Le Mont Maudit, 4465 m.
Paroi sud-est.
Avec 3 illustrations et 1 croquis.Par René Dittert.
Mardi 27 juillet 1937! 15 heures! Brusquement cesse l' insupportable réverbération des glaciers subie quatre heures durant. Et pourtant, elle est infiniment belle, cette promenade qui, de la cabane du Requin, par la Vallée Blanche, nous conduisit jusqu' au Col de la Fourche. Sitôt franchi le seuil du refuge Alberico-Borgna, c' est la détente. Les sacs glissent de l' épaule et gisent pêle-mêle sur le sol; du revers de la main, Aubert, d' un geste qui lui est familier, essuie son front baigné de sueur, tandis que Marullaz se laisse choir sur les paillasses, où pour quelques minutes il goûtera les délices du repos, dans la pénombre de cet abri.
Distraitement, les regards errent sur la montagne: masse svelte mais imposante qui obstrue l' embrasure de la porte; montagne magnifique dont le sommet s' auréole de nuages argentés. Blanche de Peuteret est son nom. Son allure aristocratique en fait un pur joyau dans ce cirque de la Brenva, sans doute le plus grandiose de toutes les Alpes. Les plus hautes murailles de glace s' y coudoient et voisinent avec les plus longues et les plus belles arêtes; leurs noms: Peuteret, Sentinelle Rouge, Brenva, Mont Maudit, sont prononcés avec déférence par ceux qui, ayant eu le privilège de franchir de Col de la Fourche, découvrent le bassin de la Brenva; leur aspect farouche inspire le respect de cette colossale architecture conçue par la nature.
Allons jeter encore un regard à cet incomparable cortège de cimes, avant que le soleil ne disparaisse vers l' ouest. Déjà les grandes ombres courent sur le glacier; elles repoussent tout ce qui brille et devant elles la lumière éclatante doit insensiblement battre en retraite. Un étroit balcon sert d' antichambre au refuge; puis, c' est le vide qui ne s' interrompt que sur le glacier, quelque cent mètres plus bas. Fermant l' horizon, en face de nous, la puissante arête de Peuteret monte en un crescendo incomparable à l' assaut du Mont Blanc qui offre ici le spectacle de sa plus somptueuse face. Ses parois de glace, ses éperons de granit et surtout ses glaciers suspendus forment avec le Mont Maudit qui lui oppose une haute muraille de roc, tapissée de verglas, sillonnée de profondes rigoles, le décor principal de cette scène que modifient seulement les jeux de la lumière et de l' ombre. Enfin, fermant le cirque sur le versant est, une arête, comparable en beauté et en ligne aux plus renommées, s' élance vers le Mont Maudit; c' est son arête sud-est; dans un de ses replis a été construit le refuge Alberico-Borgna, en souvenir de deux jeunes alpinistes italiens disparus en essayant d' atteindre directement le Col de la Brenva. Nos yeux ne peuvent se fatiguer à ce spectacle, toujours le même, mais pourtant sans cesse renouvelé, soit par un amas de vapeurs que la brise élève et pousse à son gré, soit par un fracas de pierres ou de séracs qui s' écroulent.
Ce soir, notre regard s' arrête plus longtemps et s' accroche à la puissante paroi du Mont Maudit sur laquelle nous avons jeté notre dévolu; lorsque nos yeux s' en détachent, vite ils y reviennent, la scrutent minutieusement. Et le visage se fait plus grave en suivant anxieusement la ligne qui du glacier s' élève verticale vers le sommet. Mille mètres de paroi; c' est là que, le 14 août 1929, trois alpinistes valdôtains, Binel, Crétier etChabod, tracèrent un itinéraire aussi audacieux qu' élégant. La rimaye franchie, ils prirent de front un bastion rocheux, puis, par l' arête qui suit, ils atteignirent les dernières pentes de glace terriblement inclinées, enfin, après treize heures de lutte acharnée, tant avec la montagne qu' avec les éléments déchaînés en tempête, c' était la fin de l' ascension. Près du sommet ils durent subir un bivouac terrible par une nuit glaciale et descendirent dans la vallée avec de graves gelures.
Un premier examen nous révèle immédiatement les difficultés que nous rencontrerons en surmontant le bastion. Nous décidons alors de l' éviter en empruntant soit le grand couloir descendant à gauche du sommet, soit en prenant la droite de l' éperon. Une avalanche de neige qui vient s' abattre sur le glacier en suivant la droite du bastion, c'est-à-dire ce qui aurait pu devenir notre voie d' ascension, met fin à notre hésitation. Maintenant nous sommes fixés; nous monterons par le couloir sévère, tapissé de glace; ensuite, par les rochers, nous rejoindrons à droite l' arête, l' itinéraire des Italiens.
Une autre route a également été ouverte le long de cette vaste paroi en 1929 par un alpiniste japonais, M. Kagami, et son guide G. Perren de Zermatt. Moins esthétique, elle est située plus à l' est et n' atteint pas directement le sommet. Aussi l' éventualité de gagner le Mont Maudit par cette voie avait déjà été écartée.
Entre temps, des alpinistes suisses sont arrivés et avec eux nous passons le reste de la journée. Ensemble, nous prenons notre repas du soir et nous bavardons. Notre commune passion, la montagne, a vite brisé la glace entre des hommes qui, tout à l' heure, s' ignoraient encore. Après nous être glissés sous les couvertures, je songe à quelques-unes de ces belles amitiés nées au cours de nos excursions à travers les Alpes, amitiés durables et sincères. Un rayon de lumière qui s' insinue par la fenêtre me frappe au visage et me ramène à la réalité; j' aperçois un coin de ciel bleu et de montagne, dehors la nuit n' est pas encore complète ni silencieuse, car sans cesse les séracs du Mont Blanc s' écroulent, les pierres tombent du Col de Peuteret ou du Mont Maudit; à ce bruit sourd qui se répercute de paroi en paroi, répond encore un écho timide. Jamais la montagne ne sommeille; ces bruits, symptômes vivants du lent travail de désagrégation, viennent encore ajouter à l' incertitude du lendemain: les pierres volent le long des couloirs que nous suivrons dans quelques heures; les séracs éclatent par-dessus les éperons que nous gravirons. Les nerfs se tendent et le sommeil tarde...
Lorsque nous quittons le refuge, il n' est guère plus de 3 heures; il fait sombre et la lanterne n' éclaire qu' un cercle restreint. Engourdis, dans la bouche le goût amer du thé que nous venons d' avaler, les premières cordées sont désagréables. Nous descendons lentement par des rochers peu solides; un couloir de neige leur fait suite, puis, après la rimaye, nous sommes sur le lé mont Maudit.
1Variante à l' itinéraire Binel, Crétier et Chabod ( 1937 ).
2Itinéraire Binel, Crétier et Chabod ( 1929 ).
3Itinéraire Kagami ( 1929 ).
4Itinéraire von Kuffner ( 1887 ).
5Variante à l' itinéraire von Kuffner [Canzio] ( 1901 ).
Glacier de la Brenva. Des reflets lugubres jouent sur la neige, et il semble que la nuit est moins profonde. D' un pas régulier, mécanique, sans réflexion aucune, nous montons vers le pied de la paroi. La neige, pas encore suffisamment gelée, s' attache avec insistance aux crampons, les jambes sont lourdes. A travers quelques séracs nous cherchons la route la meilleure. Plusieurs détours nous conduisent au pied d' une pente très inclinée barrée d' une longue ligne noire: la rimaye. Ici, la course débute et nous jetons un regard vers le sommet; la paroi s' élève sombre et verticale, les détails de sa puissante structure sont masques par l' obscurité. Très haut pourtant, une ligne argentée indique que là elle s' arrête; au-dessus c' est l' immense voûte céleste où déjà les étoiles s' éteignent une à une.
Il fait plus frais, les crampons grincent maintenant dans une couche gelée, nous progressons rapidement; chance, car les minutes sont comptées. Les pierres sont insensibles; malheur aux imprudents qui se placent dans leur trajectoire; elles sifflent un chant de mort, frappent et continuent leur course aveugle. Appuyant à droite, nous franchissons la profonde rimaye plus à l' abri que dans la rigole du couloir, voie naturelle de tout ce qui tombe de là-haut. Nous devons cependant, sur plusieurs cordées, nous résigner à utiliser cette gorge creusée à travers deux bastions de granit. Un long détour nous amène très haut sur son bord même. Quelques pas dans la glace, accompagnés du bruit sonore que fait un piolet « au travail ». Plus haut, nous nous dirigeons vers des rochers qui émergent. Ils sont recouverts de terre, et le froid engourdit les doigts. Qu' importe, il nous faut avancer pour atteindre une étroite vire où nous serons mieux à l' abri pour ôter nos crampons. Abandonnant le couloir, nous montons en ligne droite jusque vers l' arête, le long de belles dalles jaunes, raides, que le timide jour naissant lèche à peine. Le sac déjà pesant s' alourdit par les crampons; d' un mouvement coutumier nous le balançons sur les épaules, le soupesons en « grimaçant » et en avant!
L' itinéraire n' est pas compliqué et les difficultés sont dues surtout à une succession de puissants rétablissements; difficultés à considérer car elles usent l' individu et lui enlèvent une partie de ses moyens. Dans les compétitions tant musculaires que mécaniques une seule méthode triomphe: user l' adver, user la machine jusqu' à ce que l' un d' eux renonce à la lutte et s' avoue vaincu. A la montagne, même principe, mais le combat est inégal car l' adver ne se fatigue jamais; par contre, si les organes vitaux du grimpeur refusent de fonctionner normalement, il sera obligé de céder petit à petit; c' est là la principale difficulté à vaincre lors des ascensions qui s' achèvent au-dessus de 4000 mètres. Dans le stade, sur une piste où des athlètes, en rondes effrénées se poursuivent, lorsque le mécanisme humain refuse de fonctionner, il reste comme ultimes ressources le repos et le réconfort d' une nourriture légère mais substantielle. En haute montagne, nul appoint de ce genre; les nausées montent à la gorge, les jambes soutiennent à peine votre corps, et pourtant il faut continuer pendant des heures peut-être, se dominer malgré la déficience physique qui s' accentue à mesure que l'on s' élève. Seul, le moral forgé à cette dure école soutiendra le pauvre corps meurtri et douloureux, dans lequel le cœur bat à un rythme désordonné et où les poumons, ne trouvant plus l' oxygène nécessaire, fonctionnent irrégulièrement.
Fissures, vires, cheminées se succèdent; lentement nous nous élevons, le glacier insensiblement recule, mais l' arête qui se dessine à peine sur le second plan est toujours aussi éloignée. Le jour est maintenant dans toute sa gloire, le soleil brille là-haut sur les crêtes d' où s' envole en panaches fantastiques la neige, chassée par le vent qui, sur l' autre versant, souffle et s' acharne. Dans le ciel, serein il y a quelques instants encore, courent de vilains nuages moutonnés; il faut se hâter, car si la tempête venait... mais n' y pensons pas.
Après les dalles raides, franchies à l' aide de prises éloignées, nous tournons l' échiné d' une arête secondaire bordant un couloir qu' il va falloir franchir. Le problème n' est pas aisé. Nous montons assez haut sur des dalles complète- ment recouvertes de neige. Lentement Aubert progresse, il marque légèrement la neige de son soulier, juste pour lui permettre de s' élever. Vingt mètres de ce travail délicat l' amènent sur le rebord dominant la profonde rigole, tributaire du grand couloir que nous avons emprunté pour l' attaque de la paroi. Il essaie de planter son piolet; un juron sonore fend l' air car la roche, qui affleure presque, l' en empêche. Nous nous contentons d' un assurage précaire pour franchir ce passage à notre tour. Nous voudrions être oiseau ou chamois, pour voler ou courir, alors qu' au contraire, nous avançons avec une lenteur extrême, afin d' assurer chacun de nos pas. Je parviens vers mon camarade; d' un mouvement de la tête, il m' invite à regarder là sur notre gauche où nous allons être obligés de nous frayer un passage. Un mur de neige vertical de trois mètres nous sépare du fond de la rigole d' où quelques rochers visqueux émergent de la glace; mais de là, nous pourrons gagner par des rochers brisés une nouvelle succession de cheminées. Hésitations nous soupesons nos chances que nous trouvons bien minces si l' un venait à glisser. Aubert confectionne une petite marche, puis une seconde plus loin, gratte une prise pour les doigts et me questionne sur l' assurage et sur ce qu' il lui reste à traverser. Je le rassure, mais je voudrais évidemment que ces manœuvres fussent déjà terminées. Enfin, le mur est franchi, Aubert a pris pied dans la rigole et déjà il s' élève sur l' autre rive. Lorsque Marullaz nous aura rejoints, nous pourrons continuer.
Un peu plus haut, nous atteignons la crête de l' éperon que nous allons suivre désormais et qui monte presque droit vers le sommet. C' est cette même arête que parcouraient huit ans auparavant les alpinistes valdôtains. « — Ils ont dû arriver par là! » nous indique Marullaz, et nous regardons: ce ne sont que dalles fuyantes et glace lisse qui luit au soleil; cet itinéraire semble impossible.
Une quantité effroyable de neige s' est accumulée sur l' éperon et forme d' immenses corniches qui, en élégantes volutes, surplombent tantôt le versant est, tantôt le versant sud. A califourchon nous nous engageons sur cet édifice instable et démolissons à grands coups de poing les corniches qui nous empêchent de progresser; à chaque coup, cette neige accumulée sur trois mètres de hauteur et à peine cinquante centimètres de largeur, s' ébranle. Il semble que toute cette fragile architecture va s' affaisser et entraîner avec elle ceux qui la chevauchent; quelquefois aussi, nous retenant au piolet fiché dans la neige, nous contournons du côté sud des escarpements plus raides. La progression est lente mais insensiblement nous nous élevons et nous rapprochons de notre but.
L' arête maintenant se heurte à un puissant contrefort rocheux insurmontable. Mais là, sur la gauche, une longue cheminée oblique se fraye un passage à travers des dalles sur lesquelles s' égouttent de grosses stalactites de glace. Par cette cheminée, haute de près de 50 mètres, nous progressons en nous coinçant, en soufflant et en maudissant le sac qui oblige à des efforts désespérés, épuisants.
La cheminée nous a rejetés en pleine paroi et l' arête est maintenant beaucoup plus haute sur notre droite. Nous grimpons sur des plaques ver- Die Alpen — 1939 — Les Alpes.27 glacées recouvertes d' une neige poudreuse qui se déverse dans nos manches; après une rude lutte nous parvenons sur un étroit balcon encombré de neige. Ici prend naissance une crête effilée, défendue d' abord par un front de neige vertical. Aubert plante son piolet, se hisse, mais cela ne suffit pas; il recommence, plante un second piolet, ses pieds tremblent, le piolet lâche doucement. Va-t-il céder sous le poids de notre camarade? Non, car déjà Aubert se rétablit sur la fine lame de neige. Peu rassurante du reste, cette fine lame de neige qui, à chacun des pas de notre ami, craque de façon sinistre.
Nous montons lentement, laissant derrière nous des empreintes de pas qui bientôt s' effaceront; la montagne retrouvera ainsi sa solitude, mais pour combien de temps? Après le succès des Valdôtains, il est en effet étonnant que cette intéressante voie n' ait pas attiré les alpinistes, ceux qui recherchent les grandes ascensions et se moquent de certaines premières, ceux qui préfèrent ces courses, techniquement moins difficiles mais où le terme « alpinisme » y trouve son sens exact, sa définition la plus juste. Qui comprend la montagne de cette façon ne sera jamais déçu; tout grimpeur du reste qui a réussi quelques ascensions dans le cirque de la Brenva peut le confirmer. La solitude qui plane sur ce lieu et la longueur de ces ascensions donnent certainement à ce cirque une étrange ressemblance avec les grands massifs alpins situés aux confins de notre planète: l' Himalaya et les Andes. La hauteur des parois, la vue étendue qu' on y découvre militent en faveur d' une telle comparaison. Je ne crois pas d' ailleurs que l'on trouve dans les Alpes, excepté peut-être la paroi est du Mont Rose, un cirque qui donne cette illusion et vous laisse un peu l' impression éprouvée à la lecture des épopées du Kantsch ou de l' Everest.
La partie devient plus difficile, la neige, sous l' action du soleil, perd de sa consistance; elle s' échappe sous nos pieds et laisse une traînée verte: la glace. Le vide est terrifiant; la pente se dérobe, disparaît, nous laissant suspendus ainsi en pleine paroi neigeuse, car l' arête nous y a poussés et nous avons été contraints de subir ses caprices. Seules, en haut, d' énormes corniches nous dominent et nous posent un problème angoissant; par où sortirons-nous? L' un de nous lance même: « Et si nous devions redescendreh> La question trop critique en ce moment n' obtient aucune réponse.
Tous trois engagés, liés à une même corde, nous montons; le moindre faux pas, la moindre hésitation nous sont interdits, mais ceci ne nous inquiète guère, nous avons une confiance aveugle l' un dans l' autre. Et les parois qui nous environnent, le spectacle sauvage que nous admirons, suppriment toute réflexion pessimiste. La face resplendissante de la Blanche de Peuteret scintille de mille reflets sur le bleu profond du ciel; la vallée, bien bas, fait suite au chaos du glacier de la Brenva; des arêtes tourmentées se cabrent, se heurtent à des glaciers suspendus flanqués de séracs en constante rupture d' équilibre. Ces beautés réunies en un seul endroit, voilà ce que nous avons le privilège de contempler. Et dire que beaucoup croient que nous gravissons les cimes par leur route la plus difficile par vanité ou gloriole; ceux-là ignorent la joie de nos découvertes malgré l' angoisse de certains moments.
N' existe, du reste, pas un proverbe qui dit: « La fortune sourit aux audacieux! », aussi je crois que toutes les belles sensations éprouvées en montagne, les décors inoubliables que nous y découvrons sont en effet une fortune.
La corde se tend, c' est à mon tour; la pente devient de plus en plus raide et la glace apparaît. Nous devons chausser les crampons dans une position fort malcommode, au pied d' une nervure de neige qui s' élève droit vers le ciel. Pour ne pas perdre l' équilibre, nous enlevons, puis remettons notre sac sur nos épaules avec prudence et sans heurt; la pose des crampons nécessite une gymnastique délicate sur une jambe, aussi c' est avec un soupir de soulagement qu' enfin prêt, je pars pour laisser la place au camarade qui suit.
Une centaine de mètres seulement nous sépare encore des corniches, derniers obstacles de la paroi; nous voudrions déjà y être pour que disparaissent nos appréhensions. Dans ces instants, jamais la progression n' est assez rapide; les crampons, au contact de la glace, crissent et mordent difficilement, la pente disparaît entre nos jambes et nous effraie presque. Les genoux heurtent la neige et obligent à des positions risquées. Aubert confectionne de minuscules degrés et ceux-ci diminuent encore à mesure que nous nous élevons. Nous approchons de la crête de l' éperon qui descend sur le glacier de la Brenva, la pente se redresse encore davantage, mais la neige devient plus épaisse et nous permet de monter plus aisément. Satisfaction, repos de nous sentir enfin hors de la pente où se succèdent les marches que nous avons taillées et qui nous ont permis de nous élever. Et, lorsque nous constatons qu' à l' endroit où la crête se heurte à l' arête faîtière, une brèche est restée libre de corniches et nous permettra de sortir, notre joie est immense, la course est réussie.Vite, très vite, nous montons jusqu' à un petit mur, ultime difficulté, rapidement surmontée par le leader qui déjà a disparu sur l' autre versant, du côté de la vallée de l' Arve. Un vent violent nous y accueille, nos habits humides, nos gants, nos pantalons gèlent rapidement à son souffle glacial. Du point culminant, notre regard plonge sur l' abîme et contemple une dernière fois cette paroi où nous venons de passer des heures inoubliables. Une mélancolie nous envahit, celle qui souvent suit la réalisation d' un rêve longtemps caressé. Il faut repartir, redescendre. Désormais, pour nous, l' ascension du Mont Maudit par sa paroi sud-est appartiendra aux souvenirs, à « nos beaux souvenirs »!
Horaire: Refuge Borgna. 3 h. 10 Rimaye 4 h. 00 Arête sommitale 12 h. 10 Sommet.... 12 h. 25 Grands Mulets. 14 h. 15