Le glacier du Rhône d'après les sources historiques
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Le glacier du Rhône d'après les sources historiques

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Heinz J. Zumbühl, Berne

« Je crois bien volontiers que le glacier du Rhône est le plus beau de toute l' Helvétie, comme l' affirment unanimement les grands connaisseurs de la Suisse. » MEINERS, 1790, 3: 289 RO06 J. H. Wüest peignant le glacier du Rhône en novembre 1772 ( détail ) 1. Introduction Avec le glacier du Rhône, nous avons affaire à l' un des plus importants fleuves de glace du centre des Alpes suisses. Sa structure est relativement simple, car il n' a que très peu d' affluents. Au milieu du XIXe siècle, il présentait une construction idéale, en trois parties: le collecteur, la chute de glace et enfin le diffuseur, une imposante calotte en forme d' éventail. A l' heure actuelle, le glacier s' achève par une chute de séracs exposée en plein sud, dans la partie supérieure du ressaut rocheux.

Du point de vue de sa surface, le glacier du Rhône est avec ses 17,38 km2 le neuvième de la Suisse ( sur 16,91 km2, la glace n' est pas recouverte d' èboulis ). Avec une longueur maximale de 10,2 km ( et une largeur moyenne de 2,2 km ) il occupe à ce point de vue la cinquième place des glaciers de notre pays ( INVENTAIRE DES GLACIERS, 1976: 80/81 B. 43.3 ).

Le point le plus élevé du collecteur est le Dammastock ( 3629.9 m ). Actuellement la langue s' achève à une altitude de 2140 mètres. Le glacier présente un volume de 1,8 x 109 m3 et donc une épaisseur moyenne de 102 mètres. C' est au milieu du grand névé que celle-ci atteint son maximum avec 350 mètres. La ligne d' équilibre est située à une altitude moyenne de 2950 mètres.

2. Les premières mentions du glacier du Rhône: IVe et XVIe siècles Les fragments que nous possédons de V Ora Maritima, une description des rivages de la Méditerranée écrite en trimètres iambiques par le poète romain Rufius Festus Avienus ( 2e moitié du IVe siècle ), mentionnent déjà le territoire de la Suisse et plus particulièrement le glacier du Rhône et le Dammastock. Les renseignements que l'on peut y trouver remontent en fait à des sources beaucoup plus anciennes. Pour son poème didactique, Avie- 14 Le glacier du Rhône, avec le Dammastock et le Galenstock. En 1856,1 front du glacier n' était qu' à 300 mètres env. de l' hôtel de Gletsch. Depuis lors ( et jusqu' en 1987 ), le fleuve de glace s' est retiré de 2061 mètres. Le Gletschboden e la plus grande partie du ressaut rocheux sont aujourd'hui libres de glace ( photo du 24 septembre 1983 ).

Gletschboden Carte 2 Les vallums morainiques et les excavations pratiquées dans la marge proglaciaire du glacier du Rhône, ( région de Gletsch ) Ancienne limite de la glace Vallum morainique Vallum morainique érodé Arête d' érosion ( AE ) nus avait en effet travaillé sur la base d' une description des côtes de la Méditerranée écrite par un Grec de Marseille vers 530 avant J.C. En décrivant le rivage des environs de cette grande ville, l' auteur avait aussi été amené à parler du Rhône qui, à l' époque, était une importante voie commerciale: « A l' est, les Alpes élèvent leur dos enneigé vers le ciel, et les plaines gauloises sont coupées par leurs cimes abruptes. Là-haut souffle un vent tempétueux. Le flot puissant du Rhône jaillit de l' ouverture béante d' une immense grotte et laboure le sol avec une puissance indomptable. Dès sa naissance, alors qu' il n' est encore qu' une source, il est déjà navigable. Les habitants du pays nomment Colonne du Soleil la partie du rocher saillant d' où le fleuve sort à l' air libre » ( cité dans HOWALD/MEYER 1941: 5)1. Il est fort possible que l' idée selon laquelle le Rhône sortirait de l' ouverture béante d' une immense grotte soit due à une description exacte du portail du glacier qui aurait été mal comprise.

Quant à savoir si ce texte d' Avienus parle vraiment du glacier du Rhône, c' est en fin de compte un problème d' interprétation. En fait, ce document ne nous permet pas d' obtenir des renseignements supplémentaires sur l' histoire du glacier; mais il est vraisemblable 157Vallums morainiques AFB Début du Moyen Age ou plus ancien C Moyen Age finissant ( XIVe siècle ) D Fin du XVIVdébut du XVII' 1 siècle E,F XVII7XVIIIC siècles G 1856 Excavations ( voir p. 226-233O RO A1.RO A3-RO A7 RO A2, voir carte 3 que la langue descendait à l' époque jusqu' au fond de la vallée. Elle était donc plus étendue qu' à présent et pouvait, de de fait, apparaître comme un phénomène fantastique aux voyageurs qui franchissaient les cols de la Furka et du Grimsel ( l' utilisation de ces passages à l' époque romaine est prouvée ).

La plus ancienne mention explicite du glacier du Rhône que nous connaissons de nos jours se situe autour de 1547/48, dans la Gnrteiner löblicher Eydgnoschafft Stetten, Landen und Völckeren Chronick ( Description des villes, pays et peuples de toute la louable Confédération ), publiée à Zurich par Johann Stumpf ( 1500-1578 ), et plus particulièrement dans le livre 11 qui traite du Valais. Son quatrième chapitre y est, en effet, consacré à la source et au cours du Rhône: « Le Rhône sort de cette montagne Furcka du côté de la vallée, à l' endroit appelé Fons Rhodani, la source du Rhône. L' eau du fleuve ne provient pas seulement des sources naturelles, mais bien plus du névé et du glacier de la montagne, qui ne fondent ni ne reculent et fournissent donc constamment de l' eau... » ( STUMPF 1548, 2: 341 ).

Durant l' été 1544, Stumpf avait entrepris un voyage à travers la Suisse et dans les Alpes qui le conduisit dans la région des sources du Rhône par le Jochpass et le Grimsel2. Son texte, lui aussi, nous permet tout juste de sup- Carte 3 Les extensions maximales du glacier du Rhône durant la période postglaciaire et le recul de la langue de 1856 à 1980 Extensions maximales du glacier et positions successives du front ( cette reconstitution, effectuée sur la base des vallums morainiques. est peu sûre en ce qui concerne les zones marginales1 situations du front au Moyen Age ou plus lot Schneetoleencore durant l' époque postglaciaire ( A, B, CI I I front durant les Temps modernes,fin du XVIII' siècles ( D, E, F ) IImaximum de 1856 ( G ) >0I I extension en 1874 II extension en 1980 « 23SKapellenhügel —-O Excavation ( voir p. 231 ) Chaiber-j wang Wyssgand poser que la langue du glacier s' achevait à Gletschboden. Sur une carte extraite de cet ouvrage et publiée une nouvelle fois en 1552 ( Eilften Landtafel... der Lanschafft Wallis ), seul le « Rhodan fl » est représenté entre la Furka et le Grimsel, mais pas le glacier.

Deux ans après Stumpf, le 4 août 1546, Sebastian Münster ( 1489-1552 ), un cosmographe c' est un géographe, mathématicien et astronome - établi à Bâle, visita aussi le glacier du Rhône au cours d' un voyage du Valais au Gothard. Ses observations sont consignées dans un ouvrage qu' il publia dans sa ville en 1561, la Cosmographei oder beschreibung aller Länder herrschalcten... ( Cosmographie ou description de tous les Etats... ): « En l' an 1546, le 4 août, j' ai vu un [glacier] près de la Furka. Son épaisseur atteint deux à trois lances, sa largeur la portée d' un carreau d' arbalète. Quant à sa longueur, je n' ai pu en voir la fin. Pour sûr, il s' agit là d' un spectacle horrifiant. Un morceau gros comme une maison en était tombé, ce qui rendait cette vision encore plus épouvantable. Il en sortait un torrent d' eau et de glace que je n' aurais pu franchir avec mon cheval sans le secours d' un pont. C' est là le cours d' eau qui serait le commencement du Rhône, bien qu' il y ait à peu de distance du glacier une grande source qui sort de la montagne et que l'on m' a désignée comme le début du fleuve » ( MÜNSTER 1561: 483/484)3.

Comment faut-il donc interpréter ces données très détaillées en comparaison de celles de Stumpf. D' après Münster, l' épaisseur du front de la glace équivalait à trois fois la longueur d' une lance militaire suisse d' environ 4,6-5 m, c'est-à-dire grosso modo 15 mètres ( Le ROY-LADURIE 1967: 104, 301 cf. aussi3 ). Il compare d' autre part la largeur de la langue à la portée d' une arbalète suisse du XVIe siècle, soit environ 200 mètres.

Si nous partons de l' idée ( voir plus bas ) que le glacier avait à l' époque formé sa calotte dans le fond de la vallée, les deux estimations faites par Münster sont alors probablement trop modestes. En effet, la largeur de la langue atteignait encore 500 mètres en 1874 ( MERCANTON 1916: Plan n° 3, RO91 ). La mention d' un pont et la longueur du glacier dont on ne peut « voir la fin » rendent très vraisemblable l' hypothèse selon laquelle la langue s' achevait sur le Gletschboden. Le pont qu' uti Münster était probablement situé là où on le trouve représenté sur de nombreuses illustrations du XIXe siècle, c'est-à-dire à Gletsch. D' après Le ROY-LADURIE ( 1967: 106 ), la fin du glacier devait se trouver en 1546 à une altitude moyenne, donc probablement près de ce même hameau, vraisemblablement entre les situations du front de 1856 et de 1874. Une version de la Chronique de Grindelwald qui, jusqu' à nos jours, est restée ignorée des glaciologues, fait mention d' une avance de l' Un Grindelwaldgletscher en 15474. De ce fait, une augmentation de la longueur du glacier du Rhône à cette même époque est tout à fait envisageable. Sur une carte des Etats de Berne, dressée en 1577/78 par Thomas Schoepf5 ( le médecin de cette ville ), on trouve deux sources du fleuve nommées « Rhodani Fons Prim » et « Rhodani Fons Alter », mais aucune mention du glacier.

La crue du tournant des XVIe et XVIIe siècles, attestée au moyen du carbone 14 ( RO A4 390 ± 65 yBP cf. pp. 232/233 ), ne peut donc pas être confirmée par la méthode historique, et cela à cause des informations insuffisantes des documents.

RO01.1 J. J. Scheuchzer, août 1705: la plus ancienne reproduction cartographique du glacier du Rhône RO02.1 M. FuessIi, 1707: laplus ancienne feuille imprimée avec une représentation du glacier du Rhône 3. Le glacier du Rhône au début du XVIIIe siècle Les premiers documents ( textes, images et cartes ) sur le glacier du Rhône que l'on puisse vraiment interpréter sont dus au médecin de ville et naturaliste zuricois Johann Jakob Scheuchzer ( 1672-1733 ). Venu de la vallée d' Urseren, il a visité en effet ce fleuve de glace lors de son quatrième voyage dans les Alpes, entrepris du 30 juillet au 24 août 1705 ( WEBER 1984: 92 ). Il a rendu compte de cette visite dans la troisième partie de sa Beschreibung der Naturgeschichten des Schweitzerlands; Enthaltend vornehmlich eine ober die höchsten Alpengebirge An. 1705. getahne Reise ( Description de la Nature de la Suisse, contenant principalement un voyage sur les plus hautes montagnes des Alpes, entrepris en 1705 ) ( Zurich 1708 ): « A peine descend-on un peu de la Furka du côté valaisan que l'on voit à gauche, sur les hauteurs, un glacier assez petit en comparaison du suivant. Il donne naissance à un torrent permanent. D' autres ruisseaux venant de la montagne se joignent à celui-ci. Après avoir coulé sur une petite demi-lieue en direction du couchant, ils se perd sous le grand glacier pour en ressortir bientôt. Avec d' autres cours d' eau provenant toujours du grand glacier, il donne naissance au Rhône. Tout cela, le glacier et la source du Rhône, est représenté sur une planche à part. Nous voyons alors que non seulement la Furka a deux pointes, ce qui lui donne i' aspect d' une fourche, mais aussi que le glacier est double, de même que le Rhône qui en sort » ( SCHEUCHZER 1708,3: 100 ). Pour rendre sa description bien claire et surtout pour démêler l' imbroglio causé par la confusion entre la vraie et la fausse source du Rhône6, Scheuchzer demanda à son illustrateur principal, J. M. Fuessli ( 1677-1736 ) de graver en 1707 la planche RO 02.1* ( p. 170 ) « Rhodanj Scaturigines ex Montibus Glacialibus » ( Les sources du Rhône jaillissant des montagnes de glace ). Cette représentation du glacier ( la plus ancienne dont nous disposons ) complète le texte pour for- RO03 S. Bödmer, autour de 1706: le « grosse gletzer » vu de côté mer un tout. En parlant « d' un glacier assez petit » ( légende de l' illustration G/H ), Scheuchzer pense certainement au Muttgletscher, tandis que le « grandglacier » ( légende de l' illustra AF ) désigne sans doute la calotte aujourd'hui disparue par laquelle la langue s' achevait dans le fond de la vallée. La représentation est malheureusement trop schématique pour nous permettre de décrire la situation du diffuseur de façon exacte. Si l'on prend les sources thermales du Rhône comme point de départ ( Légende « M/N, les fausses sources », à gauche de l' image ), le front du glacier aurait alors été beaucoup plus avancé dans la vallée.

La remarque de Scheuchzer selon laquelle le Muttbach ne coule que peu de temps sous la calotte de glace et en ressort « bientôt » nous invite à conclure que la masse de glace était plus réduite dans le lit du glacier qu' elle ne l' est à présent. Scheuchzer décrit certainement le Muttgletscher et le glacier du Rhône, lorsqu' il parle d' un « zweyfachen Glettscher », c'est-à-dire d' un glacier double. On peut toutefois se demander si l'on n' a pas ici la description d' une situation dans laquelle la fin de la langue serait formée de deux languettes, comme cela fut le cas durant la période de recul du début des années 1880.

Dans tous les cas, il est impossible d' opter définitivement pour l' une de ces trois hypothèses.

La gravure de Fuessli fut copiée au moins cinq fois dans le courant du XVIIIe siècle. Le premier plan fut légèrement modifié ( la légende fut par exemple remplacée par un chemin sur lequel on voit quelques voyageurs ) ainsi que l' aspect général du glacier ( chez Grüner 1760, RO 02.3, il se présente, par exemple, sous la forme d' une calotte fortement voûtée ). Mais dans l' ensemble, la perspective que Fuessli avait choisie en 1707 fut conservée tout au long du siècle7.

Sur les lavis originaux à la plume de la carte de la Suisse ( RO OT p. 170 ) de Scheuchzer, le Muttgletscher et le glacier du Rhône apparaissent aussi sous la forme de tas finement dessinés et constitués de formations en demi-sphères que l'on peut reconnaître distinctement entre les pyramides des montagnes. Il s' agit d' une représentation schématique des séracs de la surface.

Sur la carte, on retrouve les deux sources du Rhône indiquées dans le texte, tandis que le fleuve principal, représenté par un double trait, semble jaillir en même temps que le Muttbach d' un portail glaciaire ( cette interprétation est rendue possible par un petit symbole représentant un cercle ou plus précisément une grotte ). On y a représenté en brun rouge les nombreux lacets du chemin qui mène au col de la Furka et franchit le jeune fleuve avant son confluent avec le torrent de la source thermale.

Sur la grande carte de Scheuchzer, la « Nova Helvetiae Tabula Geographica », imprimée pour la première fois en 1712/13 à Zurich, tous ces détails précis ont disparu, comme le Muttgletscher. Il ne reste plus qu' un symbole simplifié représentant le glacier ( une forme bombée et sombre ). On a signalé de la même manière le glacier de Grindelwald et celui de l' Aar. Il s' agit donc là de la première tentative connue avec certitude d' une représentation des glaciers suisses sur une carte générale à une relativement petite échelle ( ZUMBÜHL 1980:23, DURST 1971 ).

Presque en même temps que Scheuchzer, c'est-à-dire en 1706, Samuel Bödmer ( 1652-1724 ), qui s' illustra plus tard par ses travaux de correction de la Kander, a publié dans son Marchbuch Nr. 2 une perspective cavalière de la région du col du Grimsel ( RO 03* p. 171 ). On peut y reconnaître l' Hospice, représenté de façon bien visible, ainsi que le petit lac au pied du Spitel Nollens. Au contraire des autres représentations de montagnes dues à Bödmer ( par exemple Grindelwald ), celle-ci permet difficilement de reconnaître la topographie de l' endroit. Entre la montagne nommée « vorterer Nägelins berg » c' est le Nägelins berg de devant] ou « hoche Horn » ( la forme de cette eminence peut faire penser au Galenstock ) et le « Nägelins berg auf dem gletzer » [sur le glacier] on trouve aussi, dessiné d' une faible couleur bleue, le « grosse gletzer », grand glacier qui est fort probablement celui du Rhône. La fin de la langue n' est pourtant pas visible, car elle est occultée par le sommet qui ressemble au Galenstock, ce qui du point de vue topographique ne peut pratiquement pas être juste. Dans le fond de la vallée, la RO05 W. Pars, probablement le 31 juillet 1770. Glacier et source du Rhône. La calotte de glace, au pied du ressaut rocheux, a fortement fondu et elle finit à source du Rhône est signalée deux fois: « Anfang des Wallisland rodan » ( début du Rhône valaisan ) et « rodan Anfang im gehren » ( début bouillonnant du Rhône ). Le texte explicatif ( BÖDMER 1706, 2: 247 ) commente le dessin à la plume de la façon suivante: « Sur le chemin de la Furka, on trouve aussi la source du Rhône. Il y a là quatre maisons qui sont les toutes dernières sur territoire valaisan. » Ces quatre maisons dessinées sur le plan désignent certainement les logis de Gletsch qui furent plus tard représentés sur d' innombrables illustrations. Comme Bödmer ne signale pas le glacier, on peut supposer qu' il s' achevait assez loin de 173 plus de 1100 mètres des moraines datant de la plus grande extension glaciaire des temps modernes.

Gletsch, dans la partie est du fond de la vallée, et qu' il était moins visible à cause d' un recul dû à sa fonte.

4. Le recul du front du glacier du Rhône dans les années 1760 et sa poussée vers 1770-1777/81 D' après nos connaissances actuelles, il faut compter plus de cinquante ans après Scheuchzer et Bödmer pour retrouver le glacier du Rhône dans des textes ou sur des illustrations. L' extrémité de la langue semble avoir fondu constamment entre 1760 et 1770 ( voir ci-dessous ) pour n' avoir plus recouvert que le terrain à l' est du Gletschboden et du fond de la vallée. Le texte et les illustrations de Grüner ( 1760 et 1778 ), de même que la carte de Walser ( 1768 ), nous réduisent ici à des suppositions. Mais celles-ci se muent en certitudes si l'on considère le dessin colorié à l' aquarelle de Pars ( RO 05* p. 173 ) ou le tableau à l' huile deWuest(RO06*p.176 ).

Dans son Eisgebirge des Schweizerlandes de 1760, Grüner décrit de la façon suivante la partie inférieure du glacier du Rhône, dans le fond de la vallée: « Mais plus bas, près du grand glacier, on trouve une gigantesque masse ronde et lisse dont la forme fait penser à un pain. Elle est haute de plusieurs centaines de pieds et consiste uniquement en glace pure, c' est donc là ce que nous appelons une montagne glaciaire » ( GRÜNER 1760, 1:201 ).

Fait particulièrement intéressant, ce n' est que dans la seconde édition manifestement augmentée de son Eisgebirge publiée en 1778, soit dix-huit ans plus tard, sous le nouveau titre de Reisen durch die merkwürdigsten Gegenden Helvetiens que l' auteur insiste sur les modifications qui avaient affecté l' aspect du glacier depuis la description de Scheuchzer: « A cette époque [donc du temps de Scheuch-zer] le glacier était tout à fait curieux, puisque, outre une chute abrupte surmontée de pyramides, il avait devant lui une montagne, une masse de glace grossière, haute de quelques centaines de pieds, dont la forme ressemblait au sommet d' un chapeau. A l' heure actuelle [donc à l' époque de Grüner] ce glacier si redouté a un aspect tout à fait différent et n' est donc pas plus curieux que des centaines d' autres que j' ai déjà vus. La montagne de glace a totalement fondu et la chute n' est plus constituée de pyramides, mais toute lisse et ressemble à une grande cascade qui coulerait lentement. Elle est striée de crevasses horizontales en haut, verticales en bas » ( GRÜNER 1778,1:232/233 ).

On peut envisager deux hypothèses pour expliquer ces changements d' un texte à l' autre:

a ) Le front du glacier avait fortement reculé de 1760 jusqu' au début des années septante, évolution qui fut observée par Grüner ou ses informateurs. Quant à la montagne de glace toute lisse et complètement fondue dont il est question dans le texte, il s' agirait manifeste- ment de la calotte, située dans le fond de la vallée, qui aurait fortement diminué auparavant. Les représentations de Pars ( RO 05* p. 173 ) et Wüest ( RO 06* p. 176 ) confirment le fait que la langue était peu avancée.

b ) Dans le texte de 1760, on trouve encore essentiellement la situation du glacier, tel qu' il se présentait à l' époque de Scheuchzer. Par la suite, Grüner ou son informateur auraient pu constater les modifications intervenues entre-temps lors d' une visite des lieux, effectuée peut-être à la fin des années soixante ou au début de la décennie suivante. Il est fort regrettable que la vue que GRÜNER ( 1760, 1: 198/199 RO 02.3 ) adjoignit à son texte ne fût pas récente - il souligne expressément ce fait - mais qu' elle ait été dessinée par F. Meyer8 dans les années 1705-1708.

Huit ans après le premier texte de Grüner, soit en 1768, on assista à la publication de la carte du Valais de l' Atlas Rei publicae Helvetiae ( Atlas de l' Etat helvétique ) ( RO 04 ), dessinée par le curé Gabriel Walser9. Outre le « Rhodan Gletscher » on trouve inscrits la « Ober Gletscher Alp » ( dans la région située en direction du Muttgletscher ) et la « Nider Gletscher Alp » ( au sud de la langue ). Il est pensable que le fort recul du glacier ait libéré des terres permettant ainsi d' y mettre paître du bétail.

Rendu célèbre par les dessins qu' il effectua au cours d' une expédition archéologique en Grèce et en Turquie, le Britannique William Pars 1742-1782 a visité le glacier du Rhône lors de son voyage en Suisse, le 31 juillet 1770. A cette occasion, il était accompagné du vicomte H.J. Palmerston. Pars représenta l' im calotte de glace étalée sur le fond de la vallée, à Gletsch, avec, en arrière-plan, le décor du Furkahorn ( au milieu à gauche ) et du Blauberg ( à droite ). Sa vision fait penser à celle que l'on obtiendrait au moyen d' un objectif à l' angle d' ouverture extrêmement large ( RO 05* p. 173 ). « Par sa simplicité, son caractère direct et la froide clarté avec laquelle il représente la glace, la neige et l' étendue des montagnes... » le dessin à la plume aquarelle « est peut-être la feuille la plus belle et la plus originale de la série » ( WlLTON 1979: 21 ).

Dessiné de l' ouest, le glacier a pour éléments dominants de l' image la cascade de glace qui s' était disloquée en un escalier de séracs, ainsi que la calotte étalée sous l' aspect d' une longue courbe dirigée vers la droite, dans le fond de la vallée. L' extrémité de la langue, dont la teinte varie du blanc au bleu-gris clair, est constituée à gauche par un front de glace abrupt et crevassé avec un gigantesque portail partiellement effondré, tandis qu' à droite elle apparaît comme une masse aplanie et même enfoncée dans la terre, ce qui indique qu' elle était totalement déneigée. Il est fort probable, comme on peut le déduire de sa couleur grise, que cette partie de la langue était constituée de glace morte. Pars distingue aussi une zone d' éboulis, proche du glacier, quasiment dépourvue de végétation et coloriée en gris-beige. De même, devant le glacier, il a représenté de puissants blocs de roche dans une teinte variant entre le vert, le jaune et le brun. Ils étaient partiellement recouverts d' herbe et de buissons. De nombreuses indications topographiques, au premier plan, au milieu de l' image et dans le fond, permettent de localiser de façon relativement sûre l' emplacement d' où fut peint le glacier. Pars a travaillé certainement au-dessous de l' endroit abrupt où l' Untersaasbach entre dans la plaine de Gletsch 10. Cela signifie pourtant que, comparativement à ce que nous disent la plupart des descriptions rédigées plus tard, la langue du glacier n' avait alors, dans le fond de la vallée ou sur le Gletschboden, qu' une longueur très réduite, comme on pouvait l' observer dans les années 1875-1881. Par rapport à l' avance maximale du front connue pour l' époque moderne ( cf. carte 2 vallum D ), la langue accusait donc, le 31 juillet 1770, un recul d' environ 1100-1430 mètres.

Compte tenu de la grande précision avec laquelle l' état de la glace est représenté - c' est par exemple le cas de la structure qui s' élève à droite des crevasses du front - on est surpris, au premier regard, par l' absence des moraines que l'on retrouve plus tard minutieusement représentées sur les aquarelles de S. Birmann. Mais l' important recul du glacier nous fournit à nouveau une explication valable, puisque l' emplacement où l' artiste avait travaillé dans ce cas était très éloigné de ces fameuses moraines frontales.

Weber ( 1981: 126 ) suppose, à juste titre, que la représentation précise du front de glace ainsi que le bon choix de l' angle de vue sont dus surtout aux indications du Genevois Horace-Bénédict de Saussure, grand connaisseur des Alpes qui accompagna les deux Anglais dans leur voyage ". Quant aux sapins représentés sur la gauche et la droite du glacier, on ne sait pas s' ils existaient réellement à l' époque ou s' ils ont été rajoutés par l' artiste comme éléments du décor. C. Wolf ( RO 10.3* p. 178 ) et S. Birmann ( RO 36, p. 200 ) ont aussi représenté de tels arbres sur le côté gauche, mais à droite de l' image. Si les sapins de Pars ne sont pas des ajouts décoratifs de l' artiste, leur présence signifie que, depuis bien longtemps déjà, le glacier se terminait fort en arrière, dans le fond de la vallée.

En dépit de la grande qualité de ce dessin à la plume, il faut toutefois mettre quelques limites à son analyse.

Pars a certes reproduit le glacier de façon détaillée et fidèle, mais le choix d' un angle de vue extrêmement ouvert - manifestement une caractéristique constante de ses dessins -peut causer d' importantes déformations et donner d' un paysage une représentation fortement éloignée de la réalité 12. Ce n' est, d' autre part, qu' une fois rentré en Angleterre que Pars coloria à l' aquarelle les esquisses qu' il avait faites sur le site même.

Au cours d' un voyage de douze jours dans les Alpes, effectué en novembre 1772 - c'est-à-dire probablement deux ans après l' aqua très détaillée de Pars - le peintre et graveur paysagiste zuricois Johann Heinrich Wüest ( 1741-1821 ) réalisa sur place une esquisse pour un grand tableau à l' huile de format vertical représentant le glacier du Rhône ( RO 06* p. 176 ). Dans une petite autobiographie manuscrite, WÜEST raconte ( o. J.: 15 30 ): « A cette époque [probablement 1772], le lord anglais Strange me demanda si je voulais bien entreprendre à ses frais un voyage en montagne afin de peindre pour lui le glacier du Rhône et d' autres objets dignes d' inté.

Cette œuvre réalisée pour le naturaliste, archéologue et collectionneur anglais John Strange ( 1732-1799 ) ne peut plus nous être connue que par le truchement d' une seconde version, peinte vraisemblablement en 1772/73 pour le fabricant de soie Salomon Escher, de Zurich, tableau qui se trouve aujourd'hui en possession du musée des Beaux-Arts de cette même ville.

A de nombreux points de vue, c' est là une œuvre hors du commun. L' aspect grandiose du tableau est dû entre autres à la composition librement idéalisée du glacier et du ciel. Le motif principal de l' œuvre, c'est-à-dire la masse de glace blanche aux reflets argentés, fortement éclairée par le soleil matinal, est situé au centre et occupe le tiers inférieur de la toile. Au-dessus de montagnes de granite aux formes arrondies s' élève un ciel bleu clair qui semble tendre vers l' infini. Vestiges d' une nuit humide, des masses de nuages dont la couleur varie d' un blanc lumineux au gris foncé se dissolvent dans l' éther.

L' endroit d' où l' artiste a réalisé son œuvre sort aussi de l' ordinaire. Par la suite, le glacier du Rhône fut peint le plus souvent de front, c'est-à-dire du sud-ouest. Mais Wüest avait choisi pour son tableau un point de vue situé environ 130-150 mètres au-dessus du fond de la vallée, sur le flanc sud-est, dans la région située au-dessous de la Schneetole14. La route du col est indiquée sur la droite de l' image par une entaille dans le terrain, montrant un chemin creux sur lequel marche un porteur. Grâce au choix d' un tel point de vue, le glacier se confond avec l' axe principal de la composition du tableau. Nous le voyons donc du sud-sud-ouest en direction du nord-nord-est, couvrant ainsi du regard les séracs de la cascade qui ressemblent à une mer d' écume. Le lit du fleuve de glace est limité par les Gerstenhorner ( à gauche sur l' horizon ), l' Obersaas ( il s' agit de la bosse de rochers située à gauche au-dessus du ressaut; elle donne à peu près la direction du nord ), les arêtes rocheuses du Sidelenhorn qui descendent sur le glacier et enfin par le grand Furkahorn et son homonyme plus petit ( sommet rocheux à droite du centre de l' image.

Du fait de l' inclinaison assez faible du fond de la vallée, le glacier s' achève par une calotte de glace relativement plate dont la surface est striée de crevasses et de rigoles. A gauche s' étend la fin du glacier, telle une massue aplatie, ce qui indique qu' elle avait fortement fondu. Au sortir du portail, le Rhône est tout juste indiqué par un mélange de vert, de bleu et de blanc. Avec un peu d' imagination on peut voir la caillasse d' une moraine dans la tache brun-gris, située juste devant la langue.

Mais où le glacier du Rhône s' achevait donc en 1772? Ce tableau à l' huile ne permet évidemment pas de localiser topographiquement la fin de la langue avec une exactitude absolue. Mais l' analyse est grandement facilitée par le fait que nous pouvons retrouver logiquement l' emplacement du peintre.

La présence de certains détails nous permet en outre d' affirmer que Wüest a pourtant reproduit fidèlement la topographie générale du glacier et de ses environs, même s' il n' atteint RO07 H. Wüest, novembre 1772 ou au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Le glacier du Rhône, dans une extension réduite, se termine au-dessous du ressaut rocheux.

jamais la précision dont S. Birmann ( RO 36* p. 200 ) fit preuve dans sa propre représentation.

Il est d' autre part impossible d' exclure totalement une représentation déformée de l' ex du glacier et de ses environs. Elle aurait été causée par la soumission de ces éléments à la composition de l' image, du fait de leur situation marginale à l' intérieur du tableau.

La division de la fin de la langue en plusieurs parties diversement aplaties, donc déneigées ( portion gauche de l' image ), semble indiquer que l' étendue du glacier était réduite. Il se peut même que l'on ait de la glace morte au tout premier plan. Dans les années 1879-1883, on avait pu observer très nettement ( MERCANTON 1916, Plan n° 4 RO 92, voir la carte 3 ) une situation analogue, soit deux langues dont l' une, du côté du Saasbach, donne naissance au courant principal du Rhône, tandis que l' autre, avec le Muttbach, partiellement cachée par le premier plan du tableau, est située plus au sud, derrière l' ombrée.

L' endroit où le peintre avait travaillé semble aussi indiquer un recul du glacier d' une importance surprenante. Situé sur le versant gauche de la vallée, cet emplacement semble en effet très avancé en direction du nord-est en comparaison de ceux qu' ont utilisés d' autres artistes.

Si l'on se sert d' éléments topographiques marquants ( vires rocheuses, sommets, dômes et cours d' eau ) qui se retrouvent aussi bien dans le paysage que sur la toile, ainsi que d' azimuts effectués dans le terrain et comparés à ceux pris sur les cartes et les plans, il est possible d' établir de façon assez exacte la situation du front en 1772 ( MERCANTON 1916, Carte nationale au 1:25000 ).

Une comparaison dans le terrain montre que l' extrémité de la langue qui diminuait en direction de l' ouest - c'est-à-dire vers la gauche du tableau - devait correspondre au début à peu près au tracé d' une côte rocheuse pour suivre ensuite celui du Saasbach. Les documents iconographiques qui furent créés plus tard ( plus ou moins bons selon l' état du glacier et l' endroit d' où l' artiste travaillait ) montrent distinctement cette échine qui commence là où le glacier change de direction: du sud au sud-ouest, et où, de surcroît, la cascade se modifie en calotte. On peut donc en déduire qu' en 1772 le glacier s' achevait environ 910-1040 mètres en retrait de la moraine frontale la plus avancée qui nous soit connue dans les temps modernes ( D)16.

Ce n' est que dans les années 1875-1878, soit plus de cent ans après, que l'on retrouve le front du glacier dans ce secteur.

La physionomie du glacier, tel que Wüest l' avait peinte, présente des voussures que nous pouvons analyser comme les premiers indices d' une crue ( même si nous frôlons ici les limites de l' interprétation d' un tel tableau ). Une comparaison avec l' étude de Pars ( RO 05* p. 173 ) permet de confirmer cette lecture. De 1770 à 1772, le glacier a très probablement progressé d' une longueur comprise entre 60 et 290 mètres ( la valeur maximale de 540 mètres est très peu vraisemblable ).

La longueur réduite du glacier peut aussi se constater sur un petit tableau à l' huile signé au dos de la façon suivante: « Peint d' après nature par H. Wüest » ( RO 07* p. 177 ). Au premier regard, on a l' impression d' être en face d' une copie fortement réduite de RO 06* ( p. 176 ) qui aurait été décalée et privée de l' immense voûte du ciel, donc d' une œuvre dont l' effet serait beaucoup moins grandiose. En accordant un peu plus d' attention à ce petit tableau, on constate toutefois d' autres différences importantes. Bien que la composition fasse à nouveau du glacier l' axe principal de l' image, le point de vue de l' artiste a toutefois dû être modifié, puisque le fleuve de glace est vu de front, avec deux portails. C' est probablement un vallum morainique qui est représenté par des blocs de rocher placés juste devant l' ex de la langue fortement déneigée à l' époque, voire constituée de glace morte ( ceci n' est pas visible sur RO 06* p. 176 ).

Sur la droite de l' image, derrière la langue aplatie et déneigée, une sorte de « griffe » de glace annonce peut-être une poussée prochaine du glacier ( comme sur RO 06* p. 176 ). D' autres documents, datant par exemple de 1884(MERCANTON 1916, Plan n°4, RO 92 ), nous confirment le fait que la langue avait deux portails auxquels correspondaient deux torrents, le Saasbach à gauche et le Muttbach à droite. En ce qui concerne le petit tableau de Wûest, les couleurs sont semblables à celles de la version de grand format, comme c' est par exemple le cas pour le ciel bleu clair. Mais la lumière est pourtant différente: éclairés de la gauche, donc de l' ouest, par un soleil déjà bas sur l' horizon, les Gerstenhörner et les rochers d' Obersaas jettent en effet de longues ombres sur le glacier du Rhône.

Pour pouvoir représenter ce spectaculaire fleuve gelé avec des proportions correctes, Wûest a rajouté des personnages sur les deux tableaux. Dans la grande version zuricoise ( RO 06* p. 176 ), il s' est lui-même peint de dos, en train de dessiner au centre d' un groupe de trois personnes dont la taille est en harmonie avec l' échelle du tableau. Les proportions sont encore à peu près respectées pour le groupe de deux personnes et d' un petit chien situé sur le glacier. On peut d' ailleurs se demander si c' est Lord Strange qui est représenté ici, ou bien si le commanditaire ne se trouve pas plutôt au premier plan, à droite de Wûest. En revanche, les deux personnages d' un autre groupe situé à gauche du glacier, au-dessus d' Untersaas, sont certainement trop grands par rapport au reste du tableau. Sur la petite version de Winterthour ( RO 07* p. 177 ), toutes les figures sont peintes dans des proportions beaucoup trop grandes. C' est manifestement le cas des deux personnages en train de discuter sur le glacier. Ce dernier se voit donc fortement réduit pour ressembler à un petit glacier de cirque. Il ne faudrait d' ailleurs pas accorder trop d' attention à cette disproportion des figures dont certaines ont été peut-être rajoutées ultérieurement17.

C' est très certainement la petite version de Wûest ( RO 07* p. 177 ) qui servit de modèle à la gravure ornant la page de titre du guide de voyage de J. G. EBEL paru en 1805 ( deuxième édition ) et intitulé Anleitung auf die nützlichste und genussvollste Art die Schweitz zu besuchen ( RO 08.11/12 ).

Il n' est pas possible de dire avec certitude si le petit tableau ( RO 07* p. 177 ) de Wûest fut aussi peint en 1772 ou s' il date de plus tard, du tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, comme l' aquatinte RO 08.11 que l'on trouve chez Ebel pourrait le faire supposer. Si l'on se base sur les dimensions du glacier, les deux dates sont envisageables, même si notre préférence va pourtant à la première solution ( 1772 ).

MaxFüssli, qui doit avoir dessiné l' aqua de 1805, si l'on en croit la signature, s' est contenté de copier Wûest, plutôt mal que bien. Il a en outre faussé l' éclairage de l' œuvre ( sur l' aquatinte, la lumière du soleil vient de la droite, tandis qu' elle provient de la gauche sur le tableau original ) et il a disposé les personnages d' une manière différente.

« Naturaliste dessinateur » connaissant bien la montagne ( WEBER 1984: 116 ), le minéralogiste français Alexandre-Charles Besson ( 1725-1809 ) parcourut les Alpes de juillet à septembre 1777. Il relata plus tard les découvertes qu' il y avait faites dans un récit de voyage qui ouvrait une nouvelle voie à la géographie de l' époque, le Discours sur l' histoire naturelle de la Suisse. Enrichi de dix-sept vues de grande qualité gravées d' après des dessins faits sur place par l' auteur, ce texte fut inséré dans l' ouvrage monumental publié en 1780 par ZURLAUBEN et De LABORDE sous le titre Tableaux topographiques, pittoresques, physiques, moraux, politiques, littéraires de la Suisse ( 1777-1788)1S. Besson a dessiné le glacier du Rhône de front, d' un emplacement légèrement surélevé ( dans la Meyenwand, là où passe aujourd'hui la route du Grimsel ). Il l' a représenté sous la forme d' une surface de glace blanche et fortement lumineuse, mais bien structurée et parsemée de rochers isolés ( RO 09.1 * p. 179 ). Dans son commentaire, le Discours, Besson décrit de façon détaillée l' aspect du glacier: « Des pics & des pyramides de rochers couronnent & entourent les glacières, d' où découlent les glaces qui forment le glacier, son sommet qui est sur une pente plus rapide, où les glaces se fendent plus aisément, est couvert d' aiguilles & de pyramides de glace; le tout donne l' idée d' un superbe amphithéâtre de marbre blanc, dont le poli réfléchit la plus vive lumière. Le glacier, resserré vers le milieu par les montagnes & les rochers, s' élargit & forme à son pied une grande masse circulaire arrondie & bombée par-dessus; de larges fentes & des crevasses s' y voient de toutes parts; tout-à-fait au pied, sur le côté gauche, d' où il s' écoule le plus d' eau, il se formoit une voûte de glace » ( BESSON 1780:XXVIJ ).

Sur la gravure RO 09.1 ( p. 179)19, on ne peut manquer de remarquer le grand amphithéâtre morainique qui entoure la zone du front et dont les dimensions ont probablement été exagérées pour des raisons didactiques. Mais dans son texte, Besson distingue trois systèmes de vallums et déplore la négligence dont sont victimes ces moraines qui sont pourtant des témoins si instructifs de l' évolu des langues glaciaires20. En fin de compte, Besson traite de l' histoire des moraines situées directement au-dessous du glacier, ce qui n' apparaît pas aussi clairement sur la gravure: « Différentes enceintes très remarquables étoient autour du glacier, elles avoient toutes la même forme circulaire du glacier actuel, & lui étoient parallèles. La plus voisine étoit à 34 toises, la seconde à 42, une à 86 & la plus éloignée à 120 toises; le glacier avoit donc diminué, & s' étoit retiré de tout cet espace; car on ne peut s' empêcher de regarder ces enceintes comme les bornes du glacier, & la marque des différens endroits où il s' est arrêté en rétrogradant » ( BESSON 1780: XXVU ).

Cette description du terrain situé devant le glacier se trouve complétée et, comme nous allons le voir, compliquée, par l' indication de la distance séparant le front de glace de la « véritable [... j source du Rhône », c'est-à-dire de la source thermale: « Environ à trois cents toises en avant & sur le côté du glacier, à gauche au pied du mont Saasberg, en avant du Grimsel, trois sources, à peu de distance les unes des autres, sourdent entre les rochers, se réunissent pour composer un très-petit ruisseau; ce sont les véritables sources du Rhône reconnues & nommées ainsi par les habitans de ce canton » ( BESSON 1780: XXVU ).

Mais où donc, d' après Besson, la langue du glacier s' arrêtait? Si l'on compare les distances qu' il nous donne aux plans de MERCANTON ( 1916, c' est surtout le plan n° 4 qui nous intéresse ) et à nos propres réflexions, nous nous trouvons face à des contradictions et donc devant l' impossibilité de donner une réponse univoque. On ne sait pas non plus si Besson a effectué ses mesures en partant du front ou du côté de la langue. En effet, les quatre vallums morainiques les plus visibles, en forme de fers à cheval, entouraient de façon concentrique l' extrémité du glacier.

Ces données peuvent être interprétées de différentes manières. Dans tous les cas, il est très vraisemblable que le vallum 1 correspond à la moraine « 1602 » de DUFOUR/FOREL ( 1870 ) et MERCANTON ( 1916 ) ( cf. carte 2 C/D, tabelle comparative67 ) et que le vallum 2 soit identique à la moraine F. Il est probable que le glacier n' a plus rejoint ce système d' amphithéâ depuis 1777, ce qui signifie que ces moraines sont plus anciennes et qu' elles n' ont pas été modifiées, si ce n' est par les travaux d' aplanissement causés par la canalisation du Rhône et la construction de cabanes d' alpage. Mais cela veut alors dire que Besson a sous-estimé les distances entre les moraines. On peut très bien le démontrer au moyen des vallums 1 et 2. Besson donne une valeur de 34 toises, soit 66 mètres à peu près, mais la Distance BESSON, 1777 entre les vallums 1-4 et le glacier:

Datation et indie DUFOUR/FOREL 1870. MERCANTON 1916 ation des vallums Hypothèse de l' auteur, 1988 Vallum 1 120 toises* 293,9 m env.

234 m « 1602 » XIVe, fin duXVIe/début du XVIIe vallum C/D Vallum 2 86 toises 167,7 m env.

168 m « 1818 » XVII/XVIIIe, vallum F Vallum 3 42 toises 81,9 m env.

82 m Vallum 4 34 toises 66,3 m env.

66 m ( 1 toise - 1,949 m ) distance effective entre les deux amphithéâtres est en réalité de 130-135 mètres ( environ 120 m sur le flanc gauche de la vallée ).

Le texte et les illustrations de Besson permettent de distinguer trois ( quatre ) situations possibles pour le front du glacier du Rhône:

a ) On part du vallum 2, c'est-à-dire de la moraine F. Le front était donc situé 168 mètres au nord-est de cette formation, ce qui signifierait alors que le glacier s' achevait ( G max ) au plus à 300 mètres ( 285 mètres sur le côté gauche de la vallée ) derrière les maxima C/D. La langue s' arrêtait donc à environ 35 mètres à l' intérieur de la moraine de 1856.

b ) On part de la moraine 3, soit du vallum de 1856 ( G ). Le glacier s' achevait dans ce cas à 82 mètres au nord-est, ce qui nous donne une valeur moyenne de 345 mètres pour la distance du front aux maxima C/D.

Dans ces deux cas, le glacier a des dimensions plus réduites qu' en 1856. Cette avance survenue au milieu du XIXe siècle a malheureusement dépassé les amphithéâtres morainiques 3 et 4 de Besson, de sorte que leur situation ne peut plus être reconstituée avec exactitude.

Une comparaison entre la gravure à l' eau réalisée en 1777 par Besson ( RO 09.1 * p. 179 ) et la photographie prise en 1856 par Martens ( RO 64.1 * p. 220 ), dont le cadrage et l' angle de vue sont identiques, montre que, au milieu du XIXe siècle, la glace cachait la silhouette du Kapellenhügel, ce qui n' était pas le cas en 1777. Sur la gravure, en effet, ce sommet dépasse de beaucoup le glacier à l' endroit où l'on peut voir trois personnages décoratifs. Chez Besson, on peut de même reconnaître la côte rocheuse assez caractéristique qui, à gauche de l' image, se trouve au nord-est de la chute du Saasbach, visible lui aussi. Sur la photographie de Martens, cette échine est cachée par le glacier plus élevé. Il faut se garder toutefois de forcer cette comparaison et son interprétation, car la technique de la gravure RO 09.1* ( p. 179 ) ne permettait pas de représenter toutes les nuances d' un paysage.

c ) On prend la source thermale comme point de référence. Besson estimait qu' elle était éloignée à'«environ 300 toises » du bord de la glace, soit « grosso modo » 585 mètres, ce qui nous donne à peu près 510 mètres de distance minimale entre le front du glacier ( G min ) et les moraines C/D marquant la plus grande avance de la langue depuis le Moyen Age.

La gravure RO 09.1* ( p. 179 ) et le tableau à l' huile de Wolf ( RO 10.3* p. 178 ) contredisent plutôt les données de Besson. Cette version est aussi assez peu sûre pour les raisons suivantes: en partant de la limite de la glace, le vallum 1 serait alors situé à peu près là où l'on trouve aujourd'hui la moraine de 1856. Il en découle que Besson n' aurait pas accordé d' at aux amphithéâtres C/D et F qui étaient pourtant encore visibles dans le terrain, omission qui nous semble pratiquement impossi-ble21.

En se basant sur les données de Besson, on peut donc dire que la langue s' achevait à une distance variant de 300-345 mètres à 510 mètres derrière les moraines C/D qui marquaient la plus grande avance du glacier depuis le Moyen Age.

Les bonnes observations qu' il avait faites permirent à Besson d' établir à juste titre que la poussée du glacier avait déjà commencé en 1777, en dépit de l' opinion contraire de quelques bergers selon laquelle « il y avoit vingt ans que ce glacier diminuoit. Il auroit été encore très intéressant de savoir les raisons de cette diminution, de mettre quelque borne fixe & stable, pour savoir s' il continuoit à diminuer ou plutôt s' il n' est pas actuellement dans son accroissement, comme nous le soupçonnons, d' après ce que nous avons dit. » ( BESSON 1780: xxvu ).

Fait remarquable pour l' époque, mais caractéristique de l' attitude du naturaliste, Besson s' interroge immédiatement sur les raisons d' une telle crue.

Cette avance du glacier, Besson avait aussi pu l' observer sur une moraine latérale, probablement entre le Muttbach et le Belvédère22: « Une autre marême est au pied du mont de la Fourche, sur le côté du glacier. Le glacier tou-choit à son enceinte, lorsque nous l' avons vu, il paroissoit être dans son accroissement, c'est-à-dire qu' il avançoit, & que son énorme masse, appuyant sur le sol, poussoit devant elle la terre & les pierres qui étoient dans son chemin. » ( BESSON 1780: XXVIJ ).

Caspar Wolf ( 1735-1783)23 a, lui aussi, représenté le glacier du Rhône, probablement lors de son dernier voyage dans les Alpes qu' il entreprit durant le mois d' août 1777, en compagnie du naturaliste bernois J.S. Wyttenbach. Créés principalement durant les années 1773-1778, les paysages alpins de Wolf constituent la plus grande série d' œuvres du même artiste suisse consacrées à la montagne durant le XVIIIe siècle. Il s' agit de dessins, d' études à l' huile, de gouaches et de près de deux cents tableaux. Avec ses paysages, précurseurs du romantisme, Wolf a fourni l' une des contributions les plus remarquables à ce domaine de la peinture suisse, et il conservera cette position dominante jusqu' à une époque avancée du XIXe siècle.

Sur l' étude à l' huile qui fut probablement réalisée sur place, le 9 août 1777 ( RO 10.1* p. 178 ), on trouve la calotte du glacier du Rhône représentée de face et colorée d' une teinte variant du blanc au gris-bleu, tandis que les crevasses latérales sont dessinées en gris sombre, peut-être au crayon. Le tout est situé devant le décor du Grand Furkahorn et de son homonyme plus petit qui apparaissent au centre de l' image24. Au premier plan on peut reconnaître distinctement trois vallums, tandis que la moraine latérale sud, située à droite de l' image, est simplement esquissée en gris sombre à cause de l' absence de végétation.

En partant de ses études d' après nature, Wolf a ensuite créé en atelier des compositions artistiques qui, d' après BOERLIN-BRODBECK ( 1980: 50 ) sont de véritables « représentations poétiques d' une nature intensifiée par la subjectivité de l' artiste ». Ces tableaux à l' huile de grand format furent souvent transportés sur les lieux où les esquisses avaient été faites, pour être retouchés devant les paysages représentés. Une telle correction se faisait souvent, une année au moins après le premier passage de l' artiste25. C' est ainsi que la date « 1778 » du tableau représentant le glacier du Rhône est valable pour la réalisation de l' œuvre achevée, mais non pour l' étude faite sur le site. Cette dernière fut probablement peinte un an plus tôt, comme on l' a vu, soit le 9 août 177726, de sorte que le mouvement du glacier peut être déduit d' une comparaison des deux œuvres. Sur le tableau achevé ( RO 10.3* p. 178 ), les impressionnantes masses de glace blanche et bleue s' avancent diagonale-ment d' en haut à gauche, par-dessus le ressaut, vers la droite, en direction de la vallée, tels une griffe menaçante ou un gigantesque coquillage. D' après Wyttenbach ce glacier fantastique forme, « là où il se termine dans le bas vallon 13 une masse d' une grosseur prodigieuse, qui ressemble à un pain rond & applati ( sic !)... » ( WAGNER/WYTTENBACH 1779: 49 n°59 ).

Bien plus que la représentation d' un lieu donné à une certaine époque, le glacier de Wolf devient l' image même de la menace constituée par la glace opposée à toute vie et donc un symbole de la supériorité de la nature sur l' homme ( BOERLIN-BRODBECK 1980: 50 ).

Ce tableau n' est pas seulement l' une des plus belles et des plus impressionnantes représentations du glacier du Rhône, mais aussi l' un des points culminants de l' œuvre de Wolf et même de la peinture alpestre en général.

Malgré une correspondance apparente, une comparaison de l' esquisse à l' huile et de l' œuvre achevée met en évidence des différences manifestes, précisément dans le domaine topographique; c' est ainsi que, sur le tableau final, le glacier semble plus haut, plus clair et en fin de compte plus impressionnant.

La coloration de la glace ( intensivement blanche sur la calotte, elle varie du gris-bleu clair au vert dans la région des crevasses latérales ) a manifestement été idéalisée27, tandis que la topographie est représentée fidèlement, comme c' est par exemple le cas pour le front abrupt du glacier qui se détache nettement de l' environnement brun-vert. Ce mélange d' exactitude et d' idéalisation permet à Wolf de rendre compte clairement de la poussée du glacier que l'on observait à cette époque. L' ambiance lumineuse de l' image n' est pourtant pas due à la clarté de la glace, mais doit être mise au compte de l' éclairage que Wolf avait composé, l' ensoleillement venant directement du sud. L' échelle de l' image est donnée très clairement par la présence de minuscules personnages décoratifs, situés sur le premier vallum morainique de gauche: l' ar s' y est représenté en train de dessiner avec son assistant.

La liste des œuvres de la collection picturale de Wagner, qui est en même temps un catalogue de l' œuvre de Wolf, donne une description du terrain proglaciaire, avec deux ou trois torrents et une succession de trois moraines frontales situées l' une derrière l' autre et dont les arêtes font penser à des dos de baleines: « Le Rhône sort immédiatement du glacier, mais l' endroit & le nombre de ses issues changent toutes les années comme il arrive dans tous les glaciers, l' eau y formant tantôt une seule rivière tantôt plusieurs; en deçà du glacier l'on trouve plusieurs digues de pierres & de débris parallèles à son issue, que les progrès de la glace ont entassé en différens tems, une preuve que ce glacier étoit plus avancé autrefois dans le vallon qu' il ne l' est jourd' hui » ( WAGNER/WYTTENBACH 1779: 49/50 n°59 ).

On peut sans autre avancer que ce texte est dû à la plume de Wyttenbach, cela grâce à des notes de sa propre main, datées du 9 août 1777 qui, pour l' essentiel, disent la même chose28. Au contraire de Besson qui parle aussi d' une « voûte de glace » en été 1777, Wyttenbach constate que le Rhône « avait creusé une belle paroi de glace, mais pas de grotte ». De même, on ne peut pas reconnaître de portail glaciaire sur les tableaux de Wolf, une preuve supplémentaire des variations rapides du front.

Nous arrivons ainsi à la question qui, pour nous, est décisive: quelle était la situation exacte du front du glacier au mois d' août 1777? Il s' agit avant tout de contrôler, si possible par une image, les données écrites dont nous disposons grâce à Besson; vérification que sa propre gravure ne nous permet pratiquement pas de faire avec certitude. Il est d' ailleurs extraordinairement difficile de juger exactement de la situation de la fin du glacier au moyen d' une vue frontale, notamment à cause de la réduction des distances et d' une absence de ressauts importants dans le terrain. Dans le cas qui nous intéresse, deux solutions sont envisageables:

1. Identifier les moraines du premier plan; 2. Retrouver précisément la situation du front du glacier sur la partie gauche de l' image en s' aidant de la côte rocheuse que l'on trouve au nord-est de la chute du Saasbach, une ligne du terrain qui nous a déjà aidés dans l' étude de l' œuvre de Wüest.

Solution 1. L' identification des vallums morainiques chez Wolf est facilitée, en plus du tableau à l' huile, par un dessin au crayon ( RO 10.2 ) dont nous n' avons pas encore parlé. Celuici a probablement été pris au calque et retravaillé ensuite. Les vallums y ont été délimités de façon simplifiée par quelques traits.

- En ce qui concerne la moraine aux blocs relativement gros, représentée au premier plan avec quelques personnages décoratifs, assez sombre, comme si elle était à l' ombre, nous partons de l' idée qu' elle correspond à notre vallum F ou à la moraine 2 de Besson.

Quant au talus suivant, tout aussi imposant, qui se trouve à gauche, entre le glacier et le Rhône, il s' agirait d' un dépôt qui se situerait dans le secteur occupé plus tard par la moraine terminale de 1856, c'est-à-dire que nous aurions ici affaire au vallum 3 de Besson qui était éloigné du front d' environ 82 mètres en 1777. L' avance du glacier survenue au milieu du XIXe siècle l' a donc probablement recouvert totalement ou en partie, tout en l' aplanis par endroits et en repoussant peut-être quelques restes que l'on retrouverait dans la moraine formée en 1856 ( cf. p.213 ). Mais, de par son aspect ( surtout si on le compare à l' état actuel du terrain ), ce talus pourrait aussi être identique à notre moraine F ( le vallum 2 de Besson ), ce qui nous forcerait bien entendu à reconsidérer notre identification des autres éléments du système. C' est ainsi que le vallum du premier plan, sur lequel se trouvent les pe- RO11.2 C. Wolf, probablement en août 1777: le glacier du Rhône: détail de l' il suivante Ron.2 C. Wolf, probablement en août 1777: col du Grimsel, Gärstenhörner tits personnages décoratifs, correspondrait alors à la moraine de 1602 ( C/D ).

- Quant au vallum 4 de Besson ( 1777, à environ 66 mètres de la glace ), c' est peut-être lui que l'on peut identifier sous l' aspect d' une moraine, tout à gauche du dessin au crayon, mais pas sur le tableau à l' huile.

Solution 2. Située au nord-est de la chute du Saasbach, l' échine rocheuse assez marquée se retrouve à gauche de l' image. Sur l' esquisse à l' huile, elle est représentée en gris clair et par quelques traits de crayon, tandis qu' elle prend une couleur brun clair sur le tableau achevé. Une comparaison entre l' œuvre de Wolf et la photographie prise par Martens en 1856 ( RO 64.1* p.220 ) montre que le front du glacier semblait moins avancé en 1777 qu' au milieu du XIXe siècle. Les parties du ro- ( à gauche ), Galenstock ( à droite ) et les méandres cascadants du glacier du Rhône 185 cher situées sur les bords du glacier sont en général visibles chez Wolf, tandis qu' elles sont recouvertes de glace sur la photographie. Les renseignements sur l' histoire du glacier que l'on peut retirer du tableau de Wolf confirment en grande partie les données de Besson. On peut en déduire que, entre 1770 et 1777, le glacier avait progressé d' une distance variant entre 590/750 mètres et 1130 mètres au maximum, soit d' une moyenne d' environ 940 mètres. Cette avance est très surprenante, tout comme la valeur annuelle ( supérieure à 100 mètres ) qui en découle.

Cette poussée est aussi confirmée par une autre œuvre tardive et extrêmement intéressante de Wolf, désignée dans le catalogue de Wagner par la mention « n° 57: Depuis la Grimsel contre le glacier du Rhône » ( RO 11.1/2* p. 185 ).

C' est probablement au cours de son voyage, entrepris en août 1777 avec J. S. Wyt-tenbach29, que Wolf a croqué une étude au crayon et à l' huile très sommaire dont la couleur dominante est le brun-vert. Pour ce faire, il s' était installé dans le cirque situé à l' est du Sidelhorn, entre les lieux-dits Husegg et Crüz-egg. Au point de vue du choix de l' angle de vue, de l' emploi des couleurs et surtout de la composition, le tableau à l' huile ( RO 11.2* p. 185 ) est très nettement supérieur à cette esquisse sobre et essentiellement topographique. Outre quelques personnages décoratifs, parmi lesquels on retrouve le peintre lui-même, le premier plan est constitué par les hauteurs du Grimsel et le Totensee. A gauche, notre regard plonge dans les profondeurs grises et nuageuses du Haslital, tandis qu' à droite on voit le col de la Furka éclairé par le soleil. Le centre de l' image est occupé par les Gerstenhörner enveloppés de brouillard, dont la hauteur semble avoir été fortement exagérée, et par le Galenstock d' où les méandres du glacier du Rhône, représenté en blanc-gris, descendent en cascades, tandis qu' une vire de neige blanche et gris clair descend comme une guirlande du Nägelisgrätli en direction de la gauche.

Au-dessus de cette moitié de panorama caractéristique de la peinture de Wolf, on trouve la gigantesque voûte du ciel, bleue en bas et limitée en hauteur par des nuages gris sombre, un ciel qui rappelle les œuvres de Wüest.

En se servant du groupe Gerstenhörner-(Dammastock)-Galenstock et du collecteur du glacier, Wolf a représenté un énorme massif montagneux s' élançant vers les hauteurs célestes. Caractéristique des toiles tardives de l' artiste30, cette idéalisation de la nature alpestre annonce directement les d' œuvre de la peinture romantique du XIXe siècle, les paysages de Caspar David Fried-rich31.

Même si les nuages gris-blanc complètent la composition de façon idéale, il est probable que Wolf a dû ici s' adapter aux conditions météorologiques du mois d' août 1777. Une partie de la vue est ainsi cachée par les nuages gris clair en train de monter. Cela est déjà bien visible sur l' esquisse, où à l' ouest, c'est-à-dire à RO 14 P. J. de Loutherbourg, probablement en 1787 ( pubi, en 1803 ): le glacier du Rhône en période de recul. Gravure au trait aquarellée, mais peu sûre du point de vue topographique gauche du Nägelisgrat et des Gerstenhörner, des nuages sont représentés au crayon. C' est ainsi que ces obstacles à une vue globale ont permis un certain « flou artistique » et donc directement une idéalisation ou sublimation de la topographie.

Mais pour la question qui nous intéresse, notre attention se portera surtout sur la langue du glacier du Rhône s' écoulant lentement de cette architecture montagneuse. Coloriée chez Wolf de tons lumineux variant du blanc VtX DU au gris, elle s' achève comme une griffe puissante dans le fond de la vallée. Le front est abrupt et traversé de deux grandes crevasses latérales rendues en gris clair. Directement sous le glacier, dans un terrain beige-gris et pauvre en végétation, Wolf a, semble-t-il, représenté le début du Rhône ondulant pour apparaître sous la forme d' un S gris-blanc. Comme le chemin de la Furka est clairement visible en brun sombre sur des pentes d' un vert assez terne, on peut évaluer la distance qui le sépare du front de la glace.

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Le glacier du Rhône a certainement effectué une poussée depuis 1770/72, mais cette œuvre à l' huile ne nous permet pas de savoir sur quelle distance il avait avancé. Bien que Wolf ait reproduit le paysage avec une fidélité certaine, le front sud du glacier, sous la Schneetole, est probablement trop ondulé. Cela est particulièrement évident si l'on compare ce tableau avec l' étude faite d' après nature.

R0 18 H. C. Escher de la Linth, 16 août 1794: le glacier du Rhône en période de recul, vu du Sidelhorn. Le Galenstock domine l' ho Caspar Wyss ( 1762-1798 ), l' assistant de Wolf, publia plus tard cette vue prise des hauteurs du Grimsel sous la forme d' une gravure au trait aquarellée, signée de son nom et intitulée « Todtensee, sur le Mont Grimsel, contre le glacier du Rhône auprès du Mont de la Fourche dans le Valais » ( RO 11.3 ). C' est aussi à C. Wyss que nous devons un petit médaillon destiné à orner un couvercle de boîte32, le « Glacier du Rhône sur la Furka », RO 19. La langue, fortement teinte en gris, blanc et bleu sur un fond couleur souris, est pourvue d' un portail glaciaire. Elle est probablement représentée à l' envers, comme dans un miroir, car ce n' est qu' en l' imaginant dans l' autre sens que l'on peut voir qu' il s' agit du glacier du Rhône. Il est probable que Wyss se soit servi de nouveau d' esquisses et d' œuvres de C. Wolf, tout en y ajoutant des sapins en guise de décor. C' est là l' une des principales causes de l' inuti de cette petite gouache pour établir l' his du glacier. Elle reste, en revanche, un exemple intéressant de la « production artistique » de l' époque33.

A la fin d' octobre 1779 et au début du mois de novembre, Johann Wolfgang Goethe partit de Genève pour remonter le Valais jusqu' à Realp, en passant par la Furka. Nous pouvons contempler le tableau de C. Wolf ( RO 10.3* p. 178 ) tout en lisant la description du glacier du Rhône, déjà enneigé en partie à cette saison, qu' il nous donne dans une lettre destinée à Charlotte von Stein et écrite au soir du RO23 H. C. Escher de la Linth, 12 août 1806: panorama du Sidelhorn avec un glacier aux dimensions plus réduites ( détail ) 12 novembre 1779: « Nos guides se faufilaient avec une grande facilité entre les rochers que contourne le chemin, en dépit de la neige qui avait tout recouvert. Le sentier traversait ensuite une forêt de sapins, tandis qu' au de nous le Rhône coulait au fond d' une vallée étroite et stérile. Après un petit moment, nous dûmes aussi y descendre; nous franchîmes ensuite une petite passerelle et vîmes alors le glacier du Rhône, droit devant nous. C' est le plus énorme que nous ayons jamais vu en entier. Il occupe toute la largeur d' un grand col pour descendre ensuite sans interruption jusqu' à l' endroit de la vallée où le Rhône en sort. C' est ici que le glacier aurait perdu de sa longueur durant plusieurs années, d' après ce que racontent les gens du pays; mais cela est négligeable en regard de sa masse qui reste gigantesque. Bien que la neige recouvrît tout, on pouvait bien voir les abrupts récifs de glace que le vent ne laisse pas enneiger facilement et leurs crevasses bleu vitriol. De même, on pouvait distinctement repérer l' endroit où le glacier s' arrête et où commence le rocher couvert de neige. Nous nous avançâmes très près du glacier qui était sur notre gauche»34.

Tout comme Besson, Goethe cite les habitants de la vallée qui racontaient que le glacier avait fondu. Toutefois nous avons déjà vu qu' il fallait considérer les déclarations des autochtones avec prudence. Les « abrupts récifs de glace » et « leurs crevasses bleu vitriol » font plutôt penser à un front très raide et semblent donc indiquer que le glacier était dans une phase de crue.

Il semble que le glacier ait toujours été en train de progresser lorsque G. K. Storr se rendit sur les lieux en 178135, au cours de son voyage dans les Alpes. Il relate en effet que le glacier du Rhône avançait avec une telle puissance, « qu' il avait créé devant lui une colline que l'on appelle la montagne du glacier » ( STORR 1786, 2: 34 ). Il s' agit en fait certainement d' une jeune moraine en train d' être formée par la crue. La description du terrain situé sous le front, semblable à celle de Besson ( 1777 ), mais moins exacte, indique de nouveau que le glacier était en train de progresser. « Les digues créées par le glacier et qui se trouvent à quelque distance de son front prouvent qu' il était plus avancé dans les temps anciens, de même que la trace d' un remblai qu' il a franchi montre en revanche qu' il fut plus limité à une certaine époque » ( ibidem ), il est possible que Storr parle ici du vallum 4 de Besson. Cela signifierait que le glacier a progressé d' au moins 66 mètres ( d' après Besson, la distance de ce vallum 4 au front !) de 1777 à 1781, soit en quatre ans, ce qui est tout à fait réaliste. La fin de la crue qui eut lieu de 1770 à 1781 ne peut être fixée avec certitude ni dans le temps, ni sur le terrain. Comme nous n' avions pu restituer la situation du glacier en 1770 ( W. Pars, RO 05* p. 173 ) qu' avec une imprécision assez large de 330 mètres, les différentes longueurs possibles de l' avance sont très éloignées les unes des autres.

Si l'on prend 1770 comme année de départ, on obtient jusqu' à 1781 une poussée minimale de 660-820 mètres et une valeur maximale très 15 Vue actuelle du Sidelhorn ( 9 septembre 1973 ). Comparativement à 1806, le glacier a reculé de 1750 mètres environ.

RO28 E. Müller: le relief des Alpes suisses ( échelle 1:38000 environ ), réalisé de 1812 à 1819, mais d' après des études plus anciennes. La calotte glaciaire du Gletschboden a fortement diminué.

peu plausible de 1200 mètres. Quoi qu' il en soit, nous avons ici une avance très étonnante pour une période de onze ans.

Nous ne pouvons toutefois pratiquement pas parler de « surge»36. En effet, il est probable qu' en ( 1777—)1781 le front du glacier se trouvait dans le secteur qu' il occupera en 1856 ou alors un petit peu en retrait. On ne peut certes pas exclure totalement l' hypothèse selon laquelle la masse de glace aurait franchi cette limite et même créé le vallum F, mais cela semble plutôt invraisemblable d' après les illustrations que nous avons utilisées comme sources.

5. Le recul du glacier du Rhône de 1782à1810Deux ans après Storr, c'est-à-dire en 1783, le célèbre spécialiste des Alpes qu' était le Genevois Horace-Bénédict de Saussure ( 1740-1799 ) visita le glacier du Rhône pour la troisième fois après ses passages de 1770 et de 1779. Ses Voyages dans les Alpes parlent en détail des sources thermales du fleuve et mentionnent fréquemment les deux « arches », c'est-à-dire les portails du glacier dont de Saussure dit notamment qu' il est « sinon le plus grand, du moins l' un des plus beaux de nos Alpes » ( De Saussure 1796,3:481, 1718 ). A la fin de l' ouvrage, l' auteur attire l' attention des lecteurs sur la description du terrain situé sous le front et qu' avait faite Besson ( de Saussure ne parle en revanche que de trois vallums, et non de quatre comme l' avait fait son prédécesseur ) et répète l' information, répandue par les habitants de la vallée, selon laquelle le glacier avait reculé durant plus de vingt ans. De Saussure a malheureusement négligé de nous donner lui-même des renseignements sur les différents états du glacier lors de ses trois passages. Il est en effet très peu probable que le front ait eu la même situation en 1770 et en 1783. D' autre part, le glacier était certainement en train de progresser en 1779. Cela dit, de Saussure remarqua avec raison « que s' il y a des endroits où les glaciers s' avancent, il y en a d' autres où ils rétrogradent » ( DE SAUSSURE 1796,3:486, 1722 ). Ce texte ne nous permet toutefois pas de savoir quand le recul du glacier a débuté.

La petite gravure ( RO 13.1 ) de Marc-Théo-dore Bourrit ( 1739-1813 ) fut publiée à Genève en 1783, dans un ouvrage intitulé Nouvelle Description des Vallées de Glace et des hautes montagnes qui forment la chaîne des Alpes pennines & rhétiennes, et fut exécutée d' un point de vue un peu surélevé, situé à l' ouest ( peut-être le Kapellenhügel ?). Cette planche, d' ailleurs très peu détaillée, nous présente une langue glaciaire qui nous donne l' impression d' être aplatie. Malgré la précision toute relative de ce document, sa partie gauche est intéressante. Elle montre le Saasbach qui coule après sa cascade dans le fond de la vallée et longe de près le côté nord-ouest de la langue. On a donc ici la preuve que le glacier avait, à cette époque, une extension relativement réduite. Cette situation se retrouva au cours des années 1870 ( cf. MERCANTON 1916: Plan n° 3/4, RO 91/92 ).

Cela signifierait alors que le front de la glace était distant d' environ 875 mètres des moraines C/D qui marquent l' extension maximale du glacier depuis le Moyen Age. En regard des autres sources dont nous disposons, cette valeur semble exagérée. En fait, c' est la gravure même qui est trop imprécise pour nous permettre d' articuler des chiffres certains. Dans son ouvrage, Bourrit se contente malheureusement de donner une description verbeuse des beautés et des couleurs du glacier qu' il vit du côté gauche, c'est-à-dire à l' opposé du chemin de la Furka, « en marchant [devant le front] sur d' immenses débris, parmi lesquels nous nous perdîmes » ( BOURRIT 1783, 2:7 ). « La vallée qu' il falloit traverser pour arriver au pied des glaces contraste bien avec elles. C' est un pâturage que le Rhône partage; sa longueur est de trois quarts de lieue: on voit à cette distance le fleuve sortir de deux bouches de glace » ( BOURRIT 1783, 2: 6/7 ).

Il est fort regrettable que Bourrit ne nous ait pas indiqué l' endroit d' où il mesura une distance d' environ 1200 mètres jusqu' au front du glacier qui, semble-t-il, avait à l' époque deux portails. Quoi qu' il en soit, cette valeur indique de nouveau que le glacier était peu avancé. Il semble qu' il était encore en crue lors du passage de Bourrit37.

Malheureusement la description que cet auteur nous fait du terrain situé sous le glacier souffre d' un manque de renseignements détaillés sur les moraines et sur la situation du front.

Né à Strasbourg et destiné à devenir en Angleterre un important décorateur de théâtre et peintre paysagiste, Philippe-Jacques de Loutherbourg ( 1740-1812)3S effectua dans les années 1787/8839 son « grand tour » à travers la Suisse et les Alpes, voyage au cours duquel il visita Chamonix ( Mer de Glace ), Grindelwald et enfin le glacier du Rhône, peut-être en compagnie du peintre Johann Weber.

Sa gravure au trait aquarellée de grand format ( RO 14* p. 187 ) représente les traits principaux du glacier du Rhône avec des teintes que l'on a qualifiées de « vivantes » ( EBEL 1809, 1: 157 ). L' œuvre, typique du tournant du siècle, ne fut toutefois publiée qu' en 1803, à Bâle40. Cette feuille - très rare - est l' une des plus séduisantes représentations gravées du glacier du Rhône. Nous y voyons le front colorié en gris-bleu sombre et strié de nombreuses crevasses. Il est encore partiellement pris dans l' ombre que tolère une lumière matinale et paraît plus simple que ne l' est une représentation stylisée pour des raisons artistiques. Les pentes qui limitent le fleuve de glace semblent trop abruptes des deux côtés, mais particulièrement sur la droite, là où elles sont rocheuses ( peut-être s' agit en fait des rochers qui bordent le Thürmbach à droite [à l' est et à gauche [ouest] ). On a ainsi l' impres que la glace doit franchir un goulet à cet endroit.

Compte tenu des possibilités de comparaison dont Loutherbourg disposait en Angleterre, il n' est pas étonnant qu' il ait dessiné des pentes trop raides et qu' il ait vu des montagnes suisses plus étroites et plus abruptes qu' elles ne le sont réellement. Quant aux gigantesques rochers du premier plan, qui s' étendent comme une chaîne de gauche à droite et semblent partiellement recouverts de neige ou de glace, on peut, avec beaucoup de bonne volonté et un peu d' imagination, les interpréter comme une moraine frontale ( il semble qu' il y en ait eu plusieurs à cette époque ). On ne peut pas dire avec certitude si les rochers situés tout à gauche du premier plan, et contre lesquels le dessinateur s' appuie, ap- partiennent à la réalité ( par exemple s' ils correspondent au Kapellenhügel ) ou bien s' ils ont été représentés pour des raisons purement décoratives. Il est d' autre part extraordinairement difficile de retrouver de façon satisfaisante les limites exactes du glacier en se servant d' une œuvre dont la topographie est aussi imprécise et dont la perspective est de surcroît frontale. Deux éléments permettent toutefois d' affirmer que la langue n' était pas trop avancée en 1787. Il s' agit tout d' abord de la grande moraine latérale beige clair, que l'on voit luire entre l' Untersaas et la glace, et aussi des régions rocheuses coloriées en gris et en brun clair qui affleurent dans le ressaut du glacier ( à vrai dire, leur présence à cet endroit est pratiquement inexplicable ). Des raisons d' ordre artistique font toutefois que la plus grande prudence est de mise dans l' interpré topographique d' un tel document: on se gardera d' aller trop loin dans l' analyse, surtout si on lit ce que JOPPIEN ( 1973 ) écrivit: « Durant une vingtaine d' années Loutherbourg continua à peindre de façon irrégulière des tableaux [...] représentant des paysages suisses. L' authenticité topographique dont il avait fait preuve dans ses œuvres de jeunesse devait fatalement commencer à s' estomper pour ouvrir la voie à une représentation plus stylisée du décor ». Avec le « Glacier du Rhône » ( RO 14* p. 187 ) nous avons précisément affaire à une œuvre tardive, puisque la gravure ne fut publiée qu' en 1803, soit seize ans après le voyage en Suisse de l' artiste. La transformation d' un dessin ou d' un tableau à l' huile en gravure au trait aquarellée a aussi pu donner lieu à des simplifications ( et, pour nous, même parfois à des falsifications ). On peut donc se demander à juste titre si l' aspect massif et abrupt du front permet vraiment de déduire une crue du glacier, alors que les documents écrits contredisent nettement une telle interprétation.

Un an après P.J. de Loutherbourg, c' est au tour de Christoph Meiners, « maître ordinaire de sciences à Göttingen », de visiter le terrain situé sous le glacier au cours de son deuxième voyage en Suisse, probablement le 10 août 1788. La description qu' il en donne dans ses Lettres sur la Suisse ( deux éditions, en 1788/1790 ) témoigne non seulement de son excellent don d' observation, mais permet aussi d' affirmer qu' il connaissait les principaux « spécialistes des Alpes » qu' étaient alors J. S. Wyttenbach et A. Höpfner ( MEINERS 1790, 3: 302 ) ainsi que les écrits de Grüner et de Besson, bref: qu' il était au courant de la littérature glaciologique de l' époque de la Furka, soit du côté est, le glacier du Rhône a dû l' impressionner très fortement:

« Je crois bien volontiers que le glacier du Rhône est le plus beau de toute l' Helvétie, comme l' affirment unanimement tous les grands connaisseurs de la Suisse. En tous cas, il surpasse tous ceux que j' ai déjà vus jusqu' à présent, et ce non seulement par sa hauteur, sa largeur ou la splendeur de ses diverses parties, mais aussi parce qu' il se laisse voir facilement en entier et qu' on peut en faire l' ascen aussi aisément que celle d' un autre glacier. Il remplit tout l' espace compris entre la Furka et un flanc du Grimsel et, au fur et à mesure qu' il descend, il s' étend toujours plus, comme le plan incliné auquel il est accroché, pour devenir si large, qu' il faut longer son pied durant presque une heure avant d' arriver au Rhône et à l' endroit où l'on peut quitter l' étroit sentier qui longe la montagne pour descendre et contempler le glacier de près » ( MEINERS 1790,3:289/290 ).

La description de Meiners permet de compléter et de préciser la gravure au trait de P.J. de Loutherbourg:

« Le glacier du Rhône ne s' achève pas comme tant d' autres par d' inaccessibles pyramides silencieuses. La sortie où débouche le fleuve mise à part, il est au contraire possible d' y accéder sur tout son front et de s' y avancer très loin, même s' il découpé dans tous les sens en plaques de dimensions variables. [...J La grotte glaciaire la plus avancée, d' où sort le premier bras du Rhône, s' était effondrée peu avant mon passage, peut-être quelques heures plus tôt seulement. En effet, les décombres étaient encore pratiquement intacts dans le lit du fleuve et une nouvelle voûte n' avait pas encore commencé à se former. La deuxième grande grotte, d' où sort l' autre bras, se dressait en revanche dans toute sa splendeur. Sa hauteur atteignait au bas mot trente pieds, et les plaques de glace bleu ciel qui formaient cette voûte aussi large que haute avaient une épaisseur d' au moins quarante pieds, si ce n' est plus. Au fond de ce portail bleu saphir, le plafond semblait reposer sur d' énormes piliers de glace. En fait, il ne s' agissait sans doute que de morceaux détachés et entassés jusqu' à la voûte. Bien plus pittoresques étaient encore les masses de glace aux formes variées qui se trouvaient devant l' entrée de cette grotte féerique. On aurait dit des colonnes brisées ou des pyramides sans sommet, et elles ressemblaient aux vestiges d' un temple ou d' un palais en ruine » ( MEINERS 3: 296/297 ).

Meiners se tourne ensuite avec la plus grande curiosité vers la marge proglaciaire qu' il qualifie de « terrain de jeu » du glacier. Il parle enfin de l' avance de la glace et des moraines tout en reconnaissant que quelques phénomènes restent pour lui mystérieux, ce que l'on peut aussi déduire de certaines de ses expressions:

« Si au cours d' un hiver long et rigoureux les glaciers avancent, les masses de glaces situées à leur fin poussent alors devant elles tous les morceaux de rocher, pierres et tas de sable qu' elles avaient déposés sur le terrain durant les années précédentes et forment ainsi d' importants talus d' éboulis. Devant des glaciers qui, comme celui du Rhône, ne rencontrent pas d' obstacles insurmontables à leur avance naturelle, ces talus forment un demi-cercle. Devant le glacier du Rhône, on peut distinguer trois ou quatre de ces digues en demi-lune qu' en Savoie on appelle aussi marêmes ou enceintes. Celui de ces talus qui est situé le plus loin de la limite actuelle de la glace s' approche de la montagne que la nature a placée en face de la langue. Je dus marcher un bon quart d' heure pour couvrir la distance qui, partant des premiers débris déposés par le glacier à l' époque de sa plus grande longueur, s' étend jusqu' aux ouvertures d' où débouche le Rhône. La pluie et la neige ont emporté la plus grande partie du gravier ou du sable qui se trouvait sur les anciens tas d' éboulis. Le dernier et le plus haut des vallums qui ne s' élevait qu' à quelques pas de la limite actuelle du glacier était encore recouvert de tant de sable grossier et humide ou de gravier que, partout où j' ai essayé de grimper, j' enfonçais plus profondément que la hauteur de mes chaussures » ( MEINERS 1790, 3: 292/293 ).

Presque comme Besson l' avait fait en 1777, Meiners distingue en 1788 trois ou quatre « digues en forme de demi-cercles », ou moraines, dans la marge proglaciaire. Quant au vallum le plus éloigné qui « s' approche de la montagne » ( Meiners pense certainement aux environs immédiats du Kapellenhügel ), il s' agit très vraisemblablement de la moraine C/D. Le 10 août 1788, les « ouvertures d' où débouche le Rhône », soit les deux portails glaciaires, se trouvaient à « un bon quart d' heure » de marche des éboulis les plus éloignés, donc des moraines C/D qui marquent l' avance maximale du glacier depuis le Moyen Age. Mais que signifie donc « un bon quart d' heure »?

a ) Meiners ( 1790, 3: 290 ) nous indique la longueur du terrain précédant le glacier, soit la distance séparant son point de vue sur le chemin de la Furka du fond de la vallée près de RO 30.2 M. de Meuron, 1816 ( pubi. 1829 ): le front du glacier du Rhône en progression Gletsch, en nous disant qu' il lui a fallu « presque une heure » pour la parcourir. Sur le terrain, cette distance est d' environ 2,0-2,2 km, ce qui nous donne donc 500-550 mètres pour un quart d' heure ( et comme celui-ci est qualifié de « bon », on retiendra plutôt la seconde valeur ). D' après ces renseignements, le glacier du Rhône aurait donc reculé d' au moins 15-40 et d' au plus 250-275 mètres par rapport à sa situation de 1777 ( Besson ). Mais l' affir de Meiners selon laquelle « Le dernier et le plus haut des vallums [encore assez ré-cent] [...] ne s' élevait qu' à quelques pas de la limite actuelle du glacier » est beaucoup plus intéressante. Il ne peut guère s' agir ici de la moraine de printemps que l'on voit se former chaque année, mais bien plutôt d' un vallum plus grand qui aurait été créé lors de la dernière crue, en 1777 ou au cours des années qui suivirent ( on ne peut pas dire exactement quand ). Même interprétées très grossièrement, les données de 1788 selon lesquelles le front du glacier aurait été éloigné de 550±25 mètres des moraines C/D correspondent tout à fait aux valeurs minimales de l' avance de 1777. D' après ces renseignements, le front aurait donc été situé en 1788 15-40 mètres environ derrière le vallum le plus récent et le plus proche de la glace, tandis que Meiners n' a mesuré ici que quelques pas, soit moins de 15 mètres ( le pas valait à l' époque 73,3 cm ).

b ) La langue nous semble avoir nettement plus reculé si nous partons de l' idée que le « quart d' heure » qui séparait le front du glacier des moraines les plus éloignées correspond à peu près à la distance que l'on peut faire en marchant à une vitesse normale ( 5 km/h ), soit 1000-1250 mètres. Mais, même si elle a été dessinée en 1787, soit un an auparavant, la vue du glacier de J. P. de Loutherbourg nous invite plutôt à rejeter cette valeur. On peut dire la même chose d' une comparaison avec les données de Besson ( 1777 ). Toutefois, on RO34.1 H. Triner, 1822: la forme très arrondie du glacier, quatre ans après la première grande extension du XIXe siècle ne peut pas exclure avec certitude la distance de 1-1,25 kilomètres.

Meiners effectua ensuite l' ascension du haut vallum morainique qui était le plus proche du front pour tomber sur de la glace morte41. En fin de compte, il répète sans le moindre esprit critique l' affirmation que l'on RO32 Lardy, 1817 ( pubi, en 1841 ): le glacier du Rhône en crue. Représentation topographique peu sûre Sî ». « lACIM J » »MMiE ds.™ ji 1817 par trouve déjà chez Besson et selon laquelle le glacier aurait reculé sans arrêt durant une vingtaine d' années. Il est certain qu' en 1788 le glacier était dans une période de retrait et que ce mouvement était accentué par « la chaleur extraordinaire » qui régna cette année-là. Mais un tel recul avait justement commencé 5 ou 6 ans auparavant, et non pas deux décen-nies!42 Dû à Ludwig Hess ( 1760-1800 ), un dessin à la craie et au charbon colorié de gouache et d' aquarelle ( RO 15.1 ) nous présente en blanc-gris et brun la calotte du glacier du Rhône qui s' étale doucement comme une massue aplatie, telle qu' on la voyait du sud de la vallée. Les hypothèses suscitées par cette physionomie du front sont confirmées par la cascade de glace représentée dans une perspective frontale et pratiquement dans l' axe central de l' image, juste devant le Sidelhorn qui se dresse à l' horizon, ainsi que par le ravin du Saasbach, sur la partie gauche de l' œuvre -un élément très utile à l' orientation topographique. La langue s' achève dans le Gletschboden et elle a fortement fondu. La datation de cet état du glacier peut se faire d' une part grâce à une petite gravure RO 15.2, intitulée « Ursprung dess Rhodan aus dem Gletscher der Furca » et signée « L. Hess del ». Probablement gravée sur le modèle de RO 15.1, cette illustration parut en 1791 dans le Calendrier helvétique. On peut d' autre part utiliser une gouache RO 16 de Johann Heinrich Bleuler ( 1758-1823 ), probablement une copie de l' une des deux représentations de Hess ( RO 15.1 ou RO 15.2 ). Cette œuvre de grand format, dans laquelle domine le brun-gris, ressemble beaucoup au dessin de Hess et est datée de 1790 ( dans le groupe de pierres du milieu du tableau ). Deux raisons permettent d' affirmer qu' il s' agit ici d' une copie: à l' arrière, près des ressauts rocheux situés à gauche, dans la région de l' Untersaas et de l' Obersaas, la topographie est fortement simplifiée, pour ne pas dire grossièrement falsifiée, par rapport au dessin de Hess et surtout par rapport à la nature même. D' autre part il est notoire que, durant les années 1780, les Bleuler copièrent des œuvres d' autres artistes, tels que C. Wolf ou C. Wyss43.

Mais c' est surtout le dessin de L. Hess ( RO 15.1 ), probablement exécuté à la fin des années 1780, qui nous fournit des renseignements intéressants et sûrs. Il confirme les affirmations de Christoph Meiners ( 10 août 1788 ) sur le recul permanent du glacier.

Les dimensions réduites du glacier du Rhône sont encore corroborées par une maquette ( RO 17.1/2 ) de la région du Gothard réalisée en 1791 par Charles-François Exchaquet ( 1746-1792 ). C' est là certainement « le plus ancien relief de la région que traverse ce col fameux » ( IMHOF 1981: 117 ). Le coin nord-est de l' extrémité de notre glacier y est représenté et ne semble recouvrir le fond de la vallée que sur une petite surface. Malheureusement, comme le constate Imhof, la qualité de ce travail est très variable: « En plus d' un endroit, surtout dans la région Airolo-Col du Saint-Go-thard-Andermatt, tout est excellemment rendu. Ailleurs, quelques endroits périphériques laissent beaucoup à désirer », ( les ALPES 1981, 3: 117 ). Or comme le glacier du Rhône est justement au bord du relief, on ne peut discuter la situation du front sur ce document qu' avec la plus grande prudence.

Le 16 août 1794, l' ingénieur et naturaliste zuricois Hans Conrad Escher de la Linth ( 1767-1823 ) a dessiné le « Rodan Gletscher » ( RO 18* p. 188 ) vu de la Scheideck du Grimsel. Cette aquarelle donne une vision fidèle de l' ar ( avec le Galenstock et les Furkahörner ) et du milieu du terrain ( avec une représentation détaillée des séracs du ressaut, de la moraine latérale, des rochers près de l' Un et du linéament rocheux situé sous Bellevue ). On ne peut malheureusement pas en dire autant de la langue du glacier, qui est traitée de façon plutôt sommaire. Toujours est-il qu' elle a été dessinée sur feuille collée à l' image et que l' artiste ne l' a pas laissée hors du cadre, comme cela était le cas sur une représentation du glacier de Grindelwald datant aussi de 1794 ( et 1797)44. Dans le cadre de notre étude, il est plutôt navrant qu' Escher ait justement représenté de façon imprécise les détails du premier plan45. Malgré tout, on peut comparer l' extrémité de la langue coloriée en brun-gris et apparemment très aplatie avec celle que nous présentait le tableau de C. Wolf ( RO 11.2* p. 185, la Kreuzegg et le Grimsel ), pour affirmer qu' elle avait reculé à l' époque d' Escher. Certes, le glacier s' achève toujours dans le fond de la vallée, mais probablement seulement un peu à l' ouest du ressaut. Cet important recul durant les années 1780/1790 a aussi été observé très distinctement sur le glacier inférieur de Grindelwald ( cf. ZUMBÜHL 1980: 36-39, fig. 1 ). Escher confirme lui-même cette interprétation dans ses notes manuscrites intitulées Fragmente über die Naturgeschichte Helvetiens... Le 16 août 1794, il écrit notamment: « Ce puissant glacier recule fortement depuis quelques années, tandis que plusieurs moraines ou enceintes parallèles les unes aux autres ( ce sont des talus créés par l' entassement des débris que le glacier a poussés devant lui ) s' étendent devant son front et témoignent ainsi clairement des retraites successives de la langue; c' est ainsi que la belle voûte de glace d' où sortait le fleuve s' est effondrée, il y a quelque temps. Mais malgré ce recul, nous avons encore affaire à l' un des plus beaux glaciers que l'on puisse trouver et visiter agréablement au fond d' une vallée » ( Escher de la Linth 1791/1794, 1:78 192 ).

Malheureusement, on dispose de très peu de documents fiables sur l' histoire du glacier du Rhône à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Cette insuffisance de témoignages est due pour une grande part au fait que l' an Confédération avait aussi été entraînée dans le tourbillon des luttes politiques et des guerres qui sévissaient alors en Europe.

Contrairement à la plupart des visiteurs de l' endroit, le philosophe Georg Friedrich Hegel a montré très peu d' enthousiasme pour le glacier du Rhône qu' il vit au cours de son voyage dans les Alpes. Le 30 juillet 1796, il écrivait, par exemple, dans son journal que « la vue des alentours de Gletsch dépasse en désolation et en tristesse tout ce que nous avons vu jusqu' à présent»^. Les glaciers le déçurent tout autant: « Nous [les] avons vus aujourd' hui à une distance de seulement une demi-heure de marche. Leur aspect n' offre rien d' intéres. On peut tout juste dire qu' il y a là une nouvelle manière de voir, mais qu' elle n' offre rien de particulier à l' esprit, si ce n' est d' être surpris d' être si près de masses de glace, alors que la chaleur estivale est au plus fort et de voir que, à une altitude où elle fait pourtant mûrir des cerises, du blé ou des noix, cette chaleur ne peut que produire une fonte insignifiante de la glace. En bas, cette dernière est très sale, voire parfois recouverte entièrement de détritus. Si l'on a déjà vu une route de montagne, large et bien sale, sur laquelle la neige a commencé à fondre, on pourra se faire une idée approximative de l' aspect qu' offre au loin le bas du glacier et reconnaître qu' un tel spectacle n' a ni charme ni grandeur » ( Hegel chez Rosenkranz, cité par WYSS 1985:196 ).

Il est clair qu' un glacier en train de fondre semble moins séduisant que lors d' une crue, mais la déception de Hegel a en fait des raisons plus profondes. Pour lui, la nature sauvage n' était pas la source de pensées esthétiques. Il lui était donc tout aussi inconcevable qu' un glacier puisse susciter un noble sentiment de liberté individuelle.

Dans le guide de voyage de J. G. Ebel, qui a visité la région probablement dans les premières années du XIXe siècle, on trouve une opinion bien différente des affirmations de Hegel. Le « glacier du Rhône ou de la Furka » y est présenté comme « l' un des plus beaux des Alpes suisses » ( Ebel 1809, 2: 570 ). C' est donc délibérément qu' Ebel choisit pour sa page de titre une aquatinte représentant ce même glacier ( RO 08.11/12 ). Or, nous avons vu ( cf. p. 180 ) qu' il s' agissait pourtant d' une copie d' un tableau de Wüest certainement plus ancien. Ebel ( 1809, 2: 571 ) nous dit aussi qu'« autrefois le glacier du Rhône descendait 240 pas plus bas dans la vallée ( soit 175,95 ou en gros 176 mètres, puisque le pas valait 0,73319 mètre ) comme nous l' indiquent très clairement les collines de pierraille c' est les moraines] ». Ces indications s' appli probablement à la situation de la langue dans les années 1777/1781 et certainement pas à celle de 1790-1800. Quant à l' indication selon laquelle le glacier avait reculé depuis 1770, Ebel la tient certainement des habitants du pays ou d' une source livresque. Besson, et plus encore les illustrations de l' époque, nous indiquent pourtant qu' un mouvement contraire s' était produit jusqu' au début des années 1780.

C' est à Hans Conrad Escher de la Linth que nous devons la première illustration du XIXe siècle qu' il soit possible d' interpréter avec certitude. Sur sa « Vue circulaire depuis la coupole du Sidelhorn », un panorama à 360°, long de 4,42 mètres et dessiné le 12 août 1806, il a représenté aussi le glacier du Rhône dans des teintes grises et blanches ( RO 23* p. 188 ). Une comparaison des deux documents iconographiques datant de 1794 et de 1806 indique que le glacier avait de nouveau reculé. Il est certes vrai que le panorama de 1806 est fortement stylisé et qu' il n' a pas été dessiné du même endroit que l' œuvre de 1794, ce qui limite les résultats d' une comparaison. Mais en comparant la vue de 1806 à des photographies modernes prises du Sidelhorn, on peut quand même tenter de restituer l' emplacement du front à cette époque. On devra toutefois se contenter d' une estimation grossière, car la langue est vue de côté. L' extrémité du glacier se serait donc trouvée 630-730 mètres en retrait des moraines les plus avancées C/D, ce qui signifierait que le glacier aurait reculé de 80-180 mètres depuis 1788. Les manuscrits d' Escher ne nous fournissent malheureusement pas d' autres détails sur la situation du front47.

Depuis 1978, on peut voir au Musée du Jardin des Glaciers de Lucerne un relief de grand format, constitué de dix blocs assemblés ( RO 28* p. 189 ). Due au charpentier et futur géo- mètre Joachim Eugen Müller ( 1752-1833 ), cette création, étonnamment bien modelée, représente le glacier du Rhône et ses environs à l' échelle 1:38000. « Ce relief de Joachim Eugen Müller, le plus étendu et le plus important qui existe encore dans notre pays » ( IMHOF 1981: 118 ), représente un territoire limité par les endroits suivants: au nord-ouest, Berne et Muri, au sud-ouest, le Weissmies, dans le Valais; au sud-est, Tarasp, dans la Basse-Engadine et enfin Pfänder, sur le lac de Constance au nord-est. Autrement dit, il reproduit les Alpes centrales et orientales de notre pays. Comme le modelage avait été perfectionné au cours de plusieurs campagnes de mesures, cette œuvre « est comparable en certains endroits, par la fidélité de ses formes, à des reliefs actuels de même échelle » ( IMHOF 1981: 118 ). Cela est certainement valable pour la région du glacier du Rhône, mais pas forcément pour le front de celui de Grindelwald48, ce qui signifie que nous nous trouvons face à de grandes différences de qualité selon les régions représentées.

La calotte qui formait la fin de la langue avait alors fortement fondu et ne recouvrait plus qu' une portion assez réduite du fond de la vallée. Elle est néanmoins modelée avec beaucoup de précision, comme la cascade de séracs. Tandis que les zones d' accumulation, plus élevées, ont été coloriées d' un blanc pur, ces deux éléments s' en distinguent nettement par leur teinte mêlant le beige, le gris et le bleu, autrement dit par une couleur sombre représentant une glace recouverte d' éboulis et de matériel morainique. Il est possible que Müller ait voulu signaler le portail par une petite entaille que l'on peut voir au sud de la calotte. Le terrain situé juste sous le glacier a aussi été représenté distinctement. Comprise entre le front et l' ancien lit de la langue déjà recouvert d' herbe, c' est une région triangulaire, grise, dépourvue de végétation et striée de nombreuses « rigoles ». On reconnaît aussi très bien les moraines latérales nord-est. Co-loriées en beige clair et en gris, elles se distinguent nettement des bandes d' herbe vert foncé de l' Untersaas qui les bordent. Le ravin, creusé par le Saasbach le long de la limite nord-ouest de la glace, est toutefois essentiel dans l' interprétation d' un tel relief. Müller l' a représenté par une crevasse peinte en bleu et nous a ainsi donné une ligne d' orientation qui nous offre la possibilité d' estimer la situation du front, voire de la restituer.

Comme nous connaissons l' échelle de ce relief ( environ 1:38000 ) et que grâce à MERCANTON 1916 nous disposons d' un plan détaillé au 1:5000 ( n° 3, RO 91 ), il nous est possible d' estimer la situation du front dans la vallée49 au moyen de quelques points topographiques marquants ( par exemple la rencontre du Saasbach avec la glace ou bien l' intersection de l' échine rocheuse située au nord-est de ce cours d' eau avec la limite ouest de la cascade de glace, etc. ). D' après le relief de J. E. Müller ( RO 28* p. 189 ), le front se trouvait à une distance de 820 mètres environ ( fourchette des valeurs: 770-870 mètres ) des moraines C/D. C' est certainement là le point marquant le plus grand recul de la langue entre les crues de 1777/1781 et de 1818. Pour retrouver un tel retrait du glacier du Rhône, il faudra attendre les années 1872/1873.

Quand ce relief si important pour l' histoire des glaciers a-t-il donc été créé? La biographie de Müller ( DUFNER 1980 ) et l' histoire de ses créations ( IMHOF 1981: 112-120 ) nous invitent à distinguer la collecte d' une documentation topographique de la réalisation du relief à proprement parler.

Il est possible que cette documentation c' est les disques azimutaux, les panoramas et les petits reliefs qui servirent à créer le grand modèle alpin ( RO 28* p. 189remonte aux années 1788/1792-1797, alors que Müller travaillait pour I' Atlas SUISSE de Meyer et Weiss ( plus tard, le nom de Müller disparut injustement de cet ouvrage ). Comme il devait par la suite effectuer des travaux topographiques et des reliefs pour son propre compte, on peut tout aussi bien admettre que la réalisation de ce matériel s' est poursuivie jusqu' en 181250.

Quant au grand relief, il semble qu' il ait été créé au cours des années 1812-1819 ( DUFNER 1980:36-39 ).

Dans la collection de dessins laissés par Müller après sa mort51, on trouve le glacier du Rhône représenté sur trois panoramas, malheureusement sans date. Ils ont été dessinés au Sidelhorn et sur le Nägelisgrätli. Les vues RO 24 et RO 25, esquissées avec relativement peu de soin ( sur les deux feuilles, la fin de la langue est occultée par le premier plan ), datent peut-être de l' époque des travaux entrepris pour I' ATLAS Suisse. Sur le panorama du Sidelhorn, RO 26, le meilleur des trois croquis, l' extrémité de la langue, cette fois-ci bien visible, semble avoir fortement fondu, surtout si on la compare avec les aquarelles d' Escher de la Linth ( RO 18* p. 188, RO 23* p. 188 ) peintes en 1794 et 1806. La différence dans l' exécution, par exemple dans la coloration de l' esquisse à l' aquarelle, semble indiquer que cette troisième feuille a été réalisée entre 1806 et 1812, au plus tard en 181552. Il est tout à fait possible que ce croquis-là ait été utilisé avec d' autres éléments, par exemple une petite maquette en plâtre, comme matériel de base pour modeler, avec une précision surprenante, le glacier du Rhône du relief de Lucerne. Grâce à la qualité relativement élevée du rendu de la topographie - ce qui n' est malheureusement pas le cas sur tout le relief ( cf. le glacier d' Aletsch 13 p. 300on peut très bien estimer la distance du front aux moraines C/D qui marquent l' avance maximale de la langue depuis le Moyen Age: on obtient donc une fourchette de valeurs allant de 770 à 870 mètres, soit une moyenne de 820 mètres.

La situation du front, telle que le relief nous la présente pour les années 1810/1812 ( théoriquement de 1805/1806 à 1812/1815 ) semble correspondre à la réalité, surtout si on la compare avec l' état de la langue en 1806 ( RO 23* p. 188 ) et en 1815 ( Wyss, cf. p. 197 ) ainsi qu' avec le comportement des glaciers inférieur et supérieur de Grindelwald ( dont la langue était fortement réduite dans la première décennie du XIXe siècle, vers 1808-1814 pour le premier et vers 1803 pour le second glacier. Cf. ZUMBÜHL 1980: 41, 65, fig. 1/2 ).

6. La crue du glacier du Rhône de 1810/12à1818 D' après MERCANTON 1916, cette crue, la première au XIXe siècle, a dû au cours de sa poussée maximale dépasser l' emplacement des moraines de 1856 de 135 mètres environ. En dépit de leur rareté, les images ou les textes de cette époque dont nous disposons contredisent pourtant cette affirmation sans équivoque possible. A l' heure actuelle, on ne peut dire avec certitude à quel moment exactement cette crue a commencé.

Les premiers renseignements que nous avons sur cette phase de l' évolution du glacier nous viennent d' un guide dû à la plume de J. R. Wyss et intitulé Voyage dans l' Oberland Bernois. Wyss visita en effet le glacier du Rhône, le ter août 1815, en compagnie du professeur Meisner. Il décrit la calotte de glace comme « une grande masse aplatie, large d' une demi-lieue et striée de nombreuses crevasses sur toute son étendue » avant d' ajouter que son aspect change toutes les années ( WYSS 1817, 2:780 ).

La description de la marge proglaciaire, que Wyss a parcourue en venant de l' ouest, est aussi d' un intérêt certain: « Alors que nous nous approchions du glacier en laissant quelques cabanes de bergers sur notre gauche, nous fûmes bientôt surpris par la vision de très anciennes moraines que nous n' avions presque pas remarquées d' en haut. Certes, elles ne sont pas très hautes, et l' herbe les a déjà envahies en grande partie, mais force est de reconnaître que ce sont là de respectables masses de caillasse. Celles qui étaient situées le plus à l' extérieur étaient éloignées d' envi 800 pas de la glace solide » ( Wyss 1817, 2: 790 ).

Si l'on en croit ces lignes, le glacier s' ache donc huit cents pas en retrait des moraines les plus avancées dès le Moyen Age, soit probablement C/D, ce qui nous donne une valeur de 585-590 mètres environ ( comme le pas valait 0,73319 mètres, on obtient exactement 586,4 mètres ). En tenant compte des résultats que nous a donnés le relief de Müller ( 1810/1812 ), on aurait alors une avance d' à peu près 185-285 mètres, et cela en une période d' au moins trois ans, voire cinq ans. Le front se trouvait alors trois cents mètres environ derrière l' emplacement qu' occupera la moraine de 1856. L' herbe qui envahissait déjà les vallums est une preuve supplémentaire que le glacier était en train de progresser, et non de reculer.

D' après la date inscrite sur le cadre de son petit tableau à l' huile ( RO 30.1* p. 193 ), c' est en 181653, soit un an après Wyss, que le Neuchâtelois Maximilien de Meuron ( 1785-1868 ) peignit le glacier du Rhône vu du flanc gauche de la vallée, sous la passerelle. Colorée d' une teinte variant du blanc au bleu-gris, la calotte présente un front strié d' innombrables crevasses et semble très fortement voûtée. Etant donné l' endroit d' où cette vue a été prise, une désignation exacte du point où s' achevait la langue est extrêmement difficile. Trois arguments parlent toutefois en faveur d' une avance assez importante, quoique probablement inférieure à celle de 1856.

1 ) Sur la gauche de l' image, le glacier s' achève derrière le Kapellenhügel, lui-même à moitié caché du fait de l' angle de vue. Sur la photo que prit Martens en 1856 ( RO 64.1* p. 220 ), un excellent élément de comparaison, la langue a en revanche l' air d' avoir été plus puissante. La glace semble s' être avancée plus sur la gauche, vers le bord de la vallée, et en passant derrière le Kapellenhügel, elle semble aussi l' avoir entièrement isolé. Il faut toutefois dire que la photographie n' a pas été prise à l' endroit où avait travaillé le peintre, mais sur l' autre rive du fleuve, de sorte qu' une comparaison des deux images a aussi ses limites.

2 ) Devant le front de la glace, on trouve au moins trois vallums morainiques recouverts de végétation et donc coloriés en vert. Il n' est malheureusement pas possible d' établir leur nombre et leur situation avec précision.

3 ) Enfin, on trouve sur la droite de l' image une moraine latérale libérée de la glace et peinte en beige clair. Sur la gauche du tableau, l' échine rocheuse située au nord-est du Saasbach semble pour sa part émerger de la glace.

Maximilien de Meuron a, probablement à la même époque, peint une vue du portail au-dessus duquel s' élève un front de glace vert agate sombre, très raide et dentelé ( RO 31.1* p. 193 ). Cette zone abrupte peut être interprétée comme l' indice caractéristique d' une crue. On peut observer la différence d' aspect entre un glacier en phase de progression et un autre en train de reculer, si l'on compare ce tableau de M. de Meuron avec l' aquarelle de S. Birmann ( RO 36* p. 200 ), peinte en 1824 à une distance peut-être un peu plus grande.

C' est, semble-t-il, une année après le tableau à l' huile de M. de Meuron que fut croquée l' étude pour la lithographie « Glacier du Rhône, dessiné d' après nature en 1817 par Mr. Lardy » ( RO 32* p. 194 ). Cette gravure fut publiée avec l' œuvre maîtresse du professeur de géologie lausannois Jean de Charpentier ( 1786-1855 ), Y Essai sur les Glaciers et sur le terrain erratique du bassin du Rhône ( 1841 ). Encouragé par l' exemple de Venetz, Charpentier fut l' un des premiers à répandre et à expliquer la théorie des glaciations, c'est-à-dire le transport, en l' occurrence par le glacier du Rhône, de blocs erratiques tels que ceux que l'on trouve dans la région de Monthey. Dans la légende de cette lithographie, Charpentier ( 1841: 363 ) a écrit que le glacier du Rhône « est en quelque sorte tout ce qui reste encore du grand glacier diluvien du Valais proprement dit ».

Lardy a travaillé presque au même endroit que de Meuron un an auparavant. En comparant les deux œuvres, on a le sentiment que la calotte est plus voûtée chez de Meuron, donc qu' elle était plus étendue que chez Lardy. Or, cela n' était pourtant pratiquement pas le cas.

Malheureusement, la topographie de l' œuvre de Lardy est bien trop peu précise et, comme nous avons de plus affaire à une vue frontale, on ne peut pas vraiment lui faire confiance pour retrouver l' emplacement où s' arrêtait le glacier.

Les blocs sombres et beaucoup trop gros ( pour s' en rendre compte, il suffit de les comparer aux cinq cabanes de gauche ) que l'on voit juste sous le glacier représentent certainement des moraines frontales ( leurs dimensions exagérées peuvent s' expliquer pour des raisons didactiques, puisque Charpentier tenait à démontrer que le glacier du Rhône avait pu, lors de la dernière glaciation, transporter de tels blocs jusque dans le Bas-Valais et même sur le Plateau ). La distance plutôt grande qui sépare le front du Kapellenhügel ( à gauche de l' image ) confirme notre supposition selon laquelle l' absence de nombreux vestiges de moraines sous le glacier ne correspondait pas à la réalité et devait en fait être mise au compte de l' inexactitude topographique de l' œuvre. Il est de ce fait étonnant qu' une telle lithographie ait pu servir d' argu principal pour démontrer une crue du glacier autour de 1818. DUFOUR/FOREL 1870, dont les résultats devaient plus tard servir à MERCANTON ( 1916: 46 ), ont, en effet, soutenu cette thèse à l' occasion des premières mensurations du front, effectuées en 1870: « Une excellente lithographie, dessinée d' après nature en 1817, par M. Lardy, nous servira pour la détermination de l' une des moraines ...et nous donne, pour le glacier en 1817, une figure correspondant parfaitement à ce que nous pouvons nous représenter, en supposant le glacier refoulant notre moraine de 1818 » ( Du-FOUR/FOREL 1870: 681 /683)54.

Bien que sa fiabilité topographique soit, comme nous l' avons vu, toute relative, la lithographie de Lardy ( RO 32* p. 194 ) contredit pourtant l' hypothèse selon laquelle le glacier progressait en 1818. Cela est encore plus évident si nous la complétons par d' autres documents historiques, tels que l' aquarelle peinte en 1824 par S. Birmann ( RO 36* p. 200 ) ou par le texte qu' Ignaz Venetz rédigea en 1826.

Dans son Essai sur les glaciers, Charpentier parle de cette crue de la façon suivante: « En effet, en 1818, année où les glaciers des Alpes avaient acquis un développement extraordinaire, celui du Rhône s' était avancé de 150 pieds » ( environ 45 mètres)55.

Malheureusement, Charpentier ne nous précise pas l' endroit où le glacier s' arrêtait avant cette crue, ce qui veut dire que, si on nous apprend que le front avait avancé, nous ne savons pas d' où il était parti, ni où il est arrivé.

Le Bernois Karl Kasthofer ( 1777-1853 ), cadre dans l' administration des forêts de son canton, parle aussi du glacier du Rhône dans un mémoire couronné et intitulé Betrachtungen über die Veränderungen in dem Klima des RO36 S. Birmann, août 1824: représentation « photographiquement » exacte Carte 4 Les vallums morainiques et le front du glacier du Rhône le 22 septembre 1826, d' après I. Venetz. Vallum morainique érodé Arête d' érosion ( AE ) Fronts du glacier A,B Début du Moyen Age ou plus ancien C Moyen Age finissant ( XIV0 ) D Fin du XVI7début du XVIIe siècle E,F XVIIe/XVIII " siècles G 1856 O du glacier du Rhône en recul, ainsi que de cinq vallums bien distincts Carte 5 Les vallums morainiques et le front du glacier du Rhône en août 1824, d' après S. Birmann Kapellenhügel Vallum morainique Vallum morainique érodé Arête d' érosion ( AE ) 157 Fronts du glacier A,B Début du Moyen Age ou plus ancien C Moyen Age finissant ( XIVe ) D Fin du XVIe/début du XVIIe siècle E,F XVII7XVI IIe siècles G 1856 Tableau comparatif des situations du front d' après Samuel Birmann ( aquarelle d' août 1824 ) et Ignaz Venetz ( texte du 22 septembre 1826 ).

VallumsIgnaz VENETZ, le 22 septembre 1826 flanc morainiques gauche ( S ) et droite ( NW ) au point de vue orographique. Cette orientation est parfois peu sûre vallums 1-9 Hauteur des vallums Distance entre les vallums Vallum 1Le vallum le plus éloigné du glacier. Il s' adosse 22 pieds/ contre le ressaut rocheux de Gletsch ( Kapellen- env. 6,6 m hûgel ) Vallum 2 W1-W2: 30 pieds/ env. 9 m N' est pas représenté Aplani sur le flanc S Vallum 3 Petit vallum presque « imperceptible » W2-W3: 45 pieds/ env. 13,5 m N' est pas représenté Aplani sur le flanc S. Sur le flanc NW, il pourrait éventuellement s' agir de EVallum 4 Plus grand vallum que 3 VV3-W4: 90 pieds/ env. 30 m N' est pas représenté Aplani sur le flanc S de la vallée Vallum 5aGrand vallum env. 18 p./ env. 5,4 m W4-W5: 243 pieds/ env. 72,9 m Vallum 5bPlus petit vallum, près de 5a Vallum 6Petit vallum qui s' étale en éventail du flanc droit 5 piedsW5-W6: 240 pieds/ ( NW ) au centre de la vallée pour y former trois env. 1,5 menv. 72 m ou quatre éléments de moraine Vallum 7/8Groupe de vallums qui est formé d' une série de moraines de dimensions irrégulières, adossées les unes aux autres ( sur une distance de 360 pieds/108 m ). Ces moraines forment un arc et rejoignent le dernier vallum, sans pour autant atteindre le pied de la montagne. C' est là que se trouve le portail du glacier d' où s' écoule le Rhône ( côté NW ) La hauteur des W6-W7/8: 90 pieds/ morainesenv. 27 mla dis- monte detance entre W7 et W8 ) 4 pieds/env. 1,2 m à plus de 20 pieds/env. 6 m Vallum 9 Le vallum le plus récent, éloigné d' environ 10 pieds/3 m du glacier W8-W9: 300 pieds/ 90 m W9-glace: 10 pieds, soit env. 3 m Distance entre W1 et la glace: 1048 pieds, soit 314,4 m Samuel BIRMANN, août 1824 principalement le flanc gauche(S ) de la vallée orographiquement parlant, vallums IV Discussion 1988 Cartes 4 et 5 p. 201 Sombre: gris-vert. Reliquat morainique, érodé par endroits.

Moraine « 1602 » de DUFOUR/FOREL 1870 et MERCANTON 1916. Probablement créé aux XVII/XVIII"-siècles ou alors au XIVe. A l' heure actuelle, il est aplani sur le flanc SC/D Deuxième vallum représenté, de couleur gris-vert sombre. Plutôt imposant, il est bien conservé de la pente S jusqu' au centre de la vallée, et est percé en un endroit.

Moraine « 1818 » de DUFOUR/FOREL 1870 et de MERCANTON 1916. Créé probablement aux XVII/XVIII » siècles. Distance Vallum 1-vallum 5: sur le plan: env. 130-135 m, Venetz: environ 125 mF Troisième vallum, vert clair. Nettement plus petit que le vallum 5a.

D' après Venetz, ce vallum se trouve environ 40-50 m en retrait ( SW ) de la future moraine de 1856. Or, on ne trouve à l' heure actuelle plus aucun reste de moraine à cet endroit. Il est donc possible que Venetz ait sous-estimé la distance séparant les vallums 5 et 6 ( elle est en réalité de 130-135 m ). Le vallum 6 se trouvait peut-être plus près de la future moraine de 1856, voire à son emplacement, et aurait donc été enseveli en 1856 Quatrième vallum sur le tableau. D' une couleur bleu, vert clair, cette formation est très imposante, ce qui peut laisser supposer la présence de deux vallums.

D' après les distances que nous donne Venetz, le vallum 7/8 devrait se trouver dans le secteur de la moraine de 1856. Mais, compte tenu des corrections que nous avons apportées à la distance W5-W6 ( 135 m, et non pas 72 m ), le vallum 7/8 devrait se trouver en fait à l' intérieur de la moraine de 1856. Ces vallums ne sont plus visibles de nos jours, puisqu' ils ont été ensevelis. En 1818, le vallum 7/8 n' a pas ètè recouvert par la glace, comme en témoigne sa couleur verte ( végétation ) C' est là le cinquième vallum. D' une couleur variant du gris au gris sombre, c' est une moraine relativement imposante ( sans végétation ).

Vallum de 1818 ou moraine annuelle de 1824/26 L' addition des distances séparant les neuf vallums nous donne une somme de 1048 pieds/314.4 m jusqu' à la glace.

Venetz pour sa part nous donne une distance totale de 1408 pieds soit 422,4 m ( ce qui semble être plus proche de la réalité ) Alpengebirgs. Kasthofer s' efforçait ici de répondre à la question posée par la Société helvétique des sciences naturelles: « Est-il vrai que les hautes montagnes des Alpes sont, depuis plusieurs années, devenues plus froides et plus sauvages? » ( Kasthofer 1822: 273 ). On demandait aussi aux concurrents d' observer « les variations partielles de la longueur des glaciers » sur un délai de plusieurs années ainsi que de retrouver les « anciennes limites de certains de ces glaciers » ( Kasthofer 1822: 274 ). S' appliquant à résoudre cette seconde partie du problème, Kasthofer nous livre d' in informations sur les comportements des glaciers alpins qui avaient à l' épo une évolution différente de cas en cas: « II est tout à fait intéressant de voir que ce recul du glacier du Rhône se fait en même temps qu' une avance respectable de celui de Grindelwald. En 1820, ce dernier glacier était encore dans une phase de progression, tandis que celui du Rhône avait déjà commencé à reculer en 1819. Le glacier du Trift, qui le touche et s' écoule vers le nord, était, en revanche, en train de progresser » ( KASTHOFER 1822: 298 ).

Ce texte a donc décrit de façon précise le comportement du glacier du Rhône, manifestement différent de celui de plusieurs autres langues durant la même période. Concernant sa longueur à cette époque, Kasthofer nous dit simplement qu'« en 1819, il n' avait pas encore atteint ses moraines les plus avancées... » ( Kasthofer 1822: 298 ). Il n' est pas possible de dire avec précision de quels vallums il s' agissait, ni si le pluriel nous permet de supposer qu' il y en avait plusieurs l' un derrière l' autre.

Appliquons-nous maintenant à résumer les résultats que l'on obtient en consultant ces diverses sources:

L' avance du glacier du Rhône a commencé au début de la deuxième décennie du XIXe siècle, soit vers 1810/1812, pour s' achever vers 1818, ce qui nous donne une durée de six à huit ans.

Cette crue était conditionnée par un climat extraordinairement favorable aux glaciers durant les années 1812-1817, selon PFISTER ( 1984, 1: 147 ), « la période la plus avantageuse [...] depuis au moins 1500 ». Elle était caractérisée par des automnes et des printemps très froids et par cinq étés humides, dignes de l' époque des glaciations, avec presque chaque mois des chutes de neige descendant jusqu' à 1000-1500 mètres.

Le relief de J. E. Müller ( ro 28* p. 189 ), les informations que Wyss nous donne pour l' année 1815 et enfin les valeurs de 1817/1818 ( avance de 45 mètres ) nous livrent quelques renseignements utiles sur l' importance de la crue. De 1810/1812 à 1818, la langue du glacier du Rhône a effectué une poussée moyenne de 420 mètres ( fourchette des valeurs: 320/520 mètres ).

Il est donc très vraisemblable que le glacier du Rhône s' achevait en 1818 environ 50-100 mètres à l' intérieur de la marge proglaciaire de 1856, « derrière » le vallum créé cette même année, ou qu' il se trouvait à une distance de 185-235 mètres des amphithéâtres que DU-FOUR/FOREL, et plus tard ( 1916 ) MERCANTON, font remonter à 1818. En réalité, ce système F a probablement été créé par une crue ou plusieurs avances dont l' existence ne peut être prouvée avec certitude et qui remontent au XVIIe ou au XVIIIe siècle.

C' est probablement en 1856, et non pas en 1818 comme on le pensait jusqu' à présent, que le glacier du Rhône a eu sa plus grande longueur durant le XIXe siècle.

C' est du moins ce que nous démontrent les relations écrites et les représentations imagées des années 1822-1826, particulièrement les aquarelles de H. Triner ( RO 34.1* p. 194 ) et S. Birmann ( RO 36* p. 200 ) ainsi que les textes de Venetz.

7. La grande extension du glacier du Rhône entre 1819 et 1831/34 C' est probablement en 182256 que Heinrich Triner ( 1796-1873 ), fils du pays d' Uri, a réalisé une esquisse au crayon représentant notre glacier ( RO 34.1* p. 194 ). Cette œuvre précise et colorée d' un lavis de divers tons gris nous le montre tel qu' on le voyait du chemin du Grimsel, un peu au-dessus de Gletsch. La langue semble fortement bombée dans le fond de la vallée. Sur la partie frontale et aussi sur le bord droit du glacier ( au-dessous du chemin de la Furka ), Triner a dessiné une bande gris sombre. Il s' agit probablement de glace en train de fondre et déjà recouverte d' ébou, d' où sa couleur grise. Il n' est pratiquement pas possible de retrouver la limite entre cette zone et la moraine frontale ou latérale ( cf. aussi RO 80* p. 230, datant de 1865 ).

La marge proglaciaire présente au moins quatre ou cinq vallums gris, probablement des moraines frontales, tels que nous pouvons les retrouver deux ans plus tard sur une aquarelle de S. Birmann ( RO 36* p. 200 ), où ils sont d' ail plus distincts les uns des autres. Les deux artistes ont pratiquement vu le glacier du même endroit. En comparant les feuilles de RO43 J. R. Bühlmann, 2 juillet 1835: le glacier du Rhône. A gauche de l' illustra, les anciennes moraines découvertes par le recul du glacier Triner et de Birmann avec des photographies de 1856, on voit que, si le glacier était plus avancé en 1822 qu' en 1824, il était en revanche plus petit qu' en 1856. Le 22 juillet 1822, soit la même année que Triner, Johann Conrad Zeller ( 17777-1866 ?) a dessiné, probablement d' un emplacement un peu plus élevé, sur le chemin du Grimsel, un glacier du Rhône voûté de façon impressionnante ( RO 35 ). Bien que ce dessin au crayon soit moins précis que la représentation de Triner, on peut toutefois voir que la langue était relativement éloignée du Kapellenhügel situé au milieu du premier plan et facilement identifiable grâce à quatre petites cabanes. Zeller a représenté des séracs sur le lobe de glace avoisinant l' échine rocheuse de l' Untersaas, tandis que deux ans plus tard cette région semblera plus ou moins plate sur l' œuvre de Birmann. Tout comme Zeller et Triner, c' est aussi en 1822 que Charpentier visite le glacier du Rhône. Il a vérifié par des me- 205 RO45 T. Fearnley, 13 juillet 1835: la langue du glacier sur le Gletschboden, vue de la région du Grimsel sures personnelles les valeurs de la crue de 1817/1818 que lui avaient indiquées les habitants du pays55. C' est probablement en 1820 que Gabriel Lory fils ( 1784-1846 ) réalisa le dessin d' après nature qui devait lui permettre de créer une aquatinte dont la valeur est difficile à estimer, d' autant plus que le front y est occulté par le premier plan.

Pour les années 1824 et 1826, nous disposons de deux sources primaires de très haut niveau. La première est l' œuvre du peintre paysagiste bâlois Samuel Birmann ( 1793-1847 ), tandis que la seconde est due à l' ingénieur cantonal valaisan Ignaz Venetz ( 1788-1859 ) que l'on connaît aussi comme l' un des précurseurs de la théorie des glaciations. L' aquarelle de Birmann, dont la précision est pratiquement photographique, et la description détaillée du terrain précédant le glacier donnée par Venetz sont les premières sources qui nous permettent vraiment d' affirmer qu' en 1818 le glacier du Rhône n' avait certainement pas atteint son extension maximale du XIXe siècle, en dépit de ce que la littérature spécialisée a prétendu. Prises ensemble, les œuvres de ces deux hommes nous donnent la plus précise des descriptions du front et des moraines à Gletsch qui fut faite avant les mensurations exactes de la Commission des glaciers de la Société helvétique des sciences naturelles, effectuées entre 1874 et 1915.

« Le principal peintre romantique suisse de paysages topographiques » ( Weber 1981: 309 ) qu' était Samuel Birmann fut fortement influencé par l' atelier de son propre père Peter Birmann ( élève d' Aberli à Rome, il s' était converti au néoclassicisme ), mais aussi par les liens d' amitié qu' il venait de nouer avec le futur géologue Peter Merian ( 1795-1883 ) ( BOERLIN-BRODBECK 1985: 309 ). Tout comme le spécialiste des Alpes J. S. Wyttenbach, qui, au XVIIIe siècle, avait sensibilisé le peintre C. Wolf aux formes et aux coloris de ses paysages de haute montagne, le géologue P. Merian a, quelques décennies plus tard, influencé le dessinateur magistral qu' était Birmann dans la réalisation de ses paysages glaciaires.

De tels liens d' amitié entre scientifiques et artistes - on pourrait encore évoquer la relation entre H.B. de Saussure et W. Pars, en 1770 - sont des occasions particulièrement rares et heureuses pour l' étude de l' histoire des glaciers.

C' est donc avec une précision digne de la photographie que, en août 1824, Birmann a reproduit, dans son carnet de croquis, la marge proglaciaire et les puissantes masses de glace de la langue striée de crevasses latérales, le tout vu dans une perspective légèrement plongeante ( RO 36 p. 200 et carte 5, p. 201 ). En comparaison d' autres images ( en particulier des photographies de Martens, en 1856, où il est bien visible ), le fleuve de glace colorié en blanc et en bleu, clair ou foncé, semble assez fortement aplati, ce qui signifie qu' il avait fondu ( cf. RO 64.1*, 65*, 66.1* pp. 220, 221, 224 ). Cela se voit très bien sur la droite de l' image, au-dessous du chemin de la Furka, où la glace s' est abaissée, mais aussi à gauche, où l' échine rocheuse, située au nord-est du Saasbach, émerge de la langue et où l'on peut voir un lobe de glace, vestige de la dernière crue, qui semble recouvrir le ruisseau coulant entre la côte rocheuse et la pente 57. En 1856, le glacier était beaucoup plus avancé à cet endroit. Sur la pente sud-est ( à droite de l' image ), juste sous la Wyssgand, entre le chemin qui monte à la Furka et les vallums morainiques extérieurs, Birmann a dessiné des buissons sombres en vert et gris. Si le glacier du Rhône avait vécu, six ou huit ans plus tôt ( soit en 1818 ), une crue d' une grande importance, ce terrain n' aurait pas présenté une végétation aussi dense, et l' ancienne limite de la glace aurait dû être visible, comme c' est par exemple le cas sur la photographie ( RO 80* p.230 ) prise en 1865 par E. Edwards ( soit neuf ans environ après la poussée de 1856 ).

Il serait risqué de tirer d' une unique aquarelle des conclusions aussi importantes pour l' histoire de l' objet qui nous occupe, si la fidélité topographique de S. Birmann ne pouvait être vérifiée au moyen de nombreuses autres représentations de glaciers ( Unterer Grindelwaldgletscher, cf. ZUMBÜHL 1980: 44, Rosenlaui, cf. p. 244 ).

C' est deux ans après le passage de Birmann, le 22 septembre 1826, que le glacier du Rhône reçut la visite de l' ingénieur cantonal valaisan Ignaz Venetz ( 1788-1859 ), connu aussi pour sa contribution à la théorie des glaciations. Dans son étude, couronnée d' un prix et intitulée Mémoire sur les variations de la température dans les Alpes de la Suisse ( VENETZ 1833: 31/32 ), l' ingénieur nous donne une description très détaillée de la marge proglaciaire et de la situation de la langue à l' épo. Comme les conditions climatiques, c'est-à-dire la période de froid des années 1812-1860 ( PFISTER 1984, 1: 131 ), ne permettaient pratiquement pas de recul des glaciers et faisaient que ces derniers conservèrent leur grande longueur durant de nombreuses années ( cela se voit par exemple très bien sur les glaciers inférieur et supérieur de Grindelwald, cf. ZUMBÜHL 1980: 48 sq. et 69 sq., fig. 1/2 ), nous pouvons donc combiner sans autre l' aquarelle de Birmann et le texte de Venetz, malgré la période de deux ans qui les sépare.

Ces deux sources acquièrent ainsi une valeur inestimable.

Quel aspect présentaient donc les diverses moraines frontales aux yeux d' un observateur de 1824 ou de 1826? Avec les qualités de précision que nous lui connaissons, Birmann distingua en 1824 au moins cinq vallums qu' il représenta sur son aquarelle ( RO 36* p. 200 ). Dans sa description de 1826, Venetz parle de neuf amphithéâtres nettement distincts les uns des autres59.

Chez Birmann, la moraine I, la plus éloignée du glacier, se présente sous la forme d' un reste de vallum ressemblant à un dos de baleine situé à droite de l' image ( portion sud-est de la vallée ) et représenté dans un coloris gris-vert sombre.Venetz décrit le prolongement de ce vallum 1 vers le nord-ouest de la vallée ( c'est-à-dire vers la gauche sur l' aqua de Birmann ): « La moraine la plus éloignée du glacier s' adosse contre un rocher, formant un monticule sur lequel sont construits les chalets ( sic !) de la montagne. Elle présente une grande largeur, sur une hauteur d' environ vingt-deux pieds » ( VENETZ 1833: 31 ).

Ce premier vallum ( il en réunit en fait plusieurs ) que MERCANTON ( 1916: 51, 52, fig. 10 ) désigne par la date « 1602 » fut probablement créé au tournant du XVIe et du XVIIe et/ou même au XIVe siècle ( C/D, cf. les résultats de l' analyse au 14 C, pp. 231/232 ). Le reste de moraine que l'on voit chez Birmann fut aplani par les constructions de la route de la Furka et de l' Hôtel Seiler et n' existe donc plus du tout de nos jours. Birmann a rendu la seconde moraine dans des tons gris-vert foncé - elle était donc certainement recouverte de végétation -sous la forme d' un vallum relativement puissant qui va de la pente jusqu' au milieu du terrain précédant le glacier et est percé en un endroit. D' après Venetz, il était éloigné de 125 mètres des formations situées le plus à l' exté du système. Il s' agit donc très probablement de la moraine « 1818 » ( F ) de Mercanton qui date en fait du XVIIe ou du XVIIIe siècle. D' après Venetz, ce vallum 5 était situé à une distance d' environ 225-285 mètres du front du glacier en 1826.

La couleur brun-vert ( à dominante verte ) de la troisième et de la quatrième moraine ( sur l' aquarelle de Birmann ) indique qu' elles étaient recouvertes d' une végétation qui n' a pu se former qu' au cours d' une période assez longue, donc pratiquement pas depuis 1818. Ce groupe ( 6, 7, 8 d' après Venetz ), constitué de nombreuses moraines aux dimensions va- riables, était situé dans la région qu' occupera le front en 1856 et fut donc totalement ou partiellement enseveli à cette époque.Venetz ( 1833: 32 ) signale aussi qu' une moraine avait subi le même sort dans les années 1820: « Sur la gauche du centre du glacier, celle-ci [une autre moraine] laisse entrevoir qu' elle en avoit couvert une plus ancienne, puisqu' on y voit encore le gazon ».

Birmann a dessiné son cinquième vallum directement devant le glacier. De couleur gris sombre, il contenait probablement encore de la glace morte, n' était sûrement pas recouvert de végétation et présentait par endroits un aspect très imposant. Il est difficile de savoir clairement si cette moraine, la plus récente d' après Venetz, le vallum 9 n' était qu' à trois mètres du front en 1826 - est due à la crue de 1818 ou si elle a été créée au début de l' été par l' oscillation du glacier qui forme ce que l'on appelle une moraine annuelle60. Toujours est-il que ce vallum 9 a été détruit à coup sûr par la poussée de 1856.

Mais où le glacier du Rhône s' achevait donc, le 22 septembre 1826? En additionnant les intervalles que Venetz avait mesurés entre les neuf vallums morainiques ( 1-9 ), on obtient une distance de 1048 pieds, soit environ 314,4 mètres entre l' extérieur du système et le front ( Mercanton parle de 320 mètres ). Dans le résumé de sa visite sur place, Venetz ( 1833: 32 ) écrit pourtant: « l' extrémité inférieure du glacier était à mille quatre cent huit pieds ( environ 422,4 mètres ) de la première moraine reconnaissable que l'on rencontre en montant ». La distance générale est donc plus grande d' un tiers que la somme des valeurs individuelles, puisque l'on a une différence d' une bonne centaine de mètres61. La distance globale de 422,2 mètres entre les moraines les plus éloignées ( C/D ) et le front est certainement la plus sûre si nous comparons les résultats de Venetz aux données actuelles qui, il est vrai, sont assez peu parlantes du fait de la correction du fleuve et des travaux de construction entrepris dans la région. La valeur de 314,4 mètres62 que nous avions obtenue par addition n' est pas compatible avec la situation actuelle des moraines, donc est très peu sûre.

Que dire maintenant d' une hypothèse que l'on retrouve fréquemment dans la littérature spécialisée, hypothèse selon laquelle le glacier aurait atteint, en 1818, sa plus grande longueur durant le XIXe siècle ( DUFOUR/FOREL 1870: 681, MERCANTON 1916: 51/52 )?

Cette théorie est en fait contredite par les points suivants:

- l' œuvre utilisée par DUFOUR/FOREL 1870 et MERCANTON 1916 pour l' identification de la moraine « 1818 », soit la lithographie de Lardy ( RO 32* p. 194 ), souffre d' une bien trop grande imprécision.

- En 1826, le glacier du Rhône s' achevait environ 235-285 mètres ( la distance de 185 mètres est moins vraisemblable ) en retrait de la moraine « 1818 » de Mercanton ( deuxième vallum chez Birmann, vallum 5a de Venetz ). Or, le climat de l' époque rend un tel recul pratiquement impossible à admettre pour une période de huit ans.

- Durant ce court laps de temps, le glacier aurait, d' autre part, dû former quatre systèmes de moraines ( vallums 6, 7, 8, 9 de Venetz, vallums II, I, IV, V chez Birmann ).

- Bien reconnaissable à sa couleur verte, la couverture de végétation que l'on trouve sur quatre des cinq moraines, tout comme sur les pentes situées à droite de la vallée, dans la région des vallums extérieurs, fait qu' il est pratiquement inimaginable que ces endroits aient pu se trouver sous la glace si peu de temps auparavant. On devrait, en effet, reconnaître une limite nette en bordure des terrains qui auraient tout juste été dégagés.

- On trouve une différence stupéfiante entre les profils des sols de la moraine de « 1818 » ( F ) et de celle de 1856. Une étude récente sur la succession et la répartition de la végétation dans la marge proglaciaire du glacier du Rhône ( SCHUBIGER-BOSSARD 1988: 223)63 montre clairement qu' une période de trente-huit ans ne suffit pas à expliquer un développement aussi différent de l' état du sol, ce qui signifie donc que le vallum F doit être plus ancien. Ce n' est donc qu' au moment de la crue de 1856 que le glacier du Rhône atteignit son extension maximale pour le XIXe siècle.

Lorsque S. Birmann visita cet imposant phénomène naturel en 1824, il représenta aussi les masses de glace vues depuis le nord-ouest ( RO 37* p. 202 ) et coloria leur surface en blanc, tandis que les autres parties furent peintes en gris sombre. D' énormes crevasses se succèdent au-dessus du portail bleu sale en forme d' anse de panier. Si, à cet endroit, le front semble très abrupt, il a plutôt l' air aplati ailleurs, ce qui veut dire que la glace est en train de fondre. Les masses d' eau qui sortent de la voûte ont littéralement coupé en deux, et même aplani, une imposante moraine coloriée en brun. Il est malheureusement difficile d' évaluer la distance séparant ce vallum de la glace.

Sur les pentes raides situées à gauche de l' image, on reconnaît bien l' échine rocheuse qui s' élève au nord-est de la chute du Saasbach, au-dessus de la surface abaissée du glacier. Plus haut, Birmann a signalé, avec de fins traits de crayon, un lobe de glace 67 d' où un ruisseau d' eau de fonte s' écoule en direction de ce même torrent. Trente ans plus tard, cet endroit était recouvert par la surface fortement voûtée du glacier en train de progresser; mais il pouvait aussi se trouver directement devant la glace, comme nous le voyons bien sur les photographies de Martens, prises en 1856 ( RO 64.1 *, RO 65*, RO 66.1* pp. 220, 221, 224 ).

Au mois d' août 1824, Birmann dessine son « Panorama du Sidelhorn... » ( RO 38* p. 202 ), probablement l' avant des vingt grandes visions panoramiques64 qu' entre 1811 et 1824 le peintre paysagiste bâlois avait réalisées avec une extraordinaire précision topographique. Cette œuvre nous présente les glaciers inférieur et supérieur de l' Aar, ainsi que celui du Rhône. Devant le sommet cristallin du Galenstock, à gauche sur l' horizon, l' artiste a représenté la cascade et, plus bas dans la vallée, un bout de la langue de ce puissant fleuve de glace. La surface, structurée de grossiers traits de plume, semble s' être abaissée, ce qui indique qu' elle était en train de fondre. Malheureusement, le front est occulté par le col du Grimsel et le Totensee que l'on voit au premier plan.

Durant les années qui suivirent, de 1819 à 1830, l' extrémité de la langue recula sur une distance assez réduite: de 50 à 130 mètres environ, mais on peut pourtant dire en gros que le glacier conserva sa grande extension.

Les années 1831-1834 virent une nouvelle crue se développer, mais le mouvement restait encore timide. Cette évolution est relatée par Jean Rey, un voyageur français fasciné par ce monument naturel, qui en parle dans sa brochure La Source et le Glacier du Rhône, en juillet 1834 ( Paris 1835 ) tout en s' appuyant sur les témoignages des habitants de la vallée: « L' hôtelier m' a assuré que, depuis trois ans, le glacier avait recommencé à croître... » ( REY 1835: 26 ). A cette occasion, un point de terrain, soulevé assez récemment de vingt-cinq pieds ( environ 7,5 mètres ), avait été recouvert par la glace. « Mais l' été de cette année... a apporté de grands changemens dans tous les glaciers de la Suisse et en particulier dans celui du Rhône... » ( REY 1835: 26 ).

Cette affirmation se voit confirmée par l' his du climat de ces années, puisque l' été 1834 fut l' une des quatre saisons les plus chaudes de cette période de refroidissement RO47 D. A. Schmid, avant 1830: vue classique du front du glacier du Rhône allant de 1812 à 1860 ( l' été de 1826 et surtout celui de 1859 furent également assez chauds; ils ne furent surpassés que par l' été 1846. PFISTER 1984, 1 Tab. 1/30, 123, fig. 1/22 ). Par la suite, la langue diminua plus ou moins fortement de tous côtés. Non seulement la glace avait totalement fondu sur la distance gagnée par la poussée de 1831-1834, mais le front avait en outre reculé de dix pieds ( à peu près trois mètres ) par rapport à sa situation initiale. Sur la gauche, en direction du Grimsel et du Saasbach la glace avait fondu d' environ 6-8 pieds ( grosso modo 2,4-2,8 mètres)65. Rey nous livre aussi une description de la marge proglaciaire.On ne peut toutefois pas accorder un crédit absolu aux valeurs qu' il nous donne pour les distances entre les trois vallums morainiques principaux ou pour celle séparant le pont ( sur le fleuve, près de l' auberge ) de l' extrémité inférieure du glacier.

Nous pouvons clarifier la situation en complétant les données de Rey par le dessin à la craie, tracé sur papier brun-beige par Johann Rudolf Bühlmann ( 1802-1890 ) et intitulé « Le glacier du Rhône vu en direction du Galenstock et du Gletscherhorn » ( RO 43* p. 205 ). Du chemin de la Meyenwand, donc d' un point de vue situé bien au-dessus du fond de la vallée, nous contemplons l' imposante calotte étincelante du glacier. Un petit renfoncement du front, à peine reconnaissable près de l' endroit où le torrent glaciaire de droite s' écoule, indique non seulement que la langue se divisait là en deux ou trois rameaux ( que l'on verra mieux sur le dessin de Thomas Fearnley, réalisé seulement onze jours plus tard, RO 45* p. 205 ), mais nous montre aussi que l' extré de la langue était en train de reculer, ou tout au moins qu' elle était stationnaire. En comparaison de l' aquarelle que Birmann peignit onze ans plus tôt ( RO 36* p. 200 ), le petit lobe de glace, situé dans le secteur des rochers du Saasbach ( à gauche de l' image ), semble avoir fondu.

Au milieu du premier plan, on trouve le Kapellenhügel, avec, en plus des quatre anciennes cabanes de pierres, la nouvelle auberge d' Anton Zeiter ( SEILER 1980: 9/10 ), peinte ici pour la première fois, ainsi que la passerelle permettant de traverser le fleuve ( que Rey utilise comme point de référence, et à partir duquel il mesure la distance au front du glacier ).

Sur le côté gauche de la marge proglaciaire, c'est-à-dire dans la partie nord-ouest de la vallée, Bühlmann a esquissé au crayon six moraines situées l' une derrière l' autre, très différentes les unes des autres quant à leurs dimensions, leur hauteur ou leur forme ( depuis le simple reliquat au système complet, en passant par « le dos de baleine » ). De même, il a aussi représenté la petite arête du terrain que l'on trouve à gauche du Kapellenhügel. Les premières photos de Martens ( RO 64.1 * p. 220 ), comparées avec l' aquarelle de Birmann, montrent que Bühlmann a représenté les vallums avec une assez grande fiabilité topographique. Il faut toutefois rester prudent dans l' ex d' une telle œuvre. On ne peut pas considérer le dessin de J. R. Bühlmann exactement de la même manière que celui d' un artiste travaillant avec autant de précision que S. Birmann. Dans sa description, Rey indiquait pour sa part trois vallums seulement ( dont la moraine annuelle de 1834 ) entre l' auberge et la langue du glacier; il est donc bien moins précis que Bühlmann: « De l' hôtellerie ou du pont au glacier du Rhône, il y a trois de ces circonvallations à passer. La première est à 200 toises [soit 390 mètres, 1 toise = 1,949 mètre] environ de la base actuelle, la deuxième à 160 [environ 312 mètres], et la troisième à 110 [215 mètres]. Mais la première qui est fort ancienne, à en juger par les grands arbres qui y croissent ( sic !), est incomparablement plus considérable que les deux autres... » ( REY 1835: 25 ).

Comme les distances que nous donne Rey sont manifestement des estimations, on bute sur certaines difficultés lorsqu' on essaie de les comparer avec la situation actuelle des moraines. C' est pourquoi le dessin de Bühlmann ( RO 43* p. 205 ) nous est nécessaire pour RO53.1 A. Winterlin, années 40 du siècle passé: la langue du glacier du Rhône voir plus clair sur l' état du terrain à cette époque. L' arête due à l' érosion ( à gauche du Kapellenhügel, voir la carte 2 p. 168, EK ) est en fait située à l' emplacement des moraines de 1600 et du XIVe siècle, donc probablement à l' endroit où l'on trouve le premier vallum de Rey66. Le système morainique très caractéristique que l'on voit dessiné des deux côtés du fleuve, est beaucoup plus important pour notre recherche et correspond probablement à la moraine 4 de Bühlmann ou à la « circonvallation » 2 de Rey ( sur l' esquisse, ce système apparaît très nettement sous la forme d' une double butte hachurée au crayon, sur le flanc sud-est de la vallée, directement à droite du point culminant du Kapellenhügel ). Il s' agit ici de la moraine F qui a gardé le même aspect jusqu' à nos jours et s' est probablement formée aux XVIIe et XVIIIe siècles.

D' après Rey, en 1834, le front du glacier était éloigné de 160 toises ( environ 312 mètres ) de la « circonvallation » 2, ce qui correspond à peu près à une distance de 450 mètres jusqu' aux moraines C/D qui marquent l' exten maximale du glacier depuis le Moyen Age.

« Le premier pont jeté sur le Rhône est à 250 toises environ [soit à peu près 487 mètres] du lieu d' où le fleuve s' élance furieux de l' antre de glace qui le retenait captif, et je lui ai trouvé 50pieds de large. » Ce renseignement que nous donne REY ( 1835: 16 ) nous permet de retrouver une valeur maximale pour l' avance du glacier à cette époque ( la distance du front aux moraines C/D équivaudrait alors à 415 mètres ). Ce même pont est dessiné sur l' œuvre de Bühlmann et se trouve un peu à RO ÜU A. Winterlin, années 40 du siècle passé: le portail du glacier avec la « source du Rhône » l' extérieur des vallums les plus éloignés du glacier, près de l' auberge Zeiter. La distance entre la glace et la « circonvallation » 3 nous permet d' obtenir une valeur minimale ( distance front—moraines C/D: 485 mètres ) pour l' avance du glacier de 110 toises, soit 215 mètres environ.

Cette moraine, probablement le vallum 5 de Bühlmann, s' est vraisemblablement créée en 1818 et se trouvait à l' intérieur du terrain situé en retrait de la future formation de 185667.

Il est aussi possible que le vallum qui, sur l' esquisse de Bühlmann, apparaît à droite du portai168, juste devant le front, soit un témoin direct de la crue de 1831-1834.

Sur le dessin au crayon de grand format que l' important artiste romantique norvégien Thomas Fearnley ( 1802-1842)69 peignit le 13 juillet 1835 ( RO 45* p. 205 ), le glacier du Rhône, vu de la région du col du Grimsel, nous apparaît comme une gigantesque épée traversant l' image en diagonale. Sa surface est structurée par un système de crevasses qui semble presque décoratif. Avec son dessin d' une grande précision topographique, Fearnley reproduit au moins deux languettes devant le front du glacier et, entre elles, une zone en train de fondre et que le glacier a laissée derrière lui. La portion du front du côté gauche de la langue est malheureusement occultée par le premier plan. On peut voir aussi très distinctement de ce côté que le petit lobe qui s' étend en contrebas du Saasbach a fondu, alors qu' il était encore bien reconnaissable sur RO54 A. Winterlin, années 40 du siècle passé: les séracs, vus du chemin du col de la Furka l' aquarelle de Birmann ( 1824 ). A cet endroit, les rochers ne sont plus recouverts de glace.

David Alois Schmid ( 1791-1837 ) a pour sa part peint deux aquarelles aux couleurs extraordinairement séduisantes ( RO 47* p. 208, RO 48 ). Le point de vue surélevé qu' il a choisi, dans la Meyenwand, permet de montrer le glacier dans une perspective frontale. Bien que, au premier coup d' oeil, elles puissent paraître semblables, ces deux œuvres se distinguent toutefois par leur qualité, par l' époque à laquelle elles ont été réalisées et aussi par la présence ou l' absence de divers détails70. L' auberge Zeiter de Gletsch, qui fut bâtie en 1830, permet toutefois une datation des deux aquarelles: elle manque sur RO 47* ( p. 208 ), tandis qu' on la voit bien sur RO 48, à côté des quatre cabanes de pierres. Sur la plus ancienne des deux aquarelles ( RO 47* p. 208 ), qui nous restitue avec une grande netteté la topographie des environs du glacier, on peut évaluer la longueur relativement importante de la langue grâce au petit lobe de glace57 situé dans la zone de l' échiné rocheuse, au nord-est de la cascade du Saasbach. La marge proglaciaire présente quatre vallums morainiques qui, à vrai dire, sont rendus un peu trop schématiquement. En ce qui concerne les dimensions du glacier, l' ensemble de cette représentation rappelle fortement l' aquarelle que S. Birmann peignit en 1824 ( RO 36* p. 200 ).

Le dessin à la plume, teinté d' aquarelle, RO 48 semble moins schématisé, et l' étendue du BO 55 A. Winterlin, années 40 du siècle passé: le front nord-ouest du glacier glacier y est apparemment plus réduite. La présence de l' auberge Zeiter situe la création de cette œuvre aux années 1830-1837. Les éléments décoratifs du premier plan ( personnages, animaux domestiques ou arbres ) sont très différents de ceux de l' autre œuvre. Quant aux moraines situées devant le front, on ne peut les identifier que très vaguement.

En fin de compte, ces deux représentations ne nous permettent pas de retrouver l' endroit exact où la langue s' achevait à cette époque. On peut en dire autant de la représentation du glacier du Rhône sur deux panoramas ( RO 49 et RO 50 ) vus du Sidelhorn et que Gottlieb Studer ( 1804-1890 ) dessina en 1838. Ils sont en effet trop peu exacts pour nous fournir des informations sur la situation du front.

La description du glacier qu' Edouard Desor ( 1811-1882 ) 7\ secrétaire et collaborateur de Louis Agassiz, écrivit en 1839 fait presque office de commentaire des œuvres de Birmann, Bühlmann et D. A. Schmid. Desor dit en substance que « le glacier du Rhône est certainement l' un des plus beaux et qu' il impressionne fortement les voyageurs. Les énormes masses tourmentées de sa partie supérieure ressemblent à une puissante chute d' eau subitement transformée en glace, tandis que, plus bas, il reprend un cours plus calme pour s' étaler sur un large lit. Les crevasses sont curieusement disposées en éventail, de sorte que, le long du front, elles sont perpendiculaires aux moraines latérales. Devant la moraine frontale, qui touche au glacier, on trouve un grand nombre de vallums plus anciens qui marquent les diverses stations du glacier lors de son recul permanent et qui, comme l' a écrit Venetz, montrent bien que le glacier était plus avancé dans les temps anciens. Il en avait compté neuf en 1826, mais depuis lors de nombreux dommages causés par le fleuve sortant du glacier ont fait que seules les quatre ou cinq dernières moraines ont gardé leur forme caractéristique » ( cf. DESOR 1847: 166/167 ).

L' intérêt de ce texte est dû surtout au fait qu' il signale d' une part le labyrinthe de moraines de la marge proglaciaire et qu' il donne d' autre part une explication sur l' existence de moraines différentes.

Les aquarelles du glacier du Rhône qu' An Winterlin ( 1805-1894 ) peignit dans son carnet de croquis datent probablement des années quarante du XIXe siècle ( 1839-1852 ?). Leurs coloris et les points de vue parfois inhabituels d' où elles ont été peintes en font des documents particulièrement intéressants.

Vue de front, la langue s' achève chez Winterlin ( RO 53.1* p. 210 ) par de curieuses bosses de glace bleue et blanche, dont les formes font penser à des miches de pain. De ce fait, on ne peut pas identifier avec exactitude l' em topographique du front, ce qui vaut aussi pour les moraines représentées en brun et en vert.

Le point d' où RO 54* ( p. 211 ) fut peint était probablement tout proche de l' endroit d' où, trois quarts de siècle plus tôt, Wüest avait représenté les séracs de la cascade de glace du Rhône qui évoquaient les vagues écumantes d' un ressac ( RO 06* p. 176 ). Malheureusement, la topographie de cette aquarelle est, elle aussi, trop peu précise pour nous donner des renseignements intéressants sur l' étendue du glacier.

Les deux vues d' après nature du portail situé sur la droite orographique du front sont, en revanche, parfaitement réussies. RO 55* ( p. 211 ) nous montre cette ouverture d' assez loin ( avec, à gauche, des moraines grises ) tandis que RO 56* ( p. 210 ) nous permet pratiquement de jeter un regard sous « la voûte ( même ) du glacier du Rhône » qui, grâce au dégradé des coloris ( du blanc au violet foncé en passant par l' azur et le bleu sombre de la glace ) et aux formes et crevasses bizarres, semble inquiétante et attirante à la fois.

C' est en août 1845 qu' E. Desor mesura pour la première fois le mouvement de la glace sur la langue pour le compte d' Agassiz. Il s' agis en effet de démontrer que le type d' avance qu' il avait mesurée lors de recherches très poussées sur le glacier inférieur de l' Aar ne constituait pas une exception. Les deux stations de mesures étaient à une distance d' un kilomètre: la première au pied de la cascade de glace et la seconde près du front du glacier.

En trente et un jours ( du 8 août au 8 septembre 1845 ), le mouvement de la glace à la surface atteignit donc 8,21 mètres à la station supérieure ( moyenne quotidienne: 0,2648 m ) et 6,18 mètres au bas de la langue ( moyenne quotidienne: 0,1995 m ). Agassiz constata à juste titre que cette baisse de la vitesse de la glace ( sur le glacier inférieur de l' Aar comme sur celui du Rhône ) allait de pair avec une diminution de sa masse, en d' autres termes « tous les grands glaciers marchent avec une vitesse ralentie à partir d' une région qui correspond selon toute apparence au maximum d' épaisseur » ( AGASSIZ 1847: 467 ).

Une lithographie en couleur de format oblong ( RO 59* pp. 214/215 ), datée du 26 août 1848 et due au talent d' Henri Hogard nous montre, sur sa droite, le glacier du Rhône en blanc-bleu et, à gauche, en gris-beige et brun, les vallums morainiques situés entre le front et le pont sur le fleuve. Ils sont représentés avec une précision remarquable ( cette zone prend presque plus de place sur l' image que le glacier lui-même ).

Dans son ouvrage Principaux glaciers de la Suisse, HOGARD ( 1854: 21, cité aussi par DOLL-FUS-AUSSET 1864, 1: 302 ), nous livre des explications sur la planche n° 6, c'est-à-dire sur cette même lithographie et nous décrit ainsi la situation des moraines à l' époque: « En 1848, au mois d' août, on voyait, en avant de la moraine terminale appuyée contre le pied du glacier et jusqu' au massif de rochers, quatre anciennes moraines indiquant les stations et les retraites successives du glacier. La quatrième, la plus rapprochée de la moraine actuelle, était refoulée, déjà détruite partiellement sur la rive droite et attaquée sur la rive gauche. Tout près de la troisième, au bord de l' un des bras du torrent, se trouvait un mélèze ayant au moins 150 ans d' âge, à en juger d' après une tranche d' un arbre de même essence et d' un diamètre un peu plus faible, coupé sur la seconde enceinte, à 130 mètres en aval du premier ».

Hogard commente aussi la description du glacier et du terrain adjacent, faite par H. Besson en 1777 et qui, en ce qui concerne les distances entre les moraines, correspond pour l' essentiel aux conditions de 184872.

La lithographie de Hogard et la légende qui l' accompagne montrent clairement que, en date du 26 août 1848, le glacier était entouré d' un nouveau vallum et de quatre moraines plus anciennes, situées devant lui. Visible au milieu du premier plan ( où il n' existe plus de nos jours ) et sur le côté droit du Rhône, à droite du Kapellenhügel ( colline rocheuse située au nord-est de l' auberge ), le vallum 1 correspond certainement aux moraines C/D ( talus datant des XIVe, XVIe et XVIIe siècles ) et nous apparaît comme un amphithéâtre au milieu duquel le Rhône a ouvert une brèche. Le vallum 3, dont la formation n' est bien visible que sur la droite du fleuve, pourrait bien s' être trouvé directement devant l' en qu' atteindra le front au cours de la crue de 1856.

Quant au vallum 4, il était manifestement déjà détruit en partie sur la rive droite du fleuve. Il pouvait aussi se situer juste devant le front du glacier, séparé de lui seulement par la moraine terminale 5 qui existe toujours à l' heure actuelle.

Ces deux dernières moraines se trouvaient sur le terrain qu' allait occuper la crue de 1856.

Hogard estime à 150 ans au moins l' âge du mélèze situé sur la lithographie, entre les vallums 3 et 4. On ne peut aujourd'hui pratiquement plus dire s' il a eu raison ou non. Mais cette estimation de Hogard confirmerait malgré tout notre hypothèse selon laquelle la moraine F était en fait beaucoup plus ancienne que la date que lui donne MERCANTON 1916 ( « 1818 » ) et que, par conséquent, l' avance maximale du glacier au XIXe siècle s' était produite en 1856.

Hogard a aussi esquissé la crue qui était en cours à l' époque ( RO 61 ). C' est celle qui créa la moraine frontale 5, toujours visible à l' heure actuelle. A l' époque, cette avance commençait à menacer le vallum 4, l' avant en âge, qui présentait un sol retourné et était planté d' un petit conifère. L' œuvre en question fut publiée en 1872 par Dollfus-Ausset dans son gigantesque ouvrage en huit volumes, les Matériaux pour l' étude des Glaciers.

En date du 26 août 1848, le front du glacier était déjà très proche de l' emplacement actuel de la moraine de 1856. On ne peut toutefois pas retrouver son emplacement de l' époque avec une certitude absolue.

Le daguerréotype pris en août 1849 par Daniel Dollfus-Ausset ( RO 62* p. 217 ) n' est pas seulement la première photographie de l' objet qui nous intéresse, mais l' une des premières photographies de glacier tout court. L' endroit d' où ce daguerréotype a été pris était probablement situé sur les hauteurs du Kapellenhügel ou, plus haut encore, sur l' échine rocheuse qui s' étend en direction du sud-ouest. L' impo calotte de glace qui recouvre la plus grande partie du fond de la vallée est striée d' un système d' innombrables crevasses, toutes disposées plus ou moins en rayons. La moraine terminale actuelle peut déjà être identifiée sous la forme d' une bande claire. Elle a progressé encore plus en avant, sur l' avant vallum en âge qui était partiellement détruit sur la lithographie gravée un an plus tôt par Hogard. C' est probablement le mélèze que ce dernier avait mentionné et représenté sur son œuvre ( RO 59* pp. 214/215 ) que l'on peut voir juste devant cette moraine. Une comparaison de ce daguerréotype avec la photographie prise en septembre 1865 par E. Edwards ( RO 80* p. 230 ) nous offre une masse de renseignements utiles pour retrouver l' emplacement du glacier en 1849. Il en ressort que la glace effectuera encore une avance respectable jusqu' en 1856.

Sur le flanc droit de la vallée ( à gauche de l' image ), la côte rocheuse située au nord-est de la cascade du Saasbach 57 est presque to- RO59 H. Hogard, 26 août 1848: la langue du glacier du Rhône. On distingue quatre anciennes formations de moraines sur la marge proglaciaire et une moraine due à la nouvelle avance du glacier.

talement recouverte de glace, donc envahie par la langue ( seule une petite pointe de roc est encore visible, tandis que, chez Edwards, la glace a de nouveau fondu ). Les autres moraines de la marge proglaciaire précisent pour l' essentiel l' image que Hogard nous en avait donnée un an plus tôt. Le vallum F est tout particulièrement identifiable.

ro60 H. Hogard, 12 août 1848: le glacier du Rhône au-dessus de la chute des séracs C' est pour le compte du Bureau topographique fédéral, dirigé par G.H. Dufour ( 1787-1875 ), que, deux ans plus tard, Jules Anselmier ( 1815-1895 ) représentait pour la première fois l' extrémité de la langue du glacier du Rhône au 1:50000, en vue de la réalisation de la feuille topographique XVIII ( RO 63* p. 221 ). La façon dont il a représenté les moraines situées sur la marge proglaciaire jette toutefois un doute sur la précision de son 1/ I travail, doute qui se voit confirmé par l' appré de H. Siegfried, en 1865. D' après lui, les feuilles dessinées par Anselmier sont parmi les plus mauvaises de toutes celles qui ont été réalisées pour la création de la carte Dufour. On peut en fait lui reprocher de nombreuses erreurs, comme par exemple un décalage de 1425 mètres sur l' Oberaarhorn ( Graf 1896: 208 ).

Une étude du plan du glacier du Rhône dressé par Anselmier en 1851 ne nous offrira donc qu' un résultat peu fiable73.

Jusqu' en 1856, le glacier du Rhône a avancé et formé une moraine terminale encore visible de nos jours. Cela est notamment établi par les commentaires que DUFOUR/FOREL ont ajoutés au premier plan exact de la marge proglaciaire et du front lui-même ( dressé au 1:4000 le 30 juillet 1870 ): « La première moraine, en descendant, date de 1856. Les habitants du vallon, et en particulier le propriétaire de l' hôtel, M. Seiler, ont pu nous l' affirmer positivement » ( DUFOUR/FOREL 1870: 682 ). MERCANTON ( 1916: 51 ) s' appuie aussi sur ces affirmations.

Les photographies de Frédéric Martens ( env. 1809-1875 ) nous fournissent des informations sur l' état du glacier lors de sa plus grande avance au cours du XIXe siècle. Elles ont servi de base aux lithographies d' Eugène Ciceri ( 1813-1890 ), publiées dans un ouvrage illustré de grand format intitulé La Suisse et la Savoie ( vol. 1, 1859 ). Cette transformation des œuvres de Martens en lithographies était due au fait que la technique ne permettait pas encore l' impression de photographies. Sur la photographie RO 64.1* ( p. 220 ) le glacier du Rhône, vu de front, est d' une beauté indescriptible. La calotte, fortement voûtée et striée de nombreuses crevasses disposées en rayons, nous fait l' effet d' un gigantesque parasol blanc. En regardant cette photographie, on pourrait croire que le front s' étendait jusqu' au Kapellenhügel, près de l' auberge Zeiter, alors qu' en réalité il en était éloigné de plus de 225 mètres. A la droite de l' image, nous pouvons deviner les moraines des XVIe/ XVIIe ( voire XIVe ) siècles, qui ont malheureusement été coupées sur la photographie. Grâce à la couleur sombre de la végétation, le vallum F est facilement repérable, immédiatement à droite de l' auberge Zeiter. Juste au-dessous, on peut reconnaître la moraine terminale actuelle qui nous apparaît dans des teintes plus claires.

Le fait que la côte rocheuse, située au nord-est de la cascade du Saasbach ( à gauche de la photographie, sur la pente ), a été recouverte de glace nous permet aussi de démontrer l' avance de la langue.

Sur la lithographie ( RO 64.2 ) réalisée à partir de cette photographie, on voit aussi le bord gauche ( ou sud-est, à droite sur l' image ) de la langue. Si nous comparons l' étendue de la glace à cet endroit avec ce que nous avions sur l' aquarelle de Birmann ( 1824, RO 36* p. 200 ), peinte à peu près là où la photo fut prise, on voit très clairement que la masse du glacier avait fortement augmenté en 1856.

Sur RO 65* ( p. 221 ), nous voyons le bord nord-ouest ( côté droit de la vallée ) de la langue. Cette photographie a probablement été prise de la région des moraines créées aux XVIe/XVIIe ( et/ou XIVe ) siècles. C' est là une épreuve particulièrement précieuse pour nous, car elle est signée et datée par l' inscrip « Martens, phot. 1856 » que l'on trouve en bas à gauche. Le bord du glacier, bien visible sur le côté gauche de la photographie, est abrupt et en forme d' arc, ce qui confirme la poussée en avant du glacier ( à comparer avec la photo RO 80* p. 230, de 1865, où le glacier en décrue présente un bord qui s' aplatit en pente douce ). Le front est malheureusement caché ( tout ou partie ) par le vallum F, au milieu, et par le Kapellenhügel, sur la droite. Sur la troisième photographie ( RO 66.1* p. 224 ) de Martens, prise verticalement, le côté droit du fleuve de glace est fortement dressé et présente un portail qui permet un écoulement latéral dans le Saasbach. Martens a réalisé cette vue d' un endroit situé approximativement à mi-hauteur, entre Untersaas et Gletschboden, c'est-à-dire là où la direction du glacier vire du sud au sud-ouest ( à environ 1150 mètres du front de l' époque ). La localisation de cet emplacement peut se faire grâce à la topographie des sommets de l' arrière ( par exemple du Petit Furkahorn ) et au moyen des portions de rocher sombre que l'on voit à droite de l' image74. Il s' agit là d' une partie de l' échine rocheuse qui, partant de la chute du Saasbach, s' étend parallèlement à la pente en direction du nord-est, vers le glacier. Vue de côté, elle nous apparaît plus ou moins prise dans la langue ( si l'on part de l' idée que le glacier était suffisamment haut ) ou tout simplement recouverte par un lobe qui s' était formé57. C' est ainsi que, sur l' aquarelle de Bir- mann 1824 ( RO 36* p. 200 ), ces rochers sont bien visibles entre le glacier et les lobes de glace qui bordent la langue, tandis que sur la photographie de Martens ( RO 64.1 * p. 220, 1856 ) ils sont recouverts par la glace de la langue dont la surface s' était fortement élevée.

L' endroit d' où la prise de vue a été effectuée était probablement situé plus à l' est ( à 180 ou 200 mètres seulement ), mais cent mètres plus haut que l' emplacement où, 86 ans plus tôt, Pars avait peint le glacier du Rhône muni d' un portail, alors que son épaisseur était pourtant beaucoup plus réduite ( en 1770, cf. RO 05* p. 173 ). Une photographie ( RO 109* p. 225 ) prise d' un endroit proche de celui-ci et dont la date se situe entre 1874 et 1882, soit 18 ou 26 ans après Martens, nous montre, à la place d' un torrent écumant, une vieille rigole misérable et sans fonction. Le glacier y accuse aussi un fort recul.

Quant à savoir si la photographie RO 66.1p. 224 ) a aussi été prise en 1856, peu avant ou quelque temps après, la question reste ouverte ( on est toutefois sûr qu' elle date d' avant 1859, année où fut publiée la lithographie RO 66.2)75.

C' est donc sur la base de la photographie de Martens que Ciceri réalisa cette belle lithographie « Partie supérieure du glacier du Rhône » ( RO 66.2 ) sur laquelle on peut voir de nombreux personnages décoratifs qui sont en train de gesticuler ou de grimper sur le glacier et forment de bons points de comparaison pour retrouver ses dimensions de l' époque.

C' est en 1854, en Angleterre, que débuta la mode des photographies stéréoscopiques représentant des monuments ou des paysages célèbres. Le premier stéréogramme du glacier du Rhône qui nous soit connu ( RO 67* p. 223 ) date des années 1856-1858, soit de l' époque de la plus grande avance de la langue au XIXe siècle, ou de quelque temps après76. Si le point d' où cette vue fut prise était situé un peu plus haut que l' endroit où Martens ( RO 64.1 * p. 220 ) avait travaillé, le cadrage est pourtant presque identique. La photographie stéréoscopique nous montre toutefois en outre le bord sud-est du glacier ( à gauche dans le terrain, à droite sur l' image ), tout comme la lithographie de Ciceri ( RO 64.2 ). Sur les deux représentations ( RO 64.2 et RO 67* p. 223 ), le côté sud-est nous présente un mur de glace, élevé et abrupt, qui témoigne d' une épaisseur maximale de la langue.

On ne peut toutefois voir les éboulis des moraines latérales que sur la photographie RO 67* ( p. 223 ). Il est donc probable que le processus de fonte était alors déjà entamé ( mais il est aussi possible que ce gravier ait été omis sur la lithographie de Ciceri pour des raisons esthétiques ).

Les deux photographies RO 64.1* ( p. 220 ) et RO 67* ( p. 223 ) n' ont certainement pas été prises au même moment, mais la similitude de la structure des crevasses frontales montre que les dates où elles furent réalisées ne sont pas trop éloignées l' une de l' autre.

Le 24 août 1856, c' est au tour du célèbre glaciologue anglais John Tyndall ( 1820-1893 ) de visiter la région au cours de son voyage à travers l' Oberland bernois: « Depuis les hauteurs de la Mayenwand, nous vîmes le glacier du Rhône au-dessous de nous. C' était là une vue magnifique; je n' en connais pas d' autre du même genre qui, dans les Alpes, puisse rivaliser avec celle-ci (... ). La représentation qu' en a donnée Longfellow est très juste; le glacier ressemble à un grand gant; la gorge d' où il s' écoule correspond au poignet tandis que sa partie inférieure représente la main, car elle est divisée par ses crevasses en bosses qui ressemblent à des doigts » ( TYNDALL 1898: 23/24 ).

En juillet 1858, Tyndall visita le glacier du Rhône une nouvelle fois, « entre des précipices sauvages, à la hauteur de la cascade de RO62 D.Dollfus-Ausset, 1849: daguerréotype du glacier du Rhône ( la première photographie connue du glacier ) glace » ( TYNDALL 1898: 123 ). Il ne nous dit malheureusement rien sur l' évolution de la langue depuis son premier passage. En revanche, il tenta d' expliquer la formation d' ogives au pied de cette même cascade ( la poussée de la masse de glace qui s' écoule est la cause de la formation de rides, TYNDALL 1898: 470/471 fig.41 ).

Si nous résumons l' évolution du glacier de 1818 à 1856, donc durant les années séparant les deux crues du XIXe siècle, nous constatons qu' elle correspond à la période climatique froide qui sévissait alors, puisque le glacier était en forte crue. En effet, le front ne fondit que de 80 à 130 mètres entre 1819 et 1831.

De 1831 à 1856, le glacier progressa à nouveau de façon générale, mouvement qui subit certainement une interruption en 1834, année durant laquelle l' été fut extrêmement chaud. L' avance ainsi réalisée est de 180 mètres environ ( fourchette des valeurs: 140/220 mètres ). C' est donc en 1856 que le glacier du Rhône a atteint sa plus grande avance pour tout le XIXe, ce que l'on peut bien voir sur les trois photographies de Martens et sur l' image stéréoscopique ( cf. RO 64.1 *, 65*, 67*, 66.1* pp. 220, 221, 223, 224 ). La progression moyenne du front était de 130 mètres ( fourchette des valeurs: 80/180 mètres ) par rapport à la première grande crue du XIXe siècle, survenue en 1818.

8. La fin du « Petit âge glaciaire » et le long recul de la langue dès 1857 Le recul du glacier du Rhône est à peine visible sur les trois esquisses qu' Otto Fröhlicher ( 1840-1890 ) a croquées en août 1859. L' une d' entre elles, un dessin au crayon fait depuis le Sidelhorn ( RO 68 ), nous montre encore une gigantesque langue glaciaire dont l' extrémité est malheureusement occultée par le premier plan. Quant aux esquisses au crayon et à l' aquarelle qui représentent la cascade de glace ( RO 69, RO 70 ), il s' agit de vues latérales, et elles ne nous permettent donc pas de constater d' éventuelles modifications de l' épaisseur d' un glacier dont les dimensions restent d' ailleurs très importantes. Il faut donc attendre une lithographie de petit format due à L. Sabatier ( RO 71 ) et datant de 1860 pour voir distinctement le recul du front derrière les moraines de 1856, un recul qu' il ne faut pourtant pas négliger.

Sur un calque original destiné à la gravure de la feuille XIII « Guttannen » de la carte Siegfried ( 1:50000 ), Henri L' Hardy a représenté, en 1863, le front du glacier situé environ 85 mètres en retrait du vallum de 1856 ( RO 73 ).

D' après les instructions de G.H. Dufour ( GRAF 1896: 262 ), les glaciers devaient être dessinés d' un endroit de haute montagne offrant une perspective intéressante aux points de vue physique et géologique. De même, les moraines médianes et terminales devaient être représentées par des hachures avec toute l' exactitude requise. Grâce au travail de L' Hardy, la marge proglaciaire et ses trois vallums furent représentés pour la première fois de façon assez exacte au point de vue cartographique ( la différence par rapport aux travaux d' Anselmier, RO 63*, p. 221, est manifeste ).

Cette carte est très bien complétée par un dessin d' Eugen Adam ( 1817-1880 ) au crayon et lavis, intitulé « Une halte de la brigade I au glacier du Rhône, en 1861 » ( RO 74.1 ), dessin dont on connaît aussi une version lithogra-phiée. Les bords de la langue n' y sont plus aussi abrupts, mais s' abaissent en pente douce, un indice évident de la fonte du glacier.

Cette nouvelle situation est encore mieux visible sur la photographie ( RO 77 ) prise en 1864 par Adolph Braun ( 1812-1877 ). Au sud- est ( à droite de l' image ), on voit, en effet, une large bande claire: c' est le terrain que le glacier vient de libérer. La surface de la langue, fortement déprimée, nous montre clairement que l' épaisseur de la glace avait diminué.

Paru à Londres en 1866, l' ouvrage de H. B. George intitulé The Oberland and its Glaciers: Explored and illustrated with Ice Axe and Camera nous présente un choix de 28 merveilleuses vues originales dues au talent d' Ernest Edwards, l' un des premiers photographes de montagne ( GERNSHEIM 1983: 351)77. Destiné à compléter le grand classique de la glaciologie qu' étaient The Glaciers of the Alps {1860 ) de J. Tyndall, ce livre est donc le premier album photographique consacré aux Alpes bernoises. Il devait fournir une documentation iconographique aussi complète que possible sur les caractéristiques et l' aspect général des glaciers et combler ainsi un manque qui s' était cruellement fait sentir jusqu' alors ( cf. GEORGE/EDWARDS 1866: VII ). D' autre part, un groupe de touristes conduits par George et Edwards visita, probablement en septembre 1865, le glacier du Rhône au cours d' un voyage dans les Alpes commencé en août de la même année.

GEORGE ( 1866: 187 ) décrit l' aspect du glacier en s' inspirant de Longfellow [Hyperion, livre III, chapitre 2 ): « Sa forme est celle d' un gant étalé, la paume en dessous, dont les doigts seraient recourbés et refermés les uns sur les autres ». En citant ces lignes, George reprend aussi l' image qu' avait déjà utilisée Tyndall.

Une très belle vue frontale du glacier, ( RO 80*, p. 230 ), prise du secteur du Kapellenhügel ( on reconnaît bien le rocher du premier plan ) est encore plus riche d' informations utilisables dans le cadre de notre recherche.

Le décor morainique que nous connaissons déjà y présente le sombre vallum F ( XVIIe/ XVIIIe siècles ) recouvert de végétation et, derrière lui, l' amphithéâtre dénudé de couleur claire que le glacier venait de créer en 1856. Enfin, les terrains que la langue vient d' aban sont aussi bien visibles.

La masse du glacier du Rhône se dresse nettement en arrière de ces vallums. La langue est toujours voûtée, compacte et impressionnante, mais elle a néanmoins perdu de son épaisseur.

Les bords du glacier s' abaissent en pente à proximité du portail, du côté du Saasbach, à gauche de la photographie, là où la petite échine rocheuse autrefois recouverte de glace et de neige est maintenant bien visible.

Au milieu et sur le flanc sud-est de la vallée, près de la Wyssgand ( à droite de l' image ), la surface de la glace est certes encore plus éle- vée, mais elle se trouve prise dans un processus de désintégration assez rapide qu' il est possible de reconnaître aux nombreuses crevasses verticales, disposées en rayons sur le front. Pour se rendre compte de la réduction de l' épaisseur, on peut comparer les photographies de 1849 ( RO 62* p.217 ) et 1856(RO 64.1* p. 220 et RO 67* p. 223 ).

Ces changements survenus au cours d' une période de neuf ans, indiquent suffisamment clairement que le « Petit âge glaciaire » des années précédentes touchait à sa fin, principalement du fait d' une diminution des chutes de neige en été, de leur peu d' importance et d' une baisse de l' accumulation hivernale ( PFISTER 1984, 1: 148 ).

C' est en juillet 1870 que, en compagnie de C. Dufour, le médecin et limnologue F.A. Forel ( 1841-1912 ) visita le glacier du Rhône qui se trouvait « en 1870, dans une période de retrait fort prononcée » ( DUFOUR/FOREL 1870: 682. La description qu' ils donnèrent de la marge proglaciaire devait encore servir de base à MERCANTON 1916 ). La moraine de 1856, dont la date et l' emplacement furent confirmés par les habitants de la vallée et plus particulièrement par l' hôtelier Seiler, se trouvait alors à une distance d' environ 320-330 mètres du front. Le glacier avait donc reculé de cette distance durant une période de quatorze ans, ce qui nous donne une moyenne annuelle de 22,9 à 23,5 mètres. Ces affirmations sont d' ailleurs complétées par un « Plan du front du Glacier du Rhône et de ses Moraines frontales, levé le 30 juillet 1870 » à l' échelle 1:4000. ( DUFOUR/FO-REL 1870: 684, planche 29, RO 82 ).

La poursuite de la fonte fit que l' aspect du glacier continua à se modifier jusqu' en 1873. Le 4 août de cette année, Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc ( 1814-1879 ), le célèbre théoricien de l' architecture et restaurateur de monuments, reproduisit l' aspect du glacier sur un fin dessin au crayon ( RO 87)78. La disposition en éventail de la masse de glace rappelle le tableau de J. H. Wüest, peint en 1772, soit cent ans plus tôt ( RO 06*, p. 176 ).

Durant les années qui suivirent ( jusqu' en 1877 ), Dufour et Forel continuèrent leurs mensurations en privé pour les présenter plus tard à la « Société Vaudoise des Sciences Naturelles ». D' après leurs observations, le glacier du Rhône n' avait que peu fondu entre 1870 et 1871, mais beaucoup plus durant les trois années suivantes. En quatre ans ( 1870-1874 ), le front avait reculé d' environ 240 à 260 mètres en son centre et un peu moins sur ses côtés, à peu près 180 mètres ( DUFOUR/FOREL 1879: 474, planche XXVI, RO 88 ), ce qui nous donne une moyenne annuelle de 60 à 65 mètres. En 1874, le front se trouvait donc environ 615 mètres en retrait de la moraine de 1856 ( cf. RO 91/102 ).

A partir de 1874, l' évolution du glacier du Rhône est documentée de façon parfaite, notamment grâce aux mesures très précises et aux recherches effectuées sous l' égide du CAS ( 1874-1893 ), puis de la Société helvétique des MERCANTON 1916 Plan N° 11 AELLEN 1986 Tableau 34 -535 m -425 m -95 m — 45 m -15 m -15 m -110 m -86 m 755 m 571 m sciences naturelles ( dès 1893 ) et du Bureau topographique fédéral ( l' actuel Office fédéral de topographie L + T ) qui envoya aussi des géomètres. Les résultats furent publiés en 1916 par P.L. MERCANTON dans les Nouveaux Mémoires de la Société Helvétique des Sciences Naturelles, volume LU. Grâce aux documents conservés dans les archives et souvent enrichis de commentaires, nous obtenons, exception faite de quelques données prises à deux ans d' intervalle, la plus longue série de mesures complètes sur les modifications annuelles de la langue de 1870 à nos jours ( cf. AELLEN 1986: 261, 264-273, tableau 34 ).

Le point de départ est le Plan n° 3 ( RO 91, cf. aussi le dessin original RO 102 ) de MERCANTON 1916 où l'on peut voir la marge proglaciaire et ses moraines, la position du front en date du 4 septembre 1874 et enfin, sur quatre petits profils, dessinés à l' échelle 1:4000, le mouvement de la glace de 1874 à 1900.

Au cours de cette période, soit durant 26 ans, la zone frontale du glacier du Rhône a fondu de 755 mètres environ 79. Ce recul s' est produit toutefois avec des variations de vitesse, ce qui nous permet de distinguer quatre phases ( voir aussi MERCANTON 1916: 55 ) Sur le Plan n° 4 ( RO 92 ) intitulé: « Les fronts du glacier de 1874 à 1913 », l' évolution du front a été relevée à l' échelle 1:5000, année par année, à quelques exceptions près.

A l' époque du fort recul du glacier, principalement durant les années 1879-1882, la calotte plus ou moins compacte s' était désagrégée pour présenter un retrait central comparable à un fjord, d' où s' écoulait le fleuve, et deux lambeaux de glace qui s' avançaient en 1880 de 325 mètres environ. Plus tard, cette langue dédoublée se transforma en un front asymétrique avec une pointe partiellement constituée de glace morte qui s' avançait fortement sur la gauche. Elle était très belle à voir entre 1884 et 1893 et elle a fondu durant l' été chaud de cette dernière année ( cf. RO 92/RO 115 ).

Une série de photographies illustre bien la fonte continuelle du glacier. On y voit par exemple l' éventail de glace rétrécir constamment dans le fond de la vallée et le front se rapprocher toujours plus de la cascade de glace ( exemples: RO 117, dus aux frères Charnaux et RO 118 de l' atelier de A. Braun, datant de la seconde moitié des années 1880 ou du début des années 1890; en outre RO 119, RO 122 pour 1897 et, pour la première fois en couleur, RO 126 aux environs du tournant du siècle ).

Deux belles photographies des archives de la Commission des glaciers ( RO 124 et RO 125 ) nous montrent la langue, telle qu' elle se pré- sentait les 20 et 25 juillet 1900 ( cf. aussi MERCANTON 1916: 88/89 fig. 7, Le glacier du Rhône avec l' avalanche de glace ( Eislawine ) du 25 août 1900 ).

Pour sa gravure sur bois, « Glacier du Rhône », datant de 1892, le célèbre Félix Vallotton ( 1865-1925)80 a développé une expression visuelle, nouvelle et hardie, basée sur le contraste entre le noir et le blanc ( RO 120*p. 232 ). Les formes coulantes symbolisant le mouvement, les échines de glace et les séracs complètement figés apparaissent au milieu de profondes crevasses noires et menaçantes pour évoquer une coulée de glace.Val-lotton s' est inspiré certainement de l' aspect de la portion inférieure et plus plate de la cascade de glace.

9. L' activité de la langue au XXe siècle ( jusqu' à 1987 ) Après que le glacier eut reculé de 207 mètres entre 1900 et 1911/1912, le front se trouvait au pied du ressaut, parmi les rochers devenus visibles entre-temps ( cf. MERCANTON 1916: 128/129, fig. 8, du 30 août 1912 ). La crue d' environ 137 mètres qui s' est développée dans les neuf années suivantes ( 1913-1921 ) a recouvert le terrain qui venait à peine d' être libéré. Les trente années suivantes, soit de 1922 à 1951, furent marquées par une fonte constante de la langue qui commençait à se désagréger dans le secteur du ressaut. Cette évolution a connu deux interruptions, soit une poussée de 10 mètres en 1926/1927 et une autre de 21 mètres en 1940/1941. Durant la dizaine d' années comprises entre 1942 et 1951, la fonte causée par les conditions climatiques ( étés chauds et secs ) fut particulièrement marquée: le front a reculé de 359 mètres. Après une période de cinq ans ( 1952-1956 ), durant laquelle le glacier resta stationnaire, les années 1957-1965 virent le recul du glacier ralentir fortement137 mètres ). De 1966 à 1987, soit durant vingt-deux ans, on trouve dix années de crue92 mètres ) contre neuf années de recu160 mètres ), tandis que le glacier est resté stationnaire durant trois ans. Le bilan total est donc légèrement positif32 mètres ). A ce titre, l' année 1987 semble être tout à fait représentative, avec une avance de neuf mètres81. Du moment où, en 1856, le glacier atteignait son extension maximale ( 12398 mètres ) pour le XIXe siècle et jusqu' à l' année 1987, nous avons donc un recul de 16,6%, soit 2061 mètres en tout2321 mètres de fonte contre +260 mètres de crue, cf. fig.4 ).

10. Les principaux projets de recherche réalisés sur le glacier du Rhône 10.1 Les campagnes de mesures du CAS et de la Société helvétique des sciences naturelles de 1874 à 1915 ( MERCANTON ).

Sur la base du paragraphe 1 des statuts du CAS de 1863, dans lequel il est dit que l' un des buts du Club « est l' étude exacte des hautes montagnes de notre pays sous tous leurs as- RO67 F. Bruel, probablement entre 1856 et 1858: vue classique du glacier du Rhône à l' époque de sa plus grande extension au XIXe siècle pects », le professeur E. Rambert déposa en 1868 une motion lors de l' Assemblée des délégués à Berne, motion demandant que le Club alpin prenne l' initiative d' une étude scientifique et systématique des glaciers et que, pour ce faire, il entre en contact avec la Société helvétique des sciences naturelles82. En 1869, le « Collège des glaciers », organe commun du CAS et de la SHSN, fut élu et comportait les personnes suivantes:

- Le CAS était représenté par le Prof. Dr L. Rütimeyer ( 1825-1895 ), paléontologue bâlois, le Prof. Dr A. Escher de la Linth ( 1807-1872 ), géologue zuricois, et le Prof. E. Rambert ( 1830-1886 ), historien de la littérature à Zurich.

- Les membres de la SHSN étaient pour leur part le Prof. A. Mousson ( 1805-1890 ), ingénieur et physicien de Zurich, le Prof. Dr L. Dufour ( 1832-1892 ), physicien lausannois et le Prof. Dr E. Hagenbach-Bischoff ( 1833-1910 ), physicien de Bâle.

Le Prof. E. Desor ( 1811-1882 ), géologue neuchâtelois et collaborateur d' Agassiz durant de nombreuses années, remplissait la fonction de président du Collège ( HEIM dans MERCANTON 1916: 19 ).

Cet organisme s' attela au projet consistant à dresser la carte au 1:5000 d' un glacier important. Le 26 avril 1874 ( KASSER 1986: 199 ), on tombait d' accord sur celui du Rhône, notamment en raison de sa situation centrale et facilement accessible, élément important pour une campagne de mesures, et aussi à cause de sa morphologie unitaire, sans affluents importants. De plus, le glacier était divisé en trois parties « différenciées de façon assez précise »: le collecteur, la cascade de glace et l' éventail du diffuseur. Il offrait donc une morphologie typique des glaciers alpins ( RÜTIMEYER 1894 dans MERCANTON 1916: 5 ). Le projet que le CAS accepta en 1874 comprenait donc les objectifs suivants:

1. Reproduction topographique du glacier, principalement à l' échelle 1:5000.

2. Reconstitution de l' histoire du glacier et datation des moraines près de Gletsch.

3. Mesure et représentation cartographique de l' écoulement du glacier.

4. L' ingénieur P. Gösset proposa de disposer des pierres entre des points fixes pour former des lignes de couleurs différentes sur le glacier et permettre une meilleure observation de l' écoulement superficiel. Ce procédé se fondait sur une méthode développée par A. Heim qui l' avait appliquée pour la première fois sur le Hüfigletscher. ( HELD dans MERCANTON 1916: 27 ).

Sous la direction du colonel H. Siegfried, le Bureau topographique fédéral offrit son aide pour les travaux de mesures et devait plus tard participer financièrement à l' opération en compagnie de la SHSN.

L' ingénieur Gösset et son équipe ont donc commencé leurs travaux sur le terrain à la fin du mois de juillet 1874. C' était la première fois que l' évolution d' un glacier était représentée sur une carte à l' échelle 1:5000 avec toute la précision géodésique souhaitée. Ces travaux signifiaient un nouveau progrès de la science par rapport au plan à l' échelle 1:10000 de Wild/Agassiz représentant le glacier inférieur de l' Aar.

Cette campagne de mesures sur le glacier du Rhône dura quarante ans, de 1874 à 1913 et peut être divisée en deux phases:

- de 1874 à 1893, les travaux furent réalisés sous l' égide du « Collège des glaciers » du CAS et de la SHSN, et les mesures furent effectuées sous la direction du Bureau topographique fédéral ( BTF, plus tard: l+t ). Au début, le financement était entièrement assuré par le CAS qui fut ensuite soutenu aussi par le BTF ( 1880-1889 ). Dès 1890, l' argent fut essentiellement fourni par le BTF, la SHSN et sa Commission géologique. Il faut encore ajouter à cela les contributions volontaires provenant de divers milieux.

- de 1893 à 1915, après le retrait du CAS, la poursuite du projet « Glacier du Rhône » se fit essentiellement sous l' égide de la nouvelle RO66.1 F. Martens, probablement en 1856: la rive ouest du fleuve de glace avec un portail du glacier et l' écoulement latéral dans le Saasbach Commission des glaciers de la SHSN, élue le 4 septembre 1895 et chargée précisément de l' étude de la glaciologie de notre pays.

Outre la poursuite des travaux de mesures sur le glacier du Rhône et la diffusion des résultats, cette Commission devait aussi assurer l' observation et la publication des modifications de la langue. Les résultats de cette campagne ( 1874-1915 ) absolument unique en son genre furent publiés par le professeur lausannois, ingénieur électricien et géophysicien Paul-Louis MERCANTON ( 1916 ) qui, dès 1910, était déjà rédacteur de la Commission. Son ouvrage Mesures sur le glacier du Rhône ( Nouveaux mémoires de la SHSN, vol. LU ) comprend 190 pages de texte et douze plans, dont quelques-uns sont des documents historiques particulièrement importants pour le sujet qui nous intéresse:

-RO91, Plan n° 3.

Le glacier du Rhône et son mouvement de 1874 à 1900 représentés à l' échelle 1:5000, avec les quatre profils ( noir, vert, jaune et rouge ) signalant le mouvement superficiel de la glace ( cf. à ce propos le document RO 104, « Le glacier supérieur du Rhône en septembre 1874, traçage et mise en place de la ligne de pierres jaunes », ainsi que RO 108 et RO 110 ).

- RO 92, Plan n° 4 La langue du glacier de 1874 à 1913 à l' échelle 1:5000 avec vingt-six plans de la zone frontale -RO93, Plan n° 5 L' oscillation de la langue d' après les me- RO109 E. Nicola, 1882: même vue que le RO 66.1* après le recul du glacier sures mensuelles effectuées de 1887 à 1910, à l' échelle 1:500.

-RO 100, Plan n° 11 L' évolution des limites de la langue de 1873 à 1913, résumée sur un plan au 1:5000.

A cette liste s' ajoutent encore de nombreux plans présentant les profils de longueur et de vitesse.

10.2 RHONEX/ALPEX 1979-1984 ( MÜLLER, Ohmura ) De 1979 à 1984, soit plus de cent ans après le début des travaux de mensuration entrepris par le CAS et la SHSN, le glacier du Rhône était de nouveau au centre d' un important programme de recherches, mené cette fois-ci par l' Institut géographique de l' EPF de Zurich. Baptisé « Glacier du Rhône et environs » ou RHO-NEX/ALPEX, ce projet fut lancé par le Prof. Dr Fritz Müller ( 1926-1980 ) et, après son décès prématuré, repris par une équipe de chercheurs sous la direction du Prof. Dr Atsumo Ohmura. Le but de ce projet est une analyse exemplaire de l' économie de la glace, de l' eau et de l' énergie au sein du glacier, donc une étude des relations entre ce dernier et le climat ambiant. Une telle recherche s' intéresse par exemple à la répartition géographique des bilans de masse ( modifications de la masse de neige et de glace du glacier dans le temps et l' espace ) et leur relation aux éléments climatiques ( cf. FUNK 1985 ) ou, plus loin, à l' étude précise du phénomène du vent glaciaire ( vi- 16 L' ancien lit d' écoule latéral, à mi-hau-teur entre Untersaas et Gletschboden, le 22 août 1986 tesse maximale à 5-50 m d' altitude au-dessus du fond, OHMURA dans RHONEGLETSCHER SNG 1987: 67, WlCK 1980: 37 ) ou bien encore à celle des échanges entre l' air de la vallée et l' air situé au-dessus. En tant que glacier principal des Alpes suisses, celui du Rhône continue donc, comme par le passé, à être un modèle d' études avantageux83.

A l' heure actuelle, la construction éventuelle d' un lac de barrage, destiné à alimenter une centrale électrique, menace malheureusement l' ancienne marge proglaciaire, là où s' étendait la partie inférieure de la langue et la calotte en éventail, justement là où se trouve la clé de l' histoire du glacier.

La disparition du Gletschboden sous les eaux d' un tel lac devrait être évitée par tous les moyens possibles, afin de préserver un paysage dont l' importance est nationale et l' intérêt scientifique inestimable.

11. La marge proglaciaire Hanspeter Holzhauser, Zurich Rarement l'on aura vu dans les Alpes une aussi grande abondance de vallums morainiques, ordonnés avec autant de clarté, qu' au glacier du Rhône. Connu par ses travaux sur l' histoire des glaciers réalisés en 1929 et en 1932, KlNZL ( 1932: 343 ) signalait déjà cet « incomparable terrain morainique » et regrettait qu' il fût fortement modifié depuis longtemps par l' action de l' homme. Ce fut notamment le cas durant les travaux de construction du chemin de fer Furka—Oberalp, effectués en 1913 et 1914, au cours desquels on aplanit les moraines les plus avancées, situées à gauche du Rhône ( MERCANTON 1916: 50 ). D' autre part, la rectification du fleuve et la construction de l' hôtel ont contribué à la disparition des moraines frontales. C' est ainsi que les deux remblais les plus récents qui restent encore sur la gauche de la vallée n' ont plus leur forme et leur longueur originales. D' autre part, quelques bâtiments isolés ont été construits sur ces dépôts. L' un d' entre eux est d' ailleurs déjà en ruine. Des témoins importants de l' époque où le glacier du Rhône était beaucoup plus avancé ont donc disparu à jamais. L' homme a détruit en quelques années ce que la nature avait mis des siècles à construire.

Comme le montre la carte 2 de la page 168, on peut, grâce aux vallums morainiques, reconnaître sept positions de la langue dans les environs de Gletsch ( de A à G ). Seules les positions situées le plus à l' intérieur, soit F et G, sont signalées des deux côtés du Rhône par des moraines frontales d' une certaine hauteur. Le système le plus récent ( G ) fut formé principalement durant la dernière extension maximale du glacier, en 1856 ( voir p. 213 ). A droite du Rhône, juste devant les moraines les plus visibles, F et G, deux autres systèmes de remblais, beaucoup plus petits, signalent d' autres maxima plus anciens ( E et D ). Celui de ces remblais qui est situé le plus à l' exté s' étend au demeurant juste devant une arête d' érosion ( AE ).

La situation de la langue suivante ( C ) en remontant dans le temps est documentée par un court vallum bien formé et situé à la hauteur de la chapelle. On le trouve à l' extrémité nord-est du ressaut rocheux ( Kapellenhügel ) dont l' axe longitudinal est parallèle à celui de la vallée et qui s' élève derrière l' hôtel « Glacier du Rhône » et la chapelle. Au pied du flanc droit de la vallée, on peut reconnaître d' autres restes de moraine qui sont dus à la même position du glacier que le vallum situé un peu plus haut et dont nous venons de parler. Ils se trouvent sur une plaine d' alluvions fluvioglaciaires qui s' étend entre le Kapellenhügel et le flanc de la vallée. Sa forme primitive n' a pas été conservée, car les destructions de l' homme ont, ici aussi, joué un rôle.

A peu de distance de ces vestiges morainiques, on trouve en aval un autre vallum, situé au pied de la pente et assez peu reconnaissable ( B ). Il semble plonger dans la plaine qui l' entoure. Le flanc droit de la vallée s' étend sur une distance assez longue pour s' achever dans un talus d' éboulis maigrement boisé, et tout porte à croire que des parties du vallum en question ont été recouvertes par les éboulis amoncelés au cours du temps.

L' extension maximale pour l' époque postglaciaire n' est marquée que par un petit vallum A, riche en blocs de roche: il se trouve au-dessus du premier virage de la route du Grimsel, un peu plus haut dans la pente que l' hôtel « Glacier du Rhône » et derrière ce bâtiment, au sud-ouest de l' ancienne source thermale.

Sur les flancs latéraux de la vallée, il est beaucoup plus difficile de retrouver les anciennes limites de la glace. C' est ainsi que les moraines latérales, situées à droite de la vallée, sont très mal conservées. Les vallums situés sur ces flancs abrupts et recouverts de cônes d' éboulis se sont, en effet, désagrégés sur de grandes parties du terrain, tandis que les avalanches contribuaient aussi à leur destruction. Outre les dépôts de gros blocs appartenant aux systèmes morainiques F et G ( 1856 ), on trouve aussi sur la Chalberwang les vestiges très peu distincts de trois autres maxima, qui peuvent être reliés aux moraines terminales C, D et E.

Quant à la Saaswang, elle ne présente plus aucune structure morainique identifiable en tant que telle. On ne peut y retrouver la limite de la dernière crue du glacier qu' au moyen des différences de végétation. Au nord-est du Saasbach, la glace coulait par-dessus l' échine rocheuse qui s' étend parallèlement à l' axe de la vallée. A cet endroit, les blocs de rocher sont extrêmement nombreux, et quelques mélèzes isolés ont pu y prendre racine. Ce n' est qu' au bord du petit plateau d' Untersaas que le glacier a pu reformer des vallums d' une certaine importance. Ensevelie pour la dernière fois par le glacier en 1856, une puissante moraine latérale aux arêtes acérées part du pied du becquet rocheux situé entre l' Obersaas et l' Untersaas, un élément marquant du paysage, et s' étend sur 350 mètres environ, en direction du sud. Dans la partie supérieure, cette formation de 1856 s' appuie sur un système morainique un peu plus ancien et de même hauteur, mais dont l' arête s' abaisse pourtant plus tôt pour être ensevelie partiellement par le vallum de 1856. Au pied de ces deux formations latérales, trois autres moraines, nettement plus basses, marquent la limite de la marge proglaciaire. Du fait de leur couverture végétale complète et dense qui se distingue à peine de la végétation des pentes avoisinantes, on peut leur attribuer un âge élevé. La formation la plus éloignée du front, située sur une bosse de rocher, est un peu aplatie, tandis que son axe longitudinal est plus orienté vers l' ouest que celui des autres moraines. C' est donc là le témoin d' une époque durant laquelle le glacier était plus large. Il est probable que cette moraine est en relation avec les anciennes situations du front les plus éloignées de l' état actuel, dans le secteur de Gletsch. De gros rochers se sont amoncelés dans les dépressions situées entre les remblais et ont donc malheureusement empêché la réalisation de fouilles.

Sur le flanc de la vallée situé au-dessous du Belvédère, on trouve les traces d' au moins trois anciens maxima du glacier ( voir la carte 3 p. 169 ): celui de ces vestiges, situé le plus à l' intérieur du système et très facile à repérer, est composé par endroits de gros blocs de roche. Il a été déposé par le glacier lors de sa dernière grande poussée, survenue au XIXe siècle. Cette moraine latérale semble encore très neuve et dépourvue de toute végétation sur une photographie datant de 1874 et publiée par MERCANTON ( 1916: fig.5 ).

Immédiatement à côté, on trouve une deuxième moraine, un peu plus petite et plus âgée, qui date toutefois de l' ère moderne ( XVIIe/XVIIIe siècles, voir p. 231 ). Les deux formations sont partiellement recouvertes d' un taillis d' aunes difficilement penetrable. Ces arbustes ont en effet largement colonisé les pentes près du fond de la vallée. A peu près au même endroit, dans les rochers situés au-dessous du Belvédère, d' où partent les deux vallums dont nous avons déjà parlé, débute aussi une troisième moraine latérale encore plus ancienne. Cette formation recouverte d' un tapis de gazon alpin se fait moins visible par endroits, et sa dénivellation située du côté de la pente est souvent comblée d' éboulis. La moraine s' achève vers le petit becquet rocheux qui se trouve près de l' embouchure de la vallée du Muttbach ( près du P. 1979 ). A cet endroit, son ancienne forme est d' ailleurs bien conservée.Vers le Muttbach, la différence d' altitude de cette formation, extérieure par rapport aux deux moraines intérieures et plus modernes, augmente nettement pour atteindre les huitante mètres.

Sur le flanc gauche de la vallée, qui borde le Gletschboden au sud-est, le grand nombre d' aunes rend une vue générale difficile. Çà et là, on peut encore reconnaître quelques éléments morainiques dont de grandes parties se sont éboulées, principalement dans la partie reculée de la vallée, tandis que, dans la région la plus avancée du terrain qui nous intéresse, ils ont subi les effets de la construction de la ligne de chemin de fer et de la route de la Furka. Au pied de la pente, près de Gletsch, on trouve quelques petits vallums de moindres dimensions et rassemblés en groupes assez serrés. Ils peuvent être mis en relation avec le système de moraines terminales, évoqué au début de ce chapitre.

12. Les fouilles dans la marge proglaciaire Grâce aux documents historiques, on peut reconstituer l' histoire du glacier du Rhône jusqu' au XVIe siècle. Mais une telle reconstitution ne saurait être parfaite au-delà du milieu du XVIIIe siècle. En fait, seule la chronologie du système de moraines situé le plus près du glacier ( G ) peut être reconstituée avec une exactitude certaine. Ces vallums furent formés durant la dernière grande poussée de 1856.

D' autre part, il faut bien dire que le glacier avait à cette époque recouvert d' anciens vallums qui présentaient déjà une couverture végétale. Les restes de ces formations qui n' avaient pas été érodés à l' époque se trouvent aujourd'hui cachés sous la moraine de 1856 ( cf. à ce sujet la p. 213 et RO 62* p. 217 ). Des éléments de vallums créés avant 1856 affleurent par endroits, ce qui peut être démontré au moins en un lieu précis: une petite fouille sur un reliquat morainique plus ancien, près de l' endroit où celui-ci touche le vallum de 1856, a en effet permis de mettre à jour un sol peu épais. Tout porte à croire qu' il s' était formé avant la crue de 1856 sur une moraine 18 Soi fossile sous le val- lum D(RO A4:39065 yBP ) frontale plus ancienne ( RO A 7, vue 17 p. 228 ) et qu' il fut enseveli sous le vallum G.

Ce nouvel indice important, combiné avec l' étude de documents d' époque très riches en informations, contredit la théorie fréquemment émise dans la littérature spécialisée selon laquelle la deuxième moraine frontale à partir de l' extérieur, autrement dit la formation F, située devant le vallum de 1856, aurait été créée en 1818. Il s' agit ici manifestement du vestige d' une crue qui s' est produite au cours d' un siècle antérieur.

Comme nous l' avons dit, le glacier du 17 Terrain sous le vallum G, recouvert autour de 1856 ( R0A7 ) Rhône a, outre le système de vallums de 1856, créé d' autres moraines terminales au cours des périodes où il a progressé. Comment donc les classifier chronologiquement? Lorsqu' on a épuisé la solution des documents historiques, il ne reste plus qu' à rechercher au sein des vallums du matériel organique datable, tel que du bois ou des sols fossiles. C' est ainsi que l'on a creusé des fouilles dans diverses moraines situées à l' intérieur de la marge proglaciaire ( cartes 2 et 3 pp. 168 et 169 ). On a aussi pensé à la méthode consistant à dater les crues du glacier au moyen de bois fossiles. Rappelons par exemple que MERCANTON ( 1916: 50 ) signale la découverte, dans le Gletschboden, de troncs d' arbres qui avaient atteint l' âge respectable de deux cent soixante ans et étaient réapparus lors de l' aplanissement des moraines terminales C/D, à gauche du Rhône. Comme Mercanton le remarquait avec justesse, ces troncs avaient probablement été apportés devant le glacier par des avalanches et n' avaient donc pas été renversés par une crue de la langue. Aujourd'hui encore, on trouve des troncs d' ar étendus dans le Gletschboden. Ils y ont manifestement été arrachés par des avalanches descendues des pentes de la vallée, principalement du flanc droit, et ont ainsi été entraînés vers le bas. Cela n' exclut pourtant pas l' existence d' arbres qui auraient poussé devant le glacier même. A l' heure actuelle, il y a même des bosquets assez peu denses de petits mélèzes dans la partie orientale du terrain situé sous le front. Durant le siècle passé, H. Hogard avait, lui aussi, observé et dessiné de tels arbres ( cf. RO 59* pp.214/215 ).

Durant une crue, les arbres du fond de la vallée sont arrachés par le glacier et se voient ainsi réduits à l' état de sédiments. Ce serait littéralement vouloir chercher une aiguille dans une botte de foin que de tenter de retrouver de tels arbres fossiles dans le Gletschboden sans disposer du moindre point de repère. De plus, en cas de découverte, on ne pourrait, comme on l' a vu, jamais établir avec certitude la responsabilité du glacier dans la mort de l' arbre, sauf dans les cas où l'on pourrait prouver que l' arbre en question avait poussé là où on l' aurait trouvé.

Il existe un endroit, dans le terrain situé sous le front, où une telle preuve aurait éventuellement pu être vérifiée. Il s' agit en l' occur des échines rocheuses situées au nord du torrent de Saas, entre le Gletschboden et Untersaas, qui furent recouvertes par le glacier au siècle dernier. De petits mélèzes ont d' ailleurs repris pied à cet endroit. En dépit de recherches intensives dans les replis rocheux, il n' a pourtant pas été possible de retrouver le moindre indice d' arbres qui auraient été jadis renversés par le glacier.

Voilà donc pourquoi la datation au carbone 14 doit se concentrer sur les sols fossiles ensevelis sous les dépôts morainiques. C' est de ces anciennes surfaces de terrain, recouvertes aujourd'hui, qu' il va maintenant être question.

12.1 La fouille du Kapellenhügel La première fouille a été creusée sur la partie extérieure du vallum qui s' appuie en diagonale sur l' extrémité nord-est du Kapellenhügel, colline aux formes caractéristiques ( RO A 1, vallum C ). Cette moraine courte, mais bien modelée, est recouverte d' un épais gazon alpin, et la formation du sol est très avancée en comparaison de celle que présentent les moraines frontales plus jeunes. A une profondeur de 80 cm, la fouille est déjà tombée sur un affleurement du rocher du Kapellenhügel. Le profil ainsi creusé présente à sa base deux horizons nettement distincts qui s' étendent à plat dans le vallum. Le sol le plus profond est par endroits séparé du rocher et se trouve en fait sur une fine couche de sable. Sa couleur brun sombre est particulièrement remarquable. On ne trouve pas de matériau morainique entre cet horizon et celui qui est situé audessus, mais en fait une fine couche intermédiaire ( 5-8 cm ) de sable fin. Ce sol supérieur, plus clair, est mélangé de petits fragments de charbon de bois. C' est sur cette formation plus récente que le glacier du Rhône a déposé son vallum, constitué à l' intérieur de blocs arrondis.

Des prélèvements ont été effectués sur les deux horizons et des fragments de charbon de bois ont aussi été pris. Une analyse au carbone 14 a donné les âges suivants84:

Soi inférieur:

Substance organique résiduelle:

235575yBP(uz-831 ) 227580 yPB ( uz-948Acide humique:

170070yBP(uz-832 ) 183580yBP(uz-949Datation postérieure ) Soi supérieur:

Substance organique résiduelle:

Matériel insuffisant.

Acide humique:

80075yBP(UZ-947 ) Charbon de bois:

69590 yBP ( UZ-2262 ) ( daté à l' accéléra tandem AMS, EPFZ ) La radiodatation au carbone 14 du sol inférieur prouve donc l' existence d' une phase de plusieurs siècles ( allant au moins de 2355 yBP ro80 E. Edwards, 1865: la langue glaciaire qui, comparée à celle de 1856, a diminué considérable- à 1700 yBP ) durant laquelle un sol avait pu se former à l' endroit de la fouille. Durant cette époque, le glacier n' avait certainement jamais atteint le Kapellenhügel. Ce n' est qu' il y a 1700 yBP, au plus tôt ( mais vraisemblablement plus tard ), qu' il a pu s' avancer autant pour mettre un terme à la formation de ce sol en atteignant la colline et en dépassant l' emplace de la fouille. Il n' est pas possible de retrouver avec exactitude l' endroit où s' achevait la langue. Les vestiges des vallums A et B en- ment. On distingue bien le vallum ( clair et sans végétation ) qui s' était formé en 1856.

trent en ligne de compte pour retrouver la disposition des moraines à l' époque où le glacier avait cette étendue. Il n' est pas exclu que les vallums déposés à cette époque aient été balayés ou submergés au cours d' une crue ultérieure ( éventuellement lors de celle survenue vers 1260 yBP, voir ci-dessous ).

Cette poussée du glacier du Rhône, survenue à l' époque romaine autour de 1700 yBP ou un peu plus tard ( IMe/IVe siècles ), tombe durant une phase de refroidissement dont l' exis peut être démontrée par l' analyse de pollens ou grâce à l' histoire des glaciers85. Ce- lui du Rhône commença à progresser à la même époque, tout comme le grand glacier d' Aletsch ( voir p. 161 ).

Parlons maintenant du sol supérieur dont l' importance est décisive pour la datation du vallum sur lequel la fouille a été creusée. Son âge est très différent de celui du sol inférieur. L'on ne dispose malheureusement pas d' un matériel organique suffisant dans les échantil-. Ions prélevés, de sorte que l'on ne saurait évaluer la durée de la formation du sol. La radiodatation ( au carbone 14 ) de l' acide humique et celle des résidus de charbon de bois ne se contredisent pas. L' âge de ce deuxième élément est cependant déterminant pour la datation du vallum: celui-ci ne peut en effet pas être plus ancien que le charbon de bois qu' il recouvre; par conséquent, il ne peut avoir plus de sept siècles, ce qui fait que la crue du glacier qui forma cette moraine ne remonte pas non plus au-delà de 700 yBP. L' affirmation « plus jeune que 700 yBP », qui nous laisse une certaine marge de manœuvre, est justifiée par le fait que l'on ne peut pas prouver que l' âge du charbon de bois correspond à l' époque où il fut enseveli. Il est en effet possible qu' il ait reposé un certain temps sur le sol auparavant. Mais nous pouvons déjà dire d' avance que la crue en question a eu lieu à la fin du Moyen Age. En effet, une autre fouille a fourni des renseignements précieux pour la datation du vallum.

12. Fouille de l' Augstenweid Près de l' Augstenweid, à proximité du P. 1979 et au débouché de la vallée du Muttbach, on trouve un petit reste protubérant du vallum qui marque l' extension maximale du glacier. Une fouille ( RO A 2 ) a aussi été creusée à cet endroit et a dégagé un sol fossile dont l' inclinaison à l' intérieur du vallum correspond à sa ligne de plus grande pente. La radiodatation au carbone 14 du matériau de ce sol a donné les âges suivants:

Substance organique résiduelle:

67065yBP(UZ-829 ) Acide humique:

66580yBP(UZ-830 ) La formation du sol n' a probablement pas duré beaucoup plus de temps et s' est sans doute achevée vers 600 yBP. La crue du glacier et la période de grande extension qui en découle s' est donc produite au XIVe siècle, durant le Moyen Age finissant. Il est logique de relier l' état du glacier que l'on trouve près de l' Augstenweid à celui déduit de l' analyse effectuée sur le Kapellenhügel. L' âge du charbon de bois que l'on y avait trouvé ( 695 +1-90 yBP ) ne diffère pas de la radiodatation au carbone 14 du sol mis à jour près de l' Augstenweid. Il est donc proche de l' époque où ce charbon fut enseveli.

Comme nous l' avions indiqué, le deuxième vallum que l'on rencontre en remontant la vallée et qui se trouve près de l' Augstenweid et de la moraine de 1856 doit très certainement dater des temps modernes. En effet, il n' a pu être formé que durant l' époque qui suivit immédiatement la fin du Moyen Age.

II est fort probable que le vallum « 1602 » de Mercanton ( 1916, Plan 3 ) est la marque de l' extrémité de la langue au XIVe siècle, mais il ne nous est malheureusement pas possible de vérifier cette hypothèse. Toujours est-il qu' il faut réviser avec un œil très critique l' opinion de KlNZl(1932: 341 ) selon laquelle le vallum situé sur le Kapellenhügel remonte au XVIIe siècle.

Durant le XIVe siècle, le glacier du Rhône offrait très certainement un aspect beaucoup plus imposant que lors de sa dernière extension maximale, au milieu du XIXe siècle: là où débouche la vallée du Muttbach, la surface de la glace était élevée d' environ 80 mètres au-dessus de son niveau de 1856, et le front se trouvait à peu près 270 mètres plus en avant.

La preuve d' une telle crue survenue à la fin du Moyen Age est très importante pour la glaciologie historique. En effet, l' existence d' une telle évolution à cette époque n' est établie que pour quelques très rares glaciers86.

12.3 Les fouilles sur l' arête d' érosion ( AE ) Entre le maximum survenu à l' époque romaine ( soit vers ou après 1700 yBP ) et celui qui se produisit à la fin du Moyen Age ( vers 600 yBP ), le glacier du Rhône s' avança au moins une fois encore jusqu' au Kapellenhügel. Au début du Moyen Age, soit vers 1260 yBP ( VIIe siècle ) il recouvrit un marais qui s' était formé entre l' escarpement rocheux et le flanc droit de la vallée, sur lequel il a accumulé des couches horizontales de matériau morainique ou de gravier charrié par l' eau. C' est dans la partie sud-ouest de cette surface d' éboulis que la source thermale de Gletsch coulait encore au siècle dernier. Au milieu de cette plaine, on trouve en outre le vallum B qui est entouré d' éboulis et dont seule la crête subsiste. A la fin du Moyen Age, le vallum qui marque l' état C du glacier fut déposé sur cette étendue de matériau.

RO120 F. Vallotton, 1892: Le glacier du Rhône Au cours des siècles, un bras latéral du Rhône a creusé son lit dans le secteur nord-est de cette surface et créé ainsi une tranchée allongée. Le petit ressaut formé dans le terrain et nommé arête d' érosion ( AE ) a une hauteur d' environ un mètre. Sous ce profil d' origine naturelle, on a creusé une fouille qui, à une profondeur d' un peu plus d' un mètre, a mis à jour les premiers centimètres de la couche supérieure du marais dont nous avons parlé ( RO A 3 ). L' analyse de ce matériau tourbeux lui donne un âge de 126065 yBP ( UZ-813 ), ce qui nous permet de dater l' époque à laquelle le marais a été enseveli et celle où le glacier a progressé une fois de plus.

Il est difficile de situer le vallum B dans le temps et l'on ne peut déboucher sur des résultats certains. Il est toutefois sûr qu' il ne peut être plus jeune que 1260 yBP, puisque le terrain d' éboulis qui l' entoure a été déposé par la poussée survenue à cette époque. Il est possible que le vallum en question ait déjà été créé partiellement par l' extension maximale de l' époque romaine ( llle/IVe siècles ) et qu' il ait été rejoint, à nouveau, par le glacier vers 1260 yBP. Si le vallum B doit son existence à cette seule poussée de 1260 yBP, il faut alors admettre que la moraine créée à l' époque romaine a été balayée ou bien qu' elle correspond au vallum A.

On suppose en outre que, vers 1260 yBP, le glacier du Rhône avait érodé à l' endroit de la fouille creusée sur le Kapellenhügel ( RO A 1 ) la plupart du matériau déposé par la poussée survenue à l' époque romaine et qu' il avait de même arraché le sol qui avait éventuellement pu se former après cette crue. Cette hypothèse peut expliquer le fait que, sur cette même colline, on ne trouve pas de gravier morainique, ni d' horizon entre les sols inférieur et supérieur. La minceur frappante de la couche de sable qui sépare ceux-ci s' explique de la même manière.

Le terrain mis à jour par le bras du Rhône sur l' arête d' érosion ( RO A 3 ) présente en quel- ques endroits du matériau provenant d' un ancien sol mélangé à la tourbe. Il doit manifestement s' agir d' éléments organiques charriés ici par le glacier, car, avec 3800 yBP87, ce matériau est nettement plus vieux que la tourbe. Une telle datation ne nous dit pas grand-chose sur l' histoire du glacier; on peut tout au plus en déduire que celui-ci a vécu une crue de dimensions inconnues il y a environ 3800 yBP et qu' il a alors enseveli un sol. Durant la crue de 1260 yBP, le glacier a arraché des éboulis de ce sol fossile pour les déposer, avec le matériau qu' il charriait, sur le marais qu' il était en train de recouvrir.

12.4 La fouille sur le vallum D Après le dernier maximum de la fin du Moyen Age ( XIVe siècle ), la langue du glacier a commencé à reculer peu à peu. Il n' est toutefois pas possible de retrouver avec exactitude la distance de laquelle le glacier s' est retiré. En revanche, la description de S. Münster nous fournit une première certitude: en 1546, le glacier s' achevait dans le fond de la vallée et présentait déjà sa calotte caractéristique en forme de galette ( voir p. 169 ).

C' est vers la fin du XVIe siècle, soit au début du Petit âge glaciaire, que le glacier se remit à progresser. Le front s' est approché de nouveau du Kapellenhügel, sans toutefois l' attein. La langue qui s' était fortement allongée a déposé le petit vallum D, quelques mètres devant l' arête d' érosion ( AE ). On a creusé cette 19 La langue terminale actuelle du glacier du Rhône, au-dessus du ressaut rocheux ( 30 octobre 1985 ) moraine sur sa face extérieure ( RO A 4 ) et on a trouvé un nouveau sol fossile ( vue 18 p. 228 ). Tout comme l' horizon supérieur du Kapellenhügel ( 600 yBP ), il ne contenait que très peu de substance organique résiduelle. Seul l' acide humique a donc pu faire l' objet d' une radiodatation qui a donné un âge de 39065 yBP ( UZ-828 ). La durée de la formation de ce sol n' est, ici aussi, pratiquement pas estimable, mais elle ne doit pas être trop importante. Elle n' a en effet pas pu débuter avant la poussée du XIVe siècle et, si l'on en croit la radiodatation, elle a manifestement dû prendre fin au moment de la première crue des temps modernes, soit au tournant des XVIe et XVIIe siècles, lorsque le glacier a créé le vallum D. Avec cette formation, située 240 mètres environ en avant de la moraine de 1856 ( G ), nous pouvons retrouver l' extension maximale du glacier durant le Petit âge glaciaire et définir ainsi le terrain sur lequel vont se dérouler les crues suivantes du glacier au cours de cette époque.

Comme le montre la carte 2 de la p. 168, on trouve encore deux vallums supplémentaires créés avant 1856 et qui ne peuvent être datés par la méthode historique ( E et F ). D' après ce que nous venons de voir, ils ont dû se former après la crue du XVIIe siècle ( vallum D, vers 1600 ), mais avant les nouvelles avances du glacier au XIXe siècle ( cf. p. 203 ). Les documents imagés rendent peu vraisemblable l' hy selon laquelle le vallum F aurait été créé durant la phase de forte crue qui va de 1770 à 1781 ( voir p. 189 ). Si l'on se réfère à d' autres études sur les glaciers ( en particulier celles du glacier de Grindelwald qui a fait l' ob de recherches poussées, ZUMBÜHL 1980 ), on peut plutôt pencher pour les dates approximatives de 1640, 1670, 1720 et 1740 pour les vallums E et F88.

Traduction de Nicolas Durussel

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