Le Fründenhorn au printemps, par la face nord-ouest
( Par la face nord-ouest. ) Par F. Lambossy
( Par la face nord-ouest. ) Par F. Lambossy C' est le soir. De lourds brouillards coiffent impitoyablement de leur calotte visqueuse les cimes environnantes. Mélancoliquement nous suivons du regard les longues traînées grises, remplis de sombres pressentiments; demain?
Deux heures. Ciel étoilé, sommets neigeux, livides, formes blanches qui nous attirent. En route! Les jambes se détendent encore lourdes de sommeil. Nous longeons le bord du tranquille petit lac d' Oeschinen qui dort encore, reflétant les étoiles. 300 mètres au-dessus de nous, une lanterne monte doucement, et nous fait honte de notre retard; c' est, nous l' apprendrons par la suite, Schnidrig, l' excellent guide de Kandersteg, et ses clients qui arriveront sept heures plus tard au sommet du Doldenhorn par la formidable route du « Galletgrat », c'est-à-dire de l' arête nord. Droit en face de nous notre but: le Fründenhorn sort lentement des ténèbres, enveloppé d' une auréole lumineuse. Nous regagnons le temps perdu par un sommeil trop prolongé, en montant rapidement à travers les broussailles et les hautes herbes qui dominent le lac. C' est une partie pénible, le souffle nous manque, parfois on trébuche dans d' invisibles racines, les broussailles nous labourent la figure, un « maquis » fort peu sympathique, que nous sommes heureux de quitter, pour gravir rapidement les pentes herbeuses et rocailleuses, qui nous mènent après une pente de neige durcie au pied d' une paroi verticale d' aspect impraticable au premier abord. C' est là en général que ceux qui désirent partager l' ascension bivouaquent, par les chaudes nuits d' été! Là commence la partie vraiment intéressante de l' ascension. Je dépose mon sac, et la corde sur les épaules, prenant la paroi au défaut de la cuirasse, dans une varappe facile mais peu sûre, j' atteins le replat supérieur, duquel je hisse les sacs. Nous nous encordons. Dessaules prend la tête de la cordée, qu' il mènera, droit au but, sans défaillance, malgré une taille ardue de quatre heures sans intervalle, quant à moi, en queue, je me contente d' être la troisième roue du char, vu que nous ne sommes que trois. Un rapide couloir de glace et de rochers glacés nous retarde singulièrement, avant d' arriver sur le glacier supérieur qui s' étale en une vaste plate-forme de séracs et de crevasses à moitié recouvertes.
Nous déposons là nos sacs, prenant avec nous le strict nécessaire. Devant nous le Fründenjoch, que nous laisserons à notre droite pour rejoindre la face nord-ouest de notre sommet; à droite l' arête Gallet menaçante et rébarbative, de laquelle nous parvient de temps à autre un « ohé! oh! » lointain. Nous mettons nos crampons, mais notre milieu de cordée n' en possède point, ce qui obligera Dessaules à une taille soignée et à une surveillance minutieuse à l' aller et au retour. Nous remontons le glacier, pour escalader, d' une manière un peu hésitante des dalles schisteuses, effritées et peu sûres. De là, par une longue traversée en écharpe, nous rejoignons la voie habituelle d' ascension par l' arête nord. Après deux heures de taille dans une neige durcie et d' une inclinaison respectable, nous côtoyons le petit lac du sommet, lac qui mérite plutôt le nom de baignoire, pour arriver au commencement de l' arête nord-est, le sommet proprement dit. Sous une dalle, quatre bouteilles nous apprennent que le sommet est, somme toute, fort peu fréquenté: trois fois en 1933, deux fois en 1931, c' est tout ce que les bouteilles nous décèlent; nous ajoutons nos cartes, après un repas sommaire, et départ! Il est 11 heures, nous sommes restés une demi-heure au sommet. La montée nous a donc demandé 7 h. 1/2 presque sans intervalle. Nous avons vite fait de rejoindre nos sacs après une descente considérablement facilitée par nos bonnes marches. Là nous avons la désagréable surprise de nous trouver plongés dans un brouillard opaque.
Au lieu de reprendre nos traces de montée, nous tirons à gauche sous le Doldenhorn, franchissant des ruisseaux, sous la coupe de séracs que nous craignons à tous moments de voir s' effondrer sur nous. Après avoir traversé dans le brouillard compact maintes dalles glissantes, dans lesquelles je lâche malencontreusement un caillou qui, bondissant par dessus Margot, va frapper Dessaules à la tête lui applatissant ses lunettes noires qui heureusement amortirent le choc, nous arrivons dans un couloir d' avalanche qui nous mènera au-dessus du « maquis ». Là nous découvrons le lac, à notre grande joie, et à 4 heures de l' après confortablement installés devant une bière mousseuse, nous écoutons les avis de l' hôtelière et des touristes qui nous ont suivis du télescope durant presque toute notre montée, occupation qui, ma foi, en vaut bien une autre!