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Blanc, bleu, vert. Et rouge avant l’heure Entre les crêtes du Schlüechtli et le bord des gorges

Sis à l' altitude de 1650 mètres sur une terrasse ensoleillée, le village de Tenna est une colonie walser au débouché du Safiental. On le connaissait pour ses hémophiles, c' est maintenant un téléski solaire, le premier du genre, qui fait sa notoriété. Tenna vous invite à un week-end de ski.

« Le soir, j' accompagne Maya à l' étable du petit bétail, située à quelque 200 mètres de distance. Les chèvres et les moutons s' ébattent encore allègrement sur leur litière avant l' extinction des lumières. » Ainsi commence le récit consacré à la paysanne de montagne, secrétaire communale et banquière Maya Messmer-Blumer dans le livre d' Elisabeth Bardill-Meyer intitulé Leben im Bergdorf. Frauen in Tenna. Je l' ai découvert le 15 mars 2010 à la librairie Littera de Davos, non loin du Musée Kirchner. Nous étions la veille encore partis de Tenna, un village walser situé sur une terrasse ensoleillée du Safiental, pour une randonnée à skis sur le Schönawang ( 2533 m ), point situé sur l' arête est du Tällistock, au-dessus de la pente nord nommée In da Schia sur la Carte nationale. A Tenna, nous avions rencontré Maya Messmer-Blumer en chemin vers l' étable des chèvres et des moutons, avec son chien et ses deux garçons Philipp et Elias, qu' elle véhiculait dans une brouette.

Elisabeth Bardill-Meyer vit aussi à Tenna. Dans son livre, elle fait le portrait de 19 femmes du village, jeunes et vieilles, portant la plupart un double nom. Nombre d' entre elles, à la différence de Maya Messmer-Blumer, n' ont pas grandi dans le Safiental, mais y vivent maintenant et s' y trouvent bien. On se laisse captiver par le récit de leur installation dans cet endroit retiré des Grisons, et par leur manière de rester en contact avec le vaste monde.

Les femmes de Tenna ont laissé une trace dans l' histoire de la médecine, car, depuis le milieu du 17e siècle, elles transmettaient à leurs enfants la maladie de l' hémophilie. Due à une déficience génétique sur le chromosome X, elle n' affecte pas les filles. Par contre, les garçons et plus tard les hommes peuvent saigner à blanc suite à la plus banale des blessures, faute de coagulation du sang. On doit au célèbre poète patriotique suisse Ernst Zahn le roman Die Frauen von Tannò publié voici 100 ans. Tempi passati, la maladie se soigne aujourd'hui, et les hémophiles ont quitté Tenna.

 

Maya Messmer-Blumer revient à sa ferme avec sa « poussette », alors que nous mettons les fixations de nos skis sur « montée ». Il est un peu trop tard, cela se paiera à la descente. Pour l' instant, nous profitons de la montée, remontant un raide chemin forestier vers le Tällibach, traversant sous le Nolla des couloirs avalancheux aux reliefs tourmentés pour faire une brève pause devant la Tällihütte. Le ciel est bleu, la neige est immaculée et le Choc-Ovo est brun-noir. Il ne nous en coûtera plus que quelques gouttes de sueur pour plonger du regard vers la verte vallée du Rhin depuis l' arête sommitale du Schönawang: une perspective grandiose sur la Ruinalta, le sentiment de contempler les entrailles de la Terre. Le Grand Canyon sous les lattes, c' est une impression mémorable. La descente jusqu' à la Tällihütte se résume à une succession rythmée de virages élégants, mais on passe ensuite à la brasse dans une soupe épaisse. Avec un juron à chaque enlisement. Tout s' oublie vite devant une bière à l' Alpenblick, où ne se commentent que les beautés du Schönawang.

 

D' autres sommets se prêtent au ski au-dessus de Tenna, le Piz Fess et le Schlüechtli par exemple. Mais d' où vient donc le nom du premier, la plus haute cime du groupe de la Signina? On le devine immédiatement à son aspect: il présente deux sommités, le Kleiner Fess ( 2873 m, sommet N ) et le Böser Fess ( 2880 m, sommet S ). Pas de rondeurs pourtant: l' ensemble apparaît comme une tour rocheuse invincible, mais surmontée d' une croix. Il faut donc bien que quelqu'un l' ait gravie au moins une fois… Une fissure sépare les deux sommets, et c' est bien d' elle que vient ce nom de « Fess » dérivé du latin fissus, participe passé du verbe findere, qui signifie « fendre ». Si l'on se réfère au deuxième tome du guide du CAS des Alpes grisonnes de 1919, on verra que le Piz Fess se nommait aussi Scheerihorn, car « les deux sommets se dressent de part et d' autre de la brèche comme les lames entrouvertes d' une paire de ciseaux ».

Cette image est bien éloignée des rêves du skieur, mais le Piz Fess figure comme but d' excursion à skis dans la deuxième édition ( 1949 ) du guide susmentionné. On y trouve aussi, au même titre, le sommet sud du Piz Riein ( 2762 m ), qui se nommait encore Piz Truein. Les noms passent, mais demeure le décor grandiose de la haute arête séparant le Safiental de la Lumnezia, dominant les gorges du Rhin et ouvrant à la vue le panorama des crêtes alpines allant de la Bernina à la Jungfrau. La descente est somptueuse, alternant les pentes douces et les raidillons. Pour bien en profiter, il faut se lever tôt, même si les pentes orientées au nord peuvent être parcourues tard encore. Le passage-clé est cependant sous le Nolla, une pente orientée au sud-est où les attardés trouveront de la soupe à la place de la poudre. C' est bien ce qui nous est arrivé.

 

N' oublions pas le Schlüechtli ( 2283 m ), avant-poste septentrional du groupe de la Signina, fière sentinelle veillant sur deux gorges profondes. C' est une course brève et facile sur le versant ensoleillé, toujours praticable au départ de Tenna. Sur son arête orientale se dresse une croix, la Tenner Chrüz d' où plonge dans le Safiental le vertigineux cirque boisé de l' Aclatobel. La route d' accès à la vallée évite par un long tunnel ce chaos impraticable. Précédemment, le chemin d' accès à Tenna passait par la Tenner Chrüz et par le raide flanc nord-est du Schlüechtli. C' est un itinéraire praticable à skis par bonnes conditions, mais il faut prendre par l' arête nord du Schlüechtli et non par le flanc. Attention, c' est très sportif! Lors de notre montée au Schüechtli, nous entendions les cloches dominicales de l' église de Tenna. Mais en abordant cette descente, nous n' avions dans les oreilles que l' écho des battements de notre cœur. Le haut de l' arête ne laisse guère de place aux virages. Deux skieurs âgés secouaient la tête en nous regardant suivre les traces de la veille. L' un d' eux avait déclaré, lorsque nous mettions nos fixations en position de descente: « Je ne descendrais pas maintenant cette arête, car l' avalanche n' est pas encore descendue. »

A Tenna, le premier téléski solaire

Après deux ans de préparation et de planification, le premier téléski solaire du monde sera inauguré à Tenna le 17 décembre 2011. Le remplacement de l' installation vieille de 40 ans s' imposait à l' échéance de la concession. Il aurait été plus simple de démonter le téléski et de ne pas le remplacer, mais Tenna se trouve à 1650 mètres, et le secteur d' Usserbärg est presque toujours enneigé en hiver. Comme il ne manque cependant pas de soleil, l' idée est venue de mettre à profit ce dernier pour faire fonctionner une installation sportive. Nous apprenons de la Genossenschaft Skilift Tenna qu' il s' est agi de fixer 82 « solarwings » à un câble tendu au-dessus du téléski sur une longueur de 330 mètres. Un câble tracteur modifie toutes les dix minutes l' orientation des « solarwings » qui suivent ainsi la course du soleil. Le téléski nécessitera 23 000 kWh durant la saison d' hiver, et le surplus éventuel de production d' électricité sera vendu. Le coût du téléski solaire est d' environ 1,3 million de francs. Au moment de rédiger cet article, il manquait encore 150 000 francs à son financement. Davantage d' informations sur www.solarskilift.ch

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