© Anita Bachmann
«A mesure qu’on gravit les échelons universitaires, les femmes se font plus rares» Portrait de la glaciologue Kathrin Nägeli
La glaciologue Kathrin Naegeli est devenue chercheuse par passion pour la montagne. Elle a cofondé le projet
La neige et la glace. Il y a ceux qui s’en passeraient volontiers et ceux qui les adorent. Kathrin Naegeli fait clairement partie de la deuxième catégorie. Au terme de ses études en géographie physique et en glaciologie, elle a passé un semestre au Spitzberg pour rédiger son travail de master. «Au cœur du glacier arctique aux lueurs bleutées, j’ai été complètement envoûtée», raconte-t-elle.
Juste avant ses 20 ans, la jeune femme avait pris une année sabbatique et était notamment allée au Népal pour un trek. C’est là que son futur métier s’était imposé à elle. «Je voulais mieux comprendre les processus et la dynamique qui règnent en haute montagne, et y passer le plus de temps possible.»
Un objectif loin d’être banal
Aujourd’hui, à 37 ans, Kathrin Naegeli travaille à l’Université de Zurich comme scientifique, à la croisée de deux domaines spécialisés. Elle étudie comment les données de télédétection, par exemple les images satellites, peuvent être utilisées pour mener des recherches sur la cryosphère, la partie gelée de la surface de la Terre. Ces projets sont financés par l’Agence spatiale européenne (ESA) et le Fonds national suisse.
Au cours de sa carrière scientifique, Kathrin Naegeli a toujours écouté sa passion. «Je n’ai jamais reculé devant les efforts à fournir: suivre une formation continue, postuler pour une place qui m’intéressait ou déménager.» Elle a donc vu du pays en travaillant au Canada, en Alaska, au Kirghizistan ou encore en Arctique. Mais le fait qu’elle travaille aujourd’hui encore dans le domaine des sciences n’est pas toujours allé de soi. Pendant ses études, le rapport hommes-femmes était relativement équilibré. Cependant, «à mesure qu’on gravit les échelons du système universitaire, les femmes se font plus rares», constate-t-elle. Les postes de travail des chercheurs, souvent à durée limitée, offrent peu de sécurité. Pour s’assurer de nouvelles places et des financements, il faut en permanence être en mouvement et se faire remarquer, explique-t-elle. «C’est une des raisons qui pousse de nombreuses femmes à opter pour d’autres voies professionnelles», analyse-t-elle.
Kathrin Naegeli, elle, a décroché un poste fixe à l’université. En tant que professeure, elle souhaite attirer de jeunes gens vers les sciences. «Pour moi, ce n’est pas un objectif banal», précise celle qui doit concilier travail, famille et loisirs avec son mari. «Ne se laisser guider que par les intérêts professionnels n’est pas si facile», ajoute-t-elle. Elle nous parle d’un projet de terrain au Bhoutan, qu’elle dirige avec d’autres chercheuses, sans savoir toutefois si elle sera de la partie pour le voyage.
La seule fille de l’OJ
Enfant, Kathrin Naegeli, qui a grandi dans le canton d’Argovie, en pays plat, comme elle dit, allait déjà beaucoup en montagne, où son père l’emmenait randonner. Enthousiasmée par ses premiers contacts avec l’escalade, à l’école, elle s’est alors inscrite à l’Organisation jeunesse (OJ) de la section Homberg du CAS pour pouvoir pratiquer l’escalade sur rocher avec d’autres jeunes de son âge. «J’étais la seule fille», se souvient-elle. C’est néanmoins une période qu’elle a beaucoup aimée, puisqu’elle y a découvert sa «passion pour la montagne».
Kathrin Naegeli a à cœur d’inciter de jeunes femmes à suivre son exemple. En 2016, avec d’autres femmes, elle a mis sur pied le projet Girls* on Ice en Suisse. Originaire des Etats-Unis, ce programme de promotion vise à éveiller chez de jeunes femmes la passion pour les sciences, l’art et la découverte de la nature. Depuis 2017, Girls* on Ice organise chaque année des expéditions en Suisse, en allemand et en français. Lors de ces camps, des filles de 15 à 17 ans passent neuf jours ensemble sur un glacier. Au programme: expériences scientifiques, activités pour encourager la créativité et ascensions de sommets.
«Il s’agit de renforcer l’efficacité et la confiance en soi, le courage de prendre les commandes et de se dépasser», explique Kathrin Naegeli. Les jeunes femmes y parviennent souvent mieux quand elles sont entre elles. La combinaison entre alpinisme et science n’est pas un hasard: il s’agit de deux domaines dans lesquels les femmes sont sous-représentées. Kathrin Naegeli se sent à l’aise dans l’un comme dans l’autre.
Son intérêt précoce pour les sports de montagne a non seulement influencé son parcours professionnel, mais se révèle aussi pratique pour ses recherches. Pour les mesures sur le glacier, en effet, c’est un atout de bien savoir skier et de savoir s’encorder. En retour, son travail l’emmène souvent là où elle se sent particulièrement bien: sur la neige et la glace.