Bienvenue au Parc d'Ela Parc naturel d'Ela
Quel est le remède le moins cher et le plus effi cace contre le stress engendré par le travail ? Randonner au loin, à l’écart du trafi c et de l’agitation, de cabane en cabane, aussi loin que nos jambes nous supportent. Nous avons jeté notre dévolu sur Savognin, un village sis au milieu d’un vallon ensoleillé nommé Oberhalbstein en allemand et Surses en romanche. C’est ici le parc naturel d’Ela que nous voulons visiter.
La région a de tout temps été un lieu de passage, que divers chemins muletiers traversaient pour relier l' Allemagne et l' Autriche à l' Italie en passant par la Suisse. Plus tard, c' est en remontant les vallées centrales et en franchissant les cols que les touristes se mirent en quête de l' Engadine ensoleillée, si chère aux a<img name="req_user_fjx144_artikel_5601352_fjx144art_lead" src="http://fj105p01.trendhosting.ch/typo3/clear.gif" class="t3-TCEforms-reqImg" alt="" />rtistes. On prêtait dans les temps héroïques moins d' attention au pittoresque des régions situées plus au nord, qui n' avaient pas alors les faveurs des célébrités. Aucun poète ne chantait les beautés des montagnes dominant les hautes vallées rhénanes. Même le cri d' émerveillement de Giovanni Segantini: « Che paradiso! » ne réussit pas à populariser les beautés de ces contrées, où le tourisme est aujourd'hui encore embryonnaire.
Parcourant du regard l' horizon depuis l' Alp Nassegl au-dessus de Savognin, le peintre admirait à ses pieds les vallons verdoyants parsemés de beaux villages, et alentour les sommets vertigineux se refl étant dans les eaux claires d' un petit lac. Les parois escarpées du Piz Mitgel semblaient percer la voûte céleste. Cette vision paradisiaque est toujours présente aujourd'hui même si la région a un peu changé. Les villages se sont étendus, les routes ont été élargies, et le trafi c routier s' est densifi é surtout en fi n de semaine quand, par beau temps, les touristes affl uent vers St. Moritz par la route du Julier. Le point d' observation de Giovanni Segantini est signalé par un bloc erratique. Durant huit ans, le célèbre peintre a posé son chevalet à Savognin.
Les temps changent, vecteurs de nouveautés. Parmi celles-ci, un parc national – Ela, inauguré en juin 2006 – porte l' espoir d' offrir des places de travail qui mettent un frein à l' émigration. L' Offi ce fédéral de l' environnement a décidé en 2008 de soutenir fi nancièrement son exploitation durant quatre ans. Le parc naturel d' Ela s' étend sur 600 km 2 et comprend les deux vallées de Surses et d' Al. Il est parcouru par la ligne ferroviaire du Glacier Express, dont la portion longeant la vallée de l' Albula fait partie du patrimoine culturel mondial UNESCO d' Al. D' autres centres d' intérêt s' ajoutent à cette affi che, comme par exemple les deux importants châteaux de Belfort et de Riom ( ce dernier transformé en théâtre en 2006 ) et dix localités dont l' architecture est classée d' im nationale. Le parc abrite aussi, sur le quart de sa surface, des zones sensibles de végétation et d' habitat d' espèces animales ( marais et tourbières par exemple ). Un autre quart reste à l' état de nature. Ce mélange de paysages culturels et de monde isolé fait du parc naturel d' Ela un eldorado de la randonnée, où la géologie se déchiffre à livre ouvert. Plusieurs parcours de randonnée ont été aménagés en chemins à thèmes, dont celui qui nous intéresse: le Veia Parc Ela, une randonnée de 15 jours faisant plus ou moins le tour du parc.
Ne disposant que d' une semaine, nous choisissons un tour de six jours. On pourrait dire qu' il commence par tomber à l' eau, car il fait chaud à notre arrivée et l' original Lai Barnagn invite à la baignade. Ce lac de Savognin sert de place de parc en hiver. La cuvette asphaltée est comblée en été avec les eaux de déversement du lac artifi ciel. Ne pourrait-on pas changer ainsi l' affectation de toutes les places de parc? Le temps chaud est souvent prometteur d' orages. Ceux-ci nous talonnent tôt dans la journée durant les premiers jours de notre escapade. Si nous pouvons profiter des beautés du paysage jusqu' au début de l' après, il nous faut ensuite galoper vers l' étape. L' ef à fournir n' est alors pas négligeable, et le pique-nique n' entre pas en ligne de compte: qui resterait à ronger tranquillement son quignon dans le tonnerre et les éclairs? Eh bien, l' orage nous a quand même rattrapés après le passage du col d' Orgels et de son enchevêtrement de chandelles de pierre évoquant les Dolomites. Nous sommes en chemin vers le col d' Ela, descendant vers le val d' Err en longeant les eaux bleu nuit du Lajets. La flore ici fait le bonheur des botanistes, mais l' air se charge soudain d' électricité qui nous dresse les cheveux sur la tête. Fuyant alors le parcours alpin prévu, nous nous hâtons vers les étages inférieurs pour gagner l' Alp Flix par la forêt. Un bon choix: c' est un itinéraire sauvage et romantique, où la pluie nous parvient atténuée et la foudre… la foudre? Elle ne devrait frapper que l' arbre isolé, non?
Notre gîte d' étape, le Berghotel Piz Platta, se trouve évidemment tout au bout du long plateau de l' alpage, et nos jambes ont été réduites à l' état de nouilles bien cuites par les importants dénivelés du jour. Au souper, les paupières tombent et les mains peinent à porter à la bouche les délicieuses spécialités grisonnes que l'on nous présente: sous le nom de capuns, des bettes à tondre ( ou blettes ) farcies baignées de sauce Mornay, accompagnées de pizokels à la farine de sarrasin. Faits maison.
Les nuages d' orage ont été évacués durant la nuit, et l' Alp Flix étale sous un soleil éclatant le chatoiement fleuri de ses prairies humides. Partout de petits lacs reflètent en images multiples le Piz Platta, auquel sa forme autorise le surnom de Cervin des Grisons. On imagine un monde microscopique grouillant dans ces marécages, et c' est bien ce qu' a mis en évidence la « Journée de la diversité biologique » organisée ici voici quelques années: des scientifiques venus du monde entier ont catalogué en 24 heures pas moins de 2092 espèces, dont un certain nombre jamais déterminées jusque-là. La Fondation « Schatzinsel Alp Flix » a été créée à la suite de cette manifestation, et un petit centre de recherches aménagé sous le nom de Rhe xoza flixella, une espèce de mouche de fumier découverte à l' occasion. On peut se documenter auprès des scientifiques sur leurs travaux touchant à la diversité des espèces dans l' arc alpin, et des excursions sont organisées régulièrement. Nous sommes par chance au rendez-vous des orchidées qui fleurissent en abondance entre fin juin et début juillet.
Notre chemin nous conduit ensuite par le Kanonen-sattel vers l' Alp Natons, où nous achetons de la bière fraîche et un délicieux fromage d' alpage qui enrichira les pi-que-niques des prochains jours. Loin au-dessous de nous brille le lac d' accumulation de Marmorera qui engloutit jadis un village entier. Il nous faut soudain remettre le turbo devant la menace d' un nouvel orage, lequel nous atteint avant l' étape suivante de Bivio. Le propriétaire de l' hôtel Solaria, Giancarlo Torriani, nous accueille d' un « Bun di » authentiquement romanche.
Sa famille, comme beaucoup d' autres, a émigré jadis du Bergell. A Bivio, dont le nom signifie bifurcation, se séparent les routes des cols du Julier et du Septimer. On y ressent des influences italiennes, et l'on s' étonne des pratiques linguistiques: l' enseignement est donné en italien dans les premières années d' école, puis en allemand. L' as communale se tient en allemand mais le procès-verbal en est tenu en italien. Et les villageois, entre eux, parlent volontiers le rhéto-romanche.
Giancarlo Torriani, dernier habitant de Bivio à être né à domicile, a derrière lui une carrière de conducteur de bobsleigh dans l' équipe de St. Moritz. Sportif et audacieux, il raconte volontiers les aventureuses randonnées à cheval que lui et sa femme organisaient vers le Bergell, par le col du Septimer.
Aux premiers rayons du soleil, nous remontons un pâturage déserté vers le lac Columban et voyons peu à peu apparaître au sud le massif enneigé de la Bernina. Plus proche, le Lunghinpass où naissent les fleuves qui vont se déverser dans trois mers. C' est là le plus important point de partage des eaux en Europe. A nos pieds s' écoule au nord le val d' Avers avec Juf, la commune la plus élevée d' Europe à 2126 mètres d' altitude. Nous suivons l' arête courant de la Fuorcla da la Valletta aux Flüeseen en traversant le Stallerberg. Plusieurs petits lacs s' y nichent en tableaux paradisiaques dans la roche polie par le glacier. De la Fallerfurgga encore encombrée de restes de neige, on subit la présence massive du Piz Platta que nous gravirons une prochaine fois. Non que la pente soit très raide, mais il y a tant à voir dans les roches multicolores où l'on reconnaît la serpentine, l' amphibolite, le schiste et tant d' autres offrant au regard les couleurs de l' ocre au violet en passant par le vert olive. Plus loin murmurent des ruisseaux arrosant de riches pâturages. Brusquement, avant le débouché du val Bercla dans le val Faller, apparaît le Piz Mitgel qui érige une imposante muraille calcaire aux côtés du Corn da Tinizong et du Piz Ela. Et voici le val Faller tant attendu, où nous attend un rustique refuge pour randonneurs dans le hameau archaïque de Tga. Notre hôte Adolf se charge d' une première leçon de rhé to-romanche. Tga, que l'on prononce « Tcha », signifie « maison » et « Arnoz », le hameau sis un peu au-dessus, peut se traduire par « haut situé ». Ela est une aile, une désignation qui convient bien à notre excursion éthérée. Nous voici dans le réfectoire boisé du gîte. Un trophée de cerf veille sur la table bien garnie. Selon Adolf, il se pourrait bien que nous puissions voir quelque gibier et nous nous mettons à l' affût après le repas. Les cerfs ne seront pas notre seul spectacle. Le Piz Platta se dresse majestueusement sur la plaine de Faller, comme une ombre mystérieuse dans le ciel étoilé.
Le jour suivant, nous remontons le val fleuri en direction du Wissberg, un bloc de calcaire évoquant lui aussi les Dolomites. Pas un être humain à l' horizon, seuls quelques bouquetins et chamois nous tiennent compagnie. Nous ne retrouverons la civilisation qu' au hameau de Radons, et avec elle un lit confortable et une douche chaude. Savognin n' est plus très loin. Dommage: nous sommes maintenant entraînés et marcherions volontiers jusqu' au bout du monde.