Les Plattenhörner
Avec 2 illustrations.Par Hans Plattner.
Enfin nous nous attaquons aux « Plattenhörner », à l' une des plus belles ascensions dans le massif de Vereina. Notre rêve de la traversée des quatre ou cinq pics devra se réaliser.
Nous étions assis en manches de chemise, les pieds confortablement installés dans les grands sabots de montagne, devant la vieille cabane de Vereina. A l' aide de nos « Zeiss » nous scrutions les parois sauvages de « l' Ungeheuerhorn » et combinions des ascensions plus ou moins praticables.
Comme le vent du soir fraîchissait, nous nous retirâmes à l' intérieur de la cabane, où le vieux Walker, ancien steward de vaisseau, nous préparait une bonne soupe odorante.
Nous nous couchâmes de bonne heure pour être prêts à l' heure fixée.
Le ciel était encore une nappe foncée parsemée d' étoiles brillantes quand nous nous levâmes, et le vent frais du matin nous salua lorsque nous ouvrîmes la porte.
Bientôt un feu joyeux flambait dans le foyer et Walker nous préparait le café du déjeuner. Il ne voulait pas nous laisser cette besogne. « C' est mon devoir d' être au service des touristes comme j' ai été au service de milliers de passagers sur tous les océans du monde », nous dit-il. Il faut dire que cet homme avait vogué sur les mers pendant trente années de son existence.
Le sommeil s' envolait bien vite. Nous étions de bonne humeur. Une belle journée et une ascension pleine d' aventures possibles nous attendaient.
A 3 heures du matin déjà, nous suivions avec peine le sentier pierreux qui devait nous mener dans la vallée de Sus du côté de l' Engadine. Comme un monstre, la masse rocheuse et escarpée de « l' Ungeheuerhorn » nous surplombait sur notre route. Nous comprîmes facilement pourquoi nos ancêtres lui avaient donné ce nom de « Corniche de monstre ».
A notre arrivée dans la vallée de Sus, une première lueur apparut dans le ciel. Les étoiles perdirent sensiblement leur éclat. Le jour s' annonçait à l' orient et lorsque nous eûmes atteint le premier plateau, nous pûmes voir l' heure à nos montres.
Nous pressâmes le pas derrière les larges épaules de notre ami, un vrai hercule qui, depuis, a été emporté par la fièvre.
De temps en temps nos yeux se levaient pour scruter les parois des « Plattenhörner ». On peut assez facilement atteindre les différents sommets de ces pics. Mais une traversée du massif du sud au nord, toujours à la hauteur de la crête, n' est pas sans difficultés.
Nous étions arrivés au pied du dernier pic. Nous traversâmes une pente de pierre assez raide pour arriver au roc solide. Après une heure nous touchions à la crête et c' est alors que la grimpade à la corde commença.
Entre temps, le jour s' était levé, plein de lumière et de beauté. Nos regards cherchaient les montagnes de l' Engadine, où nous distinguions bientôt le massif imposant du Bernina. Il était là, roi altier parmi d' innom pics et cimes moins grandioses. Tout près s' élevait la bosse du Linard. Et au loin « l' Ortler » se perdait dans les brumes matinales.
Un panorama sans pareil: des rochers, des pics, des glaciers et à nos pieds des vallées verdoyantes d' où montait le son d' une cloche!
Nous avancions à la hauteur de la crête, traversant des gendarmes à l' aide de la corde ou les tournant moyennant une petite descente dans les parois de la montagne. Notre chemin nous amena sur les hauteurs d' où le regard plongeait dans des abîmes profonds et menaçants. Ce n' est certes pas un endroit pour ceux que guette le vertige.
Une surprise fâcheuse nous attendait au sommet du deuxième pic. Des brouillards montaient tout doucement le long des parois et à l' horizon, au sud, un banc de nuages s' était formé sans que nous nous en fussions aperçus.
Un orage s' annonçait pour l' après! Nous étions en pleine montagne et ne pouvions penser à rebrousser chemin. Il fallait avancer et arriver avant l' orage à un endroit un peu abrité. Ici, sur la crête, nous étions trop exposés à la grêle et à la foudre.
Le temps s' écoula. Mais l' orage avançait plus vite que nous. Déjà les sommets de Silvretta disparaissaient dans les nuages. La neige se mit à tomber sur le Linard. On entendait le premier grondement du tonnerre, et déjà la lueur d' un éclair déchira les nues.
Le danger était imminent et l' espoir d' y échapper très petit.
De minute en minute, notre position s' empira, malgré que nous avancions maintenant sans précaution aucune, sautant d' une roche à l' autre. La chute d' un seul aurait causé la mort de tous.
De temps à autre, notre guide nous lançait un regard comme pour demander si nous pouvions suivre. Un geste de notre main le rassurait.
Nous avions deviné son dessein. Il voulait arriver à tout prix dans la paroi de glace qui descend à gauche dans le flanc de la montagne. C' était le seul moyen de trouver une descente possible et un salut probable devant la foudre qui, dans quelques minutes, pouvait tomber sur la crête.
En bas tout était plongé dans le brouillard. Un aigle solitaire apparut et disparut autour d' un pic. Nous enviions son vol léger.
Enfin, nous voilà dans la paroi de glace. En temps normal, aucun alpiniste ne s' aventure dans cette pente.
Pour nous, c' était la seule chance de salut. Déjà le tonnerre grondait sur nos têtes. Les premières décharges de l' orage touchèrent la crête. Une neige fine et glacée se mit à tomber. Notre corde était complètement gelée. Nos doigts saignants ne se sentaient plus de froid.
Mais nous n' y prîmes pas garde. Chaque seconde comptait. Arriverons-nous à quitter la crête avant la grande décharge de l' orage?
Notre guide taillait les premières marches dans la glace. Nous le suivîmes lentement l' un après l' autre, pas à pas avec des précautions infinies. Il fallait qu' aucun ne glissât dans cette descente vertigineuse.
I Une minute s' était à peine écoulée qu' un formidable coup de tonnerre fit tressaillir la montagne tout entière. Nous risquions d' être précipités hors de nos marches.
La foudre était tombée près de nous. Le fer de nos piolets chantait. Une décharge électrique égarée avait couru le long de la corde gelée. Nos cheveux se dressaient. Ce fut un moment effroyable. Pourvu que personne ne faiblît!
Mais notre guide nous encouragea d' un geste de la main et continua la descente. Une heure, deux heures s' écoulèrent qui nous paraissaient éternelles.
La neige tombait en abondance. Les éclairs et le tonnerre se suivaient à de courts intervalles. Un vacarme énorme remplit l' air.
Enfin nous arrivâmes dans un petit couloir. Nous étions sauvés. Dès lors, la descente n' offrait plus de grands dangers. Nous nous désencordâmes et chacun fit de son mieux. Bien qu' une eau glaciale nous coulât dans le dos, nous descendîmes sans y prendre garde.
A la cabane, le gardien Walker nous attendait rempli d' angoisse. A notre arrivée son visage s' éclaira. Il était si heureux de revoir ses clients de la veille sains et saufs à sa cabane!
Ainsi se termina heureusement une aventure qui aurait pu facilement tourner au désastre.