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Les ouvreurs montrent la voie

Cet été à Berne, les meilleur.e.s spécialistes d’escalade sportive s’attendront à ce qu’on les surprenne, à ce qu’on les amène à donner le meilleur d’eux-mêmes. Ce défi sera celui des ouvreurs. Mais en quoi consiste leur travail? Nous en avons parlé avec le Bernois Manuel Hassler.

Manuel Hassler a des voies plein la tête. Son job consiste justement à leur donner vie sur les pans d’escalade, comme un écrivain qui couche des mots sur une page blanche. Seul ouvreur suisse actif au niveau international, il court le monde d’une compétition d’escalade à l’autre depuis 2001, avec une idée en tête: faire évoluer sa discipline en poussant les meilleurs grimpeurs du monde à se réinventer, encore et encore. Il n’en sera pas autrement cet été à Berne, où trois ouvreurs internationaux et leurs complices nationaux tenteront une nouvelle fois de «challenger» les athlètes.

Matériel déterminant

A Berne, les ouvreurs auront pour s’exprimer quelque 5000 prises et volumes de cinq fabricants différents. Avec ce matériel, ils auront la mission délicate de donner du relief à des murs vides, en y dessinant 12 voies et 52 problèmes de bloc pour les compétitions classiques. Celles de handi-escalade seront du ressort d’une équipe d’ouvreurs spécialisés. «Le matériel détermine la qualité de l’ouverture, car on ne crée pas n’importe quel mouvement avec n’importe quel type de prise», explique Manuel Hassler. Lorsqu’il a commencé à ouvrir des voies il y a une quinzaine d’années, le marché était beaucoup plus petit, le choix de prises limité, et personne ne pouvait se permettre des prises de grande taille, trop onéreuses. Les plus grandes avaient un diamètre de 20 centimètres au maximum, contre 2 mètres aujourd’hui. Avec l’évolution fulgurante de ces dernières années, le répertoire des ouvreurs s’est considérablement élargi. Les grandes prises surnommées «macros» donnent une troisième dimension à la paroi, et avec elle un élargissement des possibilités en matière de gestuelle. Ces prises permettent de «sortir» de la paroi, ce qui donne une allure plus aérienne à la voie.

Faire évoluer l’escalade

Pour Manuel Hassler, spécialiste du bloc, tout l’art de l’ouverture consiste à faire évoluer l’escalade en poussant les athlètes à créer de nouveaux mouvements. «Il faut oser prendre des risques. Si chacun des blocs n’enregistre qu’un seul top, c’est génial. Si personne ne fait le top, c’est que les ouvreurs ont pris trop de risques. Au contraire, si tout le monde arrive en haut, il sera impossible de départager les athlètes. On aimerait que ça marche toujours, mais on se fait souvent surprendre.» Manuel Hassler aime cet aspect aléatoire de l’ouverture. «C’est à l’issue des qualifications que l’on sait si le niveau proposé correspond au niveau moyen du moment. Si nécessaire, on procède à quelques réglages avant les demi-finales. Et quand le doute s’installe, on discute dans le team.»

En bloc, les ouvreurs s’efforcent de proposer différents styles pour éviter de favoriser l’un.e ou l’autre athlète. Ils jonglent avec trois styles d’ouverture: il y a d’abord le bloc «dalle», plutôt technique et peu dynamique. Le bloc «dynamique», quant à lui, offre des mouvements dynamiques comme des jetés. Enfin, le bloc «power» propose des cheminements basés sur la force, y compris celle des doigts. Bien sûr, les trois styles peuvent être combinés. «C’est ce qui est beau avec les murs artificiels. Tu peux y créer des trucs beaucoup plus fous au niveau de la gestuelle que sur le rocher. Je m’inspire souvent des blocs extérieurs, mais à l’intérieur, je peux combiner trois à quatre problèmes sur un seul bloc.»

Trouver le juste milieu

Après la forte évolution de ces dernières décennies, l’activité de l’ouverture serait toutefois au point mort, selon Manuel Hassler, tant il est devenu difficile d’innover. «Les athlètes sont tellement polyvalents qu’il devient difficile de les surprendre. Rien ne semble leur être impossible. La pression sur les ouvreurs en devient plus grande», constate le Bernois.  Après la révolution matérielle, il attend un nouvel élan qui ne peut émaner selon lui que d’une nouvelle génération d’ouvreurs. «A 42 ans, je fais gentiment partie des vieux, et nous avons besoin de nouvelles idées.» Il s’agira aussi de prendre en compte les critiques émises ces dernières saisons par des athlètes et des entraîneurs au plus haut niveau. Les voies proposées en compétition seraient devenues un numéro de cirque source de nombreuses blessures, selon certains. Pour Manuel Hassler, c’est une question de juste milieu. «On a abusé du style ‹run and jump› il y a quelques années quand les mouvements spectaculaires sont apparus. Aujourd’hui, les jetés font toujours partie du jeu, mais c’est une question de quantité, il faut savoir varier.» La solution passera par le dialogue entre grimpeurs et ouvreurs. Manuel Hassler sait qu’il ne peut faire fi de la pression qui pèse sur les épaules des athlètes lors d’une compétition. «On ne peut pas se jeter n’importe comment sur une prise, au risque de se faire mal. Mais le contexte de la compétition peut pousser les athlètes à jouer les kamikazes.» Comme l’écrivain qui ne peut se permettre de perdre son lecteur, les ouvreurs ne peuvent se permettre que les athlètes ne parviennent pas à déchiffrer leurs idées. A Berne, ils ont jusqu’à cet été pour trouver l’inspiration.

Auteur

Alexandre Vermeille

IFSC Climbing & Paraclimbing World Championships 2023 Berne

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