La littérature de la montagne
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La littérature de la montagne

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Par le Dr E. Thomas.

Pour revenir à l' ordre chronologique, il faut mentionner que la fondation de l' Alpine Club en 1857 fut un grand événement et a donné naissance non pas seulement à l' activité des alpinistes anglais, mais à une littérature très représentative de ces hommes.

A cette époque et plus tard, à mesure que les hauts sommets sont vaincus, les mémoires, les récits sont nombreux. Pour ces personnalités pratiques, les détails techniques sont décrits avec la précision d' un itinéraire.

Ce n' est pas que plusieurs d' entre eux ne ressentent vivement la beauté de la montagne; ils l' expriment seulement avec plus de retenue. L' un d' eux écrit: « Une journée bien employée dans les Alpes est comme une grande symphonie. » Plusieurs ont trouvé en Suisse une seconde patrie dans ces lieux aimés où ils revenaient chaque année.

Je citerai, parmi ceux de la première heure, Tyndall, le vainqueur du Weisshorn. Arrivé après une longue lutte à la cime, il ouvre son carnet de notes, mais devant cette immensité, il proclame que « l' admiration silencieuse est le seul service raisonnable ».

Descendant du Cervin après la première traversée depuis le Breuil, une fois le danger passé, il s' arrête et laisse errer sa pensée sur ce que fut autrefois cette montagne dont la destruction s' opère lentement, mais sûrement. Remontant aux causes qui ont fait naître et grandir les Alpes, il entrevoit cette nébuleuse primitive contenant en germe tout ce qui existe, voire même cette tristesse avec laquelle il contemple le Cervin. Physicien de grand mérite, son esprit quelque peu sceptique se demande si l'on peut concevoir un Etre qui sache tout.

Je mentionnerai ensuite celui qui malgré sa courte vie est bien connu dans la Suisse romande.

E. Javelle, d' origine française, après une jeunesse difficile, devient professeur à Vevey où il demeurera jusqu' à la fin. Travaillant beaucoup, remé- diant à une culture insuffisante, il sera un bon écrivain au style sobre, qu' il cherchait à inculquer à ses élèves. On en retrouve encore qui ont gardé pour lui un véritable culte.

Ardent à la conquête, se disciplinant lui-même, il fait ses premières armes dans la haute montagne, avec d' excellents guides. Puis il devient chef d' entre et ne craint plus les difficultés. Très sensible, il a beaucoup caché de son âme qui aspirait à l' infini.

Il écrit après avoir longuement contemplé le panorama: « Ce n' est pas une métaphore de dire qu' ici l'on a changé de monde. Tous les objets sont nouveaux; plus rien ne rappelle la vie; il ne reste plus que le monde minéral et la froide magnificence de ses phénomènes.

Il y a pourtant quelque chose de perfide dans la beauté de ce spectacle; longtemps contemplé, il fait mal. On y éprouve trop fortement l' irré puissance des forces éternelles; à leur brutal contact les choses fines du monde intérieur s' évanouissent, la délicatesse de nos distinctions morales s' évanouit... L' âme alors, vidée pour ainsi dire de tout ce qui lui vient de l' humanité, ne ressent plus que je ne sais quel amour infini; on voudrait dans un embrassement suprême s' unir à ces immuables puissances dans un éternel repos. » « La terre, aujourd'hui si belle et si riche, doit mourir.

Cette pensée m' est revenue souvent en face des scènes désolées des montagnes; mais lorsque je me laisse aller à rêver le temps où cette ruine sera consommée, je me demande ce que sera devenu ce développement magnifique, cet immense travail d' intelligence et de passions à travers lequel grandit l' humanité.

Où seront alors les pensées d' un Socrate, les créations d' un Shakespeare, les visions d' un Raphaël, les rêves d' un Beethoven. Nous vivons à la fois dans deux mondes, tous les deux splendides; mais dans l' un tout ce qui est créé est immortel, tandis que dans l' autre une puissance déroule à l' infini des formes qui se succèdent. » Vient ensuite une phrase célèbre à juste titre: « En ce moment sous cette riche lumière, dans cet air pur des Alpes, j' ai vraiment vécu et tout un ciel était dans mon cœur. Pourquoi donc craindre? Celui qui a fait ne saurait-il refaire; revivre serait-il plus merveilleux que vivre. » Comme on le voit, le travail de l' ascension terminé, la pensée de Javelle n' éprouvait aucune peine à se mettre en face des redoutables énigmes de la nature.

Le Dante dans son Paradiso exprime d' une manière très vivante cette impression spéciale que beaucoup d' alpinistes ont éprouvée en descendant de la haute montagne:

« Et je vis des choses que celui qui vient de là-haut ne sait et ne peut redire, parce qu' en s' approchant de son désir, l' intelligence se fait en nous si profonde que notre mémoire ne peut revenir en arrière. » Je ne voudrais pas passer sous silence l' homme qui a dit: « La montagne, c' est ma poésie. » G. Rey a écrit un véritable poème à la gloire du Cervin, c' est son œuvre la plus parfaite.Voulant encourager ses compatriotes d' Italie à la beauté des montagnes, il leur montre quel bien ils retireront de l' ascension et termine par ces mots: « Gravir les pics ne saurait être une fin dans la vie; c' est un moyen qui, dans les années jeunes, trempe les énergies et les prépare aux luttes imminentes, qui conserve à l' âge viril ses forces, fait durer la jeunesse près de fuir et prépare à la vieillesse un trésor de beaux souvenirs et sans remords. » Ce sont là des conseils qu' un alpiniste de la trempe de G. Rey adresse à des jeunes gens qui devraient les méditer et surtout les appliquer.

Et comment, à propos de G. Rey ne pas parler des guides, de ceux qui, à l' âge de la conquête des principaux sommets, furent les véritables vainqueurs.

Ces alpinistes, il faut le dire, ont rendu hommage à leurs compagnons; plus d' un fut invité et reçu à Londres à l' Alpine Club. Whymper avait une affection profonde pour Michel Croz, pour J. A. Carrel; Coolidge pour Aimer et ses fils; Dent et Freshfield admiraient F. Devouassoud auquel ils ont élevé un monument au cimetière de Chamonix.

G. Rey écrit: « Je ne n' exagère pas la vertu de ces hommes; mais lorsque je pense à certaines des délicates attentions qu' ils eurent pour moi, lorsque je revois leurs visages graves à des moments où la vie nous semble une chose plus précieuse qu' à ceux qui la possèdent en toute sécurité, moments où ils agissaient avec une prudence silencieuse et sûre; lorsque je pense que, grâce à eux, il me fut donné d' affronter d' une âme sereine la suprême volupté du péril et que je leur dois tant d' heures belles et élevées de mon existence, mon cœur monte jusqu' à eux avec admiration et gratitude, et j' éprouve un sentiment, je dirais presque d' orgueil, de les connaître et de les avoir pour amis. » Un romancier suisse, dont le nom est cher à tous ceux qui l' ont connu, quoiqu' il soit un peu oublié maintenant, Ed. Rod, bien qu' il ne fût pas alpiniste, a voulu dans son livre « Là-Haut » réagir contre l' envahissement de notre pays par ce qu' on appelle l' industrie des étrangers.

Séjournant à Salvan, au Salvan d' autrefois, il fut saisi lui aussi par la beauté et la grandeur des montagnes. Sa constitution pessimiste, craintive, s' épanouit au contact de cette riche nature.

Ayant passé par l' école naturaliste, il avait pris l' habitude de la notation des faits, le sens de l' observation s' était développé.

A Salanfe, la Tour Sallière attire son attention par sa face redoutable Le Grand Revers.

« L' énorme montagne, à cette heure, semblait vivre d' une vie active et rapide, d' une vie personnelle, presque humaine.

Les couleurs changeantes que les jeux de la lumière étendaient sur le glacier donnaient à sa lourde masse un aspect de figure inquiète. On la voyait pâlir comme d' effroi, rougir comme de colère; puis pour un instant, toute rose, elle semblait une vierge dont le beau sang colore les chairs de marbre.

Elle parlait aussi: les continuelles avalanches qui s' écroulaient sur ses flancs lui prêtaient une voix pour gronder, pour gémir... Ce n' était plus un entassement inerte de pierres et de neige, c' était un être animé, un monstre superbe dont les formes et la voix dégagent une fascination fatale. » Un de mes amis, excellent alpiniste et qui fut le vainqueur du Grand Revers, me racontait avoir fait la connaissance d' E. Rod, qui lui demanda des précisions. Il put lui répondre que cette description était parfaitement exacte, belle synthèse des qualités de littérateur et de connaisseur d' art qui étaient le privilège de Rod.

Ce dernier s' est inspiré aussi des souvenirs d' E. Javelle pour décrire une ascension et les sentiments qui agitaient Javelle et dont j' ai déjà dit quelques mots:

« La victoire l' exaltait, il plongeait ses regards dans le vide, les emplissait d' espace, de lumière, de lignes superbes, de couleurs merveilleuses. Il ne pensait plus, son âme aspirait l' espace, elle s' élargissait comme si elle eut embrassé l' infini, elle se dissipait, dégagée de ses liens n' étant plus qu' un atôme imperceptible de cet ensemble qu' elle suffisait pourtant à réfléchir.

Il vécut un de ces instants dont la volupté une fois savourée dépose au fond de nous le germe d' un désir éternel, un de ces instants où la conscience s' évanouit délicieusement, où l'on ne sent plus peser sur soi le poids fatigant de l' être, ni l' effrayante menace de la mort. » Peut-être les jeunes varappeurs souriront-ils à ces descriptions, et pourtant, je crois que ceux qui s' interrogent loyalement, qui ne sont pas intoxiqués par la gloriole, se diront: Combien tout cela est vrai.

Il me faut terminer cette revue de la littérature alpine, si non cette étude prendrait des proportions exagérées.

C' est un grand géologue français, P. Termier, doué d' un admirable talent descriptif qui m' en fournit l' occasion.

A côté de nombreux travaux scientifiques, il a publié trois volumes de conférences et articles détachés sur de nombreux problèmes et qui sont accessibles, à part certains détails, au public cultivé. Termier a été un grand voyageur, l' Europe, l' Afrique, l' Amérique l' ont vu tour à tour travailler sur place et raconter ce qu' il avait vu.

Je l' ai connu à peine, le hasard me mit en relation avec lui, mais trop tard, car il mourait il y a deux ans.

En vue de la Meije, cette reine longtemps inviolée des Alpes du Dauphiné, il écrit:

« Le soleil allait disparaître, la gloire du couchant déclinait, s' appauvrissait, se muait en tristesse. Les glaciers pâlissant prenaient cette teinte lunaire A la gloire de la Terre. La joie de connaître. La votation de savant.

qui donne le frisson aux montagnards les plus aguerris. L' une après l' autre, les cimes plongeaient dans l' ombre. Bientôt la Meije était seule à conserver la lumière, gardienne du feu, vestale incorruptible, phare prodigieux au-dessus de la houle grise des sommets éteints.

Souvent, elle se voilait à demi d' une écharpe de vapeurs légères. Notre extase était silencieuse et nous restions muets et immobiles, comme dans une église au moment le plus auguste du sacrifice. » « Parmi les belles et grandes choses de la Terre sont les montagnes qui parlent le plus éloquemment de stabilité, d' immutabilité. Répétez l' ascension d' une cime dix, vingt ans après que vous y êtes monté pour la première fois... Les mêmes difficultés se présentent aux mêmes endroits, les prises pour les mains et les pieds n' ont pas varié; sur l' arête terminale, les mêmes pierres nous attendent.

L'on est si bien ici dans le silence des airs calmes, dans la paix indicible qui s' épand du ciel tout proche...

Pendant que nous songeons, un bruit soudain monte du gouffre. C' est une pierre qui tombe, nous l' entendons rouler, se fracasser; une autre la suit, c' est une avalanche qui croule. Et dans l' heure tardive, sous la morsure du vent qui a brusquement fraîchi, nous avons la révélation d' une détresse, à laquelle nous ne pensions guère, la détresse de la montagne vieillissante. Les ravins nous apparaissent comme des plaies béantes au flanc du mont désolé; ces plaies ne se fermeront plus. Envolé le rêve d' éternité. » Des études de critique littéraire, historique, philosophique, reposent sur des faits, sur des documents que l'on apprécie avec l' intelligence et la raison.

La littérature de la montagne, en dehors de la description du paysage, des observations techniques, a forcément un caractère personnel, de l' ordre sentimental.

Amiel a dit: « Un paysage est un état d' âme. » Cette parole est vraie en ce sens qu' elle nous révèle la part importante de notre moi, de nos impressions, dans la description de la montagne.

Aussi cette littérature pour qui n' en a qu' une vue superficielle, paraît-elle souvent pauvre et monotone.

Pour la comprendre, pour en jouir, il faut avoir passé soi-même par ces impressions et, ce qui est plus difficile, les exprimer. Mais à l' esprit qui cherche, elle révèle des beautés inconnues, parce qu' elle émane directement de la personnalité humaine et que rien d' humain ne doit nous être étranger.

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