Retour du Vatnajökull
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Retour du Vatnajökull

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PAR ARNO HOFMANN, WIMMIS

AVENTURES EN ISLANDE Avec 2 illustrations ( 113/114 ) /. Le glacier Notre « Landrover » s' arrête, le 12 juillet 1964, vers midi, à l' extrémité sud d' une vaste terrasse d' éboulis. Le conducteur en descend, jette un regard dans la gorge étroite et abrupte, et scrute les parois qui la dominent. Nous avons déjà compris, nous, les quatre explorateurs de l' Islande, Hans Röthlisberger, Bernhard Schweizer, Hansruedi Wüthrich et moi: il est terminé, ce voyage qui nous a conduits du lac Mücken, sur une distance de 150 km, vers la contrée la plus reculée de l'«Ile de feu et de glace », à travers des régions non habitées et désertiques. Un vent froid et mordant nous saisit lorsque nous descendons l' un après l' autre du véhicule. Une crête allongée et recouverte d' une carapace de glace nous domine à l' ouest: le Kverkfjöll, un contrefort du Vatnajökull, haut de 2000 m. Au nord, à son opposé, le Brüarjökull déploie sa langue bleutée et crevassée. Nous nous trouvons donc déjà sur cette langue de terre qui s' avance en saillie vers le milieu du Vatnajökull; de son extrémité, une marche de 80 km environ doit permettre la traversée du plus grand plateau glaciaire d' Europe.

Sacs et skis sont rapidement déchargés. Nous suivons longtemps des yeux la « Landrover »brun clair qui s' éloigne vers le nord, sur la plaine de débris grisâtre. Nous nous tournons alors en silence vers les bagages empilés sur le sol, fixons les skis sur les sacs de montagne et nous aidons réciproquement à endosser les lourdes charges. Lentement, chancelant presque sous le fardeau inhabituel, nous nous mettons en marche et attaquons, toujours en silence, les premières pentes. Abrités dans une combe, nous faisons notre premier feu et nous alimentons légèrement, puis poursuivons notre montée par de monotones éboulis de couleur gris-vert. Un vent impétueux souffle des pentes glacées du Vatnajökull dans la vallée déserte et hostile. Ce n' est qu' au cours d' une longue traversée que la tempête nous saisit dans toute sa violence. Elle se joue des surfaces planes des skis dépassant des sacs, nous contraint parfois à rester sur place et me jette deux fois au sol. Mais Bernhard découvre bientôt un petit cratère circulaire, profond d' un mètre et demi. C' est tout à l' entour le seul abri, et nous n' hésitons pas à monter nos deux tentes dans son fond couvert de neige.

A une nuit froide et pluvieuse succède, le matin du 13 juillet, une activité fébrile dans le camp du cratère.Vêtements de toutes les couleurs et toiles de tentes sont étendus sur le sol, retenus par des pierres, pour y sécher: nous régions les fixations des skis loués à Reykjavik et Akureyri. Notre camp a un aspect presque amusant lorsque, en montant vers le torrent glaciaire pour y puiser de l' eau, on voit surgir tout à coup, dans le paysage désertique, les cimes des tentes et les têtes bariolées des camarades.

Une exploration vers le glacier est prévue pour aujourd'hui. Charges seulement des skis et d' un paquetage léger, nous nous proposons d' atteindre le bas de l' entaille séparant le Kverkfjöll et le Brüarjökull, et franchissons pour y parvenir d' interminables moraines et des dépressions couvertes de neige. De gigantesques blocs noirs ou brun rouge recouvrent vers le haut des couches de débris plus fins; nous retrouvons ces mêmes couleurs dans les couches rocheuses stratifiées des précipices du Kverkfjöll, à l' est. Des avalanches de glace isolées, dont le fracas confus interrompt pendant quelques instants le silence mortel régnant dans ces lieux inhabités, se détachent des glaciers suspendus qui recouvrent cet avancement. Enfin, nous découvrons d' une eminence l' en où le Brüarjökull se rattache aux abîmes du Kverkfjöll. C' est le coup d' oeil tant convoité: la crête du Vatnajökull, couverte de neige et, semble-t-il, facilement praticable, s' élève dans une courbe douce vers l' horizon. Nous courons et glissons, par des couloirs de neige vers le bord du glacier. C' est par là que nous monterons demain! Nous déposons, sous un bloc de rocher saillant, nos skis, quelques bouteilles d' alcool et un peu de ravitaillement. Puis, nous nous empressons de redescendre vers notre cratère, devenu déjà familier, non sans avoir dressé de nombreux cairns destinés à nous orienter le lendemain.

Nous levons définitivement le camp le 14 juillet et, par un temps ensoleillé, montons vers le dépôt au bord du glacier, selon le plan établi. Nous voulons encore jouir ici de quelques heures de repos avant d' aborder le Vatnajökull. Bernhard et Hans s' enfilent dans leur sac de bivouac et se serrent dans une niche abritée. Hansruedi et moi tendons l' auvent de la tente entre deux blocs de rocher. Le sac de couchage, la veste de duvet et les rayons du soleil qui tombent sur nous obliquement s' allient pour nous dispenser d' abord une agréable chaleur. Mais, un peu plus tard, une courte averse s' abat sur notre installation et l' auvent ploie bientôt sous le poids de l' eau accumulée qui s' infiltre goutte à goutte dans notre logis improvisé. Au bout de quelques heures, l' humidité croissante nous force à quitter nos aises. Bernhard et Hans s' affairent à des préparatifs. Vers le soir, nous chaussons nos skis, endossons nos sacs et partons en gagnant d' abord le dos du glacier par une grande boucle. Nous nous encordons et régions notre boussole sur le cône volcanique du Grimsvötn distant de 40 km: azimut 42 en tenant compte d' un écart de 4 degrés entre le pôle nord magnétique et le pôle nord géographique. Il importe également d' avoir une connaissance exacte de la distance parcourue: aussi, à partir de ce moment, nous comptons nos pas à tour de rôle. La pente douce et régulière du glacier recouvert d' une mince couche de neige mouillée nous permet d' abord de progresser rapidement. Nous tentons de franchir au pas accéléré une bande de neige scintillante, ramollie par le soleil, mais un ski s' enfonce déjà dans la masse visqueuse et gorgée d' eau, et y reste planté, alors que la fixation, d' un modèle ancien, lâche. Le léger voile de brume qui flotte sur le glacier nous induit en erreur dans l' évaluation des dis- tances. Une paroi noire nous semble être, d' après sa forme et sa distance, la partie méridionale du cône du Grimsvötn, que nous avons vu sur des illustrations. Mais bientôt, elle se révèle être un sérac tout proche, auprès duquel la pente se raidit. Parvenus sur une partie bombée du glacier, nous nous trouvons en présence d' une première série de crevasses longitudinales. Bernhard, notre premier de cordée, est sans cesse oblige d' opérer de grands détours jusqu' à ce qu' il trouve un pont de neige qui permette le passage au-dessus du gouffre perfide. Ici, les dires de M. Thorarinn-son à Reykjavik au sujet de l' état actuel du Vatnajökull se vérifient déjà. Depuis quelques années, le glacier accuse une forte avance. Des régions qui étaient parcourues autrefois par des véhicules à chenilles sont maintenant sillonnées de crevasses, et les maigres chutes de neige du dernier hiver ne les ont que partiellement recouvertes. Sera-t-il possible, dans ces conditions, d' atteindre sans bivouaquer la petite cabane du Grimsvötn? Nous tenons conseil de guerre et décidons de poursuivre encore pendant une heure notre route. Nous progressons d' un bon pas le long d' une dépression et pouvons de nouveau sans peine respecter la direction indiquée par la boussole. Mais déjà, de nouvelles bandes sombres et suspectes barrent notre chemin. Dans un inquiétant enchevêtrement de crevasses, des gouffres géants, dont les bords bâillent à dix mètre l' un de l' autre, coupent notre route. Nous déposons nos charges. La nuit islandaise avec sa pâle lumière crépusculaire nous environne maintenant. Une couche de brouillard bleutée s' étend sur le glacier. Nous tenons conseil. Il semble impossible de maintenir la direction de la boussole vers le sud-ouest. Notre seule chance: suivre au sud la dépression que nous venons de traverser. Une telle déviation dans la direction se justifie-t-elle? Par un brouillard en train de se condenser? Est-ce que nous n' avancerions pas mieux, une fois que nous aurions vaincu la zone de crevasses? Il est peu probable que dans ce cas nous réussissions à atteindre le Grimsvötn, même par une marche forcée. Alors, bivouac sur la glace? Par les conditions présentes et le froid modéré, l' hypothèse n' est pas exclue; mais notre équipement serait-il suffisant en cas de changement brusque du temps? Devrions-nous même tenir compte des escarpements de la face sud du Vatnajökull? Transpercés par un vent mordant soufflant des hauteurs glacées, nous sommes contraints d' agir. Sans sacs, nous avançons encore de quelques centaines de mètres pour examiner à la jumelle la région située plus au sud. Des crevasses apparaissent également, le brouillard empêche cependant toute visibilité à grande distance qui, elle, pourrait nous donner les renseignements utiles.

De retour aux sacs, nous décidons la retraite définitive. Notre marche sur le glacier a été de 8 km. Alors que nous retournons, moroses, faisant glisser nos skis machinalement dans nos propres traces, les premiers rayons du soleil transpercent la couche de brouillard au nord, et une bizarre lumière verte plane durant quelques minutes sur la langue crevassée du Brüarjökull.

2. Au cœur de l' Islande Parvenus à l' ancien dépôt, au bord du glacier, nous nous accordons plusieurs heures de repos et discutons la nouvelle situation d' une manière approfondie. La carte révèle clairement que nous nous trouvons dans la région la plus isolée de l' Islande. Cette bande de terre est, de tous côtés, coupée par le Vatnajökull et les deux torrents glaciaires Jokulsâ et Kreppa. Dupont qui enjambe la Jökulsä près de i' Upptyppingar, il ne resterait tout au plus, après le retour d' un groupe d' Akureyri, que les deux poutres métalliques. Toujours est-il que nous pouvons atteindre par cette route, au bout d' une marche de 80 km, le refuge situé au pied du Herdubreid et, après 50 autres kilomètres, la ferme Grimsstadir. Les habitations les plus rapprochées sont sans aucun doute les fermes Bru et Eiriksstadir au nord-est, à une distance de 90 km seulement. Mais réussirons-nous à traverser les deux torrents glaciaires Kreppa et Kverka? Nous décidons d' examiner cette possibilité; nous cheminerons donc en premier lieu en bordure du Brüarjökull, puis vers le nord, le long de la Kverka.

Nous déposons avec soin, sous un bloc de rocher, les lattes démodées que nous avions louées à Reykjavik et Akureyri, et les abandonnons à leur sort; peut-être seront-elles d' un petit secours pour de prochains explorateurs du Vatnajökull? La descente nous mène vers les rives du lac morainique Thorbergsvatn, de forme oblongue et presque entièrement recouvert de glaçons. Nous pénétrons alors dans une petite vallée étroite, sablonneuse, qui serpente le long d' interminables cônes d' éboulis et aboutit finalement à une vaste plaine alluviale. Nous plantons nos tentes à proximité d' un ruisseau et passons une agréable soirée en bavardant, fumant la pipe et en improvisant un jeu de boccia. La tension s' est calmée depuis que nous avons tourné le dos au glacier et, même si notre projet de traversée a échoué, nous nous réjouissons maintenant de pouvoir vivre les aventures d' une randonnée à travers des contrées non habitées et peu parcourues.

Le lendemain, 16 juillet, doit nous réserver déjà une intéressante découverte géographique. Nous ne quittons le camp que vers midi, contournons un défilé et parvenons à une plaine d' allu, droit au-dessous des séracs noirs et verticaux du Brüarjökull. Au sud s' élève la Vatnahryggur. Entre son sommet oriental ( pt. 1009 ) couronné d' un bloc de rocher dentelé et le bord de la glace, la carte indique une vallée large d' environ un kilomètre, au fond de laquelle coule la Kreppa qui prend sa source peu avant, au Brüarjökull. La nette avance du glacier de ces dernières années a néanmoins fortement modifié la topographie des lieux. La paroi de glace recouvre maintenant la face orientale dudit sommet. La Kreppa dessine bien encore sa courbe à travers la plaine constituée de plates-formes de débris volcaniques, mais disparaît bientôt sous le glacier, pour en ressortir au nord de la Vatnahryggur seulement. Un pont naturel fait de lave durcie enjambe le cours supérieur de la Kreppa et nous permet d' observer de près une grotte de glace sombre, creusée dans la paroi et s' agrandissant sans cesse par la chute de fragments de voûte. Nous sautons par-dessus l' affluent occidental de la Kreppa, longeons une étroite terrasse d' éboulis et pénétrons dans la vallée très encaissée s' ouvrant entre les deux sommets de la Vatnahryggur et comblée de débris de rochers. Nous nous demandons sérieusement si ces terrains primitifs et désertiques ont déjà été foulés une fois par l' homme. Même la carte la plus détaillée de la région, la feuille Kverkfjöll à l' échelle 1:100 000, ne signale ici que le relief élémentaire du terrain. Les petits monticules y manquent souvent totalement. Nous cheminons ainsi tantôt à travers des plaines de cailloutis à première vue interminables, mais finalement vite franchies, tantôt le long de vallons sinueux et sablonneux, et rejoignons vers le soir la Kreppa au bord de laquelle nous plantons nos tentes. Après avoir constaté l' impossibilité de traverser le cours tumultueux et glacé du torrent à cet endroit, nous décidons de suivre pour le moment sa rive gauche, et choisissons le confluent de la Kreppa et de la Kverka comme but de la journée du 17 juillet. La carte touristique 1:750000 signale dans cette région un chemin qui franchit les deux rivières en deux points peu distants l' un de l' autre. La marche est pénible. A plus d' une reprise, nous devons traverser de larges coulées de lave acide et visqueuse. Contrairement à la lave basique et fluide ( isl. Helluhraun ) qui, par sa forme bombée en écu, est aisément franchissable, la lave acide et visqueuse ( isl. Apalhraun ) se présente, en revanche, comme une mer noire, battue par la tempête et brusquement figée, révélant les formes les plus diverses, souvent tourmentées et fragiles. Même pour le piéton, les coulées de lave acide récentes représentent un sérieux obstacle. Avec le temps, les clochetons et les créneaux s' effritent et s' engloutissent dans leurs propres débris, et il est facile alors de suivre les dépressions comblées par le sable noir de leur désagrégation. La traversée des vastes plaines de sable et de gravier qui succèdent n' est guère moins fatigante que le passage de ces coulées de lave, spécialement lorsque sous les débris de pierres s' étend une couche de matière molle qui cède à chaque pas. Plus loin, la pose du pied s' accompagne d' un son sourd, et l'on pressent les cavités d' une couche de lave poreuse sous les débris. Nous nous sommes habitués à des haltes longues et régulières. C' est un soulagement de pouvoir déposer nos lourds sacs de montagne qui contiennent encore les deux tiers du ravitaillement prévu pour quinze jours. Sur ce côté-ci de la rive de la Kreppa, au point où, du pied du haut plateau de Kverkârnes, elle se dirige vers le nord, une première petite oasis nous charme par son intense verdure; elle se voit de loin dans la grisaille monotone des alentours. La bordure noire des séracs du Brüarjökull qui s' infléchit peu à peu vers l' est passe progressivement à l' arrière. Peu avant de se jeter dans la Kverka, la Kreppa coule au pied d' une file de collines allongées, appelées Krepphryggur. Par des pentes d' éboulis, nous en gagnons la crête et la suivons jusqu' à son extrémité nord. A nos pieds, vers l' ouest, s' étend maintenant la vaste oasis Hvannalindir derrière laquelle se déploie le désert de lave Krepputunga jusqu' à la Jokulsâ. Au loin à l' est, le Snefell est toujours visible. Sa silhouette élégante et symétrique se dresse seule à 1800 m, et, avec sa large calotte de glace, il ressemble étrangement au Mont Blanc. Notre attention est cependant attirée avant tout par le confluent de la Kreppa et de la Kverka. Nos jumelles nous permettent de distinguer de nettes traces de jeep en deçà de la Kreppa; un cairn dresse sur l' autre rive désigne sans doute l' endroit où la rivière peut être passée. Pleins d' espoir, nous dévalons la pente et nous hâtons, impatients, vers le cours d' eau qui bouillonne ici au fond d' une gorge. Mais à mesure que nous approchons, notre espoir faiblit. Quelques mètres 250 avant d' atteindre la rivière, les traces de la jeep virent et disparaissent dans la direction de l' ouest. Une passerelle de bois, retenue par des pierres et destinée à être jetée au-dessus de la gorge, nous nargue de l' autre rive! Nous passons en revue quelques possibilités périlleuses, soit lancer une corde et traverser la manière des funambules, ou nager à l' endroit le plus resserré, avec l' aide des matelas pneumatiques; ces entreprises hasardeuses sont toutefois aussitôt rejetées. Nous nous partageons finalement en deux groupes. Pendant que Hansruedi et Bernhard examineront la contrée sablonneuse en aval du confluent, j' inspecterai encore une fois avec Hans la rive en remontant la rivière. Ce n' est qu' en amont de la gorge, là où la Kreppa se divise en deux grands bras et un petit, qu' un passage à gué est peut-être possible. L' eau est néanmoins glaciale, sa profondeur difficile à estimer vu sa couleur laiteuse et trouble, et le courant, dans le bras moyen, est encore assez considérable. Nous marquons l' emplacement et retournons aux sacs. Nos deux compagnons n' ayant guère plus de succès, nous décidons de monter nos tentes au bord des eaux observées à l' ouest du Krepphryggur. Epuisés par la longue marche et quelque peu découragés, nous trébuchons sur le terrain inégal et peu distinct lorsque, brusquement, l' oasis Hvannalindir surgit devant nous. Fatigue et déception se volatilisent sur-le-champ et nous nous hâtons de monter notre premier camp dans la verdure des charmantes berges de la Lindaa. Entouré de cours d' eau paisibles, avec les pentes verglacées du Kverkfjöll comme toile de fond, égayé de temps en temps par le passage de quelques cygnes, chanteurs blancs s' envolant à d' aile le cou tendu en avant, et par le cri des canards sauvages, Hvannalindir est vraiment un paradis au milieu des solitudes désertiques et rocailleuses de l' Islande centrale.

11 eût été merveilleux de passer un jour de repos à cet endroit idyllique. Pourtant, notre impatience de traverser le plus tôt possible l' un des deux cours d' eau nous force à poursuivre notre route. Nous sommes au 18 juillet. Aussi longtemps que cette difficulté n' aura pas été résolue, nous nous sentirons tous un peu prisonniers de cette bande de terre comprise entre le Vatnajökull, la Kreppa et la Jokulsâ. Aucun de nous ne sait avec certitude s' il subsiste des vestiges du pont sur la Jokulsâ après le retour des gens d' Akureyri. Le matin, Bernhard et Hansruedi se rendent encore une fois au bord de la Kreppa pour examiner de leur côté les lieux en amont de la gorge. Nous sommes tous d' avis que c' est là que la rivière se prête le mieux à un passage à gué. Allons-nous donc nous mesurer avec les eaux glaciales et tumultueuses de la rivière? La perspective d' atteindre la prochaine ferme par une marche de 50 km seulement est naturellement séduisante. Malgré tout, nous décidons de ne pas courir de risques inutiles, du moins aussi longtemps que nous n' y sommes pas contraints. Nous poursuivrons donc notre randonnée vers le nord et tenterons d' atteindre la Jokulsâ encore aujourd'hui.

A l' extrémité nord de l' oasis, la Lindaa nous barre le chemin. Hansruedi et moi trouvons bientôt une possibilité de sauter de pierre en pierre, tandis que Bernhard et Hans passent le même gué que celui qu' utilisa le conducteur de notre jeep à l' aller. Alors une marche, longue et monotone, commence à travers une dépression sablonneuse interminable, bordée à droite par une file de collines arides, et gauche par le désert de lave Krepputunga. Entre-temps, nous rejoignons les traces de la jeep et décidons de les suivre jusqu' au pont sur la Jokulsâ. Le sable est par là si mou et si instable que nous préférons marcher dans l' une des deux traces creusées par les roues de la jeep, malgré l' incommodité à devoir toujours mettre un pied droit devant l' autre. La piste bifurque enfin vers l' ouest et se dirige obliquement, à travers les étendues de lave désagrégée de la Krepputunga vers la Jokulsâ dont le mugissement s' entend déjà de loin. L' impatience nous donne des ailes et c' est haletants et l' esprit tendu que nous parvenons à la gorge où doit se trouver le pont. Nous adoptons un pessimisme intentionnel, envisageons le pire avec sérénité et indifférence; la surprise qui suivra sera peut-être d' autant plus agréable. Nous sommes enfin dans l' étroite cluse, pareille à un petit canon, que la Jokulsâ s' est creusée à travers le désert; les traces de la jeep dessinent une courbe vers le fond, l' arête d' un rocher masque encore la vue, un coup d' œil dans la profondeur... et nous sommes libérés de notre cauchemar. Les grilles métalliques et les poutres de bois ont été, certes, enlevées, mais les deux supports métalliques et un câble épais enjambent toujours la rivière. L' un après l' autre, nous nous encordons et nous hasardons prudemment sur les poutres humides, en nous tenant des deux mains au câble tendu. La Jokulsâ roule ses flots bruns mugissants à travers l' étroite gorge, et du bouillonnement de ses eaux jaillissent des gouttes d' eau jusqu' à nous. Nous sommes cependant bientôt rassemblés sur la rive « salvatrice » et nous apprêtons aussitôt à établir notre premier camp dans cette contrée plus accessible.

3. Vers le volcan Askja et à travers le désert Odâdahraun Le matin du 19 juillet, notre camp s' anime d' une activité fébrile. Nour vidons nos sacs jusque dans leurs plus profonds recoins, en étalons le contenu avec soin et faisons l' inventaire de ce qui nous reste en ravitaillement et en essence, que nous divisons en deux parties, car nous allons nous scinder en deux groupes. Bernhard et Hans ont l' intention de suivre les traces de la jeep vers le nord pour atteindre encore aujourd'hui, par une marche de 20 km, la cabane de la Herdubreid. Ils parcourront également, si c' est nécessaire, par la piste déjà empruntée à l' aller, les 50 km qui les séparent de la ferme Grimsstadir. Il est probable cependant qu' ils pourront bénéficier d' un véhicule pour le trajet.

Hansruedi et moi sommes attirés à l' ouest par le massif volcanique de l' Askja, distant de 20 km environ et qui connut sa dernière grande éruption il y a trois ans seulement. 40 km resteront encore à franchir en direction nord-ouest pour atteindre l' habitation la plus proche, la ferme Svartârkot. Notre marche menant de la Jokulsâ, par le massif de l' Askja, jusqu' à la vallée du Skjâlfandafljot nous conduira à travers FOdâdahraun, le désert de lave le plus grand de la terre.

Dès le départ de nos camarades, nous tournons nos pas vers l' ouest; de ce côté, le ciel est très couvert; un nuage brun clair, plein de sable fin, soulevé par le vent tourbillonnant au-dessus des vastes étendues du Vikursandur, attire notre attention depuis plusieurs heures. Nous avons à peine parcouru un kilomètre lorsque, brusquement, surgissent deux jeeps. Elles s' approchent de nous en cahotant sur le terrain onduleux et leurs conducteurs ont remarqué nos gestes. C' est la première fois depuis huit jours que nous apercevons des êtres humains. Ce sont de jeunes Islandais qui se rendent au Kverkfjöll. Leurs véhicules sont munis d' émetteurs, comme cela se pratique dans les voyages en pays non habité. L' entretien n' est pas long; il est évident que ces jeunes gens ont hâte d' aménager le pont sur la Jokulsâ. Il nous reste à traverser le Vikursandur large de 15 km. Celui-ci est recouvert principalement de sable de désagrégation de couleur cendre d' où surgissent des fragments de lave isolés, comme les récifs émergent de l' océan. Contre toute espérance, le sol, ici, est ferme; nous avançons bien, en nous octroyant toutefois, à intervalles réguliers, d' amples haltes. Nous mesurons notre avance au cône large et faiblement incliné de la Vadalda qui borne le Vikursandur au sud. Au nord, en revanche, la plus belle montagne d' Islande s' élève du désert, le Herdubreid ( 1682 m ), sommet escarpé tout à fait isolé, surmonté d' un cône volcanique recouvert de neige. Des taches neigeuses isolées jonchent également les pentes abruptes et noires du versant oriental des Dyngjufjöll qui encerclent le cratère de l' Askja; cette puissante enceinte, mesurant 15 km de diamètre, culmine à l' altitude de 1500 m. Nous nous proposons de marcher une partie de la nuit pour atteindre le grand lac de cratère oskjuvatn et nous dirigeons d' emblée vers l' Öskjuop, profonde échancrure dans l' enceinte de l' Askja par laquelle s' échappèrent de tout temps les coulées de lave incandescente qui s' écoulèrent ensuite sur le Vikursandur où elles se figèrent en un large éventail. Nous sommes déjà au front de la coulée de lave noire que le volcan éjecta vers la vallée lors de son éruption de 1961. Dès le début de la montée, nous tombons sur la piste qui conduit de la cabane Herdubreid à l' Askja. Ruban blanc mat, elle se faufile entre les masses de lave rougeâtres, anciennes, et d' autres noires, plus récentes. Nous sommes heureux de ne pas devoir escalader ces figures tourmentées et fragiles. Une agréable surprise nous est réservée: un rayon clair que nous avions déjà repéré de loin se révèle être un ruisseau limpide, sautant joyeusement de gradin en gradin; il nous libère d' une secrète inquiétude; une boisson fraîche d' argousier nous donne un nouvel élan. Les Dyngjufjöll nous offrent enfin un abri contre le vent importun qui souffle du sud à travers le désert. Le cône de lave se rétrécit peu à peu et nous atteignons la hauteur de l' Öskjuop. C' est comme si nous avions franchi ici la porte d' un monde à part, fermé de tous côtés et obéissant à des lois incompréhensibles de la nature, le monde de l' Askja, le volcan le plus grand et le plus isolé d' Islande. Derrière l' Öskjuop, la piste bifurque vers le sud et mène à l' emplacement de la dernière éruption, celle de 1961. Un groupe de nouveaux « solfatares » s' est forme ici. D' épaisses fumerolles sulfureuses nous environnent pendant l' ascension d' une crête. Enfin, nous sommes de l' autre côté et nous trouvons alors seulement en présence du cratère de l' Askja, faiblement éclairé par le crépuscule de minuit et semblable à un gigantesque amphithéâtre qu' entoure le rempart des Dyndjufjöll coiffés d' une épaisse couche de neige. Nous quittons alors la piste et nous dirigeons impatiemment vers le lac de cratère encore invisible, en foulant le sol couvert de cendres et de scories. Nous nous trouvons enfin sur le rebord escarpé de la grande caldeira circulaire qui se forma à la suite de la violente éruption de 1875. A nos pieds s' étale le lac Öskjuvatn, mugissant sous la tempête et sillonné de brillantes couronnes d' écume gris-bleu. Son diamètre est de 4 km et ses 217 m de profondeur en font le lac permanent le plus profond d' Islande.

Il est déjà 2 heures du matin et nous devons découvrir sans tarder un endroit abrité pour y planter notre tente. En descendant à l' est, vers l' Öskjuvatn, nous parvenons à une petite arête étroite située entre les escarpements démantelés de la grande caldeira et un cratère secondaire au fond duquel bouillonne un lac. Des jets de vapeur continuels s' échappent de son eau verdâtre et savonneuse, et une forte odeur de soufre nous saisit au nez. Ayant péniblement réussi à monter notre tente dans une combe peu marquée de la rive occidentale, nous nous voyons obligés de traîner d' énormes blocs de tuf pour en consolider les piquets. De violents coups de vent chassent durant la nuit l' odeur de soufre du cratère vers la tente, et parfois j' ai l' impression de percevoir le grondement confus des forces travaillant dans les profondeurs et préludant à une nouvelle éruption.

Le 20 juillet est notre premier jour de repos depuis notre départ du Myvatn. Alors que nous sommes en train de sortir de notre tente, un ronronnement de moteur se fait entendre. Un instant plus tard, une silhouette se dresse sur le bord du cratère. Nous emportons nos appareils photographiques et montons par des pentes d' éboulis et de neige vers la paroi orientale. D' une cime des Dyngjufjöll, un groupe de 20 personnes se détache et les premières sont déjà en train de descendre et de se glisser dans un couloir de neige. Nous savons qu' une société touristique de Suisse fait actuellement un voyage à travers l' Islande avec des véhicules tout terrain. Les signes distinctifs du Confédéré, que nous tâchons d' emblée de déceler, sont bientôt si évidents que nous n' hésitons pas à les aborder avec un cordial « Griiessgott miteinand ». Le groupe, qui compte plusieurs membres du CAS, ainsi que quelques dames, est dirige par un géologue de Zoug, le professeur Vögeli. Accueilli par le mauvais temps dans le sud de l' Islande, le groupe a gravi le volcan Hekla par un épais brouillard et abordé le massif du Vatnajökull en parvenant à la cabane Jökulheimar. Il visitera demain la Herdubreid et poursuivra sa route vers Akureyri. Après l' échange de quelques propos sur nos aventures respectives, la société descend vers le petit cratère où l' attend son véhicule rouge. Nous grimpons encore un moment le long des pentes, tout en nous efforçant de découvrir les endroits les plus favorables pour photographier. Tout, ici, dans ce monde fermé, est simple et clair, les formes du terrain et les couleurs: le cercle bleu foncé de l' Öskjuvatn, les pentes abruptes de couleur brun clair qui l' encadrent, le fond sombre du cratère extérieur, l' enceinte embrassant le tout, colorée de brun, de blanc, de noir, de jaune et même de rouge éclatant.

De retour à la tente, nous nous proposons d' examiner de plus près le petit cratère « Viti ». C' est lui qui cracha, lors de l' éruption de 1875, pendant huit heures d' affilée, l' incroyable quantité de 2,5 km3 de cendres, qui retomba dans un rayon de 650 000 km2 jusque sur la Suède et la Norvège. Nous découvrons bientôt un couloir praticable qui nous permet de descendre au lac situé 60 m plus bas et couvert de vapeurs. Les émanations sulfureuses vertes, jaunes, violettes et rouges, qui se produisent sur les parois, confèrent aux lieux un luxe de teintes presque irréel. Au fond du Viti, nous foulons une croûte mince et trompeuse; celui qui pose trop brusquement son pied enfonce jusqu' au genou dans une boue gluante et bleutée. Mais par bonheur, quelques blocs sûrs se trouvent là, au bord du petit lac. Avant l' éruption de 1961, la température de l' eau s' était abaissée à 22 degrés; aujourd'hui, l' eau est si chaude que nous devons nous contenter d' un bref bain de pieds. En remontant, je photographie plusieurs fois les parois colorées du cratère, jusqu' à ce que l' odeur incommodante du soufre me force à quitter définitivement le gouffre pour aller respirer de l' air plus pur.

Nous passons le reste de l' après à mettre au point notre journal. Vers le soir, je cause quelques instants d' angoisse à Hansruedi lorsque soudain il ne me voit plus ni dans le Viti, si sur les rives de l' Öskjuvatn. Le même destin lui est-il réserve qu' au géologue Spethmann qui, pendant l' été 1907, à son retour d' une excursion, ne retrouva plus ses deux compagnons laissés au bord de l' Öskjuvatn? Leur mystérieuse disparition resta inexpliquée jusqu' à aujourd'hui. Mon absence n' a évidemment pas de raison grave; je suis assis sous un escarpement au bord du lac, en un endroit non visible d' en haut. Ce n' est que lorsque le soleil se cache derrière les Dyngjufjöll et que la fraîcheur du soir me saisit, que je ferme mon journal et regagne le camp.

En nous préparant au départ, le matin du 21 juillet, nous savons que nous allons amorcer la dernière étape de notre randonnée qui comporte la traversée de déserts inhabités d' Islande. Nos provisions s' amenuisent: le sac de plastique contenant la viande, que nous avons extrait d' une combe enneigée, fait piètre mine, mais son poids a en même temps agréablement diminué. Le but d' aujourd est le Dyngjufjallalur, une vallée sise au nord-ouest de l' Askja. Il a plu pendant la nuit, un vent violent du sud disperse maintenant les nuages. Nous suivons de nouveau la piste, mais bifurquons bientôt au Vikraborgir, siège de l' éruption de 1961, en direction du nord-ouest. Tout en foulant les larges boucliers légèrement bombés de la lave basique, nous visons une échancrure dans les Dyngjufjöll que nous atteindrons par une escalade à travers des éboulis et des pentes enneigées extrêmement raides. Au nord s' étend un haut plateau désolé, balayé par un vent impitoyable. Celui-ci s' engouffre avec une telle violence dans l' étroite gorge du Sigurdarskard que nous renonçons à utiliser ce passage pour nous rendre dans le Dyngjufjalladalur. Nous poursuivons patiemment notre chemin à travers la plaine désertique et couverte de roche pulvérisée jusqu' à la large selle de l' Öskjuvegur. Nous jouissons d' ici du panorama le plus grandiose de notre voyage. Sillonné par de grandes coulées de lave noire, le désert de l' Odâdahraun se déroule à nos pieds. Des pyramides monolithiques dont la coloration va du brun clair à l' orange émergent de la plaine; au-dessus, le volcan Kollóttadyngja élève son cône faiblement arqué, à Farrière-plan se dressent, sombres et altières, les deux montagnes tabulaires Sellandafjall et Blâfjall. La Herdubreid qui se voit de partout accuse la même structure; son petit capuchon de neige confère cependant à cette montagne une grâce sereine et particulière. Au nord, dans le lointain, où l' œil croit percevoir la verdure de quelques oasis, un drapeau brun clair trahit la naissance d' une tempête de sable ascendante.Vu de notre belvédère, le massif de l' Askja tombe en plusieurs gradins vers la Dyngjufjalladalur. Nous descendons et nous glissons prudemment le long de pentes d' éboulis et de champs de neige, puis notre itinéraire nous mène à travers les débris et les roches pulvérisées des hauts plateaux. D' un éperon rocheux isolé, constitué de pierres jaune-rouge, nous nous dirigeons vers le Lokatindur. Il fait partie d' une lignée de sommets basaltiques plus ou moins dégarnis de leurs manteaux de débris volcaniques. Il doit s' agir ici des cheminées figées de volcans éteints. Après avoir passé le Lokatindur, le vent tempétueux qui souffle maintenant du sud nous frappe latéralement avec une violence redoublée. Sans cesse nous devons corriger notre direction pour ne pas dévier de notre route. Pour atteindre le ruisseau du Dyngjufjalladalur peu avant sa disparition sous les masses de lave qui lui succèdent, nous nous orientons d' après un imposant contrefort précédant une suite de collines situées de l' autre côté. Nous parvenons enfin à ses rives, but de la journée, et apercevons en même temps des traces de jeep. Monter la tente par ce vent serait faire preuve de présomption. Aussi décidons-nous, malgré l' heure tardive, de poursuivre notre marche jusqu' à l' oasis Sudurâbotnar, distante de 15 km, où nous devons trouver un abri pour bergers, dénommé « Kofi ». C' est un grand avantage en Islande, lors de randonnées, de ne pas être contraint à l' inactivité par la tombée de la nuit. Nous sommes heureux d' avoir trouvé cette piste, car nous nous trouvons au-devant de la plus grande surface ininterrompue de lave de l' Odâdahraun, dénommée Ütbruni, centre du « désert des méfaits ». Protégés par un fragment de lave, nous nous préparons encore une boisson chaude et fortifiante. La piste s' étire d' abord en ligne droite à travers un terrain légèrement onduleux et recouvert de cendres et de poussière de roche; mais ensuite, elle longe sans interruption la limite séparant les deux genres de lave, la lave acide ou andésitique, à l' aspect tourmenté, à l' ouest, et la lave basique, en forme de boucliers, à l' est. Durant des heures, nous avançons en trébuchant à la lumière crépusculaire, le long des sinuosités capricieuses de la piste dont les détours nous poussent presque au désespoir. Réellement, le Sellandafjall au nord semble à peine plus proche. Ce n' est que longtemps après minuit que nous découvrons les signes avant-coureurs de l' oasis: tapis d' herbe et bouleaux nains. Ce sont les premières marques de végétation que nous rencontrons depuis que nous avons quitté Hvannalindir! Au bout d' une nouvelle heure de marche, nous trouvons de maigres parcelles de gazon entre les filons de lave noire. Ces derniers se retirent peu à peu, une petite rivière serpente dans le terrain dégagé, des points blancs mouvants apparaissent et se révèlent être des moutons: nous avons atteint l' oasis Sudurâbotnar. Le vent s' est calmé, et nous sommes trop fatigués pour chercher encore longtemps le Kofi. Pour la dernière fois dans notre randonnée, nous plantons à 2 heures du matin notre tente blanche sur les rives idylliques de la Sudura.

Le lendemain de cette marche forcée, le 22 juillet, nous nous levons vers midi seulement. Deux apparitions successives se produisant pendant le démontage de notre tente nous prouvent que nous nous sommes rapprochés des hommes. Trois jeeps arrivent de Svartârkot en cahotant et transportant un groupe de voyageurs islandais. Elles se sont à peine éloignées que surgit à travers une touffe d' herbes une longue figure décharnée et guindée. C' est un Allemand fort sympathique qui se trouve, avec ses deux compagnons, sur le chemin du retour d' une randonnée de plusieurs jours qui les avait conduits du Myvatn à l' Askja. Leur tente était plantée hier dans la Dyngjufjalladalur; nous ne la vîmes cependant nulle part.

Le vent a de nouveau augmenté, aussi nous rendons-nous dans le Kofi tout proche pour y cuisiner. C' est une baraque sombre, composée d' une seule pièce. Nous devons encore traverser une étroite coulée de lave, puis la piste qui est devenue à présent un chemin de campagne gazonné, coupé des profonds sillons des véhicules, traverse un marais piqueté d' arbustes nains et revêtu d' un épais tapis de mousse verte. La paisible Sudurâ nous accompagne à notre gauche, s' élargis souvent en de petits lacs, puis se rétrécissant de nouveau pour former d' humbles cascades. De nombreuses sortes d' oiseaux animent ses rives. Au-delà de la rivière, la coulée de lave andésitique noire de la Sudurâhraun s' étend jusque dans la région de Svartârkot. Nous jetons de nombreux coups d' œil derrière nous vers le massif de l' Askja qui semble toujours proche. Le volcan Tröl-ladyngja dont le lointain profil est célèbre en Islande détache son cône noir tronqué, tacheté de neige brillante, sur le ciel bleu clair avec une acuité de gravure. Le chemin mène à un enclos à moutons et bifurque ensuite franchement vers le nord.

Nous reconnaissons déjà les murs blanchis de la ferme Svartârkot située au bord des eaux troubles du Svartârvatn. La première habitation, but de notre voyage, est atteinte. Mais comment nous procurerons-nous un moyen de locomotion pour nous rendre vers Godafoss et Akureyri, au nord? Peu avant d' atteindre la ferme, nous apercevons un camion et quelques jeeps. Nous nous approchons et sommes bientôt entourés de plusieurs gaillards barbus nous observant avec étonnement. C' est un groupe d' arpenteurs qui ont justement terminé leurs travaux dans la région de la Sudurâ et de la Svarta. Les ingénieurs et leurs aides sont sur le point de charger leur abondant matériel; ils veulent partir encore ce soir pour Myvatn. Pouvons-nous profiter du véhicule jusqu' à Godafoss? C' est une question superflue en Islande. On nous accorde évidemment les meilleures places disponibles. Une heure plus tard, la colonne se met en marche, et notre aventure islandaise se termine par un étonnant voyage à travers la vigoureuse et resplendissante verdure des prairies quadrangulaires, le long de nombreuses fermes éblouissantes de blancheur et des files des collines brunes de la vallée du Skjâlfandafljot.

Ce n' est qu' à Reykjavik que nous devions retrouver nos camarades. Ils avaient pu profiter d' une jeep à la cabane Herdubreid déjà et, après un voyage plein d' aventures qui les conduisit par Myvatn à Akureyri, ils gagnèrent la capitale quatre jours avant nous.

( Traduit de V allemand par Ch.Neuhaus )

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