Choc des cultures à l’alpage Colonne
La route qui mène à la paroi se termine devant deux chalets d’alpage. Le guide indique un parking, les voitures des grimpeurs sont parquées dans l’herbe à côté de l’alpage. Il n’y a personne. Au retour, deux bergers sont assis sur le banc devant le chalet, la pipe à la bouche. Je les salue et leur donne une pièce de 5 francs. L’un d’eux éclate de rire. «Tu es bien le premier à payer quelque chose pour le parking!» «En ville, il n’y a pas non plus de place de parc gratuite», répondé-je.
Les cultures se rencontrent dans les Alpes. Pour certains, la montagne est un environnement de travail et un moyen de subsistance. Pour d’autres, elle est un terrain de jeu. C’est un miracle de la tolérance, à vrai dire, que les rencontres entre les bergers et les amateurs de sports de montagne soient le plus souvent pacifiques. Bien sûr, un conflit éclate parfois. Un de mes cousins, propriétaire d’un alpage, avait fait sensation dans la presse populaire pour avoir chassé des parapentistes de son royaume parce qu’ils dérangeaient ses paisibles vaches. Une fois, on a failli en venir aux mains lors d’une dispute avec l’exploitant d’un alpage qui descendait en Subaru sur une route où on ne pouvait pas croiser et qui refusait de reculer de quelques mètres.
Entre ceux qui vivent en montagne dans des conditions professionnelles difficiles et ceux qui viennent y chercher le repos, il y a un monde. En 1820, Johannes Hegetschweiler, pionnier du Tödi, trouvait déjà que les bergers de la Sandalp, «enfumés et sales», étaient comme «des hommes d’un autre monde». Ils n’avaient que peu de compréhension pour les alpinistes à l’assaut des cimes. La «conquête des Alpes» était, comme son nom l’indique, un projet pour les habitants de la plaine. Parmi les 35 hommes qui ont fondé le CAS à Olten le 19 avril 1863, aucun ne venait de la montagne.
Aujourd’hui, les chiens de protection des troupeaux et les vaches mères, tout au plus, défendent leur territoire alpin. De nombreux alpages ont une buvette qui sert du petit-lait, du fromage, des meringues avec de la crème double et du café fertig. Quand nous nous sommes assis devant le chalet de l’Auernalp, dans le canton de Glaris, après une longue montée, le jeune berger a posé devant nous deux canettes de bière, sans rien nous demander. «Ceux qui arrivent ici en haut l’ont bien mérité.» Et il ne voulait pas entendre parler d’être payé, au contraire. «Prenez-en donc une autre!» Nous avons décliné en le remerciant, il nous restait encore 1600 mètres de montée.