La Dent de Mordes en hiver
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La Dent de Mordes en hiver

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Avec 2 illustrations ( nos 44, 45).Par Ph. Bérard.

La Dent de Mordes est un point de vue magnifique dont l' accès, par le versant sud-est, est étonnamment facile.

Chamoson.

Nous partons de Genève par une de ces belles après-midi de fin février annonçant le printemps. A 16 heures le train nous dépose à la halte de Chamoson, et nous commençons la montée, skis sur l' épaule, à travers le vignoble en pente douce où fleurira bientôt le Dôle 1943. A St-Pierre-de-Clages nous admirons l' église très ancienne, avec sa tour octogonale et sa nef aux énormes piliers. Sur la place, les belles du village se préparent à monter aux mayens, pour assister au tournoi de ski de l' Ardevaz, où les as de la région vont concourir pour la gloire de leur dame. Les trophées d' argent sont déjà exposés dans une vitrine pavoisée.

Au hameau de Crugnay nous pouvons mettre les skis, et la route traverse la Losenze pour monter en lacets dans la forêt jusqu' aux vastes champs de neige des mayens. Le soleil couchant lance ses rayons rose orangé sur la paroi gigantesque du Haut de Cry, dont les crocs se découpent sur le ciel bleu foncé. Plus à droite, la lune se lève au-dessus des Becs de Bosson. Nous croisons deux ouvriers de la mine de fer de Chamosenze qui font une partie de luge après leur journée de travail.

C' est au clair de lune que nous arrivons à la pension du Peuplier, bien campée sur l' arête qui descend du Muveran, entre les mayens de Chamoson et Ovronnaz. C' est la seule pension ouverte, et encore à titre exceptionnel en l' honneur du concours. Mais le patron, Monsieur Remondeulaz-Hoffmann, monte volontiers sur demande, il suffit de téléphoner à St-Pierre-de-Clages, au n° 41 421. Il nous prépare un bon lit sur lequel sa femme avait étendu des feuilles de menthe pour éloigner les souris pendant l' hiver. A la table d' hôte les as du comité fixent les derniers détails de l' itinéraire de la course de fond. Puis tout rentre dans le silence de la nuit, pendant que la lune continue à briller sur la neige entourant la maison endormie.

La Dent de Mordes.

3 heures du matin. La montre-réveil tinte gentiment. Le temps d' en nos souliers, et nous sommes prêts à continuer notre voyage d' instruc jusque là si heureusement commencé. La route traverse le hameau d' Ovronnaz et franchit la Salenze qui descend des Muverans, puis nous nous engageons dans la neige vierge de la Grande Creuse; c' est une belle combe clairsemée de sapins et de mélèzes, tout d' abord bien ouverte et en pente douce, puis de plus en plus raide et resserrée. Nous montons sur la droite du vallon, pour éviter le danger d' avalanche poudreuse du versant nord de la Seya. La Die Alpen - 1943 - Les Alpes.9 pente est maintenant très inclinée et plongée dans l' ombre, mais un liseré argenté annonce déjà l' approche du Col du Petit Pré, que nous laissons bientôt sur la gauche pour longer la base du Châtillon et du Six à Germain et atteindre la plaine du Grand Pré, toute baignée de clair de lune.

Nous sommes alors en plein enchantement. A droite, des pentes d' une douce blancheur s' élèvent jusqu' à la Dent Favre, dont l' a pic de l' arête ouest rappelle l' attitude du Moïse de Michel-Ange. En face, la lune à demi éclipsée dans l' ombre de la Terre semble chuchoter à l' oreille de la Tita à Séry, puis elle disparaît et laisse tout le vallon dans l' obscurité. Nous montons à la lueur de la lampe électrique sur le flanc nord du Grand Chavalard. Une perdrix des neiges réveillée en sursaut s' envole tout à coup à quelques mètres en un frémissement d' ailes blanches en lançant son appel familier.. .rr-r-nr...

A l' est, la dentelle bleue de l' horizon se frange d' or transparent, tandis qu' à l' ouest le ciel rosit dans l' échancrure du Col de Fenestral d' où nos regards embrassent bientôt tout le massif du Trient. Le Mont Bla ne arbore sa rosette sur le Monte Benito-Mussolini, puis ce sont le Gran Paradiso, Argentière, le Dolent, qui s' empourprent à leur tour. Au premier plan, le Lac de Fully étend sa nappe de houille blanche, et à droite une magnifique combe s' élève en pente douce jusqu' à la Dent de Mordes. Les chauds rayons du soleil invitent à la flânerie, en sorte qu' il est déjà haut dans le ciel lorsque nous approchons du sommet.

La bise est si forte qu' il est prudent d' ôter les skis afin de ne pas risquer d' être emporté comme un papillon. Le versant ouest est vertigineux avec ses couloirs enneigés hérissés d' aiguilles de rocher. Quel contraste avec le Rhône bleu vert qui serpente paisiblement, au milieu des champs jaune mousse et des villages en miniature, jusque vers le Léman d' un bleu vaporeux. En face, les Dents du Midi se dressent fièrement au-dessus du gouffre de la St-Barthé-lemy. Au nord-est, la combe des Martinets plonge dans l' ombre de la paroi abrupte des Muverans, et au sud-est se déroule la chaîne des Alpes Valaisannes, finement découpées dans tous les tons de bleu, du tendre de la Rosa Blanche au passionné du Cervin.

La descente s' effectue dans des conditions idéales de neige tantôt poudreuse tantôt de printemps, suivant l' exposition, par le même itinéraire que la montée, mais avec un soleil saharien. Nous faisons halte au beau chalet du Petit Pré dont le toit en eternit ondulé chargé de neige fondante fournit une eau délicieuse. Puis la descente continue parmi les mélèzes au tronc bronzé jusqu' à Ovronnaz et de là par les beaux champs de ski des mayens et quelques lacets d' une bonne route jusqu' à la plaine du Rhône. Nous, faisons une dernière halte agrémentée d' un verre de Dôle avant de prendre, le train du retour d' où nous pourrons encore adresser un amical au revoir à la Dent de Morcles illuminée par les derniers rayons du soir.

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