Au Musée de Zermatt
Par Charles Gos.
Le musée de Zermatt, en dehors de quelques cristaux ou de spécimens de folklore de la vallée, abrite des collections peu ordinaires. En effet, toutes les montagnes des environs y sont représentées, cataloguées. Non par des cailloux ou des diagrammes, mais par des reliques d' équipements d' alpinistes qui s' y tuèrent. Macabre exposition qui ne sert en somme qu' à exciter la curiosité des visiteurs, ou leur pitié. De toutes ces reliques, je ne retiendrai guère, pour ma part, que celles de la catastrophe de la première ascension du Cervin. On ouvrit un jour pour moi la fameuse vitrine: un soulier du jeune Lord disparu, voisine avec un des brodequins de Hadow, chaussure tragique, celle-là, si l'on peut dire, puisque c' est sa défectuosité qui semble avoir déclanché le drame. Je feuilletai longuement et pieusement le livre de prières du Rev. Hudson ( Presses de l' Université d' Oxford, édition de 1835 ), petit bouquin transporté là-haut et qui fit l' affreuse chute de près de 1300 mètres... Le chapeau de Michel Croz est aussi là; je le tournai et le retournai lentement entre mes doigts, attentif à ne le point froisser, et j' examinai longuement les fragments des fameuses cordes, dont celui de « la corde maudite »... Sur le corps de Michel Croz, étendu sur la neige sanglante, on trouva un rosaire. Le rosaire est aussi un des objets de la vitrine historique. Les grains tiennent encore, la croix seule manque. Quoi de plus émouvant dans cette sinistre tragédie que la présence de ce frêle chapelet? Instinctivement, chaque fois que j' évoque la fabuleuse épopée de la conquête du Cervin, belle comme une chanson de geste, je songe à ces vers de la Chanson de Roland:
Très noblement se bat le preux Roland... Le preux Roland est de si fier courage...
Anges du Ciel descendent près de lui__ Et tous les trois portent sein âme au Ciel.
Ainsi mourut Michel Croz, un des plus grands preux de l' histoire de la conquête des Alpes.
On peut voir au cimetière de Zermatt, parmi les iris violets et les petites croix, les tombes des vainqueurs du Cervin.
Par les belles nuits d' été, par delà les neiges miroitantes et les glaciers assoupis, quand le silence fait lui-même silence, et que songent les montagnes, et que soupirent les heures nocturnes, les étoiles luisent doucement sur ces petites tombes...
Et l' éternité continue...
( Extrait de Tragédies alpestres par Charles Gos, Les Editions de France, 1939. )