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A la Jumelle par le nord

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR L.M. HENCHOZ, D' ŒX

Avec 2 illustrations ( 130, 131 ) Midi. L' imposante muraille de la Corne Aubert nous domine. Plus haut encore, le versant nord des Pucelles. Nous nous encordons devant une large vire oblique qui aboutit à l' arête faîtière, juste au pied ouest de la Jumelle. C' est le passage habituel du côté fribourgeois lorsqu' on fait la traversée classique des Pucelles.

Aujourd'hui, nous avons d' autres projets: nous utiliserons ce chemin jusqu' au moment où il nous sera possible de nous aventurer en pleine face nord de la Jumelle, car c' est à elle que nous en voulons.

Parvenus à une trentaine de mètres de la crête, nous quittons donc notre vire confortable. Ernest se début déjà dans un passage de mauvaise roche, où les pitons tiennent mal. Il faut se fier à des grattons rocheux d' humeur versatile. Ils cèdent, bien entendu, à l' instant où ils deviennent nécessaires, quand le grimpeur se ramasse pour bondir plus haut.

Un balcon de tout repos permet à la cordée de se réunir. Mais de là, le seul moyen d' avancer est de gagner un groupe de sapins accrochés en pleine face, à notre hauteur. Entre eux et nous, un mur perpendiculaire est piqué d' une nacelle verte, premier relais; à coups de marteau, avec pitons et cordelettes, Ernest réussit à y atterrir. Je le rejoins avant qu' il attaque le second passage. Il bataille tant qu' il ne prend même pas garde à l' un des vides les plus impressionnants des Gastlosen. Tandis que file la corde, je pense aux sentiments qu' éprouvait Girard escaladant pour la première fois le sommet voisin, la Pointe à l' Echelle: « Je fais d' une saillie à l' autre, les mains appliquées au rocher, de délicieuses enjambées dans l' azur. » Que dirait-il aujourd'hui! Nous sommes en dehors de tout, le contact avec le rocher n' étant maintenu que par la seule traction du filin sur les pitons. Et pourtant, à trente-cinq ans de distance, dans des conditions cependant bien plus difficiles, nous revivons la même sensation. Que le même laps de temps s' écoule: nos descendants se riront et de Girard et de nous... Munis d' ailes artificielles viendront-ils un jour voleter, dans une heure de désœuvrement, le long de ces parois? Vite ils seront lassés, le plaisir éprouvé ne dépendant plus de leur effort.

Si lointains et si présents, les sapins tendent vers nous leurs branches. Parmi eux des blocs à l' air sombre et tristes semblent regretter de ne plus appartenir à l' une des fières aiguilles qui souvent leur voilent le soleil. J' essaie de percer leur secret; ce vieux, tout moussu, d' où venait-il? De ce trou, peut-être, devant nous? Et cet autre? Qui pourrait le dire? Les apparences sont trompeuses et le jeu devient trop difficile... Il en reste que tout se transforme, inlassablement. Et pourtant la toile de fond des pâturages jaunis semble devoir durer toujours, cependant rien n' est plus trompeur.

Ernest est maintenant suspendu dans l' herbe raide; quelques pas et le voilà calé derrière les sapins. Mais ne vous laissez pas leurrer par ce mot, il ne faudrait pas prendre cet emplacement pour une forêt. N' oublions pas que ces arbres sont aussi des acrobates du monde végétal, debout au-dessus de précipices vertigineux. C' est à se demander si tout ne va pas se déraciner sous notre seul poids et s' écrouler pêle-mêle avec nous dans l' abîme.

Üj| Le jour décline et nous sommes trop tard pour atteindre le sommet. Pour une fois, c' est bien le dernier de nos soucis. Nous savons qu' une vire, à quelques pas, par un de ces caprices fréquents dans les Gastlosen, aboutit au tunnel qui traverse de part en part l' arête ouest de notre sommet La muraille étant moins élevée sur l' autre versant, nous arrivons au haut d' un pâturage à moutons, tout de plaques et de gazons. C' est par là que nous rentrons à la maison.

Une semaine plus tard, le temps dont nous disposons est de nouveau très limité Aussi, utilisant le même chemin en sens opposé, nous reprenons l' escalade où nous l' avions laissée.

Ernest grimpe un couloir raboteux aux appuis incertains, puis rejoint une niche. Halte! En haut comme en bas, c' est le miroir de la Jumelle. Nous procédons à l' examen de chaque point suppose faible. Là, une fissure s' élance d' un seul jet; mais on y engloutirait tant de pitons qu' il n' y faut pas songer. Sur la droite heureusement se trouve une plaque moins inclinée. Nous l' exa comme on le ferait au laboratoire et la découverte d' une fissure presque imperceptible ranime notre espoir. Trois pitons et c' en est fait du passage. Merveille! Nous découvrons une miette de paradis, jardinet suspendu, avec au milieu un petit sapin étalé bien à son aise.

Mais Ernest n' est pas décidé à languir dans les délices de cette Capoue préalpine. Il s' en éloigne à grands coups de marteau, les fiches s' ajoutent les unes aux autres, les cordelettes s' y suspendent, il avance sur cette suite d' étriers, le long d' une fissure transversale. Le dernier mur digne du nom est franchi. Au-delà, le charme engendré par ce monde à soi est rompu; une boîte de conserve, des pierres qui roulent sous nos pieds annoncent la cime.

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