réussir autre chose que la première ascension d' un sommet de 6700 m environ ( voir mes chroniques himalayennes de 1955 et 1956 ).
Le ter avril 1957, une équipe du Yorkshire Ramblers Club, dirigée par le capitaine Crosby Fox, arrivait à Kathmandu. Quelques jours plus tard, les six Anglais, accompagnés de 120 porteurs, se mettaient en route pour le Jugal Himal. Le 30 avril 1957, George Spenceley et Fox quittaient en compagnie de deux Sherpa le camp 4 ( 6000 m environ ) pour atteindre par un itinéraire glaciaire difficile l' emplacement pour un camp 5. Au cours de cette montée, la cordée fut atteinte par une avalanche; seul Spenceley put se dégager. Les trois autres furent entraînés dans une crevasse que l' avalanche remplit entièrement de neige comprimée. La corde qui les rattachait à Spenceley fut ainsi coincée. Spenceley, qui avait perdu son piolet et ne pouvait rien faire à lui seul, alerta ses quatre camarades du camp 4, mais toutes les recherches, les fouilles avec sondes, piolets et pelles, furent vaines. Après cette fin tragique du chef de l' expédition et de deux porteurs, l' entre fut abandonnée.
Littérature: Les Alpes, bulletin mensuel 6, 1957, p. 128.
Notes complémentaires pour 1953 3° Au NNW de Kathmandu, derrière le Ganesh Himal et à l' est du puissant Manaslu ( 8125 m ), à la frontière tibétaine, s' élève le Sringi Himal, un peu délaissé jusqu' à maintenant. Le 18 novembre 1957, me rendant en avion de Kathmandu à Pokhara, j' ai aperçu, tandis que je planais au-dessus de la vallée de Buri-Gandaki, les lignes hardies du Sringi Himal à une distance de 65 km environ. Mais je savais encore fort peu de choses au sujet de ce petit groupe. En effet, les deux premières ascensions du Mont Everest et du Nanga Parbat, suscitant des échos dans le monde entier, ont comme éclipsé la petite expédition néo-zélandaise 1953 à VHimalaya, restée ignorée hors de Nouvelle-Zélande. Il s' agit maintenant de combler cette lacune.
Les préparatifs de cette expédition commencèrent en 1951 déjà. Son chef était A thol R. Roberts; les participants, Maurice G. Bishop, Graham J. McCallum et Philip C. Gardner ( botaniste ), tous quatre camarades de club et de montagne, membres du « Tararua Tramping Club ». L' ex ne disposait que de 1800 livres en espèces, mais avait reçu de nombreux dons en nature. Leur « voyage de vacances » amena les participants à fin mars à Bombay. Accompagnés de deux « guides » et de 50 porteurs, ils se dirigèrent de Kathmandu par Nawakot sur Arughat, puis sur Jagat, par les terribles gorges de Buri-Gandaki; ensuite vers la région habitée par les Bhutias ( Tibétains ) et, le long du Shiar Khola, vers le hameau de Tumje ( qu' on écrit aussi Domje ) et le Tola Gompa ( couvent ). Une tentative de conquérir le P. 24 299 ft.7406 m ), point culminant du Ganesh Himal, par le glacier Tola Gompa et Parete NW, échoua à 6100 m déjà. Même échec une année plus tard de l' expédition japonaise au Manaslu, qui, repoussée au Sama par la population hostile, avait obliqué vers le Ganesh Himal. Le versant NW de ce massif est de toute apparence très rébarbatif. Seule l' expédition franco-suisse 1955 au Ganesh, dirigée par Raymond Lambert, réussit la première ascension du sommet principal ( 7406 m ), mais en passant par le SE et en traversant le glacier de Sangje.
Après leur premier échec, les Néo-Zélandais ( 1953 ) firent une tentative au sommet P. 23 400 ft.7132 m ) sur la rive ouest du glacier Tola Gompa. A 5800 m environ, une plaque de neige faillit entraîner Gardner et son Sherpa Nyima. Il fallut renoncer. L' assaut du Lampu ( 21 345 ft. = 6506 m ), situé sur l' arête frontière, en direction de Kyirong ( Tibet ), échoua. Déçus, les Néo-Zélandais tournèrent le dos à l' inhospitalier Ganesh Himal et retournèrent à Tumje.
Pour pousser une pointe en direction nord, vers le Sringi Himal, il leur fallait 18 porteurs, qu' ils purent trouver avec quelques difficultés à Chhokang, gros village en amont du Shiar Khola. Après avoir envoyé en avant une reconnaissance, ils remontèrent le Sarpu Khola et atteignirent le Chamar ( 23 545 ft. = 7177 m ), dont le versant NE promettait le succès. Le camp 1 fut établi à 4600 m environ, le camp 2 à 5200 m, le camp 3 à 5800 m, le camp 4 à 6250 met le camp 5 sur l' arête faîtière, à 6700 m. Le 5 juin 1953, Roberts et Bishop avec le Sherpa Namgyal partirent à l' assaut. Roberts, ne se sentant pas bien, dut revenir sur ses pas, mais les deux autres continuèrent leur progression. Bishop, qui marchait en tête, passa quatre heures à tailler Parete de glace terminale, fortement cornichée, chose qui surprend un peu à notre époque de technique poussée des crampons. Malgré tout, ce fut le succès: neuf heures après leur départ du camp, ils étaient au sommet du plus haut point du Sringi Himal.
Entre temps, la deuxième équipe les avait rejoints, et le 7 juin Gardner et McCallum avec Nyima atteignaient à leur tour le sommet. Le magnifique escalier taillé par Bishop facilita beaucoup la dernière montée, en dépit des fortes rafales de vent. Durant la halte au sommet, le temps se gâta -brouillard et tempête de neige. A la descente, Nyima partit en avant sans lunettes, pour retrouver les traces que la tempête avait soufflées. Il dirigea avec sûreté la caravane, mais déjà en atteignant le camp 5 il se plaignait de douleurs aux yeux; le lendemain il ne voyait plus du tout. La descente vers le camp 4, par brouillard épais et neige profonde, fut très difficile et prit sept heures. Bishop et trois Sherpa, voulant venir à leur secours, furent entraînés par une avalanche, perdirent deux piolets mais en sortirent indemnes. C' est le 10 juin seulement qu' ils atteignaient sains et saufs la vallée glaciaire et se trouvaient hors danger. « Chamar had been climbed but not conquered » ( « Le Chamar a été escalade, mais non vaincu » ).
Après l' arrivée de la mousson, quelques expédition de reconnaissance furent encore faites dans les régions plus basses, entre autres au Selbu La ( 5040 m ) et au Thaple La, deux passages très fréquentés pour les échanges commerciaux entre le Tibet et le Népal, puis à Larkya Bazar, dans la partie supérieure de la vallée de Buri-Gandaki et aussi dans la haute Ankhu Khola, sur le versant SW du Ganesh Himal. Tandis que Gardner faisait encore des recherches botaniques, le gros du bagage de l' expédition était envoyé directement à Kathmandu. Le trajet de Tumje à Kathmandu prit 12 jours.
Littérature: « Himalayan Holiday—an account of the New Zealand Himalayan Expedition 1953 ». Christchurch, Auckland: Whitcombe and Tombs 1954. 44 p., 16 illustrations, 1 croquis topographique. Les Alpes 1956, p. 104 à 118. Berge der Welt 1955, p. 140-144.
4° L' Annapurna II ( 7937 m ), deuxième sommet par ordre d' altitude du groupe de V Annapurna, est depuis longtemps le rêve de bien des connaisseurs de l' Himalaya. Après les huit mille, qu' on ne trouvera bientôt plus sur le « marché », l' Annapurna II est l' une des plus belles et des plus fières montagnes de l' Himalaya. Le meilleur itinéraire d' ascension est reconnu depuis 1950 déjà: de Manangbhot dans la vallée de Marsyandi, traverser l' Annapurna IV ( 7524 m ), ou l' épaule de ce sommet, pour rallier l' arête reliant l' A. IV à l' A. II, sur laquelle il faudra poser le dernier camp. De là, continuer par l' arête NW de l' A. II jusqu' à son sommet Tel était aussi le plan de la petite expédition britannique à PAnnapurna 1957. Elle se composait de C. Evans, l' un des « himalayistes » les plus expérimentés ( sommet sud de l' Everest en 1953, direction de l' expédition au Kangchendzönga 1955, etc. ), et de P. Davis, avec le fameux Dawa Tensing comme Sirdar et trois autres excellents Sherpa, Urkien, Mingma Tsering et Pasang Sonam.
Retenue par des quantités inaccoutumées de neige, l' expédition ne put atteindre le camp de base que le 16 avril. Le 4 mai, le camp 4 était établi sur l' arête faîtière, à 7000 m environ, et, à partir de ce camp, Evans-Davis atteignaient en trois heures le sommet de PAnnapurna IV ( 7524 m ). C' était la deuxième ascension, la première ayant été réussie, comme on le sait, par la « Deutsche Nepal-Expedition 1955 ». Le temps était si mauvais qu' il ne fallait pas songer pour le moment à l' Annapurna II. Aussi Evans et son équipe retournèrent-ils pour quelques jours au camp de base.
Le 15 mai ils étaient de nouveau au camp 4 et le jour suivant, contournant le sommet de PAnnapurna IV par la terrasse de l' épaule, ils cherchèrent à progresser si possible jusqu' au pied du cône sommital de PAnnapurna II pour installer le camp 5; mais la très longue arête qui relie IV à II perd au début passablement d' altitude, et le temps s' était gâté sans espoir. La retraite deve- nait inévitable et fut une lutte contre une terrible tempête de neige. Le camp 4 - où il n' y avait plus d' équipe de secours - fut atteint juste à la tombée de la nuit.
Un mauvais temps persistant accompagna la descente de deux jours vers le camp de base et se maintint encore toute la semaine suivante. Le retour sur Kathmandu se fit par Muktinath, la vallée de la Kali-Gandaki et Pokhara.
L' échec honorable de la petite expédition Evans montre bien qu' un peu de chance avec le temps aurait probablement permis de réussir la première ascension de l' Annapurna II; cette splendide montagne est « mûre ».
Littérature: Alpine Journal, n° 295, novembre 1957, p. 173-174.
5° A quelque 16 km seulement à l' ouest de l' Annapurna II, au-dessus de vallées subtropicales profondément encaissées, se dresse le sauvage Machapucharé ( 6997 m ). Ce nom difficile, qui s' écrit officiellement Machhapuchhare, a une signification assez prosaïque: « queue de poisson ». En effet, avec un peu de fantaisie la forme bizarre de ce sommet bifide peut faire penser aux deux parties de la nageoire caudale d' un poisson géant. ( Voir Les Alpes 1956, photo 90. ) L' Ama Dablam ( 6856 m ), dans la partie sud du groupe de l' Everest, le Machapucharé ( 6997 m ), dans le Népal central, et la Tour de Mustagh ( 7280 m ) dans le Karakorum sont les trois représentants les plus célèbres de la beauté romantique; on peut les comparer à notre Cervin, mais porté à l' échelle himalayenne. Après le succès remporté par deux expéditions à la Tour de Mustagh en 1956, 1957 marqua la première attaque sérieuse contre le Machapucharé.
Dirigée par J.O. M. Roberts, l' expédition britannique avait comme participants R. Chorley, D. Cox, Ch. Wylie et W. Noyce. Le fameux Ang Nyima était au nombre des Sherpa.
Le 18 avril 1957, l' expédition quittait Pokhara ( qui possède un petit aérodrome ) avec 60 porteurs et, passant par Ghandrung, atteignait en quatre jours de marche Chomrong, dernier village habité, puis se frayait un chemin dans la gorge de Modi, à travers des fourrés de bambous. Le 24 avril, le camp de base était dressé, à 4000 m environ, sur le versant droit ( occidental ) du Modi Khola, à quelque 200 m au-dessus de la rivière.
L' accès à l' arête nord du Machapucharé est fermé en bas par de puissantes parois rocheuses, coupées à un endroit seulement par une gorge encore remplie de neige ( elle fut baptisée « Gar-dyloo » - d' après l' ancien cri d' avertissement qui était en usage à Edimbourg au moment où l'on se préparait à jeter de l' eau sale par la fenêtre !). On réussit à traverser la gorge et, le 27 avril, le camp I était installé à 4900 m environ.
Au grand ennui de l' officier de liaison népalais, l' équipe britannique se divisa en deux groupes: Roberts et Wylie voulaient reconnaître le P. 23 807 ft. = 7256 m ( le Ganesh ?x ), une montagne imposante à l' ouest du Modi Khola. Le P. 23 807 à l' ouest et le Machapucharé à l' est se dressent comme des sentinelles devant le sanctuaire de l' Annapurna Himal du côté sud. Ces deux fiers sommets étaient sans doute l' objet des convoitises de l' expédition. La première reconnaissance du « Modi Tse » ne permit de monter que jusqu' à 5940 m dans une neige très profonde.
Un incident grave se produisit dans l' autre groupe, resté au Machapucharé: Roger Chorley fut atteint de poliomyélite ( paralysie infantile spinale ) et dut être transporté au prix de grandes difficultés au British Women' s Hospital à Pokhara. On continua cependant à préparer l' attaque de la montagne.
1 Le nom « Ganesh », qui semble être en usage ici, est très mal choisi, car il prête à confusion avec le Ganesh Himal ( au NNW de Kathmandu ). Peut-être vaudrait-il mieux appeler le P. 23 807 Modi Peak ou Modi Tse. Son altitude, fixée auparavant à 23 607 ft. = 7195 m, serait, selon W. Noyce, de 23 807 ft. = 7256 m.
Partant d' un camp 2, Cox et Noyce atteignirent la « selle nord », mais durent se convaincre que la sauvage arête nord est impraticable dans toute sa longueur. Il s' agissait donc de rallier la même arête plus au sud, plus près du sommet. Cela exigeait d' abord l' établissement d' un camp 3 à 6100 m environ, sur un rognon de glace, aux 2/3 de la hauteur de la paroi. Cette paroi cannelée demanda un grand travail de taille et la pose de 270 m de corde fixe. Il restait 200 m entre le nouveau camp et l' arête; ce trajet coûta aussi beaucoup de peine et encore 60 m de cordes. Alors seulement Noyce put tailler une encoche dans la corniche de l' arête.
L' arête effilée, s' élançant jusqu' au pied d' un pilier rocheux, avait un aspect si terrifiant qu' on décida de faire une tentative dans le versant est. Un solide pieu de bois fut fiché dans l' arête pour permettre une descente en rappel sur l' un ou l' autre versant. Les alpinistes britanniques firent un rappel de 60 m sur le versant de Seti Khola, dans une petite gorge raide très étroite, puis une traversée délicate de 400 m en direction sud sur une pente raide où l'on plongeait dans une neige sans fond. Ce fut un soulagement de mettre enfin le pied sur un terrain sûr, un névé peu incliné où l'on pouvait placer le camp 4 ( 6200 m ).
Le trajet de retour vers le camp 3 fut extrêmement désagréable aussi, puis il fallut traverser encore une fois le passage dangereux en compagnie de trois braves Sherpa lourdement chargés, Ang Nyima, Tashi et le jeune Ang Tsering. Mais tout se passa bien et le 17 mai le camp 4 était dressé.
L' espoir de pouvoir atteindre de là sans nouvelles difficultés la terrasse glaciaire supérieure, sous le ressaut sommital du Machapucharé, fut amèrement déçu. Un abîme tombant vers le Seti Khola s' ouvrait derrière l' éperon oriental d' un bastion rocheux bien marqué ( « Rock Buttress » ), qui semblait couper toute progression. On finit par trouver une issue par l' éperon tranchant comme une lame de couteau en direction de l' arête principale ( à droite ). De là, descente par une échelle de corde de ll/i m, puis descente de 90 m à la corde jusqu' à une corniche collée à la paroi. En suivant cette corniche et traversant non sans peine deux immenses crevasses, les ascensionnistes purent atteindre la terrasse du glacier supérieur. Le ler juin, Cox et Noyce y installaient le camp 5 ( 6400 m ).
Le jour suivant devait être décisif. Le départ fut donné à 4 h. 15, par une matinée radieuse. qu' à la rimaye il fallut labourer jusqu' aux genoux la neige de ce versant nord. Au-dessus se dresse la paroi abrupte, cannelée comme les colonnes antiques, montant tout droit vers l' arête sommitale déchiquetée - et tout cela en glace vive! Chaque marche ou prise doit être littéralement burinée; la progression est infiniment lente. Le sommet n' est plus loins - 40 à 50 m de dénivellation peut-être ( 150 pieds ). Mais lequel des gendarmes de l' arête est le plus élevé? Laquelle de ces côtes de glace mène au vrai sommet? D' en bas, ce n' est pas facile à trancher.
Le temps se gâte rapidement, les hauts sommets - Dhaulagiri, Annapurna et Manaslu - disparaissent dans des nuages allongés, la neige se met à tomber toujours plus fort. Il faut renoncer. Noyce et Cox furent tout heureux de retrouver à 14 h. 30 leur tente ( camp 5 ), déjà à moitié recouverte par la neige. Le 3 juin ils commencèrent une descente difficile vers le camp de base qu' ils atteignirent sans accident.
De nombreux journaux ont annoncé que l' expédition britannique 1957 a vaincu le Machapucharé, le Cervin du Népal. Ce ri est pas exact. Selon le récit passionnant et strictement véridique de Wilfrid Noyce, sa cordée a fait demi-tour à quelque 150 pieds au-dessous du sommet. Cela ne représente pas grand-chose, à peine deux longueurs de corde, et au Kangchendzönga, en 1955, les ascensionnistes n' ont pas foulé non plus le point culminant de la montagne. Mais ce fut uniquement par égard aux sentiments religieux de la population indigène. On resta à 1 */2 m de dénivellation au-dessous du sommet; quelques pas auraient permis de l' atteindre sans peine. Au Machapucharé, par contre, ce ne fut pas un renoncement volontaire: la paroi de glace cannelée conduisant à l' arête sommitale présentait des difficultés extrêmes et aurait exigé encore un long et dur travail, la position du sommet principal ( 6997 m ) n' était pas exactement connue, le mauvais temps vint s' ajouter à tout cela et obligea à la retraite. Ce fut une défaite honorable, après une lutte longue et rude, mais ce ne fut pas la première ascension du Machapucharé.
Littérature: Alpine Journal, n° 295, novembre 1957, p. 113-120. Voir aussi Berge der Welt 1954, table 53, et Himalayan Journal, XVIII, p. 81-86.
Pour une nouvelle attaque il faudra prendre sérieusement en considération l' arête SW, en majeure partie rocheuse. Elle donnerait directement accès au sommet sud du Machapucharé, un peu moins élevé, il est vrai.
Il n' y a rien à annoncer au sujet du Dhaulagiri en 1957. En 1958 seulement on y entreprendra quelque chose; une nouvelle expédition suisse de huit membres est sur le départ. Elle sera dirigée par Werner Stäuble, de Zurich, qui était déjà dans la région du Dhaulagiri en 1955 x.
6° La Nanda Devi ( 7816 m ), le plus haut sommet du Gharwal, fut, en 1957, le but d' une expédition indienne, organisée par le « Himalayan Mountaineering Institute » à Darjiling. La première ascension avait été réussie le 29 août 1936 déjà par N. E. Odell/H. W. Tilman, la deuxième probablement par la cordée disparue Duplat-Vignes, en 1951. L' ascension en question aurait donc été la troisième. Mais la « Déesse Nanda » est une montagne si splendide que cette reprise en valait la peine. Selon un communiqué du major Jayal, de terribles tempêtes de neige et la maladie de l' un des participants forcèrent les alpinistes à la retraite; cinq d' entre eux, cependant, ont pu progresser jusqu' à 150 m environ au-dessous du sommet.
Notes complémentaires pour 1956 7° Ainsi que je l' ai brièvement annoncé dans ma chronique himalayenne de l' année dernière {Les Alpes 1957, fascicule trimestriel 1, p.22; Der Bergsteiger, avril 1957, p.249 ), l'«Himalayan Mountaineering Institute » a organisé en 1956, dans le groupe du Sasir Kangri ( branche sud-est du Karakorum ), une expédition conduite aussi par N. D. Jayal. Le projet initial d' attaquer le Sasir Kangri ( 7672 m ) lui-même fut abandonné: une ceinture de murs de glace surplombants, située à 6400 m environ sur le versant ouest, rendait l' accès de la montagne impossible ou, tout au moins, extrêmement dangereux. La première ascension d' un sommet sans nom de 7300 m environ, annoncée plus tard seulement, fut cependant un prix de consolation.
8° Long de 72 km, le puissant glacier Siachen ( Sia = la rose, chen = grand ) est, par ses dimensions, le deuxième glacier d' Asie. Il n' est dépassé que par le glacier Fedtchenko, au NW du Pamir, qui, avec ses 77 km, est le plus long glacier existant hors des régions polaires. Après une longue interruption, une expédition choisit de nouveau comme terrain de travail le « Grand glacier des Roses ». C' était 1'«Imperial College Expedition 1957 », dirigée par Eric E. Shipton, avec, comme suppléant, le Dr G. M. Budd; les autres participants à cette expédition purement scientifique étaient: B.J. Arnos, G. C. Brätt, R. Cratchley, C. M. Gravina, P. H. Grimley et K.J. Miller.
Partant de la vallée de Shayok, l' expédition suivit dans sa marche d' approche les rivières Saltoro et Dansam jusqu' à Goma, progressa par le glacier Bilafond, où commencèrent déjà les travaux 1 Alors que cet article est déjà sous presse, nous apprenons que l' expédition 1958 au Dhaulagiri a dû renoncer à 7600 m environ. Le temps et les conditions de neige ne laissaient aucun espoir de succès.
cartographiques et, traversant le Bilafond La ( 5547 m ), atteignit le Siachen moyen. Un groupe remonta alors le glacier Teram Sher ( Teram Shagri ?), situé sur le versant sud du massif du Teram Kangri, sans entreprendre toutefois de grandes ascensions. Une tentative de réaliser la traversée du Siachen au Baltoro par le passage que j' avais exactement reconnu en 1934 - et qu' on atteint en remontant le versant sud du Sia Kangri jusqu' à 6700 m environ ( camp 7 de l'«I. H. E. 1934 » ) -échoua par mauvais temps et fortes chutes de neige. Le chemin du retour passa de nouveau par le Bilafond La.
On ne peut pas encore dire grand-chose des résultats scientifiques de cette expédition, rien n' ayant été publié jusqu' à maintenant. Le 22 avril 1958, Shipton a présenté à l' Alpine Club une conférence sur son entreprise de Siachen. Un nouveau levé photogrammétrique ( échelle 1:50000 ) du « Grand glacier des Roses », délaissé au cours des dernières dizaines d' années, présenterait certainement une grande valeur scientifique et une grande importance pour les alpinistes. Mais comme il s' agit là d' un territoire immense, cette carte se fera sans doute attendre encore quelque temps.
9° Par contre, pour la région voisine, celle du Baltoro, il existe un très beau nouveau levé; mais actuellement il n' a pas encore acquis sa forme définitive. Il s' agit de 1'«Edizione Provvisoria » du Rilievo stereofotogrammetrico terrestre: « K 2 », 1:12500, équidistance 25 m, publié par l' Istituto Geografico Militare à Florence d' après les levés de l' expédition italienne au Karakorum en 1954, dirigée par le prof. Ardito Desio. Après la première ascension dramatique du K 2 par L. Lacedelli le 31 juillet 1954, voici maintenant la carte: très grande échelle, beau dessin en traits adoucis pour les rochers, elle est presque « un luxe pour le Karakorum » ( Marcel Kurz ). Un luxe, soit, mais c' est le K 2 ou Chogori, « la montagne des montagnes ». Réjouissons-nous d' avoir maintenant de magnifiques cartes spéciales des deux plus hauts sommets du monde, le Mount Everest ( 8848 m ) et le K 2 ( 8611 m ), cartes établies à une échelle à laquelle nous ne sommes pas habitués même dans les Alpes.
Littérature: Les Alpes, 1er fascicule trimestriel 1958, p. 62 et 64. La nouvelle carte du K 2 n' est pas encore publiée officiellement en ce moment ( printemps 1958 ). Je dois à l' amabilité du prof. Desio d' avoir un exemplaire de l' édition provisoire.
10° L' expédition au Karakorum de l' Österreichische Alpenverein, expédition composée de Marcus Schmuck, Fritz Wintersteller, Kurt Diemberger et Hermann Buhl, a été l' un des événements les plus importants de l' alpinisme en 1957. Le but principal de cette expédition était le Broad Peak ( 8047 m ), où une expédition allemande avait atteint en automne 1954 le point 7100 m. L' équipe autrichienne de 1957, petite, mais extraordinairement forte et combattive, voulait tenter l' ascension sans porteurs d' altitude et sans appareils à oxygène, en suivant l' itinéraire que j' avais proposé dans mon livre Baltoro ( Bâle 1939, p. 70-72 ).
Le 26 avril, les alpinistes quittaient Askole avec 92 porteurs Baltis. Tout alla bien jusqu' à Urdokas. Puis, sur le Baltoro moyen, ce fut la grève habituelle, par mauvais temps et neige profonde. Le 6 mai, les coolies partirent, plantant là les quatre alpinistes; avec deux courriers postaux fidèles et sûrs, les Autrichiens durent pendant huit jours faire des transports: 23 charges de près de 30 kg devaient être transportées à 4 km, tout le reste du matériel à 12 km, où l'on avait établi le camp principal ( 4900 m ), sur la moraine médiane du glacier Goldwin Austen. Ce dur entraînement fut très utile pour l' acclimatation!
L' expédition attaqua alors l' éperon ouest du Broad Peak, au sujet duquel j' avais écrit il y a 20 ans: « Cet éperon est certainement praticable et présente une voie directe abritée des avalanches permettant de franchir les raides parois inférieures et d' atteindre la grande terrasse neigeuse. Pour les „ tigres " cette voie d' accès est sans doute praticable, probablement sans de longs travaux pour préparer le chemin. Mais pour les porteurs Baltis, l' éperon ouest est déjà trop difficile. » Ce que je ne pouvais pas prévoir en 1938/39, c' est l' interdiction d' entrée pour les Sherpa dans l' Etat du Pakistan nouvellement créé ( 1947 ). Qu' une petite expédition sans Sherpa et sans Hunza soit capable, malgré tout, de vaincre un huit mille difficile, les « sahibs » se chargeant eux-mêmes du dur labeur des porteurs d' altitude - voilà bien une chose qu' on aurait considérée comme impossible autrefois. Ce fut vraiment un exploit extraordinaire que l' installation des trois camps d' altitude munis de tout le nécessaire par les quatre Autrichiens qui transportèrent chaque jour jusqu' à 25 kg de matériel. Ils établirent le camp I ou « Camp de la Dent » à 5800 m, le camp II ou « Camp de la Corniche » à 6400 m, au bord du plateau neigeux, et le camp III ( au-dessus de l' abrupte « Chapelle de glace » ) à 6950 m.
Le 29 mai on lança la première attaque contre le sommet. Mais c' était encore trop tôt, l' installa du camp III n' avait été achevée que le 28 mai, exigeant des efforts incroyables jusque tard dans la nuit. Toutefois, voulant profiter du beau temps, les alpinistes renoncèrent à la journée de repos bien méritée et se mirent en route à 5 heures du matin: froid terrible, neige poudreuse profonde, rude travail pour ouvrir les traces dans la pente raide. Le pire de tout furent les 250 derniers mètres avant d' atteindre la brèche entre le sommet central et le sommet principal du Broad Peak - passage qu' en 1938/39 j' avais déjà défini comme « le seul tronçon problématique de la voie ». Wintersteller surmonte brillamment des rochers raides et verglacés qu' il faut classer déjà dans le IVe degré, et les munit de 80 m de corde fixe. La brèche ( 7800 m environ ) est atteinte. Mais il est 17 heures déjà et le temps se gâte. Cependant, Wintersteller et Diemberger progressent encore avec difficulté jusqu' à un avant-sommet ( 8030 m environ ), situé sur l' arête nord du sommet principal. Il est déjà 18 h. 30, le brouillard et la tempête de neige se mettent de la partie. Il faut retourner sur ses pas. Après une descente passablement aventureuse, tous se retrouvent sains et saufs au camp III à 21 h. 30 ( 6950 m ) et rejoignent le jour suivant le camp de base ( 4900 m ) pour se reposer à fond et attendre le beau temps.
Le 8 juin, au début de l' après déjà, les alpinistes étaient de nouveau au camp III et pouvaient ainsi faire tranquillement les préparatifs pour l' assaut final. Le 9 juin, dimanche de Pentecôte, devait décider de la victoire. A 3 h. 30, le départ était donné. Le froid mordant mettait tout le monde à l' épreuve, en particulier Buhl, qui n' était pas bien en forme et que ses pieds, gelés au Nanga Parbat, faisaient souffrir. Schmuck et Wintersteller, qui marchaient en tête, atteignaient la brèche à 12 h. 45 déjà, grâce à la corde fixe laissée lors de la première tentative, et y faisaient une halte prolongée. La montée vers l' anté, atteinte déjà la fois précédente, fut dure; il était pénible de constater que le sommet sud, plus élevé, était encore passablement éloigné. Enfin la longue arête reliant les deux sommets, avec ses nombreuses montées et descentes, était franchie, et peu après 17 heures, Schmuck et Wintersteller atteignaient les puissantes corniches du sommet principal. Le Broad Peak ( 8047 m ) était le quatrième « huit mille autrichien ». Le temps était radieux, la vue claire jusque dans le lointain.
Les deux autres avaient atteint la brèche ( 7800 m environ ) à 13 h. 30. Buhl, ordinairement si rapide, dut prendre toute une heure de repos; Diemberger resta auprès de lui. Puis ils reprirent lentement la progression, mais peu avant 17 heures ils n' avaient pas même atteint l' anté, et le sommet principal leur apparaissait très lointain. Que faire? Diemberger était en très bonne forme et Buhl fut d' accord que son jeune camarade tentât d' atteindre le sommet seul. Quant à lui, il avait perdu toute sensibilité aux pieds et n' avait « plus aucune ambition en ce moment », comme il le reconnut loyalement lui-même; il resta donc en arrière.
Entre temps, Kurt Diemberger traversait en un peu plus d' une demi-heure l' arête faîtière et atteignait le sommet principal juste au moment où Schmuck et Wintersteller commençaient la descente. Diemberger monta même deux fois au sommet ( 8047 mEn effet, sur le chemin du retour il rencontra Hermann Buhl qui, avec sa volonté inflexible, poursuivait opiniâtrement sa route. Sans dire un mot, Diemberger fit demi-tour et à 7 heures du soir ils étaient ensemble au sommet du Broad Peak. La nuit montait des vallées, seuls les sommets les plus élevés avaient encore des reflets rouge-sang. Ce fut un moment indescriptible, le couronnement de la vie d' alpiniste de Hermann Buhl, vie glorieuse et unique en son genre!
Non loin du camp principal où l' expédition se reposait maintenant, se dressait un groupe de montagnes majestueuses, presque inconnues, avec de nombreux sept mille. Ce groupe est situé à l' ouest du glacier Savoia, c'est-à-dire entre le K 2 ( 8611 m ) et la Tour de Mustagh ( 7280 m ). Le sommet le plus élevé de ce « Groupe Savoia » ( ce nom n' est pas reconnu officiellement ) semblait très engageant. Le 18 juin, Schmuck et Wintersteller s' attaquèrent à cette nouvelle tâche. Par le glacier Goldwin-Austen moyen et le glacier Savoia inférieur, ils se dirigèrent vers un glacier crevassé, tributaire de droite ( ouest ) de ce dernier. Les skis courts leur rendirent de grands services pour franchir les ponts peu sûrs au-dessus de nombreuses crevasses et monter en toute sécurité. Après dix heures de marche, ils plantèrent leur tente légère sur une large terrasse glaciaire, à 6060 m environ.
Le matin du 19 juin, ils purent encore utiliser les skis pour monter jusqu' à la rimaye ( 6200 m ), puis attaquèrent en crampons le raide flanc sud-est de leur montagne: 300 m de paroi de glace, couloir de neige pour éviter une chute du glacier, montée dans une neige poudreuse où ils enfonçaient jusqu' aux hanches et devaient s' arrêter tous les trente pas, rochers dangereux couverts de neige et, finalement, arête cornichée, conduisant au sommet. Ce fut un rude travail de douze heures qui mobilisa toutes leurs forces et fut presque plus dur encore que l' ascension du Broad Peak.
Quelle est l' altitude de ce sommet sans nom ?1 L' altimètre des Autrichiens indiquait 7420 m, mais on sait qu' il ne faut pas se fier à un anéroïde. Les valeurs obtenues par photogrammétrie sont beaucoup plus importantes. Elles nous donnent le choix entre deux cotes: la carte au 1:100 000 de F. Negrotto ( 1911 ) indique 23 829 ft. = 7263 m, et cette altitude est reprise sur la carte au 1:75 000 de l' expédition Spoleto-Desio 1929 ( parue en 1937 seulement ). La carte au 1:250 000 de Michael Spender 1937 ( parue en 1938 ), prise du nord, c'est-à-dire du côté de Shaksgam, indique 7360 m. Les deux cotes se rapportent-elles vraiment au même sommet? C' est ce que j' avais supposé tout d' abord, mais, après avoir soigneusement étudié toutes les photos dont je disposais, j' in à penser que l'on a visé deux sommets différents: le P. 7263 m ( Negrotto ) est le sommet oriental du massif portant sur le croquis de Y Alpenvereinszeitschrift 82 ( 1957 ), p. 30, la cote 7360. Le P. 7360 m ( Spender ) est le sommet principal, situé à l' ouest et mesurant quelque 100 m de plus; sur le croquis susmentionné il porte la cote « 7420 environ » et manque sur les cartes italiennes. Spender a certainement visé et calculé du côté nord le point culminant du « groupe Savoia », et c' est justement ce sept mille que les Autrichiens ont conquis pour la première fois. Il me semble donc que 7360 m doit être considéré pour le moment comme la cote la meilleure et la plus probable. Seul un nouveau levé photogrammétrique peut trancher si la valeur de Spender est vraiment de 60 m trop basse et si, par exception, l' altitude de 7420 m donne par l' altimètre est plus près de la vérité. Du reste, une différence de 60 m n' est pas trop importante. Les cartes du Karakorum ont bien des fautes beaucoup plus graves! Le fait que de leur sommet les Autrichiens dominaient nettement la Tour 1 Nous apprenons à l' instant que le gouvernement de Pakistan l' a nommé: « Skil Brum ». 170 de Mustagh ( 7280 m ) n' est pas un critère et correspondrait aussi à l' altitude déterminée par Spender. Réussissant du premier coup, avec un seul camp intermédiaire, l' ascension du plus haut sommet du « Groupe Savoia », alors qu' ils se ressentaient encore de l' ascension répétée d' un huit mille, Schmuck et Wintersteller ont en tout cas accompli un exploit remarquable.
Au point de vue technique, il est particulièrement intéressant de noter que, aussi bien au Broad Peak qu' au sommet P. 7360 m du « Groupe Savoia », la méthode de descente en position assise avec freinage au moyen du piolet a été largement mise en pratique dans la neige profonde, économisant beaucoup de temps et de forces. Mais encore faut-il maîtriser cette technique de descente pour pouvoir l' appliquer!
Bühl et Diemberger, eux aussi, avaient envie de faire encore un beau sept mille après le Broad Peak et choisirent le Chogolisa ( 7654 m ) dont j' ai dit dans Baltoro, p. 79: « Le Chogolisa est un sommet magnifique. Par la beauté classique et le calme de ses lignes, par ses puissants flancs neigeux cannelés, c' est une montagne de glace idéale. » La voie d' accès qui s' impose est connue depuis 1909: c' est l' arête sud-est par laquelle le duc des Abruzzes et ses guides étaient montés en 1909 jusqu' à 7498 m, record d' altitude alpine qui ne fut dépassé que 13 ans plus tard à l' Everest. Avec un peu de chance quant au temps, le Chogolisa ( appelé encore à cette époque « Bride Peak » ) aurait certainement été vaincu en 1909 déjà et ne présentait donc aucun problème pour des alpinistes modernes de toute grande classe.
Bühl et Diemberger passèrent à l' endroit où avait été installé le camp 4 de mon « Internationale Himalaya-Expedition 1934 » et se dirigèrent au sud, vers la selle Kaberi. Le 24 juin, ils établissaient leur camp I à 6300 m, le 25 juin le camp II à 6700 m. Le 27 juin devait être décisif. Buhl, qui avait longtemps ouvert la trace, était en bonne forme et se sentait beaucoup mieux qu' au Broad Peak.
Partis de bonne heure ( 4 h. 45 ), ils traversèrent l' anté P. 7150 m et atteignirent à 9 heures la selle ( 7010 m ) qui suit ce sommet Le temps paraissait sûr, la voie jusqu' au sommet était bien visible et semblait praticable sans difficultés. Sur le désir de Buhl, ils n' étaient pas encordés. Se relayant pour ouvrir la trace, ils étaient arrivés à 7300 m environ lorsque le vent se leva subitement et le brouillard les enveloppa. Le temps empirait rapidement, le vent tournait en tempête, des rafales de neige empêchaient toute visibilité, il devenait dangereux de poursuivre la montée par l' arête cornichée. A 13 heures, ils décidèrent de rebrousser chemin. Diemberger marchait en tête, Buhl, non encordé, le suivait à 10 m; le bord des corniches se perdait à gauche dans le brouillard ( « buanderie » ), la trace de montée était à peine visible. Et ce fut l' accident! Une secousse ébranle la neige. Diemberger fait instinctivement un saut à droite, quant à Hermann Bühl...
« De l' arête sommitale, je pouvais voir exactement les traces et constater que celle de Hermann se séparait de la mienne dans une courbe et, continuant tout droit, conduisait à une cassure de corniche ( photo ) », conclut la déclaration de Kurt Diemberger, dont le procès-verbal fut établi le 28 juin 1957 au camp principal.
Les actions de secours et de recherches restèrent sans succès. Au bas de la trace laissée par la chute de corniche, d' une dénivellation de 300 m au moins, s' étaient amassées d' immenses masses de neige que de nouvelles avalanches venaient recouvrir à tout moment. Sous ces neiges repose l' un des alpinistes les meilleurs, les plus hardis et les plus brillants de notre temps.
Littérature: österreichische Bergsteiger-Zeitung, nos 8 et 10, août et octobre 1957. Der Bergsteiger, fascicule 12, septembre 1957, chronique, p. 157-160; fascicule 1, octobre 1957, p. 41-49.Jahrbuch des österreichischen Alpenvereins 1957 ( Alpenvereinszeitschrift, vol. 82 ), p. 25-47.
11° Le Masherbrum ( 7821 m ) est un joyau du Baltoro. Des tentatives y furent faites en 1938 déjà par une expédition britannique et en 1955 par une expédition néo-zélandaise, non pas par la face du Baltoro, qui n' offre presque aucune chance de succès, mais par le versant sud, en partant de la vallée de Hushi. En 1957 une nouvelle attaque énergique fut entreprise par un groupe d' alpi de Manchester. L' expédition, dirigée part. Walmsley, se composait de E. W. Dance, R. Downes, G. Smith, R. Sykes et D. Whillans.
Le 7 juin, l' expédition quittait Skardu et se dirigeait vers le glacier Masherbrum en suivant le versant nord du Shayok et passant par Doghani et la vallée de Hushi, pour établir le camp de base à près de 4000 m, au pied du « Sérac Glacier », affluent N du glacier Masherbrum. Comme l' in son nom ( pas très original ), et comme l' avaient constaté les expéditions précédentes, la montée par le « Sérac Glacier » présente assez de difficultés et de dangers. Le camp 1 ( 4700 m environ ) fut installé le 18 juin au-dessus de la seconde chute du glacier; le camp 2 ( 5240 m environ ), le 19 juin, dans la cuvette au-dessus de la troisième chute du glacier; le camp 3 ( 6400 m environ ), le 23 juin, au « Dôme », coupole de neige au-dessus du « Sérac Glacier ». Le camp 3, placé au seuil de la cuvette de neige supérieure, et d' où l'on pouvait progresser sur une bonne distance sans grandes difficultés, servait de camp de base avancé. Mais là-dessus vinrent huit jours de mauvais temps.
Le camp 4 ( 6700 m environ ) put être établi le 2 juillet seulement sur le plateau dominé par le versant sud-est du Masherbrum et, deux jours plus tard, le camp 5 ( 7000 m environ ) sur le flanc de l' arête est. Le 9 juillet on installait le camp 6 ( 7300 m environ ) sur le versant sud-est. Whillans et Smith entreprenaient de là la première tentative vers le sommet, mais devaient abandonner à 7680 m environ par suite des conditions dangereuses de la neige. Même ils étaient contraints de bivouaquer. Au lieu de pouvoir se remettre de ces mésaventures dans des régions moins élevées, ils restèrent encore trois jours au camp 6, bloqués par le mauvais temps.
Le 18 juillet, Walmsley et Downes, avec le porteur Hussein, retournaient au camp 6, prêts à renouveler l' attaque. Une pneumonie terrassa subitement Downes qui mourut le jour suivant. Aux grandes altitudes ( 7300 mla pneumonie peut provoquer la mort en quelques heures si l'on ne dispose pas d' appareil à oxygène. Ce fait s' est souvent confirmé, hélas!
Le temps fut de nouveau si mauvais que Walmsley et Hussein purent entreprendre la descente le 24 juillet seulement, puis il fallut remonter pour descendre le mort et l' enterrer. Mais les alpinistes de Manchester ne renoncèrent pas. Le 12 août, Walmsley, le courageux chef de l' expédition, et Whillans, qui était déjà monté jusqu' à 7680 m, étaient une fois de plus au camp 6, mais de nouveau le temps changea et les contraignit à trois jours d' attente. Le 15 août ils progressèrent jusqu' à l' emplacement du bivouac de la première cordée et y installèrent le camp 7 ( 7560 m environ ). Le 16 août devait décider de la victoire.
A 2 h. 30 déjà, heure inhabituelle pour l' Himalaya, ils étaient en route, et vers 4 heures atteignaient le couloir entre les deux sommets ( NE 7821 m, SW 7806 m ). Ils y eurent une amère déception: en dépit de l' heure matinale, la neige était complètement pourrie et très profonde. Il ne leur restait rien d' autre à faire qu' à s' attaquer au pilier rocheux sur le côté gauche du couloir, qui présentait une varappe extrêmement difficile. Sept heures furent nécessaires pour vaincre une dénivellation de 200 pieds, soit 60 m environ! Les rochers étaient verglacés et enneigés. Whillans perdit une paire de gants, Walmsley eut des gelures au pouce et aux orteils. Ils arrivèrent finalement à une altitude de 25 300 ft. = 7711 m, soit à 110 m de dénivellation seulement au-dessous du sommet, mais il n' y avait plus moyen de continuer. Ils descendirent en rappel et retournèrent au camp 7. Deux jours plus tard ils étaient au camp de base. Ils avaient livré une lutte héroïque qui mérite une mention honorable dans les annales du Karakorum-Himalaya, même si le sommet ne put être conquis.
Dans mon livre Baltoro ( p. 38 ) j' ai écrit il y a vingt ans au sujet du versant sud du Masherbrum: « Il faut bien se rendre compte que ce sont justement les 300 derniers mètres de la pyramide sommitale escarpée qui présentent les plus grandes difficultés techniques. Une varappe très difficile à une telle altitude est toujours un problème. » Bien que ce pronostic se soit confirmé, on peut affirmer aujourd'hui que le Masherbrum, le « Cervin du Baltistan », est maintenant « mûr ». Il faut cependant non seulement des ascensionnistes d' élite, mais avant tout un temps plus favorable que celui dont furent gratifiés les courageux alpinistes de Manchester.
Littérature: Jusqu' à maintenant ( mai 1958 ) des comptes rendus de cette expédition n' ont été publiés que dans le Times. Les renseignements précis que m' a communiqués par lettre mon camarade de club O. Dangar ont une valeur plus grande.
12° En août et septembre 1957, une expédition de l' université d' Oxford tenta une ascension du Haramosh ( 24 270 ft. = 7397 m ), massif célèbre situé entre l' Indus et le glacier Chogo-Lungma dont l' ascension n' avait jamais encore été entreprise sérieusement. Le chef de l' expédition était le capitaine H. R. A. Streather, les autres membres: R. C. Culbert, J. A.G. Emery, B.A.J.illott et l' Amé D. Hamilton. L' expédition quitta Gilgit à la fin de juillet 1957, en compagnie de l' officier de liaison et topographe pakistanais Sahib Shah et de six porteurs Hunza. Elle se rendit en jeep à Sasli ( qu' on écrit aussi Susli ), dans les gorges de l' Indus. Une marche d' approche de deux jours seulement les conduisit au camp de base dans la vallée de Kutwal, que domine le flanc nord du Haramosh. Ce flanc nord, d' une hauteur de 4000 m environ, très raide et balayé par les avalanches, ne pouvait entrer en ligne de compte. On explora donc d' abord l' arête NW et l' arête W jusqu' à l' altitude de 5200 m environ. Les deux arêtes sont très déchiquetées et coupées de gradins raides; elles présentent apparemment de grandes difficultés techniques et ne sont donc guère engageantes. L' arête SW, elle aussi, ne semble offrir aucune possibilité. Les membres de l' expédition italienne 1954 au Karakorum ont déclaré que le versant sud du Haramosh est aussi très rébarbatif. Il fut décidé alors d' aborder sérieusement l' arête NE qu' on n' avait pas encore examinée de près. Elle a une longueur de 9 km au moins entre Haramosh La ( 5200 m environ ) et le sommet principal, et présente des contre-pentes importantes.
L' itinéraire suivait d' abord le glacier Haramosh; le camp 3 ( 5640 m environ ) fut installé sur le palier supérieur de ce glacier. Mais le 19 août le temps changea et, avec quelques brèves interruptions, resta mauvais durant des semaines entières. Tout le monde dut donc retourner au camp de base. Enfin on put installer le camp 4 ( près de 6100 m ), puis vint de nouveau une semaine d' inac forcée. Le 14 septembre seulement, Culbert et Emery se frayèrent un chemin, par une neige qui atteignait les hanches, jusqu' à l' arête NE, dans un terrain très crevassé, tandis que Streather et Jillott rejoignaient le camp 4. Les conditions étaient désespérantes; il restait si peu de temps et de provisions qu' on ne pouvait plus songer à attaquer le sommet. Tout au plus pouvait-on espérer atteindre un point de l' arête NE d' où l'on se ferait une opinion un peu plus précise sur un itinéraire futur.
Le 15 septembre, l' équipe remonta l' arête jusqu' à 6400 m environ. L' après était déjà avancé, il était temps de retourner au camp 4. Jillott et Emery étaient en train d' escalader une pointe neigeuse lorsque une planche de neige s' en détacha brusquement, sans aucun signe avant-coureur, et les entraîna sur 300 m environ, jusqu' à une dépression formée juste au-dessus de la chute du glacier suspendu sur le versant nord de la montagne. Dans leur chute les deux alpinistes perdirent leurs piolets, et Emery encore ses gants. La voie directe pour revenir à l' arête leur était coupée par une paroi de glace de 60 m environ qu' ils venaient de dévaler avec l' avalanche. En outre, ils n' avaient plus de piolets.
Voyant que Jillott et Emery étaient encore en vie, Streather et Culbert se hâtèrent de descendre au camp 4 pour prendre des provisions et du matériel pour les protéger du froid. Lorsqu' ils furent de nouveau sur l' arête, au-dessus du lieu de l' accident, l' obscurité était déjà tombée. Ils tentèrent d' effectuer une descente nocturne vers la cuvette où leurs deux camarades attendaient du secours, mais à l' aube du 16 septembre ils ne se trouvaient qu' au de la paroi de glace de 60 m, ce qui les obligea à une longue traversée. Cette traversée et la descente raide qui suivit leur prirent apparemment beaucoup de temps, et ils ne rejoignirent Jillott et Emery que dans l' après. Deux tentatives de s' échapper le même jour de la souricière échouèrent sans qu' ils aient atteint la longue traversée. Streather-Culbert passèrent la fin de la nuit dans une crevasse peu profonde.
Le 17 septembre ils remontèrent d' abord la partie inférieure de la pente raide, puis attaquèrent la grande traversée. Streather, qui marchait en tête, tailla une longue série de marches avec le seul piolet qui leur restait! ( Comment se fait-il que Culbert, lui aussi, n' avait plus de piolet? C' est ce qu' on ne comprend pas très bien. ) Le soir, à la fin de la traversée, Culbert, qui n' avait qu' un cram-ponperdit pied et entraîna Streather. Le dernier piolet disparut également dans cette chute. Les deux alpinistes dévalèrent la paroi de glace de 60 m et atterrirent de nouveau dans la cuvette de neige. Très mal en point, ils passèrent la nuit ( 17/18 septembre ) dans une crevasse.
Le 18 septembre, ils tentèrent à nouveau de remonter la raide pente inférieure, sans corde apparemment, puisque sans piolet l' assurage était de toute façon impossible. Culbert, qui souffrait de graves gelures et n' avait qu' un crampon, glissa et dévala encore une fois vers la grande dépression. Par deux fois encore il revint à la charge, mais ne réussit plus à atteindre la traversée. Streather, se trouvant dans une position un peu meilleure, voulut aller chercher du secours, franchit heureusement la traversée, retrouva son piolet à la place où il avait été entraîné le soir du 17 septembre, remonta la pente supérieure jusqu' à l' arête et atteignit tard dans la soirée du 18 septembre le camp 4 ( 6100 m environ ), où il ne trouva qu' Emery. Que s' y était-il passé entre temps?
Le 16 septembre, Emery et Jillott avaient réussi à atteindre l' arête. En descendant de nuit en direction du camp 4 - sans piolet - ils s' égarèrent et se séparèrent. Emery tomba dans une crevasse. Revenu à lui le matin suivant ( 17 septembre ), il réussit à en sortir. Il aperçut les traces de Jillott et les suivit jusqu' au point où elles cessaient brusquement au bord d' une paroi de glace qui plongeait sur le versant oriental à pic de la montagne. Il ne pouvait plus être question d' une action de sauvetage ou de recherches. Le 17 septembre à midi Emery arrivait au camp 4 avec de graves gelures. Un jour et demi plus tard, Streather y arrivait aussi, souffrant également de gelures.
Les deux survivants étaient beaucoup trop faibles pour pouvoir aller chercher Culbert. Celui-ci mourut probablement dans la nuit ( 18/19 septembre ). Jillott était tombé au cours de la nuit du 16/17 septembre.
Le 19 septembre, Streather-Emery entreprirent la descente vers le camp de base. Au camp 3 ( 5640 m environ ) ils trouvèrent Hamilton qui y avait apparemment attendu longtemps, sans intervenir dans les tragiques événements qui se déroulaient dans la montagne. Le 22 septembre, ils durent bivouaquer encore une fois tous les trois à 4900 m environ. Par bonheur ils furent aperçus ensuite par les porteurs qui les aidèrent à regagner le camp de base le 23 septembre, soit cinq jours après le départ du camp 4.
Cet extrait d' un rapport écrit, rédigé par J. A. G. Emery pour le « Alpine Climbing Group » peut paraître dur, mais dire « la vérité, rien que la vérité », sans tenir compte de certaines susceptibilités, est le devoir du chroniqueur conscient de sa responsabilité. Il est vraiment bouleversant de constater combien de fois on a gravement manqué aux notions fondamentales de la technique et de la tactique de l' alpinisme, et on peut même s' étonner qu' il y ait eu des survivants. John Emery a cependant perdu tous ses doigts et tous ses orteils.
Le Haramosh est certes une montagne difficile et dangereuse, mais son heure viendra aussi, peut-être déjà au cours de ces prochaines années.
Littérature: Correspondance.
13° L' un des groupes les plus importants dans le secteur NW du Karakorum est le Hispar Mustagh, « le massif de glace du glacier Hispar ». Son point culminant est le Disteghil Sar ( 7885 m = 25 868 ft. ). Cette montagne imposante fut en 1957 le but d' une expédition anglo-italienne, dirigée par Alfred Gregory et comptant comme membres: David Briggs, John Cunningham, Dennis Davis, le Dr Keith Warburton, médecin de l' expédition, et le grand alpiniste italien, le vétéran Piero Ghiglione.
Partant de Gilgit ( aérodrome ), l' itinéraire de l' expédition passait par la vallée des Hunza et contournait le Rakaposhi pour atteindre Nagir, que l'on quittait le 8 juin pour Hispar, poursuivant ensuite par la rive droite du glacier Hispar vers son affluent de droite, le glacier Kunyang ( il serait plus juste de dire Khiang ). De grosses difficultés avec les porteurs surgirent au cours de cette marche d' approche. Le camp de base fut installé au pied du versant sud du Disteghil Sar, à près de 4600 m. De là on étudia tout d' abord les possibilités d' un accès par la selle est, mais le danger d' avalanches était trop grand. On décida alors d' attaquer la selle située à l' ouest du Disteghil Sar. Ce fut une véritable escalade de paroi. Tout le versant sud de la montagne était constamment balayé par les avalanches. L' une d' elles détruisit le camp I, deux autres arrivèrent à proximité du camp de base. Par de bonnes conditions de temps et de neige, l' itinéraire projeté vers la selle ouest devrait cependant être praticable. Cette fois-ci, sur deux mois, il n' y eut que huit jours de beau temps.
Au total, quatre camps d' altitude furent établis, et le groupe d' assaut arriva à l' altitude de 6700 m 1, soit peu au-dessous de la selle ouest, mais le temps désespérément mauvais et le danger constant d' avalanches rendaient l' attaque du sommet impossible. A la fin d' août, les membres de l' expédition étaient de retour en Europe.
Littérature: Lettre de O. Dangar. Derby, n° 3, avril 1958, Milano.
14° Les informations sur la région du Pamir signalent: première ascension du Pic Staline ( 7495 m ) par l' ouest en 1955, soit troisième ascension de ce sommet au total, quatrième ascension en 1957; première ascension du « Pic de l' Unité » ( 6770 m ) et du « Pic octobre » ( 6780 m ) en 1955.
Il est particulièrement intéressant de relever le rapport du prof. A. G. Pronine, naturaliste russe, qui a rencontré un « homme des neiges » ( yeti ) sur le glacier Fedtchenko. Il put s' en approcher suffisamment pour l' observer à la jumelle et constater que cet être avait des bras extraordinairement longs et courait sur deux pieds, le corps légèrement penché en avant. Il n' était pas vêtu, mais son corps était recouvert d' épais poils d' un gris roux. Pronine est fermement convaincu que ce n' était ni un Homo Sapiens Recens ni un singe, mais un « homme-singe », quelque chose comme le Pithecanthropus Erectus plus récent ou un Gigantopithecus. La description de Pronine correspond aux descriptions données par plusieurs Sherpa, mais... il manque malheureusement toujours un document photographique incontestable!
Littérature: Der Bergsteiger, décembre 1957, chronique, p. 49-52. La Montagne, février 1958, p. 188. The Alpine Journal, n°296, mai 1958, p. 130.
1 Je m' en tiens aux données britanniques. P. Ghiglione donne des cotes plus élevées.
15° On annonce du Tian-Schan: Après de nombreuses tentatives infructueuses en 1938,1949,1952 et 1955, la première ascension du Pic Pobéda ( Pic de la Victoire ) a été réussie en 1956 par onze alpinistes ( Russes et Chinois ), sous la conduite de W. M. Abalakow. Ils sont montés par l' arête nord. Le Pic Pobéda est le plus haut sommet du Tian-Schan et le deuxième sommet de l' URSS. Au 6e Festival international de films de montagne et d' expéditions à Trente ( octobre 1957 ), on a présenté le film « Le sommet de la victoire » de P. Pokrowski, et des films sur l' ascension du Pic Moscou ( 6785 m ) et du Mustagh Ata ( 7433 m; selon les données russes 7546 m ), tous deux situés dans la région du Pamir.
Littérature: Der Bergsteiger, avril 1958, chronique, p. 105-107. Neue Zürcher Zeitung, n° 2959, du 17 octobre 1957.
16° Le Minyag Kangkar ( 7587 m ), qu' on écrit aussi Minyag Gangkar, Minya Gongkar et ( faussement !) Minya Konka, situé en Chine ( province de Hsikong ), fut, comme on le sait, escalade pour la première fois en 1932 déjà par les Américains R. L. Burdsall et Terris Moore. La deuxième ascension fut réussie en 1957 par une grande expédition exclusivement chinoise, dirigée par Shih Chan-Chun, mais au prix de lourdes pertes.
Le 28 mai, une équipe de reconnaissance fut emportée par une avalanche. Le jeune météorologue Ting Hsing-you y trouva la mort, et de nombreux autres participants furent blessés. Sept camps furent installés successivement, après des efforts opiniâtres: camp 1 à 4300 m, camp 2 à la fin de la moraine à 4700 m, camp 3 à l' abri d' une corniche à 5400 m, camp 4 sur l' arête ( apparemment arête NW ) à 6190 m, camp 5 sur le « Hump » ( bosse ) à 6250 m, camp 6 à 6600 met camp 7 à 6700 m. Le 13 juin à 3 heures du matin, par un grand clair de lune, six alpinistes quittaient le dernier camp et atteignaient à 13 h. 30 le sommet du Minyag Kangkar, « la montagne blanche de Minyag ». Le temps était encore beau et le « rituel » d' usage, comprenant entre autres la prise d' un morceau de granit du sommet, put être accompli en toute tranquillité. Mais à la descente, ils furent surpris par un terrible orage avec tempête de neige. « Et nous arrivâmes à une pente de glace lisse comme du verre et si dure que même les crampons et les piolets se révélèrent inutiles.»Le premier de la cordée de trois qui était en avant glissa et entraîna ses deux camarades, mais au dernier moment Shih Chan-Chun put s' agripper à un bloc de rocher et enrayer la chute. La deuxième cordée de trois glissa au même endroit et fut précipitée dans le vide. On ne retrouva jamais trace de ces alpinistes; les recherches d' une équipe de secours venue plus tard restèrent vaines.
Les trois survivants se taillèrent une caverne dans une crevasse et passèrent une mauvaise nuit ( 13-14 juin ). Mais le lendemain le temps s' était remis au beau et le 16 juin ils arrivaient au camp de base.
A notre échelle « occidentale », le Minyag Kangkar n' est pas une montagne difficile, mais il ne faut pas oublier que pour la Chine son ascension représente un véritable exploit de pionniers. Le style même de la description montre bien le peu d' expérience et l' attitude peu critique des jeunes alpinistes chinois. La bravoure dont ils ont fait preuve en réussissant la deuxième ascension de ce gros sept mille mérite d' autant plus notre estime.
Littérature: Der Bergsteiger, février 1958, p. 198-202. R. L. Burdsall et B. Emmons: Men against the clouds ( New York and London 1935 ). La Montagne, avril 1958, p. 198-202.
Cette chronique relate le sort de onze alpinistes qui ont sacrifié leur vie au cœur de l' Asie. A cela s' ajoutent encore de graves maladies et des gelures. Comparé au nombre des accidents de ski et de montagne dans les Alpes cela semble peu, mais relativement au nombre des expéditions, ces chiffres doivent retenir notre attention. L' exploration toujours plus poussée de l' Himalaya entraîne nécessairement l' attaque de montagnes toujours plus difficiles. ( Traduitpar NinaPfister-Alschwang )