L'avalanche
Edmond Pidoux, Lausanne
Récit Tout médecin a des souvenirs qu' il n' aime pas évoquer, encore moins retrouver sous forme d' ob dans ses insomnies ou ses rêves. En les racontant il les garde sous le contrôle de la parole et de la raison. De plus la répétition les émousse. Il y a des plaies qui guérissent mieux si on les expose à l' air. C' est pourquoi mon ami le docteur Javinski m' a raconté par le détail, comme pour la revivre en pleine conscience, l' histoire de « son » avalanche.
Elle date des années où il était médecin de montagne dans un gros bourg valaisan au confluent de deux vallées. Il était venu s' y exiler, disaient les gens pour qui la ville offre seule vie et culture, deux mots qui recouvrent le plus souvent d' assez 168 Romain Vogler escaladant la deuxième longueur de Wunsb' s Dihedral « de la fissure ¢ coincement des pieds à la tête » 169 Grand écart et coincement du poing caractérisent l' escalade à la Devil' s Tower. Marc Balliger dans « Assembly Line » sur le versant nord de la tour, 72 Qolque Cruz: le départ Photos Esmé Speakman médiocres distractions. En fait mon ami avait sur le monde plus d' ouverture que la plupart des citadins: il y a tant de moyens aujourd'hui de s' infor et de communiquer!
Les montagnards les avaient adoptés, sa femme et lui. Son nom même et sa nationalité plaidaient pour lui, on ne sait pourquoi. Mais surtout on avait compris qu' ils n' étaient pas venus « tirer » quelques années en montagne en attendant mieux. S' ils n' avaient eu plus tard deux enfants aux études ils y seraient encore. Mais je le laisse parler: j' ai encore son récit dans l' oreille.
Cette année-là, avait-il commencé, on ne parlait que d' un hiver manqué, tout le monde se plaignait, les hôteliers, les sportifs et même les paysans. Il avait neigé en octobre, on skiait au début de novembre. Un mois plus tard c' était le fœhn par longues reprises. A Noël on cueillait des fleurs en montagne. Mais voilà qu' au moment où les stations se vident tout change en une nuit. Au réveil, le matin, on trouve sous ses fenêtres quarante centimètres de poudreuse, et ça continue tout le jour, toute la nuit et la journée suivante. Pas un souffle, pas une éclaircie ni même quelque chose qui ressemble à une chute. C' est le ciel tout entier qui descend d' un mouvement continu, si lent, si calme que le temps semble mis entre parenthèses, demi-sommeil ou rêve. Je ne pensais même pas à quelque chose qui pût survenir, comme une urgence m' appelant sur des routes pas encore déneigées. Peu de travail, des heures de lecture...
La troisième nuit on a commencé à craindre les avalanches. On a barré la route du col, surveillé les endroits où se produisent tous les trois ou quatre ans des coulées dangereuses. Le bourg semblait avoir reculé d' un demi-siècle dans le temps, solitaire, silencieux, un bonnet de neige enfoncé qu' aux yeux, même sur les maisons neuves, platement modernes, que le vêtement blanc uniformi-sait.
Les avalanches sont tombées au cours de la nuit comme on le prévoyait: route coupée en aval en deux endroits, au pont du Merdenson et sous le couloir de l' Aboyeux. Au matin tout le village le MO La Devil' s Tower. Des parois impressionnantes, rayées par les griffes d' un ours légendaire Photos: Gaetano et Ro i Vogler savait, le téléphone arabe existe en montagne comme partout. En amont la coulée n' avait pas traversé la route. On avait laissé un piquet de surveillance; mais plus haut le chantier du barrage, fermé pour l' hiver, donnait de l' inquiétude. Il n' y avait sur place qu' un gardien volontaire, un Sicilien d' une trentaine d' années, demi-sauvage, presque illettré, qui vivait plus sobre qu' un chameau et pour la seule idée de se faire un pécule. Une fille l' attendait dans son village près de Catane, m' ont dit plus tard deux compatriotes, ses camarades de chantier. Belle et sage comme une madone. Mais lui n' était pas moins beau, une tête de Christ, mais noiraud — ce qui me semble, l' ayant vu, plus vrai que la blondeur du Jésus traditionnel.
Ce Filippo s' était donc offert pour la garde du chantier, sachant occuper ses heures creuses là-haut à tailler des objets de bois qu' il vendrait au bazar du village au retour du printemps.
Eh bien! voilà l' homme que l' avalanche est venue chercher dans sa baraque cette troisième nuit. Elle a dévalé de la crête des Six-Niers en ramassant sur plus de deux cents mètres de largeur tout le chantier, six baraques, dont celle du gardien. Au lever du jour on s' est douté de quelque chose, le téléphone étant coupé. On a dépêché deux skieurs avec un émetteur radio, des gars de la vallée capables de foncer, mais de garder l' œil ouvert. Trois quarts d' heure plus tard l' alerte était donnée au bureau replié sur le dernier village. On mobilisait les secours à vaste échelle, des équipes de sondeurs avec chiens d' avalanche. Un trax devait suivre pour dégager la route d' accès et attaquer au besoin l' avalanche elle-même. Il n' en fallait pas moins: on s' est vite rendu compte que les sondes étaient inutiles dans la masse de neige truffée de débris, planches, tôles, mobilier pris dans la coulée comprimée et durcie. Les chiens eux-mêmes étaient perdus dans un tel désordre d' où émanait une riche variété d' odeurs.
Appelé sur les lieux, j' y suis resté toute la journée. J' aurais pu éviter des heures d' attente, il était facile de m' alerter, et à moi d' accourir en cas de trouvaille. Plusieurs des sauveteurs étaient capables de donner les premiers soins. Mais quelque chose me retenait sur place, et chacun aurait fait comme moi, je pense, devant l' énorme coulée en masses grumeleuses étagées les unes sur les autres dardant de longs éclats de bois, planches et poutres tordues ou éclatées pêle-mêle avec l' herbe et les buissons arrachés à la pente que l' avalanche avait scalpée jusqu' au roc.
Et là-dessus le ciel continuait à descendre paisiblement en flocons serrés, toujours la même nonchalance comme si rien ne s' était passé, comme s' il n' y avait pas là-dessous le nommé Filippo... Un homme seulement, si peu de chose!
Les sauveteurs, une trentaine, s' acharnaient pourtant. Cet ouvrier presque illettré, ce solitaire, ce sauvage se mettait à compter comme jamais de son vivant ( vivait-il encore ?). Ainsi s' acharne à tirer du champ de bataille le blessé qu' on y renverra des qu' il aura repris visage d' homme. Donc on travaillait ferme, avec une sorte de fureur, pour sauver le Sicilien, bien sûr, mais aussi pour se donner bonne conscience: il n' y a pas de racisme chez nous, un homme reste un homme, du moins à l' article de la mort.
Un ingénieur était sur place, abritant sous un parapluie les plans du chantier qu' il consultait pour diriger les travaux, mais chacun y allait de ses suggestions. On savait dans quelle baraque devait loger Filippo, mais elle ne possédait pas le téléphone, et les deux Siciliens dont j' ai parlé se disaient sûrs que le gardien, leur compagnon, s' était transporté avec son matelas dans le petit local où se trouvait l' appareil. On ne pouvait pas y cuisiner, mais on s' y chauffait mieux. Il est probable que l' ouvrier partageait son temps entre ces deux endroits, une alternative qui compliquait encore les recherches, presque désespérées dans un bouleversement aussi général. On aurait dit que l' ava avait agi avec une sorte de perversité en provoquant des remous dans tous les axes, fond sur fond, mais aussi en projetant des tentacules de droite et de gauche, énorme pieuvre à présent saisie par la rigidité cadavérique. Il avait fallu toute une exploration dans le brouillard fourmillant de flocons pour se faire une idée de ses plis et replis.
Le trax avait enfin atteint le bord de la coulée et s' attaquait à la masse elle-même. D' abord avec prudence, de peur de blesser l' homme pris là-de-dans, puis avec une vigueur moins contrôlée à mesure que le temps passait, que le retard devenait mortel plus sûrement qu' un mauvais coup de pelle. Le plan de l' ingénieur était de dégager le passage principal entre les baraques, une ruelle goudronnée qui épargnait aux ouvriers de circuler dans une fondrière. Ce détail en facilitait le repérage au milieu du désordre. La machine attaquait rageusement puis reculait pour aller déverser à l' arrière le contenu de la pelle. Il aurait fallu disposer d' une « marineuse », qui creuse devant elle et fait passer les matérieux par-dessus son propre corps. Le trax, avec ses allées et venues, irritait l' impatience; mais des qu' il se retirait on se précipitait pour piocher à droite et à gauche, tout objet dégagé faisant naître un flot d' hypothèses et croître l' agitation. Ou bien c' était une odeur, de braise refroidie, ou de pétrole, de latrine. Un matelas découvert, une couverture, et l' ardeur décu-plait. Toujours aussi vaine. Trop nombreux, les hommes se gênaient. On finit par en laisser plusieurs aller à la découverte en suivant leur intuition. Une belle confusion, mais que proposer de mieux pour chercher — c' est l' expression consa-créeune aiguille dans une botte de foin? Le seul point positif, c' est que l' avalanche avait emporté la neige de toute la pente et jusqu' au sol: il n' y avait pas à craindre d' autres coulées.
A l' arrière s' entassaient au hasard les objets dégagés de la masse, débris de cloisons, de toitures ou de meubles, une marmite, une valise écrasée comme un crapaud sur la route, des sommiers métalliques, je cite au hasard dans ce capharnaüm. Bref, une image de guerre, plus encore à l' appro de la nuit avec l' arrivée d' un petit contingent de soldats venant installer un groupe électrogène et des projecteurs. Tout ça pour Filippo à qui, vivant, on n' aurait pas fait la centième partie de ces honneurs.
Je suis rentré chez moi. Je me suis baigné et changé avant de satisfaire un appétit énorme et de dormir comme une souche, le téléphone à mon chevet. Mais point d' appel durant la nuit. C' est moi qui ai décroché à l' aube pour me faire brancher sur la liaison radio.
On n' avait rien trouvé, aucun indice valable, leur nombre même les rendait inutilisables.
Je suis monté quand même.
La machine avait ouvert une tranchée de près de cinquante mètres sur six ou sept de profondeur. Incroyable, ce qu' elle avait remué en vingt heures. A présent elle travaillait sur le dos de la coulée en procédant à une sorte d' écrémage. C' était une idée de l' ingénieur. Si le gardien se trouvait au fond de la masse, son sort était réglé, mais les remous avaient porté nombre d' objets presque en surface, et c' est là qu' on avait sans doute le plus de chances.
Je ne suis pas resté longtemps, ce deuxième jour. J' avais des malades en consultation, et il me semblait aussi que mon absence augmentait les chances du disparu selon la formule: il suffira que je m' en aille pour qu' on m' appelle.
Le deuxième jour, la deuxième nuit ont passé sans autres nouvelles. Quand je suis monte le troisième matin ça sentait la défaite, le cœur n' y était plus. La machine restait seule aussi têtue, aussi bruyante et son conducteur comme enragé. Il n' a accepté que pour une heure ou deux de céder à d' autres les commandes. On avait pourtant organisé le relais des équipes et un va-et-vient entre village et chantier pour apporter nourriture et boissons chaudes. Mais le conducteur, un homme de la montagne, voulait être à la pointe du sauvetage. On raconte dans le haut pays nombre d' his, dont plusieurs sont vraies, sur des victimes de l' avalanche retrouvées vivantes après des jours. C' est pareil pour les tremblements de terre, si bien que personne ne se sent le courage d' ordonner l' arrêt des recherches. Quiconque se trouve sur les lieux, même sans imagination, est pris au cœur par l' angoisse de l' enterré vivant.
Voilà comment il y eut un quatrième jour, avec l' apport de deux trax légers supplémentaires. Il avait cessé de neiger depuis trente-six heures. J' ai suivi l' ingénieur sur une hauteur d' où l'on domine le site. J' ai compris de là-haut la folie de nos espoirs. Ce que les machines avaient remué semblait dérisoire, tellement disproportionné que les bras vous en tombaient. Je suis rentré chez moi.
Ainsi est venu le cinquième matin, celui on le miracle s' est produit. A plusieurs reprises on avait stoppé les machines et tenu sur le front d' attaque un conseil de guerre, une pause de plus en plus longue avant de s' y remettre par acquit de conscience. Il aurait fallu remuer la masse entière, un mois de travail. Pour un mort. Une fois de plus, une dernière fois le conducteur du premier trax était descendu de sa machine pour faire le point avec les autres, et conclure maintenant à l' aban. Il restait là encore un moment avant de tourner le dos, regardant le mur compact devant lui et jurant entre ses dents, furieux d' avoir perdu courage. Et pour en finir il a eu ce mot, lourd comme un arrêt de mort:
- Ce gars-là, son compte est bon: on le retrouvera au printemps!
Après ça, un silence comme au cimetière quand on écoute les premières pelletées sur la caisse.
A ce moment l' un des Siciliens, un mineur dur d' oreille comme ils le sont un peu tous, demande à l' autre de lui répéter ces paroles. Le copain traduit en poussant la voix:
Filippo!... verrà ritrovato solo in primavera! Là-dessus les voilà tous les deux ensemble qui redisent plusieurs fois ces syllabes qui ont le poids du destin:
Filippo!... solo in primavera!
On rassemble les outils, le conducteur remonte sur sa machine et lance le moteur. Mais au moment de faire marche arrière il envoie une dernière fois la pelle dans la masse, comme ça, pour marquer qu' il n' abandonne que par force... Et voilà qu' un ouvrier resté en arrière pousse une exclamation: une cavité s' est ouverte juste au bord du trou que la pelle vient de faire. Une sorte de triangle noir. Il se précipite, s' agenouille pour voir et se met à crier, rappelant les autres. Filippo est là! On voit ses pieds! Il est vivant! Il bouge!
Il était allongé en effet sous l' abri d' un panneau de bois, une porte, comme on a vu plus tard. Il n' avait pas cessé de bouger et il avait tout entendu, le bruit des machines depuis des jours, celui des voix qui se rapprochaient. Les silences, les palabres. On imagine son calvaire dans la nuit, le froid, l' attente et ses alternances d' espoir et de doute. Puis - épreuve suprêmele dernier « conseil de guerre » qui l' avait condamné, par la voix de ses compatriotes... Bien sûr, je n' étais pas sur place, mais j' ai voulu plus tard savoir le détail de ce qui s' était passé, j' ai interrogé autant de témoins que j' ai pu.
Sur le moment même, appelé là-haut, j' avais mieux à faire. Les secouristes avaient donné les premiers soins, étant formés à cela, mais Filippo semblait avoir bien supporté sa captivité. Il l' avait passée dans un état intermédiaire entre l' hiberna et la demi-conscience, comme s' il avait su d' instinct se maintenir en vie sans se débattre ni s' abandonner. L' avalanche l' avait surpris dans son sommeil, non dévêtu, car il gardait même au lit un gros blouson ouatiné. C' avait été son salut. Donc, pas de gelures, mais le jeûne l' avait un peu affaibli, et plus encore le supplice de l' attente et des faux espoirs, dans une nuit où il avait perdu toute notion du temps. Quant au bouleversement du chantier, il n' en gardait aucun souvenir, s' étant réveillé prisonnier dans sa trappe au sortir d' un étrange et tumultueux vertige. A la réflexion seulement il avait compris ce qui s' était passé, en relation avec l' interminable chute de la neige.
A l' hôpital où je l' ai conduit il est devenu aussitôt l' objet de la curiosité et de la sympathie générales. Une infirmière italienne, plus toute jeune, mais passionnément maternelle, avait demandé et obtenu de le prendre en charge. Moi-même, par un mouvement de sympathie ( à force peut-être de l' avoir imaginé là dans son tombeau de neige, de m' être identifié à lui ), j' ai prolongé mon séjour à l' hôpital, non sans me heurter plus d' une fois à cette Italienne qu' à la fin je trouvais envahissante dans sa manière de le faire parler, de le questionner, de le plaindre, de le cajoler comme un enfant. Elle y était encore tard, le même jour, quand je suis repassé voir le miraculé, et cette fois je suis intervenu sévèrement, sur ce ton que je peux avoir dans l' impatience et qui impressionne, paraît-il. J' ai interdit à la brave femme de rester plus longtemps auprès de Filippo. Je lui ai fait promettre de le laisser en paix pour la nuit, son salut en dépendait. D' ailleurs il dormirait, il ne demandait que cela et je lui administrerais un tranquillisant dont il avait certes plus besoin que d' une mère poule d' adoption.
L' Italienne, toute petite devant ma colère, promit tout ce que je voulais.
J' ai quitté Filippo en toute tranquillité: il avait déjà repris des couleurs - l' excitation n' y était pas pour rienet il me tenait les mains avec une ferveur de reconnaissance que je ne méritais nullement... Ce n' est pas moi qui l' avais cherché et découvert, je le lui répétais, mais cela ne l' empêchait pas de m' appeler encore son sauveur et son ange. Ah! si j' avais compris quelle angoisse exprimait en réalité une telle gratitude!
Le lendemain, à six heures du matin, on me téléphonait de l' hôpital pour m' apprendre, nouvelle incroyable, que Filippo était mort.
L' infirmière italienne venait de le découvrir, déjà saisi par la rigidité cadavérique. Un confrère m' appelait après avoir constaté le décès, qu' il ne s' expliquait pas, ayant suivi avec moi les progrès du rescapé et veillé en personne à lui assurer une alimentation appropriée. Il n' y avait plus de miraculé. Le pire échec de ma vie!
Pourquoi? Comment? C' est pour le savoir que j' ai consulté tant de témoins, sans oublier l' infir italienne. Et voici à quoi j' ai conclu après mon enquête.
Laissé seul par mon ordre, Filippo s' est sans doute endormi, mais l' angoisse qui l' avait travaillé durant des jours sommeillait au fond de lui. Dans l' état conscient il la maintenait en respect. Qu' il vînt à s' assoupir, elle se ranimait au con- traire et la torture en lui recommençait. L' infir m' avoua qu' elle avait entrouvert sa porte au début de son sommeil pour s' assurer que tout allait bien. Elle l' avait entendu gémir des paroles indistinctes où il était question plus d' une fois de primavera. Un cauchemar qu' elle n' avait pas interrompu, car il s' était clos sur un grand soupir... Comment aurait-elle pu comprendre que le pauvre Filippo répétait les mots entendus au moment où l' équipe de secours l' abandonnait à son sort? Les mots de sa condamnation? C' est moi qui ai pu, par recoupements, dans mon enquête, faire le rapprochement... in primavera! Cette nuit-là, et jusqu' au dénouement fatal, le malheureux avait revécu l' angoisse qui l' avait torture dans son caveau...
On connaît le cas étrange et souvent cité de l' ouvrier enfermé par erreur dans une chambre frigorifique, subissant peu à peu les effets du froid et notant par écrit les étapes de sa lente agonie, les phases d' un refroidissement mortel maintes fois observé en montagne ou ailleurs. Or l' appareil de réfrigération n' était pas enclenché, l' ouvrier était mort par imagination.
Ainsi du pauvre Filippo, dont le corps présentait lui aussi les signes de la mort par refroidissement général... Et c' est moi qui l' avais condamné, en le privant de celle qui aurait pu lui faire passer le cap de cette première nuit de délivrance et d' an. Ce n' est pas de repos qu' il avait besoin, mais de sécurité, et pourquoi pas sous la forme de cette chaleur maternelle - et méridionale! -que sottement, durement j' avais éloignée, moi le trop raisonnable, le trop assuré homme de « science »?