Excursions dans les montagnes de l'Ötztal
Hasso Lutz Gehrmann, Eggenfelden ( Allemagne ) Automne 1970. L' été montagnard, une belle saison bien remplie, tendait à sa fin, et l'on pro- Vue du Saykogel ( 3360 m ) sur la Weisskugel ( 373g m ) Vue du Pitztaler Jöchl ( 2995 m ) sur le Mittelbergfernerbecken septentrional, La Wildspitze ( 3JJ2 m ) et le Hinterer Brochkogel ( 3635 m ) Le Mittelbergfernerbecken méridional; Tiefenbachkogel ( 3309 m ), Mutkogel ( 331s m ) et Weisser Kogel ( 3409 m ) jetait, en guise de conclusion, des randonnées dans l' Ötztal.
C' est ainsi que je remontai, un jour, cette vallee bigarrée par l' automne. J' avais déjà laisse derrière moi Umhausen, Längenfeld, Hüben, et j' arrivai à Zwieselstein, situé dans une courbe prononcée, au-dessus du vieux pont de bois qui doit avoir déjà servi de passage à mainte generation de grimpeurs. Mon voyage en voiture prenait fin juste après, car mon premier but était le Nörderkogel, un sommet massif et rocheux de 3163 mètres qui se dresse à la bifurcation du Ventertal et du Guglertal et qu' on pourrait appeler la montagne familière des gens de Zwieselstein. Mon chemin grimpait dans la pente forestière, sur le flanc ouest de la vallée, filant sur Lenzenalm à partir d' une pittoresque maison et de là montant en d' innom sinuosités dans un cirque, au nord-est du sommet, pour se terminer, après une large crete éboulée, au point culminant où s' élève une grande croix et d' où se déploie une vue prestigieuse.
L' etape du premier jour ne dépassait pas Obergurgl, à 1927 mètres, au sud-est du Nörderkogel, où le tourisme croissant de ces dernières années commence à laisser ses traces, pas précisément, tout compte fait, pour le plus grand benefice de ce cadre montagnard.
Le lendemain matin, je pris le chemin pour Gurgler Schartl qui gît à nos pieds, encaissé comme en un lit entre le Stockkogel et le Zirmkogel. D' Obergurgl, on franchit la Gurgler Ache et, par des pentes raides mais sur un bon sentier, on arrive à l' Iltsee, après quoi, suivant, vers l' ouest, des traces de chemin passablement malcommodes et traversant un cirque, on parvient au Gurgler Schartl ( 2930 m ). De là, je dirigeai mes pas vers le sud en passant par le paisible Loobferner pour rendre visite au £irm-kogel ( 3281 m ). Je foulais du bon névé et je regrettai d' avoir laisse mes lattes dans la vallée. Après avoir pris au sommet un temps de repos convenable, je redescendis au Schartl et, de lä, une courte mais excitante varappe m' amena au sommet rocheux du Stockkogel ( 3109 m ). Jour-nee magnifique et bien remplie!
Le matin suivant, un riant soleil me détermina à m' attaquer au Manigenbachkogel, en partant encore une fois d' Obergurgl. Si l'on prévoit quatre heures, le calcul est juste: il n' y a pas de temps de reste. Je traversai d' abord la Gurgler Ache et suivis le chemin par Ramolhaus jusqu' à la vieille cabane de berger haut perchée audessus du torrent. Par des pentes raides couvertes d' éboulis qui s' avancent jusque devant la langue du Manigenbachferner, mon chemin me fit monter à la rive sud du glacier, que je suivis en évitant une crevasse. J' atteignis ensuite d' une facon étonnamment rapide la débonnaire crete neigeuse qui conduit en peu de minutes au point culminant ( 3313 m ), bien haut au-dessus du Gurglertal.
Entre-temps, j' avais établi ma base d' opérations au Ramolhaus, à 3006 mètres d' altitude, refuge admirablement situe puisque j' avais comme prochain but les séduisants Ramolkögel, puissant dorne glaciaire que l'on attaque en passant par le Ramoljoch ( 3186 m ), un merveilleux point de vue où s' intercale volontiers une halte de bonne durée. Par une arete facile, j' atteignis d' abord le Petit Ramolkögel ( 3351 m ). L' inévitable pente d' altitude, liée à la descente jusqu' à une brèche enneigée, fut bientot compensée par la remontée suivante qui nous amena de facjon douce et par un bon névé au Ramolkögel Central ( 3518 m ). Et bientot l'on parvenait encore au Grand Ramolkögel ( 3550 m ), le plus haut sommet du groupe - son nom l' indique -en passant par une arete où le névé s' allie au roc et qui se faisait voir de son meilleur cote.
Ce soir-là, le vin rouge de la cabane me plut tout particulièrement. Mais il n' est pas seul à endosser la responsabilité du repos que j' inserai dans la journée suivante. Il faut bien plutöt en incriminer le temps peu sur. Mais c' est aussi la raison pour laquelle je me trouvai le lendemain très tot au Ramoljoch. Et, cette fois, ce fut le 1 4Linker Fernerkogel ( 3278 m ) au-dessus de la cabane Braunschweig 5Vue du Saykogel ( 3400 m ) sur le Hauslabkogel ( 3406 m ) 6Vue du Sennkogel ( 3400 m ) sur le Similaun ( 3606 m ) et Niederjochferner Photos: Hasso Lutz Gehrmann, Eggenfelden ( Allemagne ) tour de l' Hintere Spielkogel ( 3426 m ). Fouette par un vent frais, j' atteignis une première tete que j' aurais volontiers considérée comme le sommet principal, tandis que je n' y parvins qu' après avoir parcouru une longue arete courant vers le sud-ouest et partiellement cornichée. Aussi la halte y fut-elle courte. Des nuages montaient et dansaient autour de moi un ballet aux fantastiques figures que le vent chassait devant lui. Cela facilita mon départ de ce haut lieu et accelera ma descente au col et à la cabane qui me parut, cette fois-là, m' accueillir avec une particulière hospitalite.
C' est par un temps couvert que je descendis, le lendemain, à Obergurgl. Après un jour de repos voué aux travaux de rétablissement, à la remise en état de l' équipement et à l' achat des provisions, j' allais faire de cette localité mon point de départ pour mon dernier trois mille de l' année dans cette région du Gurgler: le Hangerer ( 302 i m ). Je m' elevai par un bon sentier jusque derrière la Gurgler Alm, et, de là, vers le sud-est, par des versants herbeux, sans traces de sentier, mais aisément franchissables et par des rochers brisés, je parvins par une brèche au haut plateau, activement surveille par une foule de marmottes à l' ceil bien ouvert et qui remplissaient l' air de leurs avertissements suraigus. De la brèche, il ne restait que trente minutes jusqu' au point culminant, et je n' ai pas regrette cette ascension qui me révéla qu' un sommet moins haut et moins connu peut offrir la plus belle journée de vie en montagne.
Une pluie fine accompagna ma descente du Hangerer. Ce fut certes un trajet désagréable, mais il me fut plus facile ainsi de quitter les cimes du Gurglertal. Les sommets étaient perdus dans les nuages, et les sifflements des marmottes s' étaient tus. Et cependant ces heures mélancoliques de la descente ne pouvaient ternir le joyeux souvenir des heureux jours passés lä-haut.
Ma prochaine base de départ était Vent, endroit qui, vu d' Obergurgl, se situe au-delä du Nörderkogel, village d' ailleurs anciennement connu des alpinistes, le « village sous les nuages », situé à 1894 mètres d' altitude. Oui, Vent est vraiment une localité qui fait battre plus fort le cceur de chaque montagnard, des qu' on en parle. C' est presque le terminus de la vallée de Vent; il est à la bifurcation du Rofental et du Niedertal, et il est accessible de Zwieselstein en deux heures seulement.
Zwieselstein meme est le point de départ pour les cabanes de Breslau, Vernagt, Similaun, Martin Busch et l' Hospice du Hochjoch, et constitue en soi, en raison de son altitude - plus de 1800 mètres -un point d' appui pour les alpinistes.
De Vent, je montai en deux heures et demie, par un chemin à pente modérée, en passant par le long Niedertal, à la cabane Martin Busch, à 2470 mètres, afin de pouvoir le lendemain, effacer de la liste de mes désirs la Kreuzspitze qui culmine à 3457 mètres. A cet effet, on quitte le refuge et, en direction du nord-ouest, par un sentier très parcouru, en passant tout près des ruines de la cabane Brizzi ( 2930 m ), on atteint, en s' élevant le long des pentes, le début de l' arete sud-est qui, lors de ma visite, s' offrait à moi comme facile à parcourir, après franchissement d' une coupure horizontale du névé. Du sommet, je jouis d' une vue magnifique sur le cercle des hautes cimes de l' Ötztal, telles que Hintere Schwärze, Marzellspitzen, Similaun, Mutmalspitze, Wildspitze, et sur le voisin du Kreuzkamm. Buts combien séduisants, à portée de la main! Le plus haut point du Kreuzkamm, la Kreuzspitze, était derrière moi.
Le lendemain, au lever du soleil, j' étais en route pour le Saykogel ( 3360 m ) où, au départ du Niedertal, pour l' arete est de cette montagne, il n' y avait pas de sentier marqué, bien que ce soit un but d' excursion recherche. Gräce au rocher facile de l' arete sud, je m' elevai d' un pied léger jusqu' au grand « steinmann » du sommet. J' avais encore le jour devant moi. Le départ matinal de la cabane se révélait payant, car je pouvais alors entreprendre en toute tran- quillité l' ascension du Sennkogel qui se dresse au nord du Saykogel et qui doit son nom au « père de l' association des alpinistes », Franz Senn. Bientot, l'on atteignait l' échancrure au nord du Saykogel couvert de neige durcie, d' où une raide et longue arete de blocs conduit au sommet, haut de 3400 metres, qui m' invita à une halte prolongée. Puis sur une bonne neige et un rocher bien praticable, je descendis dans la brèche située au nord et, de là, dans le Niedertal.
Dans la suite, le dieu du temps, jusqu' ici bien dispose à mon égard, me retira momentanément sa faveur, mais sans pouvoir me chasser des aretes faciles du Kreuzkamm qui s' en vont culminer au Kreuzkogel. Sur le chemin ( que je connaissais déjà ) menant au lac Samoar ( 2915 m ), la fine bruine ne pouvait guère me gener. Les rochers qui vont à la brèche du Kreuzkogel ( 3254 m ) étaient pourtant mouillés et rébarbatifs; mais, de là, une varappe facile me fit parvenir au sommet nord ( 3300 m ) et, trente minutes plus tard, j' étais au point culminant ( 3340 m ).
Comme le programme de ma période de congé était menace de surcharge, je me conten-tai, le lendemain, de faire visite au Marzellkamm ( 3149 m ). Au sud du Saykogel, sur la rive septentrionale du Hochjochferner, je descendis sur l' hospice du Hochjoch ( 2423 m ) et je remontai, en face, de nouveau par un merveilleux temps d' automne, à la cabane Vernagt ( 2766 m ). En haut, à la cabane, je fus accueilli par une chute de neige qui me tint compagnie également le lendemain, alors que je peinais sur le chemin dit « Seuffert-Weg » pour me rendre à la cabane Breslau ( 2840 m ). Celle-ci permet l' accès par la voie la plus courte à la Wildspitze et, à mon arrivée, elle était fortement fréquentée. Tout le monde attendait une amelioration du temps et, comme il apparut bientöt, ce ne fut pas en vain. Le jeudi apporta le « beau temps de la Wildspitze ». De la cabane, un sentier battu conduit au bassin glaciaire le plus reculé du Mitterkarferner et, au-delà, par un névé raide, au Mitterkarjoch ( 3468 m ), puis dans une auge de neige dure et, par une pente escarpée, dans une zone plus plate de névés d' où, en se dirigeant vers le sud, on monte à Parete. Tout de suite après, le névé présentait de bonnes marches et conduisait tout droit au sommet sud de la Wildspitze ( 3770 m ) dont la croix, revetue de glace, avait un aspect féerique. Mais le vent glacial me chassa bientöt du plus haut sommet de l' Ötztal. Par la cabane Breslau, on revint à Vent et, reprenant la voiture, on regagna Sölden ( 1377 m ), un village de montagne de l' Ötztal au cachet moderne.
Je profitai aussitöt de mes jambes retrouvées pour faire un pèlerinage à travers le sauvage et romantique Rettenbachtal jusqu' à Pitztaler Jöchl ( 2995 m ) pour atteindre Parete nord du Karleskogel ( 3107 m ) qui offre une stimulante varappe, et, immédiatement après, gagner la cabane Braunschweig ( 2759 m ). Cette maison, exceptionnellement dirigée, devait titre pour les prochains jours mon quartier general en vue de l' ascension des montagnes à l' ouest de la vallée de Vent. Le beau temps favorisait mon projet. Je m' attaquai ä YÄussere Schwarze Schneide ( 3257 m ) en partant du Seiterjöchl qui est accessible de la cabane en deux heures et demie. D' ici, je me rendis au Petzner Ferner méridional, pour atteindre ensuite le Petzner Ferner septentrional en franchissant une falaise rocheuse. De cet endroit-là, des rochers brisés, mais pourvus de bonnes prises, conduisent au sommet, haut au-dessus du Rettenbachtal.
Le jour suivant ne fut pas gaspillé non plus: en passant par le Hangenden Ferner aux traces bien marquées, je m' efforc de gagner le Tiefenbachjoch et, par une splendide arete de blocs le sommet de l' Innere Schwarze Schneide ( 3369 m ), où une vue impressionnante, étendue et lointaine, me récompensa de mon lever matinal.
Le Tiefenbachjoch permet aussi de pousser une pointe jusqu' au Linken Fernerkogel ( 3278 m ), dont le sommet ne présentait pas un replat suffisant pour tirer l' obligatoire photo, mais qui me donna un coup d' ceil grandiose sur la Wild- spitze et sur l' Hintere Brochkogel ( 3635 m ) à la gigantesque corniche sommitale.
J' allais devoir prendre congé des montagnes de l' Ötztal. Mon départ ne pouvait etre différé. J' avais au programme une excursion qui serait irrévocablement la dernière, une ascension du Mutkogel ( 3312 m ). Une bonne trace me conduisit de la cabane Braunschweig dans le bassin sud du Mittelbergferner et, de là, au Mutjoch, d' où l' arete nord, faite de blocs, mene au sommet.
Je ressentis quelque nostalgie lors de mon retour à la cabane qui avait été pour moi une auberge si hospitaliere.
Lors de mon passage dans le Rettenbachtal, des nuages gonflés de pluie se rassemblaient en arrondissant leurs panses et, à Sölden, alors, ce fut le deluge. Les montagnes s' etiraient, noires, dans le ciel fuligineux et, à cet instant-lä, je me rendis pleinement compte que c' était bien la fin d' un heureux été touristique, mais que le souvenir de mes exaltantes randonnées dans l' Ötztal allait encore m' offrir bien des moments de bonheur.
Traduit de l' allemand par G. Widmer