© Archivio CAI
Des sommets en l’honneur de femmes Comment deux sommets sans nom des Alpes valaisannes ont été baptisés
Plus de 200 sommets de Suisse et des environs portent le nom de personnes, familles ou saints. Parmi ceux-ci, seuls douze sont ceux de femmes relativement connues. Les noms donnés à la Punta Maria Luisa et à la Punta Maria Cristina ont suscité plus ou moins d’objections.
Deux célèbres auteurs neuchâtelois de guides du club s’accordaient sur ce point: ça ne va pas. Dans son Guide des Alpes Valaisannes II. Du Gd-St-Bernard au Col Collon, paru en 1987, Maurice Brandt (1927-1999), appuyait l’avis de son prédécesseur Marcel Kurz (1887-1967): «Il est impossible d’accepter ce genre de baptême pour des sommets sur la crête frontière.» Cette déclaration concerne un sommet à cheval entre la Suisse et l’Italie, baptisé du nom de la fille de l’auteur de la première ascension.
Umberto Balestreri, alpiniste italien connu et juriste, avait écrit dans la Rivista del Club Alpino Italiano qu’une tour vierge sans nom sur la crête frontalière entre le val de Bagnes et la Valpelline avait été baptisée du nom de sa fille. Il avait effectué la première ascension de ce sommet avec Erminio Piantanida et Ugo di Vallepiana le 11 août 1924, lors de la première traversée du col de l’Aouille Tseuque au col d’Epicoune par le Grand Epicoune. L’ascension de cette montagne par son arête nord-est était d’ailleurs aussi une première.
Objection à la Punta Maria Luisa
Il est vrai qu’il y a des coins des Alpes valaisannes plus connus que le col de l’Aouille Tseuque. Grâce à Marcel Kurz et Maurice Brandt, de tels cols et sommets ont obtenu des voies baptisées du nom des premiers auteurs, ainsi que des descriptions des itinéraires. Et des noms, pour autant qu’ils soient appropriés. Dans le Guide des Alpes Valaisannes. Volume I. Du Col Ferret au Col Collon, paru en 1937, Marcel Kurz avait décrété, concernant la Punta Maria Luisa: «Malgré toute la sympathie de l’auteur pour le cher disparu et sa petite fille, il est impossible d’admettre de nouveaux noms personnels sur notre frontière.» Il proposa donc comme nom «Petit Epicoune». L’actuelle édition (2014) du guide du CAS sur la région située entre le col de Balme et le col Collon indique parallèlement les noms Petit Epicoune et Punta Maria Luisa (env. 3317 m). Il manque encore ce nom sur la carte nationale suisse, avec au moins une cote. Voici toutefois les coordonnées du sommet: 2'599'547, 1'085'301. Et encore une information: il existe une deuxième Punta Maria Luisa dans la Sierra de Gredos, en Espagne, terrain de jeu granitique grandiose pour les adeptes d’escalade.
Mais revenons aux Alpes valaisannes et à la frontière avec l’Italie. Avec ses 800 kilomètres, elle est la plus longue des frontières suisses avec les états voisins. De plus, elle a la particularité d’être presque entièrement montagneuse. Par conséquent, de nombreux sommets ont pu et dû être baptisés. En Italie, on donne volontiers des noms de personnes aux sommets et cabanes. Et les montagnes frontalières sont très bien documentées dans plusieurs guides suisses et italiens, ce qui légitime des sommets aux noms de personnes, même si le nom n’apparaît pas sur la carte nationale. C’est justement le cas de la Punta Maria Luisa, ainsi que de la Punta Maria Cristina (3705 m), sur l’arête est dentelée entre la Dent d’Hérens et le Cervin.
Pas d’objection à la Punta Maria Cristina
Les guides de Marcel Kurz n’indiquent pas encore de nom pour cette pointe. Ce n’est qu’avec la première ascension depuis le Tiefmattengletscher par le grand éperon nord haut de 800 mètres qu’elle a obtenu son nom, et ce justement dans l’article publié en 1959 dans «Les Alpes». Francesco Cavazzani, connu pour ses premières ascensions et ses livres sur le Valtournenche, est le premier à l’avoir gravie, les 7 et 8 septembre 1957 en compagnie des guides de montagne Leonardo et Luigi Carrel, ainsi que du porteur Pierino Pession.
On peut lire dans l’article «Punta Maria Cristina da nord» comment la pointe a été baptisée: «Le sommet s’élève à quelques mètres de nous, il ne nous reste plus que quelques pas avant de l’atteindre. Luigi Carrel déclare: <Tu vois, j’avais raison: c’est une pointe à part entière. Je ne sais pas pourquoi elle a été oubliée. Ça ne va pas: il faut lui donner un nom.> Et il propose celui de ma femme: Maria Cristina.» Depuis, ce sommet sur l’arête italo-suisse porte ce nom.
Ce n’est pas tout: Gino Buscaini (1931-2002) était le partenaire de cordée italien de Kurz et de Brandt pour ce qui est des guides de montagne. Lui aussi était membre d’honneur, mais du club alpin italien. Dans le guide du CAI Alpi Pennine, Volume II, Cervino – Alta Valpelline de 1970, Buscaini écrit qu’il ne faudrait pas nommer de sommets situés sur la crête frontalière avec la Suisse sans l’accord du pays voisin. Mais comme personne ne s’est opposé lorsque l’article sur la Punta Maria Cristina est paru dans la revue du CAS, «nous considérons que ce nom est accepté».
Bien plus d’hommes que de femmes
La Punta Maria Luisa et la Punta Maria Cristina font partie du cercle fermé des sommets de Suisse et alentours qui portent un nom de personne, comme trois des quatre plus hautes montagnes du pays: Dufour, Zumstein et Gnifetti. On trouve cette liste dans la revue Les Sports modernes, parue pour la première fois en 2023, dans le premier numéro, consacré au thème «La montagne: territoire du moderne?» (Editions Alphil, Neuchâtel). Sur les 200 sommets recensés, près de la moitié ont pu être attribués à des personnes connues (85 hommes, soit 42,5%; 12 femmes, soit 6%). Cela concerne des sommets qui apparaissent dans la littérature de montagne et sur la carte nationale, et sont relativement connus sous ce nom.
Il n’est pas étonnant que les femmes arrivent loin derrière pour ce qui est des noms personnels donnés à des sommets. Qui connaît la pointe Eugénie Rochat (2559 m), à la Pierre qu’Abotse (le «Cervin vaudois»), la Punta Alessandra (3268 m) dans le val Bregaglia, nommée d’après l’épouse de l’auteur de la première ascension, ou encore la pointe Marie Christine (env. 3601 m), sur l’arête nord du Balfrin? Ces noms ne sont pas (encore) indiqués sur la carte nationale.
Pas plus que la pointe Marcel Kurz (3499 m), en Valais, et la pointe Maurice Brandt (2528 m), dans les Alpes vaudoises, d’ailleurs. Toutes deux ont cependant été intégrées dans les guides et portails de courses.