Himalaya 1938
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Himalaya 1938

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Avec 1 esquisse et 3 illustrations.Par Marcel Kurz.

Cinq grandes expéditions ont visité l' Himalaya en 1938. Sur ces cinq expéditions, trois sont parties de Srinagar, capitale du Kashmir: une pour le Nanga Parbat, deux pour le Karakoram. Malgré l' immensité du territoire, c' est la première fois, croyons-nous, que le Gouvernement des Indes autorise trois expéditions à visiter simultanément cette région.

Dans tout le reste de la chaîne himalayenne, on ne compte, en 1938, que deux autres entreprises importantes: les Anglais à l' Everest et les Autrichiens au Gangotri ( Garhwal ). Cette dernière expédition a seule été victorieuse. Les autres s' étaient fixé comme but un grand sommet et sont toutes rentrées bredouilles. A l' Everest et au Nanga Parbat on est resté en deçà des altitudes atteintes précédemment. Seuls les Américains au K2 ont stupéfié le monde en atteignant du premier coup 7900 m. Leur échec équivaut presque à une victoire, précisément là où l'on s' y attendait le moins.

Depuis l' expédition française au Hidden Peak ( 8068 m .), un changement semble se manifester dans la tactique des conquérants. En 1936, pour la première fois, les Français ont osé s' attaquer à un 8000 par une voie rocheuse qui est en même temps la plus courte de la base au sommet. Ils y ont été conduits tout naturellement, par déduction, après les tentatives faites en 1934 par un itinéraire détourné, d' une longueur désespérante ( voie Dyhrenfurth par le Queen Mary Peak ). Grâce aux moyens modernes, grâce aussi à une technique plus raffinée, ils ont réussi à surmonter toute la partie rocheuse, celle précisément qui semblait la plus difficile.

En 1938 également, les Américains, procédant par élimination, ont choisi la voie la plus courte au K2. Ici l' exemple est moins typique, le I^ formant une pyramide régulière où tous les itinéraires imaginables sont directs — sauf la voie préconisée par Vittorio Sella ( arête NE, très longue et très compliquée ). Enfin, cette année-ci ( 1939 ) nous apprenons que les Allemands, lassés sans doute par la longueur du glacier de Rakiot, vont reprendre la voie tentée par Mummery en 1895, sur le versant de Diamir du Nanga Parbat. Les expériences futures vont-elles prouver que la ligne la plus courte est la meilleure? L' ancienne tactique des pionniers alpins consistait à suivre la ligne de moindre inclinaison ou de moindre résistance, les voies essentiellement neigeuses ( glaciers, névés, couloirs ). Cette tactique a été transplantée et appliquée tout naturellement dans l' Himalaya. Mais, à mesure que la technique et ses moyens se développent, on en arrive à choisir des voies de plus en plus courtes, de plus en plus directes, rocheuses de préférence. Car ces voies rocheuses présentent l' avantage de pouvoir être « équipées » d' une façon plus durable que les voies neigeuses. Elles sont aussi plus vite dégagées par les vents après une chute de neige. L' avenir nous dira si cette tactique est la bonne et si elle doit supplanter l' ancienne. Chaque montagne pose du reste un problème différent, il n' en n' est pas deux pareils et c' est précisément un des charmes qui nous attirent vers l' Himalaya.

La septième expédition au Mont Everest1 ).

Après sa conquête de la Nanda Devi ( 7820 m. ), Tilman était devenu l' homme du jour et l'on espérait avoir trouvé en lui le prochain vainqueur de l' Everest. Quelle belle revanche depuis 1936, alors qu' il avait été éliminé comme incapable de s' acclimater aux hautes altitudes I Ascète invétéré, Tilman eut le grand mérite de simplifier le problème en sacrifiant tout le superflu. Ses compagnons se plaignent même d' avoir eu très faim... Son équipe était de toute première force: Shipton, Smythe, Odell, Oliver, Warren, Lloyd; sauf se dernier, tous connaissaient déjà l' Everest. Dans un esprit de solidarité et d' économie, chacun selon ses moyens contribua financièrement à l' entreprise. Le budget se montait à 2500 £ seulement et l' expédition ne coûta guère plus de 50,000 francs suisses. Elle fut du reste soutenue par de généreux donateurs et par une large contribution du Times. La caravane quitta Gangtok ( capitale du Sikkim ) le 4 mars avec 12 Sherpas et 60 mulets. Elle évita l' ennuyeux détour par Phari Dzong et se rendit directement à Tangu ( rest-house, 3660 m .), où elle séjourna une semaine, temps nécessaire aux hommes pour ouvrir une piste à mulets dans la neige profonde.

Le Sebu La ( ou Kongra La, 5200 m .) fut franchi le 18 mars par un temps froid et maussade. Au Tibet par contre, les conditions devinrent normales et typiques pour l' époque: ciel clair, mais vent constant. L' expédition parvint à Rongbuk le 6 avril, plus tôt que toutes les précédentes. Quarante-cinq porteurs de Sola Khumbu ( Népal ) arrivèrent ponctuellement le lendemain par le Nangpa La ( 5806 m .) avec 600 kilos de vivres.

Dans le ciel bleu pâle et l' air glacé, l' Everest se dressait dépouillé, plus sec que jamais. Les conditions semblaient excellentes, mais le froid était trop vif et le vent trop violent pour permettre une attaque immédiate — du moins le croyait-on. Tilman congédia donc la moitié de ses porteurs, ce qui allait doubler le nombre des relais entre les camps et tuer utilement le temps... Par suite du froid ( —15° C. la nuit ), du vent et de la poussière qu' il soulevait, tous les Européens souffraient de rhumes, de toux chronique, de laryngite ou d' influenza. Tilman fut même obligé de revenir à Rongbuk pour se soigner et ne remonta au camp III que le 26 avril. A ce moment, la glace brillait encore sur les pentes du Col Nord. Découragée par le vent et la basse température, l' expédition décida de passer le Lhakpa La ( 6765 m .) pour aller se reposer et se refaire dans la vallée de Kharta, la « capoue » du massif. C' est paraît-il la seule façon de se débarrasser des maux inhérents à l' Everest: changer d' air et gagner un climat plus doux. Deux escouades franchirent successivement le col avec 22 porteurs. Le reste des coolies se rendit à Rongbuk avec ordre de ne remonter que le 15 mai. Car tout le monde était persuadé que l' ascension ne serait pas possible avant la fin de mai. Ce régime dura sans trêve jusqu' au 5 mai, jour où la neige se mit à tomber abondamment pendant une semaine. A partir de cette date, le sommet devint alors inabordable et la belle série, sur laquelle on comptait avant la mousson, ne se produisit pas 1 ).

La montagne était maintenant blanche de neige du haut en bas et fumait du mauvais côté. Des nuées s' engouffraient en masse par la trouée du Rapiu La. Au camp III, on mesurait déjà un pied de neige fraîche, mais Tilman ne croyait pas encore à la mousson. Les conditions du Col Nord semblaient acceptables et l' attaque commença le 20 mai. Oliver et deux Sherpas montèrent ce jour-là sans difficulté jusqu' à 300 pieds sous le col. A cet endroit, la pente qui change chaque année, se raidit et exige une traversée oblique vers la gauche. Au moment où Oliver commençait cette traversée, une avalanche se détacha, mais Odell et Tilman qui suivaient purent facilement arrêter la glissade. Ce passage exposé fut alors facilité par une corde fixe et tout le monde redescendit au III.

Puis la neige se remit à tomber, mais le 24 mai, par une très belle journée, tous les sahibs ( sauf Lloyd malade ) et 26 Sherpas parvinrent finalement au Col Nord... 42 jours après leur arrivée à Rongbuk 2 ).

Mais il était encore trop tôt, pensait Tilman: la montagne surchargée de neige semblait dangereuse et ces nuages qui s' amoncelaient de toutes parts ne pouvaient pas encore être ceux de la mousson... Entre temps, la neige avait repris. On redescendit. Plutôt que de rester sur place à ne rien faire, on décida alors de se diviser et d' attaquer le Col Nord par ses deux versants. Le 27 mai, Smythe et Shipton se rendirent à Rongbuk avec 15 porteurs, et le 28, par un temps chaud et lourd, Odell, Oliver, Tilman, Warren et 13 porteurs remontèrent au Col Nord.

Le 30, Tilman poussa jusqu' à 7500 mètres, mais il était encore trop tôt, pensait-il, pour installer le camp V: on enfonçait dans la neige jusqu' au des genoux.

Le 1er juin, toute son équipe redescendit au camp I, et le 2, Oliver et lui remontèrent le glacier principal de Rongbuk pour rejoindre Smythe, Shipton et Lloyd au camp du lac, une gouille morainique sur la rive droite. Le temps s' améliorait un peu et le vent d' W ( le bon ) balayait le versant N de la montagne.

Le camp III W fut installé au pied de la grande pente du Col N, à peu près à la même altitude ( 6550 m .) que le camp III E.

Le 5 juin à 11 h. toute la caravane parvint au Col N par ce versant W qui, dans ces conditions, était en somme tout aussi dangereux que l' autre. Une avalanche avait découvert un immense pan de glace qui dut être taillé et traversé obliquement ( premier parcours du versant W du Col N ).

Le lendemain ( 6 juin ), grâce à une neige durcie, on monta au camp V ( 7865 m ) qui fut occupé par Shipton et Smythe avec sept porteurs, tandis que Tilman, Lloyd et les autres coolies redescendaient au Col N.

Le 7, le vent souffla très fort, mais le 8, Shipton et Smythe installèrent le camp VI, sur un pan d' éboulis, à 8290 m. Cette montée du V au VI exigea 8 h. à cause des rochers très enneigés. Le même soir tard les sept porteurs rentraient très fatigués au IV. Le lendemain ( 9 juin ) Shipton et Smythe, partis trop tôt, durent revenir se réchauffer dans leur tente. Peu après ils furent arrêtés définitivement par la neige poudreuse où l'on enfonçait jusqu' aux hanches. Dans ces conditions il était parfaitement inutile de continuer. Dégoûtés, ils redescendirent au V où ils rencontrèrent Tilman et Lloyd arrivés directement du camp III W à 15 h.

Ceux-ci couchent au V avec deux porteurs, partent le lendemain ( 10 juin ) à 8 h., arrivent au VI peu après midi et renvoient leurs deux hommes au V.

Le 11 juin ils font eux aussi un faux départ à 8 h., doivent revenir se réchauffer et repartent à 10 h. 30 pour l' arête faîtière ( route Mallory 1924 ), mais ils sont arrêtés à la première paroi rocheuse ( très enneigée ) et doivent s' avouer vaincus. Le même soir ils couchent au camp IV. Lloyd fit usage d' oxygène et s' en trouva fort bien.

Un des porteurs étant paralysé, la retraite définitive se fit par le versant E du Col N, col qui fut donc traversé pour la première fois cette année.

Ainsi se termina cette septième expédition à l' Everest. Il fut vaguement question de revenir en automne, mais aucun des sahibs n' était libre ( tous en avaient parfaitement assez ) et les chances de trouver des conditions favorables à cette époque sont très minces, malgré toutes les belles théories. Au-dessus de 8000 m ., il n' est guère possible de s' élever dans le versant N avant que le soleil n' ait réchauffé les rochers. C' est pourquoi une tentative après la mousson n' entre même pas en considération.

Tilman termine sa relation en reconnaissant que le temps restera toujours le facteur principal, décisif, et que, pour triompher, il faudra des conditions parfaites dans les 600 derniers mètres. Presque tout aussi importante que le temps est l' attitude des autorités tibétaines. Il pense que si l' Everest se dressait en territoire britannique et qu' on puisse l' attaquer chaque année et profiter des moindres occasions, il serait déjà conquis. Mais actuellement, avec ce système de tentatives irrégulières, on se demande vraiment s' il le sera jamais...

Tilman semble avoir prouvé que, même à l' Everest, une simple équipe peut arriver aux mêmes résultats qu' une grande et coûteuse expédition. Néanmoins, en lisant son récit très vivant et intéressant, on a l' impression qu' une équipe plus forte et mieux soutenue aurait pu risquer davantage pour le succès avant l' arrivée de la mousson.

On regrette les hésitations, les atermoiements ., les reculs, les contremarches, la dispersion des efforts.

Une température de —15° C. au début d' avril à 6000 mètres d' altitude ne devrait pas être une raison suffisante pour abandonner la partie. C' est la température normale dans nos Alpes en hiver. Certes, nous ne savons pas quelle était la force du vent dont se plaint Tilman, mais le vent est souvent beaucoup moins terrible qu' il ne semble de loin, surtout sur une arête. L' expérience l' a prouvé bien des fois.

On ne peut s' empêcher non plus de comparer ce récit à ceux des Allemands au Kantsch ou au Nanga Parbat, et avec celui des Américains au K2. Ces derniers ont fait preuve d' un cran étonnant ( voir plus loin ). Tilman doit bien le sentir, puisqu' il se donne la peine d' ex la différence de mentalité entre les expéditions allemandes et anglaises, avouant que son équipe ne va pas à la montagne comme à la guerre, mais par amusement, et qu' elle préfère être vaincue que tuée ...* ).

Les Autrichiens au Gangotri.

Depuis quelques années déjà, le Club alpin autrichien ( Ö. A. K. ) préparait avec enthousiasme une expédition dans l' Himalaya. Une équipe bien entraînée dans les Alpes et le Caucase ( 1935 et 1936 ) se rangea sous les ordres de Rudolf Schwarzgruber. En marsEn rentrant de l' Everest, Shipton quitta la caravane avec deux Sherpas et poursuivit l' exploration de la chaîne de Gyangkar ( groupe du Nyônno Ri ) commencée lors de son expédition de 1935. Cette région est en majeure partie granitique et renferme de superbes pâturages. Le temps n' étant pas propice, Shipton ne lit que la traverser de l' W à l' E et rentra au Sikkim ( Geographical Journal, décembre 1938, 487—189 ).

A son tour, Tilman, avec deux Sherpas également, quitta la caravane à Tingkye et franchit le Naku La ( immédiatement à l' W du Chomiomo ). Tournant à l' E, il traversa ensuite un col latéral appelé Tashi La et réussit le lendemain ( 3 juillet ) la première ascension du Lachsi ( 6430 m. ). Ce sommet forme un plateau neigeux couronné d' une protubérance de glace ressemblant à un bouton caractéristique. Tilman descendit ensuite la vallée de Tangu, remonta celle de Zemu et réussit le 8 juillet la première traversée effective du Zemu Gap ( 5875 m. Wien ) qu' il avait tentée en sens inverse deux ans auparavant. 80 m. de corde furent nécessaires pour la descente sur le versant S. Cette descente s' effectua dans d' atroces conditions de temps et de neige par un couloir abrupt et très dangereux qui s' ouvre du côté du Simvu ( E ). Elle exigea cinq heures et demi d' acrobatie palpitante avant de pouvoir prendre pied sur le glacier de Tongshyong. Par ce glacier, celui de Talung et le Guichak La, Tilman parvint à Dzongri et de là à Darjiling ( Alpine Journal, novembre 1938, 271—277; Himalayan Journal, 1939, 147—155; esquisse orographique du Lachsi, p. 148 ). Toute cette expédition se fit par le mauvais temps et prouve une fois de plus l' énergie infatigable de Tilman.

a ) Voir la relation officielle et très détaillée du chef d' expédition dans 1' Österreichische Alpen-zeilung de janvier 1939, 16—60 ( Rudolf Schwarzgruber: Die Kundfahrt in das Gangotrigebiet ). Voir aussi: Bergsteiger, février 1939, 268—281 ( relation abrégée, illustrée de superbes photographies ); .Alpine Journal, mai 1939, 79—84; Himalayan Journal, 1939, 140—146; Zeitschrift des D.A.V.. 1939 ( vol. LXX ): Die Gangotri-Gruppe ( westlicher Garhwal-Himalaja ). Ceux qui ne connaissent pas encore les « charmes« de l' organisation d' une expédition dans l' Himalaya feront bien de lire le préambule de R. Schwarzgruber. La principale contribution ( 11,500 RM .) provenait du Club alpin allemand ( D.A.V .), mais les dépenses se sont montées à environ 35,000 francs suisses. Schwarzgruber prétend qu' il eut été difficile de s' en tirer à meilleur compte. Une demande écrite fut adressée au Raja de Tehri Garhwal ( à Tehri, Garhwal ) aux fins d' obtenir l' autorisation officielle. Le médecin, Rudolf Jonas, précéda l' expédition de 15 jours pour faire tous les préparatifs avec le Capt. White à Massuri ( Mussooree ). Les coolies furent rassemblés à Lansdowne par le Lieut. Whitehead ( officier de transport ). Ils sont, paraît-il, moins chers et meilleurs que ceux de Massuri.

Les détails inédits des derniers levés furent obligeamment fournis sur place par le Major Gordon Osmaston, chef de l' équipe topographique qui est en train de lever cette région au 54 pouce. En attendant la parution de ces nouvelles feuilles, on consultera l' esquisse orographique p. 35.

D' après les documents rapportés par l' expédition, Gangotri se révèle comme un véritable èden, où voisinent, dans un désordre paradisiaque, les montagnes les plus étranges, aux formes les plus audacieuses. Le massif est en majeure partie granitique et rappelle vaguement les montagnes du Rregaglia ( Forno-Albigna-Rondasca )... à l' échelle himalayenne... Par contre les sommets entourant les glaciers de Chaturangi et de Raktbarn semblent être de formation sedimentaire, schisteuse. Malheureusement les glaciers sont couverts de pierres, celui de Gangotri jusqu' à 4700 m ., celui de Raktbarn jusqu' à 5200 m. Facilement accessible et pourtant très mal cartographiée, cette région constituait un but idéal pour une première expérience ( aucun des six participants ne connaissait l' Himalaya ).

Sur 9 sommets tentés, 6 ont été conquis, tous supérieurs à 6000 m. Quant aux 7000 de la région, ils sont difficiles et toujours vierges, he temps fut presque constamment beau durant toute l' expédition: la mousson se déclancha très tôt en 1938 et se termina déjà vers le 20 août ( jour où l' expédition partait de Massurifait exceptionnel et très favorable aux Autrichiens. Ceux-ci méritent toutes nos félicitations. Nous ne regrettons qu' une chose: c' est que les Suisses n' aient pas su saisir ime si belle occasion ( entre 1934 et 1938 )... Cette année-ci ( 1939 ) leurs efforts seront nécessairement beaucoup plus dispersés, alors qu' à Gangotri, tous les pics ( vierges ) se dressaient autour du camp de base: il n' y avait pour ainsi dire qu' à tendre la main pour se servir...

1938, elle était prête à partir, lorsque l' Autriche fut annexée et l' expédition renvoyée à l' automne suivant. Très sagement, les Autrichiens avaient abandonné toute idée d' attaquer un grand sommet de 8000 m. et préféré un petit massif, celui de Gangotri, où ils pourraient explorer et conquérir selon leurs goûts et leurs aptitudes. Nous avons vu qu' en 1933, lors de l' expédition écossaise de Marco Pallis, tous les sommets de ce cirque étaient encore vierges. Seuls furent gravis à cette occasion le pic central ( 6458 m .) du groupe Bagirati ( que Pallis appelle Satopanth ) et deux autres pointes de moindre importance. Tout restait donc à faire dans le Gangotri * ).

L' équipe qui aurait dû s' embarquer en mars à Trieste, ne partit que le 4 août pour les Indes. Outre le docteur Jonas qui la précédait, elle comptait cinq jeunes alpinistes. Ceux-ci arrivèrent le 18 août à Dehra Dun où les attendaient Jonas et White avec un camion qui les transporta le même jour à Massuri ( Mussooree ) avec armes et bagages. Là, le lieutenant Whitehead ( officier de transport ) et sept Sherpas venus de Darjiling se joignirent à eux. Le Raja de Tehri, qui séjournait précisément à Massuri, poussa l' ama jusqu' à les faire accompagner par un délégué officiel.

Le 20 août la colonne se mit en route, forte d' une soixantaine de coolies ( trente porteurs étaient partis d' avance ). La marche d' approche ( 260 km. jusqu' au camp de base ) dura jusqu' au 4 septembre, soit 16 jours dont deux jours de repos. Le début fut éprouvant, à cause de la chaleur étouffante dans les bas fonds de la vallée de Bagirati où l'on descend à 750 m. ( 34° à l' ombre ). 11 faut compter cinq jours jusqu' à Uttarkashi ( 1300 m .; dernier bureau postal ) et quatre jours encore de là à Harsil ( 2600 m .), dernier village important, où croissent d' excellentes pommes. Toute cette région parut idyllique aux nouveaux venus.

De Harsil, un bon chemin muletier ( qui rappelle celui de St. Moritz à Pontresina ) conduit en deux jours à Gangotri ( 3055 m .), lieu de pèlerinage fameux, fréquenté six mois par an, où se dressent quelques temples. De Gangotri à Gaumukh, les traces se poursuivent sur la rive gauche orographique à travers des forêts de bouleaux. A mi-chemin s' élève le nouveau resthouse de Chirbas ( 3700 m .) construit spécialement pour les pèlerins 2 ).

De Chirbas, un lieu charmant, on aperçoit pour la première fois les sommets de Bagirati ( que Pallis appelle Satopanth ). Schwarzgruber ne consacre pas un mot à Gaumukh, source sacrée du Bagirati et terminus du pèlerinage. D' après son esquisse orographique, le glacier de Gangotri fut abordé par la rive gauche ( W ) qui semble du reste avoir été suivie dès Gangotri. Le camp de base fut installé le 4 septembre à 4340 m ., dans une oasis gazonnée, entre les moraines du glacier principal et celles d' un tributaire oriental appelé Chaturangi. Jusqu' ici et durant tout le trajet depuis Massuri, le temps fut beau et chaud avec une seule demi-journée de pluie 3 ).

Le 8 septembre ( un peu plus d' un mois après le départ de Trieste ), les opérations purent commencer. Malheureusement Schwarzgruber, âme de toute l' entreprise, souffrait de dysenterie et dut rester au camp pour se soigner, alors qu' il aurait enfin pu goûter le fruit de tant de laborieux préparatifs. Cruel coup du sort auquel, hélas, chacun doit s' attendre I HIMALAYA 1938.

La première conquête, par Ed Ellmauthaler et Toni Messner ( celui des Grandes Jorasses ), fut celle du sommet N de Bagirati ( 6512 m .), ce beau triangle blanc dressé à gauche sur la photo Kirkus ( Les Alpes, 1936, face à p. 9; Alpinisme, 1936, 246 ). L' ascen se fit le 9 septembre, d' un bivouac à 5400 m ., par le versant opposé, invisible sur cette photo. Il ne présente pas de difficultés spéciales. L' arête NE ( celle de gauche sur la photo ) fut ralliée à 6400 m. environ; superbe arête cornichée qui conduit directement au sommet.

Le 11 septembre, Walter Frauenberger et Leo Spannraft gravirent le Chandar Parbat ( 6728 m .), beau sommet facile, sorte de promontoire détaché au NW du main divide entre Arwa et Gangotri et dominant tout le cirque du glacier de Chaturangi. Cette conquête fut déjà plus longue que la précédente et dura du 8 au 12 septembre. Il fallut remonter le glacier de Chaturangi, puis celui de Suralia ( son tributaire ), puis le versant W qui présente d' immenses pentes d' éboulis avant de se transformer en croupe neigeuse.

Le troisième camp fut place au pied de cette croupe neigeuse ( trois Sherpas montèrent jusque-là ). De là en cinq heures au sommet, sans difficultés. Temps merveilleux et vue très claire jusqu' au Tibet.

Durant ce temps, Ellmauthaler et Messner firent une reconnaissance au Shivling ( 6538 m .), cet extraordinaire obélisque que Pallis avait baptisé « Matterhorn ». Sa face NW semble seule entrer en considération pour une attaque éventuelle, mais elle est si effrayante que tout espoir fut abandonné.

Par son altitude et par sa forme étrange, le Satopanth ( 7062 m .) excitait tout naturellement la convoitise des Autrichiens. Procédant par déduction, Ellmauthaler et Frauenberger décidèrent de l' attaquer par la gorge glaciaire de son versant N. Remontant le Chaturangi avec deux Sherpas, ils bivouaquent au pied du Bazuki Parbat, puis s' engagent au S sur le tributaire nommé Sundar Bamak. Ils quittent ensuite ce glacier pour s' en dans la gorge du versant N. Le glacier qui l' occupe est coupé par une barre de séracs au-dessous de laquelle ils campent ( deuxième camp depuis la base ).

Le 17 septembre, malgré le temps couvert et maussade, la caravane poursuit sa route et gagne par un bras glaciaire raide et crevasse une selle neigeuse ( 6000 m. environ ) à l' origine de la belle arête NNE. Elle y bivouaque en pleine tempête ( camp III ). Le jour suivant fut de nouveau très beau mais plus froid ( —12° ). L' arête neigeuse est d' abord large et facile, puis elle se rétrécit et se hérisse de gendarmes de glace jusqu' au moment où elle se perd dans la face à 600 m. sous le sommet. Une neige fraîche et profonde recouvrait toute cette arête; sa partie étroite, hérissée et cornichée, se révéla infranchissable. Il fallut renoncer à cet itinéraire et finalement les deux explorateurs en reviennent à leur premier projet par l' arête NNW.

Laissant le gros du bagage au camp II, ils descendent le 20 à la base on ils s' accordent deux jours de repos. Le 24 ils campent par le mauvais temps à 5600 m. dans la baie supérieure, au pied de l' arête NNW. Le jour suivant, grand beau mais neige fraîche embarrassante. Avec leurs deux Sherpas, ils réussissent à forcer un couloir de 300 m. conduisant dans une brèche de l' arête NNW et à établir un camp supérieur à 6000 m. sur cette arête. Cette fois-ci tout semble pare pour la victoire. Mais l' arête rocheuse, qui se prolonge jusqu' au pied de la face neigeuse sommitale, présente une énorme coupure à pic de 25 à 30 m. On pourrait évidemment y descendre à la corde, mais comment remonter avec des charges? Tout espoir s' effondre brusquement devant l' implacable réalité: c' est la défaite et le retour à la base 1 ).

Entre temps, Jonas et Schwarzgruber séjournaient à la base, le premier soignant le second... La convalescence faisant quelques progrès, ils purent enfin commencer à s' en.

Puis ils se joignirent à leurs amis du Satopanth pour essayer une montagne plus facile: le sommet central du Chaturangi ( 6395 m .) qui domine au N le glacier du même nom.

Quittant la base le 29 septembre avec trois Sherpas, leur quatuor remonte ce glacier et campe au confluent d' un torrent latéral, puis il s' élève au N dans la direction du sommet. Montée fastidieuse par de longues pentes de schistes; contrée merveilleuse où les photographes peuvent s' en donner à cœur joie ( voir les deux pages illustrées du massif Gangotri ). Le 1er octobre, par un temps radieux, l' ascension fut réussie sans difficultés notables. Vue très claire, instructive et captivante sur les montagnes si diverses du Garhwal et jusqu' aux confins du Tibet.

A part le Chaukhamba, point culminant du massif et but principal de l' expédition ( voir plus loin ), les sommets les plus tentants étaient le Kedarnath ( 6940 m .) et le Sri Kailas ( 6932 m. ). Le Kedarnath, troisième du groupe en altitude, semble facile, malheureusement il était déjà très enneigé à cette époque et la tentative fut arrêtée à 6100 m. par une profonde neige fraîche 2 ).

Les explorateurs se portent ensuite une trentaine de kilomètres plus au NE, vers un sommet qui les attirait depuis longtemps et qu' ils finissent par gravir le 16 octobre: le Sri Kailas ( 6932 m. ). Ces longs déplacements ne sont guère recommandables, surtout en automne, dans une région aussi pierreuse. De la base il faut commencer par descendre le glacier de Gangotri ( rive droite ), puis remonter celui de Raktbarn, où trois camps furent nécessaires avant de gagner le sommet. Ce fut du reste une conquête facile, mais par un temps froid et venteux, avec une « vue fabuleuse»2 ).

Ces différentes conquêtes se faisaient durant l' absence de Messner et Spannraft qui, depuis la mi-septembre, poursuivaient l' exploration du Chaukhamba ( 7138 m .), point culminant du massif et but principal de l' expédition. Cette montagne était à peine topographiée et posait un véritable problème auquel nos deux explorateurs consacrèrent presque toute leur campagne 3 ).

Durant trois jours ils remontent le glacier de Gangotri, en grande partie recouvert de moraines et parviennent dans la baie supérieure, étranglée entre de hautes parois où tonnent les avalanches. Couvert de neige fraîche, le Chaukhamba reste inabordable. Pour se consoler, ils montent le 20 septembre au Mandani Parbat ( 6198 m .), large coupole sur le partage des eaux entre Gangotri et Kedarnath. Le jour suivant ils campent sur la rive droite, au confluent du Maiandi Bamak. Remontant ce glacier, ils réussissent le 23, par l' arête SSW et dans des conditions défavorables, l' ascension difficile du Swachhand Pk. ( 6721 m. ). Du haut de ce sommet, ils découvrent tout le glacier de Bagirath Karak qui descend sur Mana, mais ne trouvent aucun passage reliant directement le haut de ce glacier à celui de Gangotri 4 ). Revenant au camp de base, ils se décident alors à se rendre à Badrinath par le col découvert en 1931 par Birnie ( et qui porte aujourd'hui son nom ) aux fins de tenter l' ascension par le versant N. Ceci implique une expédition indépendante qui durera au moins trois semaines. En deux marches et demie ils atteignent le Birnie Pass ( 5946 m .), renvoient leurs porteurs et continuent avec leurs deux ordonnances Sherpas.

Nous avons vu que cette région d' Arwa avait été explorée par l' expédition Smythe après sa conquête du Kämet en 1931. Le 4 octobre dans l' après, ils parviennent à Mana. La journée du 5 est consacrée à une visite des temples de Badrinath et le 6 ils repartent avec trois porteurs surnuméraires pour le glacier de Bagirath Karak * ). On atteint ce glacier par le sentier des pèlerins. Il est beaucoup moins pierreux et plus facile à parcourir que ceux du système Gangotri. Le camp II fut installé à 4700 m ., au pied N du Chaukhamba qui semble beaucoup moins difficile que par le versant W, mais oppose néanmoins une carapace de glace de 2500 m. de hauteur ( voir la belle photo n° 208 dans Heim et Gansser: Thron der Götter ).

Les porteurs de Mana sont licenciés et l' attaque commence le 9 octobre. Mais elle fut de courte durée: le lendemain déjà, une avalanche de séracs faillit emporter la caravane et les deux Sherpas refusèrent carrément de continuer. Aucune promesse ne parvint à modifier leur décision. Sans eux et par une neige si profonde, il était impossible de poursuivre la marche, à cause des charges. Il fallut donc battre en retraite ( à 5800 m. environ ).

Pour être absolument certain qu' il n' existe aucune voie meilleure, nos explorateurs désiraient encore reconnaître la face orientale de la montagne. Revenant au confluent des glaciers de Bagirath Karak et de Satopanth, ils remontent le cours de ce dernier, campent au pied S du Kunaling ( 6470 m .) et peuvent se convaincre que cette face rocheuse ( E ) est encore pire que le versant opposé ( W ), tenté en tout premier lieu. Ils ont ainsi prouvé, par élimination, que la seule voie recommandable est le versant N, de préférence avant la mousson.

Comme il n' existe aucun passage direct entre le glacier de Bagirath Karak et celui de Gangotri ( sauf le « Col Meade » ), ils sont obligés de revenir à Mana et de repasser le Birnie Pass, ou du moins une variante légèrement plus au N. Le 19 octobre, ils rentraient au camp de base, évidemment déçus, mais néanmoins heureux d' avoir décelé le défaut de la cuirasse de ce fameux Chaukhamba, point culminant du massif de Gangotri. A elle seule cette montagne les avait occupé durant 32 jours I Leurs conseils ne tomberont certainement pas dans les oreilles d' un sourd... Comme pour le Dunagiri, comme pour la Nilkanta 2 ), l' itinéraire est maintenant tout tracé... Reste à savoir qui sera le larron...

A la base, grande effervescence. Durant la dernière semaine, la température avait baissé et il ne tarda pas à neiger. L' hiver semblait être devant la porte et le départ fut fixé au 22 octobre, date pour laquelle 35 coolies étaient commandés. C' est la fin de la campagne: au début de novembre tout le monde rentrait à Massuri.

Ce retour fut encore beaucoup plus beau que la marche d' approche au mois d' août: après avoir laissé derrière soi l' hiver, la neige, le froid, on descendait peu à peu dans l' automne aux vives couleurs, pour surprendre l' été de la Saint-Martin sur les dernières collines, en bordure des plaines de l' Inde.

A cette époque, la vue était devenue d' une clarté étonnante. Des hauteurs de Lans-downe, on plongeait au tréfond du Garhwal qui s' étalait en coulisses, dans tous ses détails, jusqu' au Kämet à 200 km. de distance. Fin novembre, l' expédition rentrait en Europe avec cette dernière vision3).X suivre.Bhagat Kharat sur la feuille 53 N, et sur notre esquisse topographique de 1936. La nouvelle graphie semble être en corrélation avec Bagirati. Le beau sommet visible de Mana et qui se dresse au fond de ce glacier n' est autre que le Swachhand Peak qui venait d' être gravi par nos explorateurs. C' est précisément ce sommet et ses voisins qui sont appelés Satopanth à Mana et voilà pourquoi je n' arrivais pas à les identifier avec les Satopanth de Pallis qui sont donc en réalité les sommets de Bagirati. Voir notre note dans Les Alpes, 1936,14; Alpinisme, 1936, 254 et la photo du Geographicai Journal, LXXXV, face à page 315.

B ) D' après une communication de l' Indian Survey, Nilkanta, comme Nilgiri, signifie « montagne bleue ». C' est par erreur que nous avions écrit jusqu' à présent Nilakanta.

. ' ) Schwarzgruber termine sa relation en exprimant le vœu de voir les membres du Club alpin allemand poursuivre l' exploration de ce beau massif. La région étant très pierreuse en automne et les itinéraires principaux se développant sur des versants N, généralement recouverts de neige fraîche, déjà profonde à cette époque, il recommande de visiter ce massif de Gangotri au printemps, avant la mousson.

Le temps fut presque constamment beau durant toute l' expédition. Une période de beau tempe aussi longue et aussi stable au printemps serait plus rare, semble-t-il, et le beau temps reste toujours le principal atout pour la réussite. Les skis sont absolument inutiles en automne, la neige disparaissant jusqu' au haut des glaciers; par contre ils pourraient rendre des services au printemps.

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