Le val d'Anniviers en hiver
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Le val d'Anniviers en hiver

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Dans ses charmants « Souvenirs de deux étés », Javelle nous confesse que la Dent du Midi est sa marotte, et nous le prouve dans des récits où la technique de l' ascension, la description des lieux se confondent avec l' expression de sentiments poétiques.

Bien que n' étant ni l' illustre alpiniste, ni le remarquable écrivain que fut Javelle, je ne résiste pas — c' est peut-être un tort — à égrener quelques souvenirs dans ce nouveau recueil auquel il faut souhaiter, en ces jours où chacun formule des vœux, une longue vie, beaucoup de lecteurs, une heureuse influence sur le développement du C.A.S. et de l' alpinisme.

Le val d' Anniviers est aussi ma marotte; vingt-six séjours plus ou moins longs en été, une quinzaine de courses d' hiver, en voilà assez, n' est pas pour montrer que cette contrée a un charme particulier pour l' auteur de ces lignes.

Venu au monde bien avant que le ski fît son apparition dans notre pays, je n' ai pu apprendre à me servir de cet utile instrument qui permet des courses inconnues jusqu' alors et sera de plus en plus un facteur dans le développement de l' amour pour la montagne.

Ce sont donc des courses pédestres que je rapporte ici. Plus d' une fois on se plaint de l' abondance et de la mollesse de la neige, mais la fatigue s' oublie vite, les bons souvenirs persistent seuls. N' est pas là d' ailleurs une image de la vie quand on sait la prendre pour ce qu' elle est, ne pas lui demander trop, laisser s' enfouir dans les brumes du passé les épreuves et les jours douloureux, fixer au contraire dans sa mémoire les heures où, après la lutte, là-haut, sur la cime modeste, mais conquise par un dur travail, on jouit pleinement de tout ce que l'on voit?

Dans les années de forte activité professionnelle, réaliser mon désir de montagne n' était pas chose facile. Un train, le samedi, m' amenait à 3 heures à Sierre, et de là il fallait aller chercher un gîte quelque part en cette saison où les hôtels sont fermés; j' en excepte pourtant celui d' Anniviers à Vissoye. On arrivait tard, on partait tôt le matin, et le dimanche au soir la locomotive haletante ramenait le voyageur pressé à Genève où l' attendait la besogne quotidienne. Plus tard, les heures de liberté furent plus faciles à prendre.

Commençons par Chandolin, ce village haut perché qu' un magnifique soleil éclaire jusqu' à ses derniers rayons. Plus d' une fois, je suis parti de Genève par la brume ou le temps pluvieux, et dans ce bienheureux Haut-Valais, je trouvais la lumière, la paix, le silence contrastant avec le bruit de la ville, surtout à cette époque entre Noël et le Nouvel-An, où tant de gens cherchent à s' étourdir pour masquer à leurs yeux la fuite du temps.

L' hospitalité la plus cordiale, je l' ai toujours trouvée à la cure; pendant plusieurs années, la paroisse était desservie par un de nos concitoyens qui n' aimait pas beaucoup la montagne et se trouvait souvent bien isolé au milieu d' une population très honnête, travailleuse, mais un peu rude.

Dans la nuit noire et froide, entrer dans la grande chambre où le poêle de pierre ollaire répand sa douce chaleur, c' est presque la maison paternelle qui s' ouvre. L' abbé H. m' a fait préparer un petit souper réconfortant, puis nous devisons; que de sujets n' avons pas abordés?

Un soir, j' étais monté avec mon fidèle guide P. Epiney par le chemin d' hiver qui déroule d' interminables lacets depuis le hameau de Fang. On ne voit pas la fin de cette pente gazonnée à l' abri des avalanches qui peuvent être dangereuses sur la route de Sussillon; nous avions rencontré le président de la commune. Qui lui dévoila que j' étais médecin? Je n' en sais rien, mais le fait est qu' il me fallut officier le soir même auprès de sa femme grièvement brûlée. Heureusement, l' abbé avait une petite pharmacie qu' il savait fort bien utiliser, du reste.

Plus tard, après l' abbé H., ce fut un solide prêtre valaisan qui me reçut; je le trouvai en compagnie de son confrère de St-Luc; c' est moi qui fus le malade et chacun d' eux s' empressa de me porter secours.

A Chandolin, ce qu' il faut voir, c' est le Calvaire, la grande croix qui se dresse à l' entrée du chemin de Sussillon; aujourd'hui, un beau crucifix argenté la décore et un excellent peintre de notre section en a fait le centre d' un remarquable tableau.

Tout est blanc alentour, les mélèzes ont perdu leurs aiguilles qui forment un tapis rougeâtre sur le sol, tandis que les sapins projettent leur ombre d' un noir violacé. Se trouver là dans ce silence absolu, dans cette lumière éblouissante qui ne fatigue pas, quel contraste avec la ville bruyante, sombre malgré son brillant éclairage.

Laisser aller sa pensée, remonter le cours des âges, se remémorer ces immenses périodes géologiques de la formation des montagnes, les époques glaciaires où tout était dur et froid, où l' homme trouvait à peine sa nourriture et regardait avec terreur les montagnes; contempler sa propre vie avec ses heures de joies, de tristesses et de regrets, pleurer quelquefois sur ce qui ne reviendra plus, élever son âme vers les hauteurs suprêmes, celles d' où l'on ne redescend pas; que de réflexions intenses, profondes, inaccessibles à celui qui ne connaît pas de tels moments!

Le lendemain c' est l' Illhorn qui nous attire, il ne faut pas prendre le chemin de l' été. Mais après avoir dépassé l' hôtel de Chandolin, sur une hauteur voisine, on s' engage dans la forêt clairsemée qui conduit à la plaine Ste-Madeleine où eurent lieu tant de belles parties de chasse au coq de bruyère.

Là, un plateau de neige profonde monte doucement jusqu' au pied de l' arête ouest, généralement plaquée de neige dure. On contourne avec prudence les vertigineux couloirs qui tombent dans l' Illgraben, et bientôt c' est le sommet. Au bon soleil, souvent en manches de chemise, tant il fait chaud, nous passons quelques heures sur ce belvédère trop peu connu, d' où la vue est grande et belle, un peu moins étendue pourtant que celle de Bella-Tola.

Une autre fois, c' est à Zinal que je me rends. Le hameau est habité à cette époque; toute une population y prend ses ébats, garçons et filles se lugent à l' envi après l' école. Tantôt un chalet, tantôt la demeure du vicaire, une fois le petit hôtel du Besso se sont ouverts pour me recevoir; ce n' est plus le silence de Chandolin, mes amis anniviards veulent bien manifester leur joie toujours tranquille, en me revoyant.

C' est un épaulement de l' arête des Diablons qui recevra cette fois notre visite, non loin du point nommé le Rocher blanc, au début de l' arête qui conduit à la cime nord.

En compagnie de mon ami, le Dr Bétrix, nous étions montés un soir à Zinal, dans l' intention d' aller à la Corne de Sorebois. Au matin, neige et temps gris, il ne vaut pas la peine de gravir un sommet Mais nous ne sommes pas embarrassés; n' y a-t-il pas d' autres buts de promenade? La cabane du Petit-Mountet aura notre visite; mais on n' y arrive pas les mains dans les poches. Au-dessus du chemin de la Lée, plusieurs torrents se sont figés, il faut sortir le piolet et travailler dur dans la glace vive pour traverser la pente raide.

Sur la moraine grise, la petite maison est là, le glacier est si peu couvert cette fois qu' on irait facilement à la cabane du C.A.S., si nous avions le temps. Contentons-nous d' admirer par l' ouverture du vallon d' Arpitetta la grande paroi du Weisshorn, plus blanche pourtant qu' en été; le Besso, le Grand Cornier et les Bouquetins complètent le tableau.

Cette année, il y a peu de jours, c' est vers Grimentz que je portais mes pas; le beau village est encore dans la lumière bien que le soleil ne le visite que deux heures par jour. Lui aussi est habité; il n' y a point de neige, même sur les alpages; à 3000 m ., les sommets sont à peine saupoudrés et l'on ne peut que craindre la disette d' eau pendant l' été. Les montagnards n' aiment pas la chute tardive de la neige qui ne se tasse qu' insuffisamment et n' imbibe pas assez le terrain. Mais avec leur résignation habituelle, ils savent attendre sans trop se faire de soucis; une bonne leçon de morale pratique pour nous autres citadins toujours pressés.

Amusante course vers le Roc de Marais, improprement appelé Roc d' Orzival, car le pâturage du même nom est beaucoup plus bas dans la vallée.

Nous faisons lever des coqs et une poule de bruyère, trouvons les traces habituelles des lièvres blancs; à quelle sarabande ces animaux ne se livrent-ils pas? Plus loin, c' est une piste de chamois qui est très nette.

Par les belles forêts de Tracuit et de la Grouje, nous arrivons encore à Vercorins au moment du soleil couchant. Puis, la nuit se fait de plus en plus noire à mesure que nous descendons vers Chippis et ses usines, c' est la civilisation, le travail souvent regardé comme un malheur, alors que nous autres, qui avons les yeux pleins de lumière, pensons encore à ce Là-Haut où il faisait si bon.

C' est ainsi qu' il faut toujours redescendre; à un certain âge, c' est d' ail plus facile que de monter. Cette journée semble un conte de fées; elle a existé pourtant, sera-t-elle la dernière? Qu' importe; celui qui a connu ces sensations profondes se sent renouvelé; il retourne à son devoir, confiant et l' esprit rasséréné, évoquant la belle pensée de Gœthe vieillissant: Bald ruhest du auch.

Genève, 31 décembre 1924.Dr. E. Thomas.

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