Périodes creuses et nouveaux efforts au XXe siècle
Le XXe siècle a mal commence: lourds pressentiments, la Première Guerre mondiale éclate. Au dehors le tumulte va croissant, alors que, chez nous, la fabrication des reliefs alpins se paralyse. Les créateurs et les gardiens de ces ouvrages avaient disparu, ou alors ils étaient las et vieux... Et pourtant la question se fait pressante: pourquoi donc cet art magnifique, tenant à la fois de la topographie et de l' artisanat, avait-il presque succombé, alors que s' envolaient les années? La nouvelle mensuration nationale, les plans à courbes de niveau levés photogrammétriquement ne pouvaient qu' aboutir à la confection d' œuvres toutes nouvelles, perfectionnées. Leur précision est incomparable, même pour les parois de rochers et les fractures de glaciers ( c' était la première fois ).
La publication de ces cartes au 1: 25000, ici et là au 1 :10000 ou 1: 5000, contribuait, elle aussi, à ce remarquable résultat. Alors pourquoi un tel relâchement dans la confection des reliefs?
Il est évident que nos musées, nos instituts spécialisés, nos corridors d' école sont remplis à craquer de ces lourds modèles de plâtre mangeurs d' espace. Pas un concierge qui ne soit aux abois à l' approche d' un chariot gémissant sous le poids d' un relief de montagne. D' autre part la fabrication d' un bon modèle réclame un nombre incalculable d' heures de loisir, tout en ne rapportant matériellement presque rien. Peut-être n' a pas le cœur à l' ouvrage. Depuis les d' œuvre in-surpassables d' un Imfeld, d' un Meili, d' autres en- 88 Copie du relief du Mont Blanc d' Exchaquet, exécutée par Charles Dupuy en 180J; échelle r: 40000 environ Musée alpin suisse de Berne Photo Markus Liechti, Liebefeld 89 Reliej de la région du Saint-Gothard d' Exchaquet, terminé en iygi- Echelle: 1:45000 a à :68000 environ.
Au premier plan: le val Bedretto et la vallée de la Léventine; au milieu: le col entre Airolo et Andermatt; à l' arrière: le glacier du Rhône, le Galenstock, le Trou a " Uri et la Fellilücke Propriété de du CAS. Photo G. Zu core, on n' ose plus se hasarder à ce genre d' acti. Quoi qu' il en soit, la question doit être posée: Pourquoi ne rencontre-t-on plus au XXe siècle de topographes, de géologues assez enthousiastes pour suivre les traces de leurs prédécesseurs?
Il se peut qu' il y ait une explication dans les rapides modifications de structures survenues dans le métier de topographe. Au XIXe siècle, grande époque de la mensuration à la planchette, le topographe n' était pas seulement un bon technicien de la mesure, mais encore, et largement, un artiste capable d' exprimer le modelé. Les espaces entre les points répartis sur le terrain étaient reproduits par le dessin après observation approfondie des lieux. Cet exercice quotidien devenait source d' expérience applicable à toutes les formes possibles du paysage. C' est dans ce milieu que se sont développés des hommes préparés à modeler les meilleurs reliefs alpins du monde.
Aujourd'hui la carte topographique se construit essentiellement par l' intermédiaire mécanisé et automatisé de la photographie aérienne. La formation et la compétence des ingénieurs de la mensuration nationale exigent des dons et un entraînement très développés en mathématiques et en technique. Mais l' artiste passionné n' apprécie guère en général les formules bourrées de chiffres; il est rare qu' il s' enflamme pour la géodésie. Le sol nourricier indispensable au renouvellement de bons faiseurs de reliefs alpins a donc succombé à la sécheresse.
Ces raisons professionnelles et techniques ne sont pas seules fautives, ni la diminution de la demande. D' autres développements ont peut-être contribué à ce grand engourdissement, ainsi par exemple l' indifférence des milieux scientifiques. Dans le Bulletin de l' Ecole polytechnique fédérale de Zurich ( no 157, juillet 1980, page 22 ) on peut lire: »Dans l' enseignement de la géologie, les reliefs ont fourni une aide précieuse, surtout au tournant du siècle ». Ce texte fait allusion au passé. On ne vit plus, manifestement, de la même manière. Mais mentionnons encore d' autres circonstances beaucoup plus générales: déplacements plus faciles, progrès de la technique photographique. N' importe qui peut faire et rapporter chez soi les plus belles photos de montagne. Et pourquoi me précipiter dans les musées quand le train ou l' auto peuvent m' ame en deux heures de Berne à Grindelwald, on le Wetterhorn se dresse devant moi dans la nature beaucoup plus majestueux que le meilleur modèle?
Et puis les conceptions artistiques ont changé. Beaucoup d' artistes se détournent de l' imitation naturaliste de l' objet visible et se déchaînent en vision surréalistes, ou même vaticinent en plein royaume des songes. Nos meilleurs reliefs font brutalement contraste avec les opinions qui prévalent aujourd'hui dans les milieux officiels des beaux-arts, car ils ne sauraient être plus à l' opposé: exemples de la plus précise, de la plus matérielle, de la plus visuelle imitation et glorification de notre environnement. C' est là que résident leur splendeur et leur honneur!
Peut-être est-ce pour cela que de nombreux prophètes d' un art exclusif font la moue, face à ces parois de rochers modelées en relief.
Si cet art pratique jadis par tant de topographes et autres passionnés de la montagne est tombe en léthargie, en revanche le bricolage de modèles plus simples, à courbes de niveau, est demeuré très vivant dans nos écoles primaires. Car leçons de géographie régionale et lecture de carte font de la confection de ces reliefs un jeu aussi utile que délicieux. Il n' est pas rare aussi que, chemin faisant, tel ou tel de ces exemplaires ne s' enjolive encore de modelage et de peinture, et qu' il devienne pour finir une œuvre très estimable. Aujourd'hui comme hier on considère, dans les salles d' école, le relief topographique comme un moyen d' observation aussi complet qu' instructif.
Car il y a actuellement quelques enseignants, des maîtres primaires surtout, qui s' adonnent au renouvellement de cette activité. Parmi eux, le maître bernois Hans Zurflüh, qui initia à la technique du relief non seulement ses élèves, mais encore des patients ( convalescents ) soignés dans des hôpitaux militaires. Il parvint à des résultats re- marquables. Mentionnons aussi plus récemment K. Schenk, à Anet et à Bienne, dont les efforts ont été couronnés de succès. A ne pas oublier à cet égard l' infatigable activité de Paul Vosseler, professeur et docteur en géographie à l' Université de Bàie. Il construisit plusieurs grands reliefs illustrant des formes typiques de montagnes et de massifs helvétiques, principalement pour favoriser l' enseignement de la géographie. Et si pouvait quand même un jour s' épanouir un nouveau Joachim Eugen Müller ou un nouveau Xaver Imfeld!
Nos lecteurs se demandent peut-être ce qui se passe à l' étranger dans le domaine des reliefs topographiques. Nous leur donnerons quelques informations à ce sujet dans l' un des chapitres sui-vants.Trad. E.L. Paillard