Surprise sur un glacier
Heinz Hanewinkel, D-Langenfeld
Un glorieux matin d' été règne sur la vallée de Zermatt. Sommets et faces glaciaires étincellent au soleil. Nous avons quitté depuis un bon moment la cabane de la Gandegg ( 3029 m ) et suivons sur le glacier du Théodule la piste étroite qui monte en direction de la Testa Grigia. Les crampons crissent sur la neige dure. Il faut sauter quelques minces crevasses qui coupent le chemin et tourner les plus grandes dont les grosses lèvres surplombent des gouffres sombres. Après deux heures de marche, notre cordée atteint la Testa Grigia, où l'on se trouve entouré d' un panorama fantastique.Voici au nord la chaîne majestueuse des Mischabel avec le Täschhorn et le Dom surplombant la profonde entaille de la vallée de Zermatt. Au sud, dans un ciel sans nuages, se dressent les géants du Gran Paradiso et du Mont Blanc. Seul le vent violent qui hurle à nos oreilles nous donne du souci: quelle surprise nous réserve-t-il? Tout vêtement et tout objet d' équipement que l'on abandonnerait pour un instant, ou que l'on aurait mal fixé, serait emporté sans pitié et pour toujours. Malgré tout, nous continuons l' ascension après un court repos. La violence toujours croissante de la tempête de vent nous impose une lutte constante pour rester debout. Peu avant midi, nous sommes au début du névé de la Gobba di Rollin. Le courant glacé atteint une telle vitesse qu' il nous jette au visage des poignées de cristaux. Ici à 3700 mètres, sur la crête neigeuse de la chaîne dominante des Alpes, nous sommes à sa merci, sans la moindre protection.
Non sans mélancolie, nous jetons nos regards vers le sud, dans les vallées profondes et vertes de l' Italie ensoleillée. Puis, au nord, sur le Breithorn et sa corniche sommitale, une tentation si proche, là devant nous! Mais nous savons à présent qu' ici, à deux cents mètres, tout juste sous la coupole neigeuse de la Gobba di Rollin ( 3902 m ), nous devons nous avouer battus. Nos yeux sont trop douloureux, le souffle glacé nous transperce.
A toute allure nous descendons à Testa Grigia, et tard dans l' après vers la vallée, labourant la neige en direction de la Gandegg. C' est alors que nous faisons, peu au-dessous du col du Théodule, la rencontre soudaine et combien inattendue de deux garçons poussant leurs vélos. D' abord, nous restons bouche bée. Une idée folle, de monter ce glacier avec une bicyclette. Jamais vu encore en De gauche à droite: Breithorn ( 4164 m ) et Petit Cervin ( 3883 m ).
Photo H Hanewinv montagne! Avec peine ils poussent leur machine lourdement chargée. Chaîne, pneus, pédales sont embourbés de neige ramollie. Nous nous arrêtons, les questionnons sur leur but. Dans une langue où se mêlent des lambeaux d' allemand et d' italien, ils nous répondent qu' ils ont l' intention de pousser leurs vélos par-dessus le Théodule pour descendre de là par les raides chemins de montagne jusqu' à Breuil et regagner ainsi leur chez-eux italien. Un projet pénible et difficile, on peut le croire! Ils vont avoir à pousser leur machine encore quatre heures durant avant d' atteindre les premières routes dans la vallée.
Quand nous leur conseillons de passer la nuit dans la cabane du Théodule pour éviter d' être surpris par la nuit, ils déclinent l' invita: leur course doit les amener aujourd'hui même à bon port. Là-dessus, nos chemins se séparent: nous faisons route en direction de la Gandegg dans la neige fondante, eux continuent vers le Théodule leur laborieux travail. Un quart d' heure plus tard ils ont disparu à notre vue. Quand nous arrivons à la petite cabane de la Gandegg, notre journée riche en événements dans les montagnes valaisannes prend fin dans la fête d' un merveilleux cou- cher de soleil. Les flancs escarpés et les arêtes neigeuses du puissant Breithorn se teintent de rose tendre, le paysage entier se transforme par magie en un tableau de rêve. Longtemps encore nous restons debout devant notre refuge confortable, le regard vers le glacier du Théodule, et nos pensées allant sans cesse là-haut vers les deux garçons en route avec leurs bicyclettes dans la haute montagne. Espérons qu' ils ont atteint leur but avant la chute du jour et n' auront pas eu à s' accommoder d' un bivouac dans cette nuit glaciale!
Traduit de l' allemand