Breithorn, Punta Giordani et Bernina
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Breithorn, Punta Giordani et Bernina

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PAR GEORGES PERRIN, VEVEY

Avec 5 illustrations ( 108-112 ) Elles sont nombreuses déjà les courses d' une semaine ou de quelques jours que je fis dans les Alpes avec mon ami Jean-Louis, accompagné la plupart du temps d' un troisième camarade. Toutes eurent pour objectif un massif précis, désigné de longs mois à l' avance.

Rien n' était laissé au hasard dans la préparation de la course. On se documentait chez des connaisseurs, et l' étude des cartes et des guides était faite de façon approfondie.

Année après année, nous avons ainsi découvert un nouveau groupe de sommets soit en Italie, soit en France ou en Suisse. La chance nous a favorisés. Combien de fois en ai-je fait la remarque! Est-ce les capacités d' alpiniste de mon ami qui est un chef de cordée au vrai sens du terme, aussi à l' aise sur la glace que dans le rocher, est-ce son optimisme extraordinaireJe ne le sais trop, mais il faut avouer que rarement nous sommes rentrés « bredouilles ».

En attendant, l' élaboration du programme 1966 manqua à toutes les règles établies. Faut-il attribuer cette anomalie au temps peu favorable de cet été-là, qui n' invitait guère à des courses de haute montagne? Quoi qu' il en soit nous n' étions pas capables de nous déterminer Nous avions pensé à l' arête du Breithorn de Zermatt par le versant sud; j' avais parlé d' un massif que je connaissais un peu pour en avoir gravi, voici près de quinze ans, le sommet principal: les Grandes Jorasses.

L' avant du départ— ciel très couvert, fort vent d' ouest, réunis pour prendre les ultimes décisions, nous entendîmes avec stupéfaction, Jacky et moi, notre ami Jean-Louis nous parler de la Bernina et des Dolomites, question de changer carrément de région, pour trouver le beau temps ailleurs. L' imprécision était à son comble.

Nous ne prîmes qu' une décision, celle de franchir le Grand St-Bernard en automobile deux jours plus tard. Quant à savoir si, à Aoste, nous emprunterions la route de droite pour diriger nos pas vers les Grandes Jorasses ou celle de gauche pour aller explorer le Breithorn, cela devait dépendre des conditions atmosphériques, de la montagne et de l' inspiration du moment.

Notre campagne 1966, comme nous la désignons désormais entre nous, restera donc marquée dans mon souvenir comme celle de l' improvisation et de la fantaisie. Ce fut certainement l' un des éléments de son succès, car elle fut une belle réussite sur le terrain, à notre grande surprise, avouons-le. Nous avons su placer nos ascensions sur les quelques jours de beau temps de cette première semaine d' août et ne pas perdre courage lorsque la tempête sévissait.

La météo indiquait le vendredi soir: « Sud des Alpes: beau temps ». C' est donc avec un moral élevé que nous quittons, Jean-Louis, Jacky et moi, le lendemain de bonne heure, les bords du Léman, sous un ciel légèrement couvert. Le coffre de la voiture, de grande dimension, permit de prendre, outre un matériel considérable, les cartes nationales et les guides-manuels de toutes les Alpes suisses et même des régions limitrophes étrangères, ce qui se révéla une sage précaution.

Martigny apparaît sous le plus beau soleil. Au Grand St-Bernard, l' heure est trop matinale pour y rencontrer la foule; aussi nous y sentons-nous cette fois-ci à l' aise: l' air est frais et le bleu du ciel absolument pur.

A Aoste, sans grande discussion, Jean-Louis prend la route de gauche et file sur Saint-Vincent. Les des en sont jetés, nous irons vers le Breithorn. A Verres, quart de tour à gauche encore, en direction du val d' Ayas. En de multiples lacets, la route grimpe fort au début, et nous traversons par la suite des villages aux noms pittoresques et bien français: Challant-St-Anselme, Brusson, Periasc, Frachey.

Nous dépassons sans nous y arrêter Champoluc qui est la grande station de la vallée: elle est en pleine crise de croissance. La mode est aux sabots de bois que portent aussi bien les élégantes que leur mari. Quatre kilomètres plus loin, c' est St-Jacques, modeste agglomération située à 1689 mètres et dotée d' une grande place de parc pour automobiles. C' est ici que nous laisserons notre véhicule et de là que nous partirons quelques minutes plus tard sur un chemin comme nous les aimons, à la pente bien régulière et longeant un gros torrent aux eaux bouillonnantes, l' Evançon.

Nous laissons l' ancien Hôtel de Fiery sur la gauche et pique-niquons peu après dans le bois de mélèzes. Avis aux amateurs: faites de préférence encore quelques pas et choisissez pour vous arrêter le plateau dénommé Pian di Verra Inferiore: l' endroit est enchanteur et vous y jouirez d' une vue étendue sur la chaîne du Breithorn, Pollux et Castor. En cherchant bien, vous découvrirez, perché sur la moraine, tout en haut, une tache brune, c' est le Refuge Mezzalama, l' objectif de la journée. N' empruntez pas surtout, peu après, le chemin qui suit le fil de la moraine, vous vous y fatigueriez inutilement, mais prenez le bon, le vrai chemin muletier de la cabane qui fait quelques lacets de plus, mais qui est agréable d' un bout à l' autre.

Petite construction de bois sympathique, placée à 3004 mètres, à proximité du Grand Glacier de Verra, le refuge Mezzalama du Club alpin italien est tenu par une gardienne avenante au teint basané, parlant quelques mots de français, ce qui arrange bien les choses.

Dans la soirée, le ciel s' est couvert sérieusement. C' est dans le même état que nous le trouverons le dimanche matin à notre lever. Sans hésitation pourtant, nous quittons le refuge à 4 heures. Trois heures plus tard, nous nous arrêtons pour manger au nouveau et confortable bivouac fixe Cesare e Giorgio ( 3700 m ) que le Club alpin italien a érigé à 500 mètres à l' ouest du Schwarztor, sur un éperon rocheux à la base de la Roccia Nera, juste au-dessus du Grand Glacier de Verra. Les conditions de montée étaient excellentes, et le temps s' est nettement amélioré.

Notre intention est de faire l' arête intégrale du Breithorn, de la Roccia Nera au sommet principal, c'est-à-dire d' est en ouest. Sa longueur est de plus de 2,5 kilomètres et en grande partie neigeuse. Sûr de mon affaire, je néglige de lire attentivement le guide-manuel et j' engage Jean-Louis, quelque peu réticent, à monter jusqu' à l' arête frontière, à la dépression située entre le sommet oriental et le gendarme, 4105 mètres, ce qui est évidemment une erreur. Nous gagnons le sommet de ce dernier par la crête, en rencontrant, à certaines places, beaucoup de neige sur les rochers, alors que nous aurions dû prendre en biais dans le flanc neigeux de la montagne. Du point culminant, à ma grande surprise, je découvre l' objectif véritable 500 mètres plus loin au sud-est et 30 mètres plus bas en altitude. Il est rapidement atteint.

Nous y jouissons, en cette heure matinale, d' une vue extraordinaire, tout spécialement sur le massif du Mont Rose, le Liskamm et les Jumeaux. Des cordées italiennes gravissent le Pollux tout proche ou les grandes faces de neige du Castor. Oh! féerie de la montagne! Pour en jouir longtemps, nous voudrions dire, avec Lamartine: Ô temps! suspends ton vol...

Par la voie correcte, cette fois, nous regagnons la base ouest du gendarme, et de là, gravissons le sommet oriental, modeste pointe. La montée est courte, alors que, à la descente, nous devons prendre certaines précautions car les rochers sont plâtrés de neige.

La plus basse dépression de cette longue crête est atteinte à 4014 mètres et, avec elle, la moitié du chemin est parcouru, du moins en distance. Jacky manifeste des signes de fatigue; Jean-Louis et moi regardons non sans souci l' arête rocheuse qui s' élève en trois ressauts en direction du sommet central du Breithorn. Elle est garnie de neige. Nous nous réjouissions de l' escalader, car c' est la partie la plus intéressante de la course, mais dans les conditions présentes, cela pose un problème de sécurité.

C' est alors que nous prenons la sage résolution de descendre de notre col jusqu' au plat du glacier, à 3800 mètres environ, pour y laisser Jacky et poursuivre la course à deux. Il nous attendra durant trois heures et demie, plus seul que Robinson sur son île et dans un silence impressionnant, presque pénible à la longue, nous a-t-il déclaré à notre retour.

Pour nous, la solution est fort simple. En une ligne bien droite et perpendiculaire au fil de l' arête, nez contre la pente ( qui est sérieuse ), nous gravissons les 350 mètres de la face sud du sommet central. Le regard, la poignée de main que nous échangeons à l' arrivée témoignent de l' effort que nous avons accompli, sans un seul arrêt. La descente à la large selle et l' ascension du point culminant, le sommet du Breithorn connu de tous, exigent une petite heure supplémentaire.

Une certaine lassitude s' est emparée de nous. Nous sommes heureux, mais fatigués. Notre but est atteint, car nous avons touché tous les sommets de ce massif du Breithorn, et ce projet dont nous parlions depuis longtemps est enfin réalisé.

Notre ami Jacky est rejoint, bien plus rapidement que ne le fut la base sud du Pollux, qui est la porte de sortie obligatoire pour le retour au refuge Mezzalama. Je ne cache pas que cet interminable parcours dans la neige fondante sur le Grand Glacier de Verra, qui est une succession de descentes et de montées, fut pour moi, en ce chaud après-midi de dimanche, une épreuve pénible.

A 18 h 30, nous franchissons avec une satisfaction évidente la porte du refuge. C' est durant l' excellent souper que nous apprêta la gardienne, arrosé d' un vin rouge généreux dont l' Italie a le secret, que notre ami Jean-Louis, plus fantaisiste que jamais, nous fit, à Jacky et à moi-même, une proposition pour la suite des opérations de la semaine.

- Que diriez-vous si nous portions maintenant nos regards sur la Punta Giordani, dans le massif du Mont Rose?

- Volontiers, répondis-je et puis après?

- Nous filons sur la Bernina!

- D' accord aussi pour la Bernina, mais par l' arête du Bianco.

Jean-Louis a réponse à tout! Le programme de la semaine est prêt, bien prêt, à défaut d' être préparé! Il faut avouer que cette Punta Giordani qui nous tient à cœur est le plus méconnu et le plus mo- deste des dix sommets que compte le massif du Mont Rose, et précisément le seul de ceux-ci qui manque à notre palmarès. Sur territoire italien, au sud-est de la Pyramide Vincent avec laquelle elle est reliée par une arête rocheuse, la Punta Giordani est difficilement accessible du côté suisse, car c' est le quatre mille le plus éloigné du Lisjoch et en même temps le moins élevé.

Quelques mois auparavant, un ami du CAS, m' avait montré un prospectus signalant l' existence d' un téléphérique construit récemment et parvenant à peu de distance de la cabane Gnifetti, située à 3611 mètres. On sait que ce refuge est le point de départ par excellence des alpinistes italiens désireux d' escalader le Liskamm et les différents sommets du Mont Rose. Il constitue également le relais de la cabane Margherita à la Signalkuppe.

Maintenant que la chose devient intéressante pour nous, j' ai beaucoup de peine à me souvenir si ce téléphérique part du val Gressoney ou du val Sèsia. Après un moment de réflexion toutefois, j' opte pour la seconde de ces vallées, celle dont l' entrée est justement de beaucoup la plus éloignée du val d' Ayas.

Il est admis que tout clubiste qui se respecte est opposé en principe, tout au moins dans son for intérieur, à la construction des grands moyens mécaniques de transport qui amènent la foule en haute montagne, mais que, une fois en exploitation, il les utilise volontiers comme le commun des mortels.

C' est bien entendu ce que nous faisons. Nous quittons de bonne heure, lundi matin et non sans regret, le refuge Mezzalama, descendons gentiment par un temps agréable sur St-Jacques. Au plateau de Pian di Verra Inferiore, nous profitons d' un « bisse » à l' eau claire et fraîche pour faire un brin de toilette.

Au terme de cette marche, après nous être désaltérés au « bar » voisin et avoir opéré quelques changements dans notre équipement personnel, nous prenons la route, Jean-Louis au volant de la voiture. Le voyage sera long, mais agréable. De Verres, nous filons en direction sud sur Ivrée, et de là sur Biella. A Borgosésia, nous entrons dans l' interminable, sinueux, mais combien pittoresque val Sèsia. Il est 15 heures peut-être lorsque nous parvenons à Alagna, coquette station située à 1200 mètres, elle aussi en plein développement.

- Pas de course horaire pour le moment pour la Punta Indren ( la station supérieure ), nous est-il répondu au guichet du téléphérique dans le meilleur français. Mais qu' à cela ne tienne, nous allons vous organiser tout de suite une course spéciale.

On ne saurait être plus aimable.

Et c' est ainsi que nous sommes hissés rapidement et sans effort à 3260 mètres, après avoir été invités à changer deux fois de cabine. Le temps se détériore, des brumes traînent sur le flanc des montagnes et notre benne se promène par instant dans un brouillard opaque.

Fort heureusement toutefois, c' est par bonne visibilité que nous gagnons en un peu plus d' une heure la cabane Gnifetti. Cette courte montée nous voit traverser dans toute sa largeur le Glacier d' Indren, escalader une barre rocheuse et toucher la base du Glacier de Lis. La cabane, agrippée à la pente, est fort grande; comme le refuge Mezzalama, c' est une construction de bois. Sa cuisine est installée magnifiquement, comme celle d' un hôtel et le personnel est nombreux.

Pour pouvoir répondre à l' afflux considérable des touristes transportés par le téléphérique d' Ala, bientôt doublé d' un téléphérique partant de Gressoney, le Club alpin italien est en train de construire une nouvelle cabane qui sera accolée à l' ancienne.

De la fenêtre de notre petit dortoir, où nous avons fait chambre commune avec des Bavarois sympathiques, le mardi à 4 heures et demie du matin, nous ne discernons pas grand-chose, car le brouillard dissimule tous les sommets. Parfois, il se déchire, s' éloigne, mais revient peu après. Une 16 Les Alpes - Die Alpen - 1967241 fois de plus, nous décidons de tenter notre chance, et bien nous en prit. Le départ est rapidement donne. Le brouillard disparaît bientôt, cependant le ciel n' est pas sans nuages, et un vent très violent balaie les sommets.

Une chose est certaine, aujourd'hui, nous ne souffrirons pas de la chaleur. En direction nord-est, nous grimpons sur le Glacier de Lis, que nous quittons sur la droite pour traverser la même barre rocheuse que la veille, mais beaucoup plus haut, accédons à la partie supérieure du Glacier d' In que nous prenons en biais, mettant le cap sur la Punta Giordani que nous avons repérée d' emblée. Notre allure est rapide et les conditions du glacier excellentes. Deux petites heures après notre départ, nous sommes réunis au sommet, à 4046 mètres, aux côtés d' une petite madone d' alu fleurie par des alpinistes particulièrement fervents. Le livre du sommet révèle en effet une fréquentation bien modeste; la grande foule des alpinistes dirige ses pas ailleurs, vers les « Grands » qui dominent la cabane et qui ont un nom plus connu.

Notre intention était d' atteindre de ce point la Pyramide Vincent par son arête est-sud-est, ascension ne présentant pas de grandes difficultés. Mais les brumes qui tournoient autour du Corno Nero et de la Ludwigshöhe nous donnent du souci, et nous préférons rejoindre la cabane par le chemin de montée. Le temps, manifestement, se gâte.

Nous sommes accueillis à la station inférieure d' Alagna, vers 11 heures du matin, par un employé portant un nom à consonance allemande. Je suis chargé de lui remettre quelques petites pièces mécaniques de la part d' ouvriers travaillant à la nouvelle cabane Gnifetti. La conversation s' engage et j' apprends que sa famille parle à la maison le dialecte suisse alémanique du Haut-Valais. Des descendants des Walser, à n' en pas douter, comme ils s' en trouvent dans d' autres vallées retirées, qui ont réussi à garder au cours des siècles leur langage propre en dépit des vicissitudes de l' existence.

C' est au tour de l' Opel de notre ami Jean-Louis de faire valoir maintenant ses qualités exceptionnelles. Elle ne faillira pas et nous déposera vers 17 heures devant la gare de Pontresina. Ce voyage de près de 300 kilomètres sur les routes italiennes et, ensuite, dans le val Bregaglia s' est déroulé le mieux du monde. Une petite pluie nous tint compagnie de Chiavenna jusqu' à la Maloja, juste de quoi dérégler l' essuie et nous rappeler que la mécanique, tout comme l' homme, est sujette à la maladie.

La providence veut que nous tombions à Pontresina sur un aimable garde-frontière, porteur de l' insigne alpin, qui nous renseigne de façon approfondie sur les conditions de la montagne. La Bernina par l' arête du Bianco, mieux vaut n' y pas songer. Vu les grandes quantités de neige, elle n' a pas encore été escaladée cette année par cette voie-là. Il nous invite à emprunter la route normale par la cabane Boval et le Glacier de Morteratsch.

Le chauffeur éprouve quelque fatigue, ce qui est compréhensible après une aussi longue étape précédée d' une ascension. Quant au temps, fort bouché, il n' engage pas à monter en cabane ce soir. Nous décidons donc de souper à Pontresina et de coucher dans la voiture, confort suprême, quelque part dans la nature.

La surprise que nous n' attendions pas, c' est celle que nous réserve le temps à l' aube de ce mercredi. Les nuages se dissipent, la vue se dégage. Nous n' y tenons plus. Avant 7 heures, nous sommes sur le chemin de la cabane Boval, réchauffés par un éclatant soleil. Un bref arrêt au refuge pour y boire du thé et saluer des connaissances, et nous continuons par le chemin de la moraine et le glacier. Nous nous sentons dans une forme excellente et grimpons allègrement sur ce glacier tourmenté de Morteratsch, bénéficiant des traces bien marquées de nos prédécesseurs.

A 14 heures, nous avons le plaisir de saluer une vieille connaissance: Giovanni, le gardien du refuge Marco et Rosa du Club alpin italien. Pour être venu ici, une fois déjà, je me rappelle l' exubé toute méridionale et la gentillesse de Giovanni. J' ai prévenu mes camarades, et effectivement l' après et la soirée, que nous passons en compagnie d' alpinistes italiens, allemands et suisses, dans ce refuge vétusté, exigu, mais combien sympathique, sont animés par notre boute-en-train Giovanni. La soirée s' achève, bien entendu, par le répertoire complet des chants traditionnels. A en faire même trembler les murs de la maison!

Dans l' après, en faisant les cent pas entre le nouveau et l' ancien refuge et en tirant des photos, Jean-Louis nous propose tout de go et le plus sérieusement du monde, de partir pour la Bernina séance tenante, afin de profiter du beau temps. Nous refusons, Jacky et moi, l' assurant que les conditions du lendemain seront celles d' aujourd. A chaque jour suffit sa peine, et nous désirons jouir du moment présent.

Nous sommes moins sûrs de nous, le jeudi matin au petit jour. En effet, la tempête sévit furieusement, accompagnée d' un épais brouillard. Jean-Louis n' est guère content et nous propose de battre en retraite rapidement. Le vent est si violent sur la large selle frontière de la Fuorcla Crasta Aguzza que nous perdons la trace et devons nous orienter à la boussole.

Sur le plat du glacier, à 2600 mètres environ, nous découvrons un bloc de rocher d' une éclatante blancheur dont la forme rappelle le Cervin. Nous le ramassons et le portons, à tour de rôle, jusqu' à notre voiture, à Morteratsch; son poids, contrôlé à notre retour, est de 17 kg. Cet épisode amusant nous fait quelque peu oublier notre échec.

Nous ne nous tenons toutefois pas entièrement pour battus, puisque nous remontons le soir même à la cabane Boval. Ce fut une idée géniale, car le lendemain, après quelques hésitations, le temps se remet au grand beau.

Notre décision est vite prise: objectif Bernina. Le départ quelque peu tardif est compensé par notre connaissance du terrain et notre entraînement. Les conditions, une fois de plus sont excellentes et les prises de vues nombreuses, toutes plus belles les unes que les autres.

A la Furcla Crast' Aguzza, nous faisons un quart de tour à droite et ne rendons pas visite à Giovanni dans son refuge. Dans les rochers et sur l' arête, nous croisons de nombreuses cordées, mais nous avons le plaisir d' être seuls au sommet Nous y restons presque une heure, jouissant d' un spectacle grandiose dans un silence impressionnant. Notre joie à tous trois est grande, et notre persévérance a été vraiment bien récompensée.

Cabane Boval, 14 heures. Nous reprenons brusquement contact avec la civilisation. La terrasse grouille d' estivants venus en balade jusqu' au refuge.

Ainsi s' achève une belle semaine où les imprévus, qui n' ont guère manqué, ont souligné et renforcé la franche amitié qui unit trois camarades de montagne.

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