Traversée souterraine
EXTRAIT DES CARNETS DE COURSES DU SPÉLÉO-CLUB DE GENÈVE PAR CHARLES RENAUD Avec I illustration ( 171 ) Ayant fort mal dormi dans une grange où le vent glacial de décembre s' engouffre en rafales, nous sommes levés bien avant l' heure prévue.
La nuit très claire permet de cheminer sans lanternes, sans s' égarer. Soucieux d' éviter d' inu détours dans des bois où il faut faire son chemin en cassant les branches, nous avons reconnu le parcours hier, avec le vacher de notre hôte.
Une longue marche dans la neige gelée nous amène au pied d' une paroi de rochers. Un grand porche donne accès à une vaste salle tiède, où l'on se restaure avant la corvée.
Etant donné l' étroitesse des failles que nous devrons parcourir, nous n' avons transporté que nos éclairages et quelques cordes. Le contraste est agréable, par rapport à certains déménagements mémorables vers des cavernes nécessitant un important matériel.
Des amis français nous ont aimablement documentés sur notre itinéraire, nous donnant même des précisions qui nous mettront à l' abri d' un accident mortel dans le dangereux passage final immergé, où le moindre coincement signifie noyade.
Ainsi, une tabelle donnant les dimensions des premiers explorateurs qui ont réussi ce passage nous montre déjà d' emblée que quatre des nôtres n' ont aucun espoir de réussir cette prouesse.
Sauf imprévu, quatre hommes passeront sans difficultés insurmontables, tandis que deux camarades se trouveront dans un cas, ma foi... douteux! Ils seront donc à la merci de la moindre maladresse dans le siphon. Cette perspective gâte passablement notre plaisir.
Déjà en quittant la salle d' entrée, l' inquiétude se lit sur tous les visages. Au mutisme glacial qui remplace la joyeuse ambiance habituelle, on sent nettement une certaine gêne. Nous attaquons sans aucun entrain le début de ce voyage souterrain qui doit nous ramener à l' air libre par une autre issue située beaucoup plus bas. Il s' agit de la source d' un ruisseau, autrement dit d' un siphon complètement noyé, mais suffisamment court pour pouvoir être franchi sans scaphandre, avec la seule réserve d' air des poumons. Ceci, bien entendu, pour autant que l'on ne reste pas coincé dans ce conduit tortueux et très étroit.
Cette fois, les difficultés commencent d' emblée, confirmant pleinement les descriptions de nos prédécesseurs.
Il faut quitter la salle par un laminoir croulant, descendant à 60 degrés, hérissé de blocs coupants. En descendant, nous recevons toute la pierraille qui a été déséquilibrée. A un certain moment, nous sommes même ensevelis. S' en dégager est un vrai travail de Romain. N' ayant pas la place voulue pour bouger les membres, chaque bloc à déplacer semble avoir décuplé de poids.
Après 30 minutes de progression, la faille donne la possibilité de nous éloigner sur la droite, pour nous mettre hors de portée des cascades de pierres qui disparaissent dans les profondeurs de cette diaclase en soulevant des gerbes d' eau.
Ici, toute fuite hâtive est quasi impossible. Gare aux arrivées d' eau, hors de la période de gel! Le fouillis de ciselures et cupules des parois nous renseigne d' emblée sur la violence des trombes d' eau qui cheminent ici, en temps normal.
L' aspect sinistre des lieux n' est certes pas fait pour égayer notre travail. Nous franchissons avec mille précautions, pour ne pas nous blesser, une désespérante succession de hautes failles étroites et sales, de toutes petites galeries tortueuses, hachées, déchiquetées. Tout est humide, morne, visqueux, tranchant. Je n' ai jamais vu un tel paysage de cauchemar, ou du moins jamais du début à la fin d' un réseau.
Durant tout le parcours, nous n' avons jamais eu de diversion pour reposer l' œil, un endroit facile où se détendre quelques minutes. Si tous les itinéraires souterrains ressemblaient à celui-là, il y aurait bien moins de spéléologues!
La mauvaise humeur se lit sur tous les visages, nous avons hâte d' en finir. Et pourtant, nous savons par nos amis que le plus dur reste à faire. La descente d' une mince cheminée verticale hérissée de becs acérés achève de nous dégoûter. L' étroitesse de ce conduit ne laisse place qu' au corps et une corde tenue à bout de bras comme moyen de freinage, puisque la place disponible ne permet de bouger ni bras, ni pieds.
Nous mettons un temps infini à dégager l' un de nous dont une jambe est descendue dans un conduit, et l' autre dans le canal principal. Comme le tronc humain bouche toute la cheminée, il n' est bien entendu pas question de voir où l'on met ses jambes. On se laisse glisser le long de la corde, au petit bonheur, sans savoir du tout où Pon va, ni même si l'on ne va pas se trouver tout à coup pendu dans le vide d' une salle, à bout de corde...!
Sans les renseignements précis et les mensurations de nos prédécesseurs, il y a longtemps que nous aurions abandonné. Le premier de cordée fait observer qu' une erreur de parcours est toujours possible. Mieux vaut cependant ne pas y penser, car l' inquiétude que l'on ressent en atteignant le nœud indiquant que la corde approche de sa fin pourrait vite se muer en peur! Cela, il faut absolument l' éviter si l'on ne veut pas être privé de ses moyens physiques.
Les paroles du Dr Bombard, perdu en mer, n' ont jamais eu un tel relief dans nos esprits: « La peur est le début de la fin! » Chacun s' efforce de penser autre chose; trop réfléchir serait fatal.
Une fois cette exploration terminée, sitôt sortis de l' engourdissement cérébral dans lequel nous avions dû nous plonger pour tenir le coup, chacun se posa la même question: Comment le premier homme ayant passé là avait-il pu raisonner, pour savoir où la pesanteur allait l' entraîner? Et comment aurait-il pu remonter s' il s' était fourvoyé, puisque dans ces cheminées la place ne permet que de très légers mouvements des pointes de pieds, et des poignets? Pas question de poser une échelle souple, puisqu' on ne peut bouger ni bras, ni jambes pour s' en servir. Pas question de se hisser à une corde, pour les mêmes raisons. Un ramonage n' est pas partout possible, qu' au freinage des étroitures s' ajoute encore le poids de l' homme, souvent à bout de forces.
Cette mort lente, qui n' en finit plus, faillit bien arriver à notre collègue, si nous n' avions pas pu le tirer de là. Le grand malheur vint de ce qu' entre les deux canaux il n' y avait pas de liaison, de roche où le patient aurait été stoppé en position assise, pour se reprendre. Ces deux conduits étaient séparés par une faille conique où le poids du corps le coinçait de plus en plus à chaque minute qui passait. Il fallait faire vite pour le sauver.
Par malheur, l' homme placé au-dessus était le plus faible. Il n' avait ni la force de hisser la corde, ni surtout la place voulue pour faire les mouvements de traction.
L' homme en détresse se sentant descendre millimètre par millimètre dans cet étau fit de tels efforts pour se dégager qu' il n' eut finalement plus la force de serrer la corde et commença à se laisser aller, se coinçant toujours davantage.
Troisième malchance, la victime bouchait si hermétiquement le tuyau rocheux dans lequel nous descendions, que, sous lui, il était impossible d' entendre sa voix ou celle de l' homme du haut.
Je renonce à décrire les angoissants moments que nous passâmes avant de pouvoir le soulever de quelques décimètres en ajoutant la poussée désespérée de quatre hommes sans points d' appui, placés bout à bout sous lui, la tête de l' un poussant les chaussures de celui qui le dominait.
L' équipier du haut avait pendant ce temps remonté la cheminée, tiré la corde, qui fut redescendue avec une boucle pour le patient, puis rattachée en haut.
Ce n' est qu' après une nouvelle demi-heure de manœuvres malcommodes par manque de place que nous pûmes dégager complètement le malheureux, qui dut se reposer un instant avant de pouvoir continuer.
Le parcours plus facile nous permet maintenant de nous asseoir en certains endroits, ou même de nous tenir debout, si l'on choisit bien son emplacement.
Quel confort, après ce que nous venons de franchir! Nous en profitons pour changer les piles, vérifier les contacts, nettoyer vitres et ampoules, remplacer les boutons absents par des épingles de sûreté. Il faut dire que notre matériel de couture comprend essentiellement du fil de fer et de la ficelle.
Voici enfin une horizontale; la seule difficulté est de l' atteindre. Une triple courte échelle humaine permet au premier de se hisser à cette minuscule lucarne à angles vifs ( gare aux tibias !) et d' y accrocher une corde pour les suivants.
Dans une expédition souterraine ordinaire, ce boyau serait la punition de la journée, l' obstacle rêvé pour l' élimination des débutants. Après ce que nous avons enduré, ces 50 mètres paraissent agréables; tous les prétextes sont bons pour s' y éterniser en position couchée. Seul, le courant d' air glacial soufflant sur nos vêtements humides nous empêche d' y faire une sieste!
Dans ces galeries, la nature semble avoir pris plaisir à tout compliquer; la fin de ce boyau pose un nouveau problème, un obstacle que personne n' aurait imaginé s' il avait eu la liberté de le faire. Il débouche bien à l' équerre et à angles vifs dans une étroite cheminée lisse de cinq mètres.
On s' en sort à peu près bien, avec une série d' ecchymoses en plus, et pas mal de boutons en moins. Là-haut, à la lucarne, pend un fanion bleu qui ressemble étrangement à une manche de veste. Où est le manchot?
Les déclivités sont de plus en plus rares, mais l' humidité augmente. On approche du réseau actif, dont on entend par endroits le lointain grondement. Plus loin, l'on s' amuse à mettre la tête dans certaines failles où le grondement du torrent, amplifié par la résonance de la roche, semble terrifiant.
En fait, c' est par une rivière bien calme, coulant dans une galerie en forme d' ogive très aiguë, que nous abordons la branche supérieure du réseau actif. J' ai la curieuse surprise de voir mes gaillards boire avidement, sans penser qu' un peu plus loin ils ingurgiteront de force de quoi étancher leur soif pendant plusieurs semaines.
Nous arrivons à la birfurcation de plusieurs canaux, et nous dirigeons vers celui que le plan de nos amis mentionne. Peu après apparaît sur la muraille la double croix gravée par nos prédécesseurs. Plus d' erreur possible, le siphon est bien là, devant nous.
Nous restons longtemps figés de stupeur devant ce conduit noyé, hérissé d' obstacles fort bien choisis par la nature.
Passer là? Mais c' est de la folie pure! Et si nos amis nous avaient fait une farce? Sans les renseignements pris hier au hameau, nous ferions tout de suite demi-tour.
Un examen minutieux des lieux montre que le passage est possible, une fois désobstrué. Nous garderons l' homme le plus mince en amont, pour une éventuelle action de secours. Le suivant en taille sortira le premier pour équiper le siphon, rejoindre l' équipe qui nous attend en aval avec des vêtements secs, de la nourriture et des outils.
L' opération la plus dangereuse ( la sortie du plus gros ) se fera tout de suite après, ce qui fait que nous aurons à ce moment quatre hommes dedans, un dehors, plus l' équipe aval, pour tenter une action rapide, si l' affaire tourne mal.
Un extra-mince se charge des reconnaissances au siphon. Un lot important de blocs est extrait à chaque voyage. Arrivé au bout de sa résistance thermique et physique, il est remplacé par un ami moins souple, mais plus robuste.
Profitant du premier nettoyage, celui-ci parvient jusqu' au gros bloc jaunâtre obstruant le passage. Il l' enlace résolument des deux bras, donne un coup sec sur une des cordes nous reliant à ses chevilles. A ce signal, quatre hommes tirent à toute vitesse. Je récupère prestement le bloc au passage, mon voisin saisit l' homme.
Le voilà à genoux sur la berge; quintes de toux, expectoration bruyante du liquide bu, sans omettre les jurons qui conviennent à la situation.
7 Les Alpes - 1958 - Die Alpen97 Entre deux hoquets, il nous fait comprendre d' un geste las, qui en dit long sur son dégoût, que le passage est libre.
Un troisième part à son tour, rampe sur le fond pour mieux observer la suite, gagne deux nouveaux mètres, fait rapidement un peu d' ordre, puis une provision d' air en collant ses lèvres au plafond. Après une longue purification de ses poumons, il se retourne brusquement sur le ventre, en soulevant malheureusement un nuage de sable, fait un violent bond en avant et disparaît de notre champ visuel. Immédiatement arrive le signal convenu; on tire les cordes, il réapparaît.
L' homme couché à l' extrême pointe du tunnel l' empoigne au passage par les cheveux, tire la tête hors de l' eau, la fait passer aux suivants. La douceur n' est certes pas de mise en ces cas. On lutte avec les secondes; les manœuvres sont d' une rapidité frisant la brutalité, aucun geste inutile ou maladroit n' est permis.
Sitôt les essuyages et frictions terminés, nous récapitulons les indications de nos trois éclaireurs, car rien ne doit être laissé au hasard lorsqu' on a la tête sous l' eau. Nous connaissons maintenant les dimensions amont du conduit, les coupoles où l'on peut reprendre de l' air, les pièges à éviter, les manœuvres à faire pour dégager à temps la victime d' un accident.
Grâce à ces précautions, une impression de sécurité nous donne confiance et la certitude de réussir. Nous sommes prêts à sortir.
Le premier partant est encordé, encouragé, mis à l' eau pour le départ définitif cette fois. Il avance calmement jusqu' à la poche d' air, avec d' infinies précautions, pour ne pas se blesser ou s' essouffler. Il n' a gardé que chaussons et souliers, n' a ni coiffe ni éclairage.
B le suit avec un fort éclairage électrique étanche. Halte à la poche d' air où A refait provision d' oxygène, alors que B respire par un tuyau. Les trois cordes flottent en éventail derrière eux, le silence est complet, nos tempes battent très fort!
Brusquement, il baisse la tête, se détend tel un ressort, disparaît dans ce trou noir.Derrière, chaque corde est surveillée et guidée individuellement. Les mètres filent rapidement... arrêt... puis signal sur la corde, signifiant « j' ai passé ». B lâche son tuyau, revient brusquement vers ses soigneurs. Des deux côtés du siphon, on frictionne tant et plus. Ceux de l' extérieur ont plus froid que nous, car ici, l' air a tout de même 10 degrés, et aucun souffle ne nous gêne.
Les cordes qui dormaient dans la passe s' agitent, la corde fixe se tend, la suivante nous est arrachée brusquement des mains, file à l' extérieur, la troisième, que nous amarrons prestement, se tend puis donne le signal « tirez ».
Nous halons jusqu' au repère qui va nous donner la longueur exacte du canal à franchir pour sortir. Le voici: c' est une gourde en aluminium. Elle contient un billet de A donnant les dernières particularités du boyau, un mot de l' équipe aval annonçant vestiaire et souper prêt, passage nettoyé, sortie éclairée.
L' heure n' est malheureusement pas à la plaisanterie, il faut sortir le plus gros, celui qui a le plus de risques d' y rester. Par sécurité, on lui enlève tout, même ses souliers. Tant pis pour les coupures.
Utilisant la gourde comme télégraphe, nous avisons l' extérieur. Réponse: tout est prêt, deux lampes étanches éclairent le canal, un plongeur ultra-mince attaché aux chevilles viendra cueillir l' arrivant à notre signal.
Notre homme s' immerge dans cette eau à 2°, se rend à la poche d' air avec son suiveur. Après un arrêt trop court à notre avis, il plonge, se présente mal à la chatière, s' énerve, fait un mètre, se coince, recule, soutenu par son aide qui lui passe le tuyau et... se sauve!
Voilà un fâcheux début qui ne présage rien de bon! Après un stage respiratoire à la niche d' air, il vient à nous.
Dépités, nous le frictionnons tout en commentant cet échec. Que faire?... Il faut absolument passer, quitte à y laisser des lambeaux de peau. Nous lui conseillons une autre position, demandons à l' extérieur de venir aussi loin que possible à sa rencontre pour le guider et donner les ordres, car il bouche si hermétiquement le canal que tout signal est impossible sur la corde fixe. D' autre part, toute traction prématurée ou maladroite serait fatale, achevant de rendre son sauvetage impossible en le coinçant toujours davantage, de telle manière que nous ne pourrions plus le ravoir avant la noyade.
Pour comble de malheur, ce bouchon humain vient de faire barrage, retenant l' eau qui, durant quelques instants, monte d' une façon inquiétante en amont.
Sans se démoraliser, notre bonhomme se remet à l' eau, réussit le passage du goulet, mais se coince deux mètres plus loin. A l' instant où nous sautons tous à l' eau, la corde démarre brusquement, file à une telle vitesse qu' une extraction forcée par l' équipe aval ne fait plus de doute. Effon-drés sur place, nous attendons le cœur battant le résultat.
Arrive le signal « tirez », puis la gourde avec un billet: « Sauvé in extremis, évanoui; blessures sans gravité; envoyez suivants. » Le troisième passe sans trop de mal. Le quatrième sort par ses propres moyens, sans escorte. C' est maintenant le tour du matériel. En aval, la montagne restitue une paire de souliers, un pantalon de velours bourré d' objets divers, ficelé comme un saucisson, cinq paquets de vêtements, enfin le benjamin de l' équipe qui jaillit sans corde et sans lumière, le sourire aux lèvres. Il trouve cela follement amusant!
Tout ce monde aquatique, séché et changé, mange maintenant sans s' occuper de la neige qui tombe dru en ce soir glacial de décembre.
Voyage Pittoresque au Mont Blanc par le Valais
Le manuscrit de ce récit anonyme nous avait été soumis voilà déjà bien des années, et nous ignorons sa provenance. Nous n' avons pas réussi à en identifier l' auteur. Il est parti de Bex et y est revenu, ce qui semble indiquer qu' il y habitait. Bex était alors l' étape habituelle des touristes qui visitaient les Glacières. Les voyages des Thomas à la recherche de plantes pour Albert de Haller y avaient fait connaître Chamonix. Quelques années auparavant ( 1791 ), son cimetière avait accueilli la dépouille du jeune étudiant zuricois Jacob Escher qui s' était tué au Col de Balme: sa famille avait voulu qu' il repose en terre réformée. Les funérailles, dit Bourrit, avaient eu lieu avec tous les honneurs possibles; le cercueil était suivi du Corps de Ville et de toute la bourgeoisie.
Médiocre au point de vue littéraire, le récit que nous publions est néanmoins un document intéressant sur l' époque. L' auteur est évidemment grand admirateur des idées nouvelles de Bonaparte qui les incarne et les impose, du progrès, que chaque époque définit à sa façon. Il est anticlérical au nom de la « science » et des « lumières », bonapartiste au nom du bonheur obligatoire, dont la liberté fait partie! Il déplore l' obscurantisme des gens et des peuples qui refusent ce nouvel évangile, l' obstination des Valaisans qui ne savent pas apprécier les bontés de l' en de leur pays - la route du Simplon -. Tout cela est bien de son temps.
Mais c' est aussi un fervent ami de la nature et de la montagne. Ainsi se rencontrent en lui à la fois un Homais, un romantique et un alpiniste en puissance.
C' est peut-être de ce côté qu' il faudrait chercher. Il y avait alors à Bex les Ricou, père et fils, descendants d' une famille d' émigrés, à la fois chirurgiens et apothicaires, et comme les Thomas, férus de botanique. Jean-David Ricou, 1750-1820, participait en qualité de médecin à l' expédition Forneret qui devait pénétrer aux Ormonts pour soumettre les habitants de cette vallée ( mars 1798 ). C' est lui qui a extrait la balle qui frappa Forneret au Col de la Croix lors du combat que C.F. Ramuz raconte, romancé, dans La Guerre dans le Haut Pays.L. S.
à Bex le 30 Messidor 11 ( 19 juillet 1803 ) Je suis parti de Bex le 15 Messidor ( 4 juillet ) à pied, seul avec un Guide de la Valée de Chamouny; il revenoit d' accompagner des Prussiens à Lausanne.
Il était 4 heures du matin, le vent frais, les dents de Mordes et de Midy sans nuages.
Rhône. J' ai passé le Rhône au Pont de St-Maurice; ce fleuve rétréci dans une seule arche coule avec la rapidité d' un Torrent pour se jetter à 4 lieues de là dans le Lac de Genève.
St-Maurice. La ville de St-Maurice n' a qu' une Rue et d' autre mérite que d' avoir été autrefois le Théâtre du Massacre de la légion Thébaine dont ce Saint étoit le Chef, si l'on veut croire à une Chronique ancienne recueillie par un Erudit Valaisan nommé Derivaz.
Pissevache. Je me hâte d' arriver à cette belle Cascade connue sous le nom de Pisse Vache; elle prend sa source au Glacier de la Dent de Midy, moins élevée que le Staubbach de la Valée de Lauterbrunn, elle tombe plus riche et plus abondante que le Reichenbach de la Valée de Meiringen d' une hauteur de 240 à 300 Pieds, elle étale son écume blanchissante sur des Rocs noirs d' une largeur de 40 à 50 pieds, une faible partie fait Tourner un méchant Moulin à quelques Toises de sa Chute, et le reste fuit rapidement vers le Rhône qui traverse la Valée, large en cet endroit d' environ une lieue; j' ai joui dans tout son entier de cette belle vue, décorée à l' heure qu' il étoit, c' est à dire au lever du soleil; des plus vives couleurs de l' arc en ciel, à mesure que je m' éloignais, l' Iris semblait s' élever par degrés et trancher la blancheur du Torrent à des hauteurs successives.
Trient. A une demi lieue plus loin, on trouve le Trient qui prenant sa source au Glacier de ce nom s' échappe en grondant à travers des Rocs qui paraissent s' être entrouverts, à une profondeur effrayante, pour lui donner passage. Il parcourt l' espace de trois lieues sous des rives de plus de Mille Toises d' élévation, et de trois ou quatre tout au plus d' ouverture avant de se montrer dans la plaine. Quelle longue suite d' années ne lui auroit-il pas fallu pour se creuser ce lit si quelque secousse d' un Tremblement de terre ne l' eût subitement formé! Une singularité remarquable c' est qu' à ce Débouché du Trient régne constamment une Lutte de vents contraires, et de pluies, quoiqu' un peu en deçà et au delà il fasse le plus beau tems du Monde.
Bâtia. Une jolie route bordée de saules conduit insensiblement au village sous le Château, appelle La Bâtia. Dans ce lieu jadis le Séjour des Prélats du Valais et plus anciennement du Proconsul Romain habitent le Crétinisme, les Goitres, au milieu de la saleté & de l' insouciance les plus affreuses.
Cependant la fertilité du sol sur les bords raffraîchissants de la Drance, la largeur de la Valée en cet endroit, l' écoulement facile des eaux stagnantes, les vents du Nord et de l' Est qui sé croisent sembleraient devoir exclure ce Méphitisme si la paresse et la lâcheté des habitans ne rendoient son influence plus active sur leur espèce que je crois dégénérée.
Martigny. Non loin de là après avoir passé un Pont de bois sur la Drance, je suis trouvé à Martigny, c' est un village; le Prévôt du Grand S* Bernard Mr Luder et le Prieur Mr Murrith sont au yeux de tout le monde, ce qu' il y a de plus remarquable par leurs sciences profondes et leurs vertus hospitalières et religieuses. Martigny dans une situation avantageuse au point où se joignent les deux Routes du Simplon et du Grand S* Bernard, ne peut manquer de devenir l' entrepôt d' un commerce considérable, cependant l' espérance si prochaine de ce bonheur certain, ne réveille en aucune manière les Valaisans de leur léthargie, et ne leur inspire pas la moindre reconnaissance pour le grand homme qui, par l' exécution de ce beau projet les retirera du Néant.
Suivant à droite ce chemin bordé de Noyers au milieu d' une jolie plaine entre ce qu' on appelle la Ville et le Bourg de Martigny sous ces coteaux renommés de la Marque, j' ai laissé à gauche la route de S* Bernard.
Forclaz. Je m' elevois à pas lents par une chaleur orageuse et pénible au haut d' une colline nommée la Forclaz ou le Fort de la Clef, à cause d' une misérable Redoute en Pierres qui ferme ce passage.
Cimetière de Papillons. A peu près au milieu de cette route j' ai trouvé plusieurs places jonchées de Papillons morts et d' autres qui venaient aussi y déposer la vie. Je n' ai su à quelle cause attribuer ce Phénomène, il faisoit un tems bien chaud & pesant, les environs étoient humides et plantés d' aulnes aux feuilles desquelles ils ne s' arrêtaient point, ils s' abattoient avec empressement sur la terre qu' ils dévoraient avec avidité, quelques-uns se relevaient malades & forcés de retomber ils expiroient en battant des ailes. J' ai goûté de cette terre et en ai fait goûter à mon guide, elle nous a paru salée, peut-être quelque dissolution minérale attiroit ces Insectes et les empoisonnoit, car la Dépression seule de l' atmosphère ne les a pas fait périr.
Ce col de la Forclaz fut un repos bien avantageux après trois heures de marche au moment le plus chaud de la journée.
Village de Trient. De là comme au fond d' un entonnoir triangulaire on voit le village de Trient, on y descend dans une demi-heure, l'on entre dans une espèce de petit Cabaret de Montagne entouré de chalets, la propreté du lieu & l' honnêteté empressée de l' hôtesse sont remarquables. Ce séjour qui doit être affreux en hiver présentoit alors un aspect riant et animé au milieu d' un Amphithéâtre de Verdure, de troupeaux et de Moissons.
Pèlerinage à Einsiedlen. Au fond du vallon passe le Torrent dont j' ai parlé, il s' engouffre un peu au dessous dans les Précipices où il serpente comme je l' ai décrit. Poursuivant ma route je détournai à gauche dans le sentier étroit et obscur de la tête noire suspendu continuellement sur des Précipices j' y fis l' heureuse rencontre de deux jeunes Savoyardes, jolies, fraîches adolescentes encore, elles marchoient à pied nud sur un terrein hérissé de Rochers, elles baissoient timidement les yeux en suivant leur mère qui les conduisoit en Pèlerinage à l' Ab des Hérémites au Canton de Schwitz, je frémissois d' entendre dire qu' elles avoient encore plus de 50 lieues à faire à travers monts et Vaux pour se rendre à Einsiedlen: Victimes trop intéressantes du fanatisme sombre et de la simplicité qui règne encore dans ces montagnes je vous eusse volontiers accordé les indulgences que vous alliez chercher si loin par des chemins si pénibles, des fatigues et des privations aussi austères.
Le point le plus élevé de ce chemin s' appelle le Mauvais pas, des sapins renversés bordent le sentier et rassurent l' œil qui plonge sur un abyme. Après une heure de descente à peu près, on se trouve au passage d' un Torrent qui s' appelle L' eau noire, mais ce n' est pas l' onde noire, de vertes prairies, des moulins des moissons annoncent Valorsinne.
C' est là où commence la belle Valée de Chamouny. La perspective nous fut tout à coup dérobée par un orage qui nous baigna de ses eaux tièdes jusqu' au Glacierd' Argentière dont le clocher tronqué nous rappella malgré nous la terreur qui l' a nivelé; quelques Douaniers qui rôdent çà et là & vous regardent avec défiance n' égaient pas non plus le tableau, mais bientôt la scène changea: entré dans une plaine plus droite et mieux cultivée elle retentissoit du gémissement des troupeaux qui sur le soir revenoient du pâturage, leurs Bergers couverts de Peaux de Chèvres d' une Physionomie riante & expressive annonçoient le plaisir qu' ils ressentent de la présence des étrangers qui viennent répandre chez eux l' aisance et le bonheur. Plus près du Prieuré de Chamouny mon guide me fit remarquer l' habitation du plus industrieux et du plus riche Paysan de la Valée, ce respectable vieillard ( Joseph Tournier ) a su marier et doter ses enfants aux dépens des montagnes, les torrents sont pour lui des canaux intarissables de ressources et de richesses; ce n' est pas de l' or ou des cristaux qu' il y trouve, c' est de la terre, il a le secret disait mon guide, de faire venir l' herbe ou le bled sur le gravier et sur le Roc; tous les ans au Printems il accumule le plus qu' il peut de ce sable que charrient les eaux de l' Arveyron et des torrents, de ces débris qu' entraînent les avalanches du flanc des collines qu' elles déchirent; de ce mélange enfin de différentes espèces de terre il couvre un lit de pierres qu' il a rapprochées le plus horisontalement possible, à mesure que son domaine naissant commence à s' étendre il le couvre de nouvelles couches. Une cabane y est bâtie, ses mains le cultivent avec plus d' assiduité et de constance, et bientôt une première moisson de fourrage ou de Bled a couronné ses travaux & la payé de ses peines. Son secret est celui de la Nature qui a forme les plus riches valées de la dépouille des montagnes, il ne fait qu' accélérer son ouvrage dont le résultat est d' autant plus rapide que ces différentes terres mêlées & divisées les unes par les autres forment, sans engrais, le sol le plus fertile et le plus propre à la végétation.
Ne pourroit-on pas le démontrer en disant que ( la graine ) le germe poussé en terre seroit noyée dans la molécule trop grasse ou trop humide dans laquelle il s' implante et de laquelle il se nourrit, si une molécule de marne ou de sable n' absorboit à côté l' humidité superflue. Idée du M' Blanc. Je suis enfin parvenu au Prieuré de Chamouny; descendu à l' Hôtel de Londres j' ai reconnu la propreté & la commodité de cette auberge. Après un moment de repos mon premier soin a été de courir vers la fenêtre pour contempler le Mont Blanc, que j' avais presque en face, mais des nuages amoncelés couvraient la tête superbe de ce monarque des Alpes qui semble se porter en arrière dans un enfoncement où des aiguilles d' une élévation prodigieuses grouppées tout autour paraissent lui faire cortège; on les prend souvent pour le Mont Blanc même qui les domine de beaucoup et qui rarement se laisse voir jusqu' à sa cîme.
Glacier des Buissons. Un large ruban de glace d' une blancheur éclatante paroit descendre jusqu' à ses pieds & former de molles ondulations au milieu des franges vertes de sa robe, cela s' appelle le Glacier des buissons ou une Métaphore; mais à parler juste c' est le plus beau de tous les glaciers que j' aie vus: moins large que celui du Rhône ou que celui des Bois, son élévation est bien plus imposante & telle que si du Ciel il se déroulait jusqu' à terre. Une jatte de lait a fait tout mon souper, un sommeil doux et profond ne s' est pas fait attendre & la nuit a fait disparaître une fatigue de 13 lieues de Montagne et la variété des scènes de la veille.
Mont blanc. Le lendemain, quel réveil! A 5 heures du matin j' ai vu le Mont blanc dans toute sa majesté, sa tête arrondie au dessus de toutes ces Pointes s' élevait avec éclat au milieu de l' azur des Cieux. Voilà donc, me suis-je dit, 2450 toises perpendiculairement élevées dans l' atmosphère! Quel édificeQuelle grandeur! Que la magnificence des monuments élevés par la main de l' homme est en comparaison petite & vaine! Si les plus hautes montagnes de l' Europe et peut-être du Globe s' humilient devant celle-ci, on doute que le Pilchinaet même le Chimborozo aient plus de saillie hors de leurs Bazes, plus élevées sous l' Equateur au dessus du niveau de la Mer que celle du Mont blanc, s' il est vrai que de la Ville de Quitto au Pérou on n' ait plus que 3 ou 400 toises pour s' élever à leurs sommets. J' ai conçu en ce moment le désir extrême ou plutôt la passion qui avait tourmenté le célèbre Desaussure pendant 26 ans d' escalader cette montagne énorme, j' avoue que j' ai senti vivement le même désir. Le spectacle sublime de l' ensemble de la Chaîne des Alpes, les plaines magnifiques de la France et de la Lombardie, un horison que rien ne borne et qui s' étend au delà de 50 lieues de rayon, la beauté et la profondeur d' un ciel qui paroit d' un noir d' Ebène et tout brillant d' étoiles. Tous ces grands objets que tout homme peut contempler deviennent quelquefois Passion & peuvent s' acheter au prix de beaucoup de fatigues et de dangers sans pour cela atteindre à la gloire du Phisicien illustre que l'on songe moins à rivaliser qu' à suivre.
M1 Forneret. Mr Forneret ( Maurice ) de Lausanne a eu ce bonheur avec un Courlandais accompagné des mêmes guides qui avoient conduit W Desaussure. J' ai donc fait venir le fameux Jaques Balmat ( dit Mont blanc ), j' étais impatient de le voir et de l' entendre me raconter lui-même tous les détails de l' ascension de l' illustre voyageur Genevois & celle de ces jeunes gens aussi heureux quoique moins connus.
Jaques Balmat est un homme de 40 ans, d' une taille médiocre et bien prise & remarquable surtout par des mollets fortement prononcés, leste, vif, la physionomie gaie annonçant par sa franchise et son honnêteté l' homme auquel on peut confier en toute sûreté sa vie, il a un mérite de plus c' est de ne revendiquer rien du compte qu' on lui tient peu de la découverte qu' il a faite & qui n' est due qu' à lui de la route du Mont blanc, un stérile sobriquet est tout ce qu' il en a retiré. Cependant Jaques Balmat a naturellement de l' esprit, il a même l' amour de s' instruire et ne serait pas insensible à la célébrité; il a des idées plus élevées qu' un Chamouniard ordinaire & est rempli de bon sens, il est courageux & capable d' entreprise; il a risqué une partie de son avoir & vaincu mille contrariétés pour parvenir à élever une race de moutons d' Espagne qui profite parfaitement entre ses mains et dont il a pour but principal d' enrichir son pays & sa commune, neveu de ce respectable Joseph Fournier dont j' ai parlé. Peut-être seront-ils reconnus un jour pour les fondateurs de la prospérité de Chamouny où les mœurs étoient encore si sauvages, il n' y a pas 40 ans que les voyageurs curieux étoient obligés d' y apporter des tentes pour camper ne pouvant y trouver ni auberges ni asyles.
Balmat me parla raisonnablement & me dit que l' expédition ne pouvait s' entreprendre qu' au commencement d' août, qu' on ne pouvoit se pourvoir de moins de 6 à 7 guides & de tout l' appareil nécessaire pour coucher en route, se mettre à l' abri de l' intempérie du tems et se garantir des perils auxquels on [est] exposé. Je lui demandai si nous ne pouvions pas aller seuls comme il avoit fait avec le Docteur Paccard, il y consentoit mais ne le conseilloit pas; je trouvai donc que le parti le plus sage etoit d' attendre qu' un amateur voulut un jour partager avec moi le plaisir, les fatigues et les frais du Voyage.
Montantvert. L' après dinée je faisois dans la Valée des excursions vagues & sans but; rien ne m' intéressoit plus que mon expédition future; j' y rêvais en m' engageant presque sans y songer dans la route du Montantvert; je croyois ne faire qu' une jolie promenade à l' ombre des bois & de la verdure sans fatigue & sans peine, lorsque je me suis apperçu qu' il s' agissoit de gravir des sentiers presqu' à pics, le soleil au dos, une ou deux avalanches de Pierres à traverser, la seule petite source du Caillet offrant un repos agréable à l' ombre des Mélèzes à cet endroit où l'on trouve de l' amiant; mais j' ai été complettement dédomagé en arrivant sur les bords de ce vaste glacier qu' on appelle la Mer de Glace, après m' être reposé quelques instants pour n' être pas saisi tout à coup par le froid je l' ai contemplé tout à mon aise.
Mer de Glace. Le coup d' œil en est imposant et magnifique; au dessus du grand Glacier des Bois, entre les Aiguilles des Charmoz & du Dru, s' étend un Lac de Glace de plusieurs milles d' étendue coupé dans tous les sens de crevasses dont les profondeurs bleues & vertes n' offrent rien à l' œil qui les termine; ce lac est bordé de montagnes à pic, mais on peut la côtoyer en suivant les Mo- raines sur les traces d' un guide prudent et expérimenté, on s' y rend au pied du Géant de Léchaud et de ce gazon renfermé dans les Rochers qu' on appelle le Jardin. J' avoue que je n' ai pas osé m' hasarder seul, et que la perspective ne pouvant devenir plus belle ni plus satisfaisante que celle dont je jouissais je n' ai pas été tenté, & craignant encore de m' égarer en redescendant je me suis mis prudemment sous la conduite d' un berger du Montanvert qui m' a ramené à Chamouny.
Il fallût enfin quitter cette belle Valée, ce fût le lendemain que je m' en éloignai en faisant des vœux pour y revenir, je jettai mes derniers regards sur les vertes prairies de Joseph Tournier, lorsque mon guide me fit remarquer un nouvel objet de curiosité.
C' étoit un de ces deux Albinos dont parle Mr de Saussure; ils sont de retour à Chamouny après s' être fait voir en Angleterre & en France pendant onze ans. Cet homme âgé de 34 ans conduisoit ses bestiaux au pâturage, s' appercevant que je le remarquois il s' arrêta et me fit voir ses cheveux tout blancs, gros et rudes comme du crin, ses sourcils et les cils de ses paupières de la même couleur, ses yeux clignotant le cristallin paroit d' un rose tendre; son frère est marié depuis peu, il sera curieux de voir si cette variété d' hommes se propagera dans ses enfants.
Col de Balme. En remontant la Valée et laissant à droite le Glacier de l' Argentière et du Tour ( Four ) je me suis élevé dans l' espace de 3 heures sur le Col de Bahne. J' appréhendois que des nuages ne me dérobassent une des plus riches perspectives que l'on connoisse dans ces Montagnes mais heureusement le ciel étoit pur & serein; à l' endroit le plus élevé où sont posées les limites du Valais et de la Savoie se découvrent ces deux remparts doubles et parallèles sur lesquels s' élèvent comme de grandes Tours les plus hautes cimes des Alpes. A l' Est dans le lointain les Pics neiges de l' Oberland, le Finsterhorn, le Schreckhorn, l' Engelberg & Riggi, au Sud Est le Gothard et la chaîne des Grisons, au Midy le Mont Vélan, le Col Ferret, au Sud Ouest le Mont blanc et toute la Chaîne décroissante jusqu' au petit S* Bernard, au Nord les Aiguilles rouges, le Buet, les dents d' Oche et la Chaîne au bord du Lac de Genève; plus près de l' œil, Chamouny, Valorsinne, Martigny, Sion et le Valais; immédiatement au dessous les précipices de Trient et de la Tête Noire offrent sur leurs pentes des paysages délicieux.
J' ai passé 4 heures dans cette charmante position reportant toujours les yeux sur la cime orgueilleuse du Mont blanc.
Je suivois les diverses sinuosités de la route, je m' y élevé par la pensée, je tâchois de me faire une idée, de me voir au dessus de tous ces Pics qui m' entouroient. J' ai regretté vivement je l' assure de n' avoir pu réaliser déjà mon Projet, je serois volontiers reparti pour Chamouny, si mon séjour à Bex où je suis arrivé le même jour ne me flattoit de l' espoir d' y rencontrer des amateurs aussi passionnés que moi pour ce grand voyage.