Dans les montagnes des dieux (Olympe)
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Dans les montagnes des dieux (Olympe)

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PAR WALTER SCHMID, BERNE

Avec 4 illustrations de l' auteur ( 102-105 ) et 1 esquisse Corde, piolet, plus un billet pour Athènes: rien d' étonnant si notre arrivée à l' aéroport de Kloten ne passa pas tout à fait inaperçue. Même notre jolie stewardess grecque n' y résista pas, et finit par nous demander, avec un gentil sourire teinté d' un brin d' ironie, ce que nous allions faire en Grèce avec un tel équipement. Il nous fallut attendre d' être arrivés à Litochoron, aux confins de la Thessalie et de la Macédoine, pour que notre arsenal perdît quelque peu son caractère d' attraction foraine. Tout ce que nous demandèrent les naturels qui hantaient la place du village et le café le plus proche, ce fut notre origine; pour eux il était évident qu' un bipède alourdi d' un sac de montagne devait, à brève échéance, se retrouver sur l' Olympe.

Atteindre Litochoron, c' est plus facile à dire qu' à faire; bien des agences de voyage seraient embarrassées de vous procurer le billet adéquat et une chambre d' hôtel au pied de l' Olympe. Le plus simple est de prendre un billet d' avion pour Salonique ( depuis peu, le prix en est le même que pour Athènes ), puis le direct de Katerini ou l' omnibus de Litochoron; dans les deux cas, vous ferez les cinq derniers kilomètres en autobus, puisque le village lui-même n' est desservi par aucune ligne ferroviaire.

16 Les Alpes- 1966 -Die Alpen Nous y voilà enfin, à ce « Zermatt grec » - un Zermatt encore très « milieu du XIXe », d' ailleurs. Sa place centrale, certes assez spacieuse, ne trahit cependant rien des véritables dimensions de cette localité de 5200 habitants qui s' étend de part et d' autre d' une artère principale. Quant à cette « grand-rue » dont la pente est assez forte, elle soutiendrait honorablement la comparaison avec le lit d' un de nos torrents en période de sécheresse. L' hôtel « Touriste », où nous descendons, est l' un des deux seuls que possède le village; il donne sur la grand-place. Une patronne soucieuse du bien-être de sa clientèle y offre quelques chambres propres et munies d' eau courante. Ajoutons enfin, pour être complets, que Litochoron n' abrite pas seulement 5200 âmes, mais encore quelque 800 mulets ou ânes qui attendent, avec une insouciance tout orientale, aux abords du village, sur la place ou dans les ruelles adjacentes. Pendant ce temps, leurs metres s' échauffent aux terrasses des cafés, derrière leur petit verre d'«Ouzo » ( la liqueur nationale ), à des discussions politiques sans cesse recommencées.

Sur cette même grand-place se trouve le bureau du Club alpin grec. Si vous n' êtes pas - ou plus -au nombre des jeunes aventuriers pour qui la vie perd toute saveur dès que l'on fait mine d' en chasser le moindre imprévu, ce bureau vous rendra d' appréciables services. Il vous fournira tout d' abord les mulets indispensables pour la montée à la cabane de l' Olympe ( huit heures de marche ), et surtout les muletiers qui se présenteront à l' heure fixée avec leurs bêtes. Il pourra vous orienter sur ce que la cabane est à même de vous fournir comme subsistance et sur ce qu' il convient d' emporter, selon la durée de l' expédition. Ce seront essentiellement des fruits secs ou frais, des conserves de viande, des biscuits. Les pâtes, le riz, la bière, le vin du pays et les jus de fruits vous sont offerts par la cabane à des prix abordables et en quantité suffisante.

Le Club alpin hellénique ( EOS ) s' efforce par tous les moyens de rendre le séjour dans ses montagnes aussi agréable que possible aux alpinistes étrangers. Ses sections connaissent une vie très active, un peu dans le style des clubs anglais. A l' échelon national, l' EOS se préoccupe avant tout d' édifier de nouvelles cabanes et d' aménager les voies d' accès. Il bénéficie d' appuis sérieux de la part de l' Office national du tourisme. C' est ainsi que cette association d' environ 5000 clubistes ne possède pas moins de 35 cabanes. C' est beaucoup, même si l'on tient compte du fait que la construction d' un refuge alpin ne coûte là-bas que le quart de ce que nous comptons habituellement pour une réalisation analogue dans nos Alpes.

De notre marche d' approche vers l' Olympe, nous ne gardons que des impressions agréables, abstraction faite de la montée de Litochoron à Stavros ( trois heures de marche ), sur une route dont l' abondance en cailloux, grosses pierres, blocs erratiques, etc., frise l' invraisemblable. Le maquis bordant cette voie douloureuse imprègne cependant l' air de senteurs agréables; certains paysages rappellent ceux de la Corse. Première tête d' étape: Stavros, à 1000 mètres d' altitude. Les mulets se restaurent dans un pré, tandis qu' une fontaine désaltère leurs passagers. Tous, à l' exception des professionnels de l' équitation sur mulets, éprouvent une joie non dissimulée à reposer leur arrière-train meurtri par le dur contact des selles de bois dont on ne s' est guère préoccupé d' adoucir les arêtes. Depuis Stavros, le chemin s' améliore sensiblement, il tourne même à la promenade pour vieilles dames étrangères - la société de développement de St. Moritz, pourtant experte en la matière, ne ferait pas mieux. Ombragé de forêts, il manifeste de surcroît une nette tendance à l' horizontale, aussi cette deuxième étape de trois heures est-elle des plus agréables, en dépit de sa longueur. Le paysage: un flanc de vallon au bas duquel coule un torrent descendu de l' Olympe. Selon l' usage, nous nous arrêtons plus longuement à Prioni, afin de reprendre des forces pour le dernier tiers de cette marche d' approche.

Le massif de l' Olympe ( Carte dessinée par Marcel Kurz [1923] et mise à jour ) Le soleil était déjà parvenu au haut de sa course, lorsque notre colonne se remit en branle. Hono-rant une coutume aussi vénérable qu' ancienne, apparemment, nos muletiers avaient achevé la halte en point d' orgue, par un petit « clopet » d' une bonne heure. Et c' est dans les meilleures dispositions qu' ils attaquèrent cette dernière tranche de trois heures. La dénivellation atteignant 1000 mètres pour cette étape, la cavalerie ne tarda pas à prendre le pas sur les gens de pied.

Un bon feu de cheminée nous attend dans la salle commune du Refuge A. Celui-ci rappelle, par son aménagement et son confort, nos cabanes du CAS. Il dispose d' une soixantaine de couchettes qui accueillent, bon an mal an, 700 à 800 personnes. Juché sur une petite crête plantée de pins, il nous offre une vue incomparable: vers l' est, le regard domine la vallée boisée que nous venons de remonter; dans le lointain, on retrouve Litochoron et la côte du Golfe de Salonique. Direction ouest, la couronne dentelée de l' Olympe domine nos têtes.

A Athènes comme à Salonique, les clubistes grecs nous avaient déjà surpris par leurs talents de polyglottes. Mais nous n' avions pas fini de nous étonner, car c' est dans un allemand impeccable que le gardien de cabane nous souhaita la bienvenue. Ce sympathique jeune homme, qui répondait au nom harmonieux de Kostas Zolotas, ne tarda d' ailleurs pas à nous livrer la clef du mystère: il travaillait en Allemagne pendant la morte saison, et il avait ramené des brumes du nord une blonde germanique dont il avait fait sa femme. Zolotas jouit au sein du Club alpin hellénique d' une enviable situation, celle de « guide attitré » de l' Olympe. Expliquons-nous: pour des alpinistes européens, les sommets de l' Olympe ne présentent que peu, ou même pas de difficultés techniques, surtout s' ils s' en tiennent aux itinéraires classiques. En revanche, l' absence de cartes détaillées ou de comptes- rendus d' excursions, autant que l' abondance proverbiale des brouillards dans le massif de l' Olympe vous obligent pratiquement à recourir aux services d' un guide indigène - inconvénient mineur, surtout lorsqu' on connaît la modicité des tarifs.

Le but de prédilection des alpinistes est, cela va sans dire, la plus haute cime de l' Olympe: le Mytikas ou Pantheon, qui culmine à 2917 mètres. Se contentant d' un rang plus modeste, ses deux avant-sommets méridionaux, le Skala ( 2866 m ) et le Skolio ( 2905 m ), nous offrent cependant une vue imposante sur le cœur du massif. Le Stefani ou Trône de Zeus vient en deuxième rang avec ses 2909 mètres; Faces en est déjà plus difficile, puisqu' il fait appel à une varappe du second degré.

Au début de fete 1966, à la mi juin, notre ascension du Skala faillit s' enliser dans une épaisse couche de neige de printemps où nous pataugions péniblement; quant à la traversée sur le Mytikas, elle exigea beaucoup de prudence, car nous ne savions pas ce que pouvaient nous réserver plusieurs couloirs encombrés de neige. Et si les conditions d' enneigement - encore elles - nous obligèrent finalement à faire une croix sur le Stefani, nous ne l' acceptämes certes pas de gaieté de cœur. Même notre visite à la Prairie des dieux, dans le nord du massif, connut de ces instants privilégiés où l'on « brasse », le souffle court, obstinément. Ce haut-lieu de la légende, qui nous dissimulait ses mystères sous un épais manteau blanc, est situé au pied de la large pyramide du Profitis Ilias ( 2776 m ) au sommet de laquelle se dresse une minuscule chapelle. Deux cabanes, l' une du Club alpin hellénique ( refuge C ), l' autre propriété d' un club d' alpinistes de Salonique, sembleraient indiquer que cette région connaît un trafic touristique assez intense. Détrompez-vous: c' est à peine si la première reçoit 50 à 60 personnes par année. Mais l' alpinisme, et spécialement la varappe, gagnent des couches de plus en plus larges de la population, et ces deux refuges connaîtront sans doute un bel avenir. En effet, le Stefani y est à portée de main; mieux, il présente de ce côté-ci une paroi et une arête qui, dans leur moitié supérieure, possèdent plusieurs passages de haute varappe. Et même sans viser très haut, une visite à la Prairie des dieux et au Profitis Ilias s' impose au programme; elle contribue à nous donner une vision complète autant que nuancée de ce beau massif.

La saison la plus favorable pour des excursions dans l' Olympe est sans doute la fin juin ou la première quinzaine de juillet; on évite alors non seulement les chaleurs du plein été, mais encore les grosses vagues de touristes. Jusqu' à ce jour, les montagnes des dieux sont restées en marge du grand trafic des vacanciers, mais tout porte à croire que le flot des humains avides de nouveauté ne tardera pas à les envahir. Comme partout ailleurs, les horloges de la Grèce sont en marche, et ses hauteurs romantiques ne tarderont pas à connaître le sort de nos vallées et de nos sommets alpins. Puisse-t-il cependant ne jamais être terni, cet éclat mythique des cimes dont une riche civilisation du passé fit un jour le séjour des divinités et des bienheureuxTraduit de V allemand par R. Durussel )

Expédition bernoise au Spitzberg 1965

Avec 8 illustrations ( 106-113 ) et 1 esquisse

Le voyage vers le Grand Nord

« Dans quelques minutes, départ du DC 6 à destination de Tromso. Abstenez-vous de fumer en vous rendant à l' avion! » En parcourant la distance qui nous sépare du grand oiseau, nous avons peine à dominer notre excitation. Lorsque nous sommes installés dans nos confortables sièges et que nous percevons le vrombissement des moteurs, nous savons alors que notre expédition est devenue une réalité, que la longue période des préparatifs est terminée et que la grande aventure « Spitzberg » commence.

Les participants à cette expédition sont Hansruedi Dietrich, Peter Bürgisser, les frères Erhard et Walter Mosimann, Andreas Ryser - tous membres du Club alpin suisse - ainsi que le photographe Walter Imber.

Alors que l' avion gagne rapidement de l' altitude et que la terre disparaît dans les nuées, chacun se plonge dans ses propres préoccupations. Une bourrasque nous arrache soudain à nos rêveries. Avec effroi, nous constatons que l' avion est environné de nuages tempétueux et menaçants! Des vents capricieux ébranlent la carcasse de l' avion, le bousculent et le jettent d' un trou d' air à un autre. La vue d' une mince pellicule de glace sur les ailes de l' avion me fait présager un accident et j' entrevois déjà le communiqué de presse du lendemain annonçant la chute d' un avion dans le sud de l' Allemagne; de son côté, Walter regrette déjà que nous nous soyons confiés à cet engin de mort, alors que nous aurions pu prendre le train. Mais en dépit de tous ces sombres pressentiments, nous atterrissons sains et saufs à Hambourg.

Notre voyage reprend une heure et demie plus tard. Si la première partie nous avait réserve des moments angoissants, la deuxième en revanche semble être un doux et merveilleux glissement sur les airs. Nous survolons les fjords de la côte norvégienne, et la mer scintille comme de l' or liquide. Le soleil descend très lentement vers l' horizon pour réapparaître, après un assombrissement de courte durée, avec une explosion de couleurs et de lumière.

Le brouillard revient peu avant notre atterrissage, et vers deux heures du matin, nous débarquons, frissonnants, sur le terrain d' aviation de Tromso. Un autobus nous transporte à l' hôtel où nous trouvons des lits moelleux. Comme nous pensons séjourner deux jours dans cette ville, nous remettons au lendemain les travaux administratifs relatifs à l' expédition.

Notre premier désir est de visiter tranquillement la petite ville. Nous déambulons entre les rangées de maisons colorées qui s' étagent sur les pentes orientales de file Tromsöya. Dans un parc se dresse, sur un puissant socle, la statue élevée à la mémoire de Roald Amundsen: fier et décidé, son regard se porte vers la lointaine mer de glace du pôle Nord. Le monument est un hommage rendu à sa personne, en même temps qu' à la Norvège.

Nous allons ensuite à l' abattoir aux baleines aiguiser notre appétit pour le souper. Bien que jadis les eaux du Spitzberg eussent la renommée d' être le refuge de ces monstres marins, on en capture assez peu aujourd'hui. Mais la chance nous sourit. Un baleinier ramène justement ce soir-là un magnifique exemplaire, et nous assistons jusqu' à la fin, horrifiés, au pénible spectacle de la mise à mort.

Le jour suivant, nous quittons Tromso à 17 heures, à bord du Biaköy pour une croisière qui devait nous mener parmi les îles et dans le Lyngenfjord. Ce fut une merveilleuse excursion. Par un ciel sans nuages, notre bateau « ronronnait » le long des sinuosités de la côte. Les fjords, d' un bleu intense, étaient bordés de prairies verdoyantes, entourant de plaisantes fermes. Vers minuit, le soleil, rougeoyant, un peu au-dessus de l' horizon, brillait de tout son éclat, et nous étions là, Suisses, pourtant habitués aux beautés de la nature, ébahis devant ce spectacle, caresses par le vent frais du large. Notre bateau accosta à différents ports. L' activité, ordinairement assez restreinte sur notre péniche, devint alors fébrile. Des grues pivotantes se mirent à grincer, on chargea et déchargea des ballots, des sacs, des caisses et des fûts; on hissa même des vaches sur le bastingage. Après deux jours de voyage, le samedi après-midi, nous étions de retour à Tromso, et passions sous son gigantesque pont.

Nous étions cependant à peine à terre que nous devions embarquer sur le Lyngen, un brise-glace de 500 tonnes, de construction légère et ancienne. Nous quittons Tromso à 20 heures, en direction du Spitzberg. Le brouillard nous force bientôt à gagner nos cabines, où nous avons le ferme espoir d' être épargnés par le mal de mer, mais le lendemain matin, nous sommes tous plus ou moins les victimes du roulis et du tangage.Vers midi, l' état des malades est à peu près satisfaisant, seuls Peter et Hansruedi ne sont pas encore dans leur assiette. Hansruedi parvient finalement à dominer son mal de mer, et, presque immédiatement après avoir vomi, il engloutit avec délices une assiette de purée de pommes de terre avec de la viande!

Peu après minuit, le cap Bull de l' île des Ours émerge du brouillard. Cette île déserte doit son nom aux ours blancs qui auraient attaqué, en 1596, des navigateurs hollandais. Occupés à contempler ses parois escarpées, les rochers en forme de tours percés de gigantesques fenêtres et les récifs aigus qui la bordent, nous ne prêtons pas attention aux manœuvres des matelots qui ont prépare lignes et hameçons et invitent les passagers à pêcher. Mais par cet air glacial et les flots houleux de la mer, personne n' en a envie. Le capitaine laisse alors l' île aux Ours au sud et se dirige vers le Svalbard.

Le jour suivant - vers 14 h. 30 -je somnolais sur le pont supérieur. Je me dresse tout à coup et scrute, intrigué, dans le lointain; il me semble que j' ai l' impression un moment plus tard, je sais que je ne m' étais pas trompé: nous avons atteint le cap sud du Spitzberg et filons déjà le long de la côte occidentale, vers la Terre du Prince Charles. Mais, en nous rapprochant du Svalbard, nous gagnons aussi la zone des glaces flottantes qui, dans ces étranges régions polaires, se détachent de la banquise sous l' effet des tempêtes et sont entraînées au large par les courants marins. Imperturbable, notre Lyngen se fraye un chemin à travers les glaces. Son puissant éperon fend, broyé et fait éclater la masse glaciaire. C' est naturellement pour nous, passagers, un spectacle impressionnant, dont seules les montagnes de la côte entrecoupées de glaciers jouent le rôle de coulisses. Je crois être sur une autre planète.

Le jour suivant, à midi, nous parvenons à Longyearbyen. De telles localités ne sont pas spécialement accueillantes: le sol est recouvert de poussier, les hangars alternent avec des amoncellements de débris, partout des ordures traînent; seule la petite église, avec son clocheton à pignon, jette une note gaie dans la sombre et triste image du village. Une fois décharges de la visite obligatoire chez le gouverneur de l' île, nous flânons parmi les baraques. La corne sourde du Lyngen qui nous rappelle à bord nous cause un soulagement.

Le prochain but est Ny-Alesund. Cette colonie, la plus septentrionale du monde, se trouve sur une partie plate de la côte du fjord du Roi. Le premier coup d' oeil n' offre, ici non plus, rien d' at. Bien que l' exploitation des mines ait été suspendue après le coup de grisou de 1962, une épaisse couche de poussier recouvre encore le sol. Nous consacrons la plus grande partie de notre séjour là-bas à affranchir les quelques centaines de cartes de vues que nos amis de Suisse nous ont commandées; nous ne manquons pas cependant de nous incliner sur les monuments commémo-ratifs des différentes expéditions. On lit les noms d' Amundsen, Byrd, Scott, Nobile, Andrée, et de nombreux autres.

Le Lyngen se dirige alors vers la presqu'île des Tombeaux, dans la baie Madeleine. Bien que ce soit le plus beau golfe de Svalbard, nous n' y prêtons qu' un demi-intérêt. Nos pensées filent déjà vers le fjord Smeerenburg, d' où nous devons atteindre le véritable but de notre expédition.

Nous y arrivons le 30 juillet 1965, à 15 heures. Le youyou est mis à l' eau, les bagages sont décharges, et nous abordons au point le plus reculé du fjord Smeerenburg.Res Ryser Nord du Spitzberg, but de l' expédition Nous sommes donc là, livrés à nous-mêmes, dans une région arctique inconnue: le Spitzberg. Quel est ce pays? Le Spitzberg, ou Svalbard, ainsi que se nomme ce groupe d' îles en norvégien appartient à la Norvège et se trouve entre les 74e et 80e parallèles de l' hémisphère nord, et les 10e et 35e degrés de longitude est; c' est le territoire le plus septentrional de l' Europe. Le pays a un caractère arctique, il est hérissé de sommets escarpés, bordé de fjords, et d' énormes glaciers s' écoulent du cœur du pays jusqu' à la mer.

17 caisses pesant 700 kg sont déposées sur le rivage. Elles nous lorgnent - et nous les regardons aussi... un bon moment! Mais hardi, petit! Nous devons d' abord les traîner le long d' une moraine. Nous avions prévu le cas et pouvons faire usage de nos petits traîneaux. Le même soir, nous dressons notre premier camp, à une distance de 4 km environ du point de débarquement, sur une moraine. La première « nuit » à la belle étoile nous cause un certain trouble par le fait que nous ne sommes pas habitués à dormir sous le regard du soleil. Le matériel principal est chargé le jour suivant sur la grande luge ( une construction spéciale ) et nous nous mettons en route pour aborder le glacier de Smeerenburg. Les conditions de neige et de glace sont mauvaises, de sorte que nous n' avançons qu' avec peine; aussi décidons-nous d' établir un camp de base, à 10 km du point de débarquement et une altitude de 230 m. Ce travail laborieux, exécuté sans l' aide de sherpas, est terminé le 3e jour! Aujourd'hui, ter août, nous hissons officiellement notre drapeau.

Afin de nous orienter exactement sur notre situation et les régions avoisinantes, nous nous scindons en trois groupes et allons explorer l' intérieur du pays au nord, à l' est et au sud. Après avoir effectué l' ascension de trois petits sommets du Hornemanntoppen, d' où la vue s' étend sur le cœur du pays, nous décidons d' ériger un premier camp sur le plateau, au pied du Hesteskoen.

Au terme de cette première étape, le journal du camp signale: « Le temps reste au beau fixe. Le soleil luit jour et nuit et tourne autour de nous comme un carrousel autour de l' orgue de barbarie! » Deux camarades m' aident à charger des provisions pour quatre jours, une tente à trois et du matériel de bivouac sur une petite luge. Pour faciliter le franchissement des séracs du glacier, nous avions, la veille, signalisé les passages en plantant de petits fanions rouges, et nos camarades nous accompagnèrent pour la traversée afin d' économiser nos forces. Du col, situé entre le groupe des Aurivillius et le Hornemanntoppen, nous poursuivons seuls notre route sur le grand plateau glaciaire et érigeons le camp I, au pied du Hestekoen, après 8 heures de marche avec la luge en remorque. Cette montée exténuante nécessite un bon repos, après quoi nous nous attaquons au plus haut sommet du Hestekoen. Le choix de l' ascension se porte sur l' arête ouest. Nous en atteignons la cime au bout d' une belle partie de varappe et jouissons du grandiose panorama à la lumière du soleil de minuit. Les montagnes émergeant des névés projettent de grandes ombres sur les vastes étendues glaciaires, et les fjords, en partie pris par les glaces, tendent leurs longs bras vers les glaciers. Un monde merveilleux! Le jour sans fin représente pour l' alpiniste du grand nord un attrait spécial. Le temps n' a plus de frontière; le soleil ne se couche plus, ainsi on n' a plus à craindre l' obscurité, si redoutée chez nous, lorsqu' on entreprend une grande randonnée. On travaille aussi longtemps que le temps est beau, et l'on rentre chez soi dès que les intempéries typiques du Spitzberg se déclenchent: couverture de brouillard, accompagnée souvent de chutes de neige et de vents violents.

En redescendant vers le camp I, nous constatons avec effroi que notre tente a été plantée sur un pont de neige surplombant une crevasse gigantesque. De l' endroit même du campement et avec la lumière diffuse qui régnait la veille, il était impossible de déceler cette crevasse; d' une certaine hauteur en revanche, on distingue nettement une ombre qui s' étire sur toute la longueur du plateau glaciaire ( 6 km ). Une fois en bas, nous sondons la couche de neige au moyen des bâtons de ski et mesurons une épaisseur de trois mètres environ. Cependant, pour plus de sécurité, nous déplaçons notre tente de 30 mètres. On ne peut jamais savoir, sur ces glaciers étrangers qui accusent, ici dans le nord, une avance de quelques mètres par jour! Dans le fjord de Ny-Alesund par exemple, on a mesuré jusqu' à 30 mètres par jour l' avance d' un glacier vers la mer; il se brise alors en d' énormes fragments de glace: il « met bas » des icebergs. A peine avons-nous déplacé la tente qu' il se met à neiger, puis la tempête se déchaîne: la toile de la tente se met alors à crépiter comme une mitrailleuse... Après 40 heures de bourrasque, le temps s' éclaircit enfin. Mais la tente donne maintenant l' apparence d' un igloo, et nous sommes transformés en glaçons; les vivres tirent à leur fin. Notre première incursion vers l' intérieur des terres nous montre tout de suite comment les conditions peuvent évoluer dans le nord. Il ne nous reste plus qu' à retourner au camp de base, non sans entreprendre l' ascension de deux sommets qui dressent leurs cimes inviolées vers le ciel. Peu après notre arrivée, le deuxième groupe se met en route pour une exploration vers la source chaude du Bockfjord.

Hansruedi et moi attaquons alors le Hornemann qui comporte trois sommets: l' un a été gravi en 1960 par le AACB; les deux autres en revanche n' ont pas été conquis. L' ascension nous conduit vers l' arête par le flanc ouest et, après la traversée de quelques gendarmes, suivie d' une partie de varappe intéressante, le premier sommet est à nous. Un double rappel de corde nous dépose à la brèche séparant les deux sommités, et nous entreprenons alors l' ascension de la seconde cime. Le retour se fait par le même chemin jusqu' à la brèche, puis par le versant ouest, vers le glacier de Smeerenburg, descente qui nécessite une partie de varappe assez délicate. Ainsi, les cinq sommets du Hornemanntoppen ont été gravis et, en partie, en traversée.

Le 12 août, Res, Hansruedi et moi nous mettons en route pour le camp I. Etant donné que le groupe Walter, Erhard et Walti est absent pour six jours, notre camp de base se trouvera abandonné après notre départ. Espérons que les renards polaires ne viendront pas humer nos provisions! Alors que nous sommes en train de monter vers le col, le brouillard apparaît tout à coup. Je parviens du moins à déterminer à temps l' azimut sur ma boussole. Sans aucune visibilité, nous avançons à tâtons sur le glacier, en tirant en remorque nos luges chargées de l' équipement et des provisions. De derrière, je signale au chef de file les déviations dans la direction. Après deux heures de marche, nous parvenons, à un cheveu près, à l' éperon rocheux que nous avions visé auparavant, et nous retrouvons là nos anciennes traces qui nous conduisent au camp I. Nous rejoignons la tente sous une tempête de neige. A notre surprise, trois paires de bâtons de ski sont plantées devant la tente et une tête apparaît par la fente de la fermeture-éclair.

- Nous avons dû battre en retraite et avons perdu plus d' un jour dans l' affreux dédale de crevasses du Seeligerbrien, nous déclare Walter, le photographe. Il est regrettable que nous n' ayons pas disposé de plus de temps! De précieuses heures ont été perdues par le laborieux remorquage de notre matériel, mais ce travail de sherpas est également digne d' intérêt et fait partie de toute expédition arctique. De quelle performance se sont rendus maîtres les Amundsen, Scott, Byrd et tant d' autres!

Nos amis ont pourtant atteint le glacier Monaco. C' est déjà quelque chose par ces mauvaises conditions atmosphériques, le dédale de crevasses et les glaciers gorgés d' eaux qu' ils ont dû franchir. Ainsi, notre désir d' atteindre la source chaude tombe à l' eau. Par le temps détestable qui règne, nous restons d' abord les six dans la tente à trois. A la première éclaircie, le groupe II descend vers le camp de base. Quant à nous, nous démontons le camp I pour établir le camp II au pied du massif de FAurivillius. En haut, au col Aurivillius. En haut, au col Aurivillius, nous fartons nos « Schwendener » ( skis courts de la maison Schwendener, en métal et mesurant 180 cm, qui se sont révélés excellents aussi bien lors des descentes de glaciers que pour les longues marches sur les surfaces enneigées et sur les glaciers gorges d' eau ). Nous fartons afin que les lourdes luges ne nous dépassent pas à la descente. Nous les laissons alors filer!

Une fois le camp II monté, Res redescend pour aller chercher Walter. Hansruedi et moi jetons notre dévolu sur l' Aurivillius. De la base déjà, des tours et clochetons imposants sont visibles. Mais la plus grande surprise nous est réservée sur l' arête. A une distance de 20 m se dresse devant nous un monolithe de 30 m de hauteur environ et de 3 à 4 m de large. Son origine est probablement due à un glissement de rochers. De notre position, nous apercevons Res et Walter qui remontent vers le camp II; nous décidons alors de rebrousser chemin et de reprendre l' ascension ensemble une autre fois. Au cours des derniers jours de notre séjour, nous réussissons l' escalade de 16 sommets dans le massif de l' Aurivillius. Ainsi, notre bilan s' accroît: 5 sommets dans le Hornemanntoppen, 4 dans le Hestekoen Nord, 3 dans le Havhestfiellet, 16 dans le massif de FAurivillius, un dans le Elfborgtoppen et 2 dans le Tyskerfiellet.

Comme le temps s' est peu à peu détérioré et que le bref été arctique arrive à son déclin, nous démontons le camp II pour rejoindre le camp de base. Celui-ci atteint, nous constatons que le soleil a puissamment contribué à faire fondre la glace. Le glacier n' est plus qu' un amas de débris et nos tentes sont juchées sur de petits socles, car la glace a fondu tout autour.

Le transport vers la mer commence. Cette fois-ci, le travail est plus facile. Au moyen du grand traîneau, nous amenons chargement après chargement sur le glacier découvert, jusqu' à la moraine inférieure. Lorsque nous devons franchir des renflements de glace, souvent hauts de près d' un mètre, ou des crevasses béantes, ou que nous devons contourner de grosses pierres, la peur nous saisit que notre seul grand traîneau se casse. Cela aurait pour conséquence que nous devrions porter caisse après caisse sur le dos, sur une distance de 10 km jusqu' à la mer. Mais notre traîneau tient le coup! Seule l' une des petites luges se brise en deux. Au bout de deux jours, nous avons ramené tout notre bien à la mer.

Que le temps s' est écoulé rapidement sur cette le de Svalbard, cette pointe extrême de l' Europe vers le pôle nord, si attrayante par son originalité! Un pays rude, mais fascinant. Ses sauvages et imposantes chaînes de montagnes sont entourées d' immenses masses de glace s' écoulant jusqu' à la mer où elles se disloquent avec fracas et tombent en morceaux dans les fjords d' un bleu intense. Un pays que nous n' oublierons pas de sitôt.Peter Bürgisser Le retour Après une dernière « nuit » pluvieuse, nous emballons le reste de notre matériel dans les onze caisses encore disponibles. Il est 14 h. 30 lorsque Walter découvre le Lyngen, et bientôt nous percevons son signal qui nous est devenu familier. Afin d' attirer l' attention de l' équipage du bateau, nous avons allumé un grand feu sur la rive avec le bois des caisses superflues. Peter s' empresse de tirer quelques coups avec son pistolet, en utilisant le reste de sa munition. Inge, le matelot qui aime se jeter tout habillé à l' eau, vient nous chercher avec le canot à moteur. Tout le monde est naturellement sur le pont pour accueillir les barbus. Nous goûtons la joie de revoir, pour la première fois après 23 jours, de nouveaux visages. Le Lyngen nous est depuis longtemps familier, et nous descendons immédiatement dans notre cabine pour nous installer en vue des quatre prochaines nuits, avec l' espoir que les deux premiers jours seront plus agréables que la dernière fois.

Après avoir dégusté un copieux goûter composé de douceurs et de thé - menu qui nous avait fait complètement défaut jusque-là - nous atteignons le 80e parallèle. Dès cet instant, le Lyngen modifie sa direction et met le cap sur Tromso. Le même soir, nous abordons à l' emplacement où l' expé Andrée prit le départ en 1897. Andrée voulait atteindre le pôle nord par ballon, mais il s' écrasa et son corps fut retrouvé 30 ans plus tard sur des glaces flottantes en Sibérie1. On peut encore voir aujourd'hui les fondations et quelques baraques de bois qui formaient le hangar, ainsi que des débris de tuiles et de la paille de fer destinée à la préparation du gaz, car celui-ci était obtenu par la réaction de la paille de fer dans de l' acide.

Il pleut lorsque nous arrivons à Ny-Alesund. La limite de la neige est déjà assez basse, l' hiver commençant au Spitzberg à la fin août déjà. Une expédition française de glaciologie monte à bord à Ny-Alesund; c' est une société de gens sympathiques, disposant d' une cuisinière, luxe qui nous faisait défaut! A Longyearbyen, nous faisons encore un bref arrêt, destiné à rendre visite au gouverneur à qui nous devons annoncer notre départ. Nous assistons pour la première fois depuis deux mois au coucher du soleil, alors que nous pénétrons dans un fjord, le Bellsund, pour aller chercher une expédition polonaise qui étudiait, elle aussi, la glaciologie. Peter est de nouveau atteint par sa « maladie du sommeil » et reste quelque temps enfermé dans sa cabine.

Nous arrivons à Tromso le 26 août et sommes heureux de pouvoir quitter le Lyngen. A vrai dire, nous le regrettons bien un peu, car nous y avons passé de belles heures. L' accueil à Tromso est, avant tout pour Peter, plein d' agréments; sa fiancée l' y attend. Après le déchargement des caisses et le règlement des formalités, nous avons la satisfaction de remettre nos habits civils. Cette fois, le séjour à Tromso sera très court: nous repartons dans la nuit à 1 heure, sur un bateau sensiblement plus grand que celui qui nous amena, un bateau de 5000 tonnes, appelé Polaris. Nous naviguons en direction de Bergen via Lofoten. Notre logis, que nous occuperons quatre jours, est confortable. Le passage au large de milliers d' îles aux falaises escarpées est un événement inoubliable. Partout, on découvre de petits villages de pêcheurs, qui s' intègrent d' une manière pittoresque dans le paysage. Nous faisons escale à différents ports et avons la possibilité de visiter quelques villages. Pendant la dernière nuit - comment en pourrait-il être autrementle vent se remet à souffler violemment; nous le supportons vaillamment, presque comme de vrais marins! A Bergen, un plaisir nous attend sous la forme d' un changement dans le menu quotidien, car, ces derniers jours, nous ne nous nourrissions que de poissons! Avec une escalope et des pommes de terre frites dans l' estomac, nous montons ragaillardis, à 22 h. 15, dans le train de nuit qui nous emmène à Oslo. Au fond, nous aurions grande envie d' un lit tranquille, mais dans le wagon-lits, la situation est presque pire que sur le bateau: une autre sorte de secousses et de cahots.

Nous arrivons à Oslo le 31 août. Il y pleut à tel point que, dans ces conditions, je préfère Berne avec ses arcades. Après une visite rendue aux musées Fram, Kontiki et à celui de la flotte Viking, nous répondons à une invitation de l' Ambassade de Suisse qui nous offre un souper au Holmen-kollen, ce que nous acceptons bien volontiers, vu l' état un peu précaire de nos bourses. A part ça, je vous recommande le civet de renne!

Au terme d' une nouvelle nuit agitée et ballottée, nous parvenons à Copenhague. Le temps y est aussi détestable qu' à Oslo. Hélas! nos imperméables se trouvent quelque part dans une caisse à Tromso! La mer est passablement démontée lorsque nous opérons, sur le bac, la traversée du Danemark en Allemagne, et nous songeons avec des sentiments divers à notre Lyngen; comme le roulis y serait plus marqué!

1 Son squelette, des vêtements et des instruments furent retrouvés en 1930 par une expédition norvégienne sur la Terre de Giles ou Ile Blanche ( Red. ).

Nous parvenons tous sains et saufs à Bàie, le 3 septembre, à 6 h. 25. La lumineuse clarté du nord brille encore dans nos yeux. Nous sommes heureux d' avoir entrepris et vu quelque chose d' extraordinaire. Si nous avons souvent maugréé, en remontant les grands glaciers, contre le pénible remorquage des luges, nous penserons tout aussi souvent, avec une joie sereine et une satisfaction intérieure, à l' expédition du Svalbard; nous y avons acquis beaucoup d' expériences et, de plus, elle aura été pour nous une aventure mémorable et enrichissante.

Nous tenons à remercier chaleureusement ici tous ceux qui ont contribué d' une manière ou d' une autre à la réussite de notre entreprise.Hansruedi Dietrich ( Traduit de V allemand par Ch. Neuhaus )

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