Les Diablerets à ski
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Les Diablerets à ski

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Par J. Gaudin

Février 1949 Après une série de jours printaniers, le projet de gagner les Diablerets à ski dès Anzeinde avait germé au cours d' un entretien entre camarades; c' est la raison pour laquelle, ce samedi de mi-février, en montant à la cabane Barraud, mon ami Gorgiat et moi regardons sans cesse le front de rochers gris qui émerge à cette saison des pentes neigeuses formant la base des Diablerets. Ceux-ci semblent aujourd'hui débarrassés de leur verglas; aux pre- LES DIABLERETS À SKI mières heures du matin la neige, sur ces flancs exposés, doit être fortement durcie; les conditions nécessaires à la réussite de cette course paraissent ainsi réunies et nous aurions tort de laisser échapper cette occasion.

Le lendemain à 7 heures, dans la lueur encore indécise dégageant mal les formes grises des cailloux du bleu des ombres, nous traversons, sur un traître « carton » le plateau d' Anzeinde et gagnons la Loëx de Tortay déjà ravinée par les avalanches. Malgré une neige granuleuse à laquelle nos « peaux » adhèrent magnifiquement, la pente de plus en plus accentuée nous oblige bientôt à porter nos skis. Comme pour nous récompenser de cet effort supplémentaire, le soleil apparaît, apportant avec lui l' envie de battre la flemme; dès lors tout est excuse, l' anorak tient chaud, les skis sont mal fixés; personne n' est dupe, aussi la halte est-elle décidée. Déjà des points noirs, à la queue leu leu, s' éloignent des chalets d' Anzeinde, et là-bas, les Alpes valaisannes se dessinent, silhouettes bleues sur l' ocre pâle de l' horizon.

Si nous perdons notre temps à muser, le soleil lui n' en perd pas; avec célérité il a ramolli la croûte gelée qui permettait une avance aisée en surface et nos pieds passant au travers triturent une neige folle. La progression devient lente, aussi rallierons-nous le côté encore ombré à l' est du couloir où nous bénéficierons, pas pour' longtemps d' ailleurs, d' une marche agréable. En effet, plus nous prenons de l' altitude, plus le couloir se resserre; dans ce fqnd, la neige rarement atteinte par le soleil est poudreuse; c' est pourquoi, soufflant ferme, nous nous hâtons de gagner sur la gauche, au-dessus d' un étranglement, la masse des éboulis où nous retrouvons le soleil avec une évidente satisfaction.

Sans trop de peine, le pied du ressaut rocheux formant le sommet des Diablerets est ainsi atteint; là, à l' abri de la bise intense qui s' est levée nous nous restaurons. L' esprit distrait pendant la montée retrouve son fonctionnement; c' est le moment de l' analyse des multiples sensations provoquées par la joie de se trouver en pleine nature et de ne dépendre pour quelques heures que d' elle. Aujourd'hui les impressions ressenties sont semblables à celles éprouvées lors de grandes courses d' été.

L' inconnu de notre projet qui demeure encore devrait stimuler notre paresse, c' est cependant avec peu d' énergie que nous nous encordons et franchissons la première difficulté: un mur vertical de 3 à 4 m. que nous surmontons sur le bord d' une large fissure dont l' accès nous est interdit par le prolongement oscillant que forment nos skis. Ici l' inclinaison est plus faible, mais pour fuir le verglas imprévu qui luit, nous nous engageons sur une maigre vire aboutissant sous une petite paroi redressée et insurmontable. Demi-tour! L' équilibre à chaque instant rompu, nous regagnons notre point de départ d' où nous apercevons après le passage dallé et verglacé qui nous avait repoussé, une cheminée large dans laquelle la progression paraît aisée. Georges se décide, quittant son sac alourdi, ce qui n' est pas un jeu facile dans notre situation, il me le passe et, délicatement, s' accrochant aux aspérités dégagées, il franchit la « glissière ». Ouf! Calé maintenant dans le fond du couloir, il assure ma pénible grimpée, pendant laquelle le rapport du simple au double concernant les sacs, ne m' a jamais paru si évident. Dès cet instant, foulant la neige poudreuse, cherchant sous elle les prises abondantes, nous manœuvrons pour que les skis ne heurtent pas les rochers et varappons avec un réel plaisir jusqu' au sommet occidental.

Le petit problème est résolu, la joie est forte, la bise aussi d' ailleurs, aussi nous ne nous attardons guère. A midi et demi, skis fartés, nous abandonnons la coupole du sommet en voguant au travers des plaques durcies par les vents puis, dans 10 cm. de neige idéale, nous nous laissons glisser sur le glacier de Zanfleuron préféré aux descentes plus accidentées du vallon d' Au ou de la cabane des Diablerets. Jusqu' au Sanetsch, ce fut la récompense de l' effort, la griserie d' une seule trace dans une atmosphère de merveilles.

Continuant notre course au hasard, nous passons auprès de baraquements brunis et sommes surpris par l' abrupte falaise limitant au nord le Sanetsch et plongeant sur la mer d' ombre du vallon de Gsteig. Toujours à ski, nous empruntons l' étroit chemin, seul ruban blanc courant parmi les rochers et les gazons escarpés, pour retrouver plus bas, avec les premiers sapins, les premières traces de vie animale et plus tard, lorsqu' apparaissent les premiers pas d' homme, sentir l' odeur des chalets caresser nos narines; c' est Gsteig encore ensoleillé qui nous accueille. Avec regrets nous quittons bientôt sa « pinte » à l' atmosphère bleutée et animée par les joueurs de cartes pour gagner dans la froide grisaille fine d' une belle journée d' hiver le col du Pillon et la station des Diablerets où nous attend notre dernier train.

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