Autour du Monte Rosa
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Autour du Monte Rosa

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PAR CHARLES MOTTIER, GENÈVE

Etre monté sur un haut sommet puis, plus tard, tourner autour, c' est un plaisir qui ressemble... au tour du propriétaire. En 1936 c' avait été le circuit Fayet—Courmayeur—Arpette—Chamonix ( une bien belle tournée, n' est pas, mon fils ?). Par analogie, je désirais depuis longtemps faire le tour Zermatt—Gressoney—Macugnaga—Saas, mais l' éloignement et les difficultés pratiques repoussaient ce projet d' année en année, jusqu' au jour où je pus lire l' article de Paul Schmid ( Les Alpes, 4e trimestre 1958 ) avec ses renseignements précis et détaillés. Je me décidai enfin.

En route! C' est le 28 juin 1960.

Puisque la circulation est interdite au-delà de Saint-Nicolas, j' y abandonne mon vélo. De Zermatt, sous un équipement de touriste, qui comprend aussi un parapluie fiché dans mon sac pointe en l' air, je m' achemine sans autre arrêt par Zum See en direction de la cabane Gandegg ( 3029 m ). Au départ il faisait beau, mais, passé le Furggbach, voici que le ciel « s' engrisaille »; il tombe des gouttes et ensuite du grésil chassés par un vent frisquet. Quichotte: « En avant! au but! pluie et bourrasque ne sauraient nous impressionner! » Pança: « Sans doute, bon maître, mais notre accessoire, qu' en faisons-nous, alors qu' on grelotte? » En fin de discussion, Riflard est extrait du sac et ouvert pour protéger Pança qui se réjouit d' avance du bon repas que son maître va lui offrir la cabane pour récupérer des calories, et aussi du bon lit où disparaîtra la fatigue résultant du manque complet d' entraînement. Quelle silhouette: Quichotte tenant le piolet d' une main, Pança la rondache-parapluie ouverte de l' autre, à 2800 m! Heureusement le chemin est bien marqué et entretenu, mais il est long et ce n' est qu' après 20 h. 30 que j' aperçois la cabane à bonne distance; elle a ses volets clos, évidemment, par ce temps froid et neigeux; s' il persiste, il sera assez tôt de redescendre demain. Nous y voici, frappons. Refrappons. Faisons le tour. Bernique et rebernique, il n' y a personne. « Ah! bon maître, notre repas, notre lit? » Inspectons les lieux. Cette porte entrouverte: la remise, encombrée de neige, de caisses et de fiaschi vides. Et cette annexe? Ecurie à mulets. Cette échelle par terre? Une fois dressée, elle permet de pénétrer à l' étage par une fenêtre sans vantaux et, dans l' obscurité et le vent, de distinguer, parmi la neige et une forte odeur d' humidité, des paillasses en désordre dont le contenu pourrit et quelques matelas mouillés. « Bon maître, nous ne pouvons coucher ici, il faut redescendre à Hermettji; vous vous souvenez, ce raccard plein de foin! » - « Pança, foin de ton raccard; nous allons nous installer ici. » A la lumière d' une lampe électrique trois matelas des moins humides sont amenés dans un angle, l' un à plat, les deux autres en toit par-dessus. Quelques légères provisions sont rapidement absorbées; tout ce qui isole est enfilé, boutonné, noué, attaché - ainsi les journaux autour des pieds - et je me glisse dans ce couloir triangulaire. Mais comme aucune porte ou fenêtre de cette annexe ne peut être fermée et que même la trappe donnant sur l' écurie en dessous est béante, la pièce est ouverte à tous les vents qui traversent l' ingénieux système. « Bon maître, ces vents coulis me glacent !je gèle! » S' allongeant pour atteindre le sac, Quichotte en sort Riflard et le dispose ouvert à l' entrée du tunnel. Pança s' en trouve mieux, pour un moment; ce bruit de castagnettes, ce sont ses dents qui claquent et qui claqueront toute la nuit. Cependant il a bien dû, tardivement, finir par s' assoupir puisqu' il n' a pas remarqué la lueur de l' aube. Comment? six heures dix! Un saut vers la fenêtre et un spectacle féerique s' offre à ma vue: sous un ciel d' un bleu intense tout est blanc et les sommets resplendissent dans leur grandiose majesté; c' est un panorama impressionnant. Quelques minutes suffisent pour déficeler les journaux et enlever le superflu d' habillement; à 6 h. 20 je m' achemine vers le Col du Théodule ( 3303 m ), atteint à 8 heures. Le voici donc, ce versant sud du massif du Cervin, nouveau pour moi et que je prends plaisir, enfin, à examiner, déterminer et admirer sous sa fraîche robe neigeuse qui brille radieusement.

D' ici il me faudrait rejoindre l' itinéraire que Paul Schmid a suivi en montant du Breuil pour passer le col des Cimes Blanches; on doit pouvoir se diriger de flanc sous Testa Grigia. « Mais, bon maître, vous n' avez pas de carte, vous ne connaissez pas le glacier, il a neigé cette nuit, et puis nous n' avons rien mangé de consistant depuis les sandwichs dans le train avant Viège; ces maisons de Breuil nous invitent; allons-y; du reste il y a des téléphériques pour remonter. » -«Pança, tu sais que je déteste ces mécaniques. » - « Allons au moins jusqu' à la station intermédiaire de Planmaison. » - « Soit! » C' est sans hâte que s' effectue la descente par les névés, pour pouvoir suivre des yeux les skieurs venant de Testa Grigia, mais surtout pour me délecter du majestueux panorama et m' imprégner de ce magnifique soleil dont 1960 a été si avare.

Par les pâturages, sous Planmaison que Pança évite sournoisement, le sentier m' amène à 10 heures à Cervinia-Breuil ( 2012 m ). Je flâne, je scrute la face du Cervin et sa chaîne sud; j' admire. Pança, lui, cherche un restaurant; il entre même dans une agence de voyage sous le fallacieux prétexte d' acheter la carte Cervin-Mont Rose du TCI; n' y découvre-t-il pas, comme cela, sans faire exprès, qu' à des prix défiant toute concurrence, on peut prendre un car à 16 heures pour Châtillon, de là un autre pour Pont Saint-Martin et atteindre enfin Gressoney-la-Trinité le soir même par un troisième! Tout en dégustant un excellent et fortifiant repas et déjà pénétré de l' ambiance méridionale, Quichotte se laisse fléchir, heureux de l' occasion de voir enfin ces vallées sud du massif qu' il désirait visiter depuis si longtemps; il ne le regrettera pas, en dépit de l' entorse faite au programme original et qui supprime la traversée de deux des cols, celui des Cimes Blanches et celui de Bettaforca. Il faut dire que pendant toute cette partie de la randonnée, il sera inquiet de risquer de se trouver pris par le mauvais temps au sud de la grande barrière et, par conséquent, d' éprouver de grosses difficultés à retourner à Saint-Nicolas pour déconsigner son véhicule. Aussi tout gain de temps raisonnable est-il finalement accepté.

Pendant le parcours vers Châtillon je ne me lasse pas de regarder en arrière pour imprégner ma mémoire de la silhouette massive du Cervin qui se profile longtemps comme le guidon d' un fusil dans le V de la vallée. Pourvu d' une route très bonne, ce Valtournanche mériterait d' être visité à loisir. L' arrivée dans la vallée d' Aoste se fait brusquement au débouché d' une gorge et la vue est d' autant plus étendue que Châtillon est situé sur la hauteur.

Le long trajet suivant la Doire Baltée passe au pied du célèbre fort de Bard qui opposa un sérieux obstacle à l' armée de Napoléon à sa descente du Grand Saint-Bernard. A Pont Saint-Martin le pont romain enjambe la Lys d' une longue arche légère et élégante.

Le troisième car grimpe dans une vallée sauvage et encaissée dont le fond est tout parsemé d' im blocs tombés de ses flancs; la nuit est proche quand je descends au terminus, sur la place minuscule et coquette de Gressoney-la-Trinité ( 1624 m ). A l' Albergo Castore la couche est meilleure qu' à Gandegg; Panca s' y pâme d' aise, si bien que, contre l' habitude de partir à 5 heures, ce n' est qu' à 8 heures que l'on se met en marche le lendemain.

Ce départ tardif déclenche malgré tout des remords; mais chez Pança ils sont refoulés par la montée imprévue au moyen d' un modeste téléphérique de l' entreprise du lac Gabiet; de la station supérieure un sentier en palier conduit au lac, non loin duquel se trouvent deux « refuges ».

Tout en montant au col d' Olen on a loisir de contempler le panorama qu' offrent le groupe du Lyskatem et de la Pyramide Vincent avec leurs carapaces de glaciers scintillants, la vallée de la Lys, mjvallon qui descend de la Bettaforca, et le massif de Testa Grigia qui sépare Gressoney de Champoluc.

Il subsiste encore passablement de neige aux abords du col d' Olen ( 2881 m ), particulièrement sur le versant est; de plus des vagues de brouillard me privent de toute vue sur les pentes est des sommets sud du massif dont Paul Schmid a présente une belle photo. Dans le névé on a creusé un passage pour faciliter aux mulets l' accès aux auberges du col, et voici un sac posé au bord de la tranchée par un des cantonniers; malicieusement j' y glisse un certain nombre de cigarettes que, non fumeur, j' emporte avec moi dans mes courses pour offrir à l' occasion en remerciement d' un renseignement ou d' un petit service rendu; Pança s' égaye en imaginant la surprise du cantonnier au moment de prendre son pain et son saucisson pour casser la croûte.

A mi-hauteur entre le col et Alagna on trouve le Rifugio Mortera dont une façade porte sur marbre l' inscription que voici:

« Preghiera dell' alpino... Dio omnipotente, che regali tutti gli elementi, salva noi armati di amore e di fede, da ogni male spirituale; salvaci dal gelo demolitore, dalla furia della tormenta, dall' impeto della valanga.

Fa che il nostro piede passi sicuro sulle creste vertiginose, sulle diritte pareti, sui crepacci insidiosi...

Dott. Teresio Olivelli Tenente degli alpini - Medaglia d' oro Martire glorioso della libertà d' Italia 1916-1945 » Non loin de ce hameau on procède à l' établissement du téléphérique qui va ouvrir ce vallon d' Olen au tourisme et au ski.

Il est 16 heures à mon arrivée à Alagna di Valsesia ( 1190 m ). C' est trop tôt pour y rester. Dans la petite épicerie de la place j' apprends qu' il y a des bergers à l' Alpe Faller et qu' il est donc possible Le long trajet suivant la Doire Baltée passe au pied du célèbre fort de Bard qui opposa un sérieux obstacle à l' armée de Napoléon à sa descente du Grand Saint-Bernard. A Pont Saint-Martin le pont romain enjambe la Lys d' une longue arche légère et élégante.

Le troisième car grimpe dans une vallée sauvage et encaissée dont le fond est tout parsemé d' im blocs tombés de ses flancs; la nuit est proche quand je descends au terminus, sur la place minuscule et coquette de Gressoney-la-Trinité ( 1624 m ). A l' Albergo Castore la couche est meilleure qu' à Gandegg; Panca s' y pâme d' aise, si bien que, contre l' habitude de partir à 5 heures, ce n' est qu' à 8 heures que l'on se met en marche le lendemain.

Ce départ tardif déclenche malgré tout des remords; mais chez Pança ils sont refoulés par la montée imprévue au moyen d' un modeste téléphérique de l' entreprise du lac Gabiet; de la station supérieure un sentier en palier conduit au lac, non loin duquel se trouvent deux « refuges ».

Tout en montant au col d' Olen on a loisir de contempler le panorama qu' offrent le groupe du Lyskatem et de la Pyramide Vincent avec leurs carapaces de glaciers scintillants, la vallée de la Lys, novation qui descend de la Bettaforca, et le massif de Testa Grigia qui sépare Gressoney de Champoluc.

LI subsiste encore passablement de neige aux abords du col d' Olen ( 2881 m ), particulièrement sur le versant est; de plus des vagues de brouillard me privent de toute vue sur les pentes est des sommets sud du massif dont Paul Schmid a présenté une belle photo. Dans le névé on a creusé un passage pour faciliter aux mulets l' accès aux auberges du col, et voici un sac posé au bord de la tranchée par un des cantonniers; malicieusement j' y glisse un certain nombre de cigarettes que, non fumeur, j' emporte avec moi dans mes courses pour offrir à l' occasion en remerciement d' un renseignement ou d' un petit service rendu; Pança s' égaye en imaginant la surprise du cantonnier au moment de prendre son pain et son saucisson pour casser la croûte.

A mi-hauteur entre le col et Alagna on trouve le Rifugio Mortera dont une façade porte sur marbre l' inscription que voici:

« Preghiera dell' alpino... Dio omnipotente, che regali tutti gli elementi, salva noi armati di amore e di fede, da ogni male spirituale; salvaci dal gelo demolitore, dalla furia della tormenta, dall' impeto della valanga.

Fa che il nostro piede passi sicuro sulle creste vertiginose, sulle diritte pareti, sui crepacci insidiosi...

Dott. Teresio Olivelli Tenente degli alpini - Medaglia d' oro Martire glorioso della libertà d' Italia 1916-1945 » Non loin de ce hameau on procède à l' établissement du téléphérique qui va ouvrir ce vallon d' Olen au tourisme et au ski.

Il est 16 heures à mon arrivée à Alagna di Valsesia ( 1190 m ). C' est trop tôt pour y rester. Dans la petite épicerie de la place j' apprends qu' il y a des bergers à l' Alpe Faller et qu' il est donc possible 217 d' y coucher; cela fera une bonne avance pour passer le col de Turlo le jour suivant, surtout quand on craint continuellement l' arrivée possible du mauvais temps. Après un modeste repas je repars à 17 h. 30.

Peu après avoir passé sur la rive gauche de la Sesia, on s' étonne de se trouver sur un chemin dallé; c' est une voie militaire construite selon les règles de l' art pendant la première guerre mondiale. Comme elle n' est pas entretenue, les éléments l' endommagent peu à peu; toutefois elle reste excellente pour les touristes et les mulets, mais n' offre guère d' intérêt au point de vue économique.

Ce chemin monte régulièrement, mais s' étire en longueur ( n' est pas, Pançail domine de plus en plus le fond encaissé de la vallée. Malheureusement des nuages régnent sur les sommets qu' il serait réconfortant de contempler pour oublier les courroies du sac ( n' est pas, Pança ?) A partir des chalets de Mittlentheil le brouillard m' entoure et comme il est déjà près de 21 heures, c' est un peu à l' aveuglette que j' avance des chalets; l' un d' eux offrirait un bon gîte, mais il n' y a pas de berger. Enfin, plus loin, en voici d' autres d' où, à mon approche, un chien sort en aboyant. Quel réconfortant accueil ( n' est pas, Pança ?) puisqu' il signifie l' arrivée à l' étape! C' est l' Alpe Faller ( 1987 m ) où je trouve les bonnes gens dont on m' avait parlé à Alagna et qui travaillent encore à cette heure tardive: le père au fromage, et la mère et la fillette à l' écrémeuse dont il faut tourner la manivelle sans arrêt, en se relayant; on me reçoit aimablement, je me réchauffe près du feu, puis bientôt le fromager me mène à un dortoir de foin en me remettant quatre couvertures. Quelle bonne nuit! n' est pas, Pança?

Le matin suivant, à 4 h. 30, je reviens au foyer où la famille s' affaire déjà; deux bols de lait avec une bonne dose d' Ovomaltine forment le principal du déjeuner, et à 5 heures c' est le départ.

Le chemin militaire passe au-dessus du deuxième groupe de chalets de l' Alpe Faller; après m' être fourvoyé vers Grafenboden dans le léger brouillard, j' ai tôt fait de le rejoindre. Dès la hauteur du lac Turlo, sa chaussée est cachée sous la neige, mais je trouve quant même aisément l' échancrure du col ( 2736 m ). Dans les pentes raides du versant nord, Dosso dei Caproni, la voie zigzague, toujours dallée, en un grand nombre de lacets serrés que la carte ignore pour la faire descendre presque en ligne droite à l' Alpe Schena ( 2000 m ); de là à celle de la Piana ( 1609 m ) il y a au moins trois fois plus de zigzags que sur la carte.Vu le terrain tourmenté, il est impossible de passer d' un lacet à l' autre en raccourci, et comme l' assise du chemin est plus abîmée que sur l' autre versant, la marche est fatigante. Mais la vue en enfilade du val Quarazza avec son petit lac allongé donne de l' intérêt à ce trajet. Du reste le temps se maintient au beau et la cuvette de Macugnaga est dégagée. Tant mieux.

A 14 heures j' atteins Staffa, centre de l' agglomération de Macugnaga, avec sa pittoresque place principale. Après un repas, un examen du panorama s' impose et, n' était la crainte d' un brusque changement de temps, je consacrerais volontiers un jour à une excursion prolongée dans la direction du glacier pour voir de près ces gigantesques parois est du Mont-Rose. « Mais, bon maître, il y a un téléphérique qui monte au rocher du Belvédère en plein glacier. » - « Pança, tais-toi! demain, en montant au col, nous aurons une vue générale de la vallée et de son cirque de montagnes. » Je lie conversation avec un guide, Giuseppe Oberto, qui a participé à l' expédition italienne au Gasherbrum en 1958; en ce moment il remplace un mécanicien à la station inférieure du nouveau téléphérique du Monte Moro qui n' aboutit encore qu' au rocher surplombant le village au nord, 400 m plus haut. J' apprends que les bergers sont déjà montés à l' Alpe Bil et la perspective d' y pouvoir coucher me rend généreux: « Pança, puisque tu as bien marché aujourd'hui, je t' offre la montée mécanique. » - « Oh! bon maître ...»Au milieu de l' après me voici donc, sinon bien haut, du moins mieux placé en face des formidables parois de deux mille mètres, striées de leurs couloirs vertigineux et de leurs glaciers suspendus. Je profite amplement d' admirer, car si, demain, le mauvais temps...

Aux chalets de Bil, le vieux berger est accueillant; à son foyer je peux m' asseoir et me reposer dans cette ambiance de simplicité qui est une sorte de confort et de réconfort pour le touriste parvenu à l' étape. Pour la nuit sur le foin, le berger me procure une couverture et un manteau, mais, hélas, pas de cire pour les oreilles. Or, parmi le bétail de l' étable en dessous, il est une bête, certes pas une sirène, qui secoue toute la nuit sa clochette infernale, avec de brefs intervalles qui font naître chaque fois un espoir aussitôt déçu. Que de noms charmants as-tu reçus en ces quelques heures, Io, ou Amalthée! au point que mon premier mouvement, au lever à 4 heures, est de descendre avec ma lampe pour te chercher parmi tes compagnes et pour te voir enfin, carillon-neuse! Précisément ta clochette diabolique trop bien connue retentit à la première place à l' entrée. « Te voici donc, petite vache! » Apparemment la surprise fut réciproque: elle se leva et tourna la tête vers moi: « Ah! c' est toi qui m' as agonie de si douces épithètes cette nuit alors que je ruminais tranquillement! Eh bien! tiens, et salut! » Son regard courroucé s' accompagne à mon adresse d' un geste décidé de son appendice caudal pour m' envoyer son compliment matinal. J' ai juste le temps de me courber en arrière pour ne laisser qu' au rebord de mon chapeau le privilège d' être frôlé par quelques poils du mouchet em...baume. Ah! la petite vache! Je bats en retraite en abandonnant toute idée de réconciliation et remonte pour achever de m' équiper.

Dehors on n' y voit goutte: un brouillard dense pèse sur tout; la cuvette de Macugnaga nous joue son tour connu. A 5 h. 30 aucune amélioration; tant pis, je pars quand même. Mais, dans ces broussailles où le bétail a créé des passages trompeurs, et dans cette ouate, comment reconnaître le sentier d' embranchement pour rejoindre le chemin du col? J' effectue une traversée malaisée, dans la rosée et la brume, parmi des buissons humides, des ravins et de hautes herbes dégoulinantes; en peu de temps j' ai les pieds mouillés et l' effort devient harassant. Tout de même, le sens de l' orientation m' amène précisément aux chalets des Sonobierg ( 1939 m ) surgis providentiellement du brouillard; je peux donc prendre le bon sentier. Le ciel s' éclaircit un peu; il n' en faut pas moins de l' attention pour ne pas s' écarter de la trace qui n' est pas très évidente et dont les marques rouges sont du reste fort espacées et pas toujours judicieusement placées. Mais au moins le rythme de montée redevient régulier et moins pénible.

Quant à la vue dont je m' étais réjoui hier un peu témérairement à l' avance, elle est absolument nulle en direction du Mont Rose. Je m' en console en pensant au soulagement que procurera le passage de la frontière au sommet du col, où disparaîtra mon appréhension de me trouver bloqué au sud par un mauvais temps persistant et où se dissipera cette sorte de claustrophobie qui, à chaque étape et en cours de route, m' a retenu de prendre trop de loisirs. Mais il restera malgré tout, comme le dit Paul Schmid, « le regret de n' être pas resté plus longtemps dans les lieux visités. Il serait beau de parcourir les diverses vallées dans toute leur longueur dès leur origine. » Jusqu' au col, le chemin est long et, faute de vue, monotone. J' ai déjà atteint les champs de neige quand je distingue beaucoup plus haut trois personnes qui descendent; lorsque nous nous rencontrons et que nous causons, j' apprends que ce sont, avec leur porteur, deux ingénieurs qui viennent de faire des relevés pour le futur tronçon supérieur du téléphérique; ils ont profité, me disent-ils, de la « cabane », qui est ouverte, mais inoccupée; la carte mentionne bien en effet: Rif. Bionda. Or, quand j' arrive à la dernière pente avant la selle du col, je trouve deux constructions: la première présente l' aspect d' un pavillon, avec galerie à arches, fenêtres et porte vitrée. La seconde, un peu plus haut, dans la combe, n' est qu' un toit sur quatre murs: une étroite remise au sol de terre battue où je ne puis pénétrer que par la petite fenêtre, et une pièce d' environ deux mètres sur quatre où il n' y a absolument rien que le plancher, une fenêtre et la porte cadenassée 1. Ce ne saurait être qu' un refuge passager contre les intempéries. Je reviens à la première où j' entre. Je me rends compte que ce doit être le poste des douaniers, dont l' accès, paraît-il, est interdit; il se compose de plusieurs pièces, avec un mobilier sommaire: deux lits de fer, quatre matelas, et divers accessoires abîmés qui ne permettraient pas de cuisiner. C' est dans ce confort relatif, mais au moins protégé du froid, que je me restaure et me repose un moment en attendant une éclaircie éventuelle du ciel qui dégagerait le Mont Rose, mais en vain.

A peu de distance s' évase le col du Monte Moro ( 2868 m ) et je rentre en Suisse. Je m' assieds sous un soleil pâle pour contempler avec l' intérêt de la nouveauté le paysage inconnu qui s' ouvre devant moi. Désormais plus de hâte, plus rien ne presse, on a bien le temps, puisque la grande barrière est franchie! A la descente cette nonchalance apaisante se manifeste par des arrêts fréquents pour redresser sur les rochers certains des nombreux cairns qui jalonnent le passage, ou pour en dresser de nouveaux, car, parmi les névés, ils libèrent de toute hésitation le voyageur qui ne connaît pas le cheminement; même dans le brouillard ils lui permettront de s' en tirer, grâce à leur échelonnement à petits intervalles.

Après ma rencontre avec les ingénieurs, je ne verrai personne jusqu' à Mattmark. Or, loin de me peser, cette solitude à chaque traversée a été un repos bienfaisant qui délivre des pa dotes, des bruits, des trépidations ( et des odeurs ) que la civilisation nous impose. Tout le paysage, les crêtes, les perspectives lointaines, les piliers de rocs, les abîmes, les sommets neigeux invitent à la quiétude que procure la nature dans son majestueux et profond silence.

Le bloc erratique colossal de belle serpentine bleue qui s' est arrêté - depuis quanddans ce fond de vallée à Mattmark, on ne doutait pas qu' il &It y rester immuablement et indéfiniment visible comme un troublant et muet témoin des temps préhistoriques. Eh bien! non! on va le submerger, ce Blaustein, pour toujours, dans un lac que des bruyantes et broyantes machines préparent déjà. C' est la rançon du radiateur électrique.

A Mattmark, déception encore: de l' hôtel sortent deux servantes qui ferment à clé la porte derrière elles; pourtant il n' est que 14 h. 45. Explication: C' est samedi, on s' en va. Alors, ce the complet ( façon suisse ) que je promettais à Pança depuis deux ou trois jours, à la première occasion?...

Près de la moraine quelques camions se rassemblent: c' est samedi, on s' en va. Un des chauffeurs veut bien me transporter jusqu' à Almagell et Pança s' en félicite, car la marche sur macadam avec des tricounis est bien pénible, sans compter que nous arriverons plus vite au thé complet.

A Saas-Fee, où je parviens dans l' après, quels bouleversements! Une prise d' eau de la Feevispa se construit dans le village; à l' opposé on aménage un vaste emplacement de parcage; des mines qui éclatent font trembler les vitres. Quel dommage que le progrès soit si tyrannique!

Sérieux rétablissement à la pension du guide Supersaxo. Le dimanche, le temps est au grand beau et la chaîne des Michabel s' étend dans toute sa splendeur. Logiquement mon tour aurait dû s' achever au point de départ et la dernière étape me ramener à Zermatt, sinon par le Schwarz-bergweisstor, peut-être par 1' Adlerpass. Mais quel eût été le toile de Pança: « Comment! seul, avec un parapluie, mais sans crampons, à 66 ans! » Aussi mon programme rejoint tout simplement 1 La note émanant du groupe de Brigue de la Section Monte-Rosa publiée à la page 187 des « Alpes », septembre 1960, dit que la « cabane » est tombée en ruine depuis longtemps. Si je l' ai trouvée totalement vide, elle était encore solide et en bon état.

Saint-Nicolas par Grächen en me faisant découvrir le nouveau « sentier d' altitude en corniche de Balfrin » qui relie Saas à l' Hannigalp.

Je quitte Saas-Fee à 7 h. 30 par le hameau de Wildi d' où le sentier part à angle droit; de nombreuses marques en rouge et blanc préviennent toute hésitation. Le tracé est très varié et d' un intérêt soutenu d' un bout à l' autre: il monte agréablement en forêt, passe par une « trappe à Tours » ( Bärenfalle ), longe un petit bisse ou traverse un pâturage, fait un détour de flanc dans le cirque d' un ravin, grimpe pour franchir un escarpement ou descend parmi des éboulis, suit une paroi, enjambe un torrent, s' enfonce dans le vallon du Schweibbach, domine des précipices et réserve sans cesse des émerveillements par son aspect, ses points de vue, le paysage qu' il domine, les perspectives qu' il ouvre et les fréquentes surprises qu' il ménage par sa manière pittoresque et hardie de contourner tour à tour des contreforts ou des couloirs.

Là, alors, je prends ma revanche de ma hâte au sud. Je muse. Je m' arrête pour observer des fourmis, je ralentis mon pas pour jouir du beau temps, pour lever le nez vers les pentes glacées et étincelantes du Weissmies et du Fletschhorn, pour détourner le cours d' un ruisselet qui prend le sentier comme lit, pour plonger mon regard sur les chalets d' en bas, si bas qu' on ne voit que leur toit et que leurs parois n' apparaissent plus, en perspective plongeante, que comme une simple ligne, pour observer un éboulement de rochers au Jägihorn, pour cueillir une petite fraise, pour regarder passer l' auto postale qui s' annonce par ses trois notes claires, pour parcourir des yeux et en pensée les sentiers qui, sur l' autre flanc, montent en nombreux lacets aux mayens ou établissent longitudinalement la communication de l' un à l' autre. Pour écouter le silence.

Des moutons, surpris dans leur repos à l' ombre d' une anfractuosité, détalent un peu affolés devant moi, et c' est précisément aux endroits scabreux et étroits du sentier qu' ils se bousculent les uns les autres pour se dépasser ou aller deux de front.

Un enchantement supplémentaire vous saisit lorsqu' on arrive sur la croupe herbeuse située cinq cents mètres au nord du Stock: de cette esplanade on a subitement une vue en enfilade sur Viège, tout le Baltschiedertal, le Bietschhorn et sur la chaîne plus à l' est: c' est le point idéal pour pique-niquer.

A quelques mètres de cet observatoire, sous un surplomb de la paroi, une plaque de bronze porte cette dédicace lapidaire:

Als Weg in die Stille eröffnete die Werkgemeinschaft Balfrin diesen Höheweg allen wanderfrohen Menschen am sie. I. IX. 1954 «... in die Stille »: il faut féliciter les constructeurs, puisque on ne trouve le long de ce sentier pas de buvette ni de gargote, pas de câbles ni de ficelles, pas de mécanique ni de musique en conserve! Ce sentier vaut le plus beau des cols.

Mais pour y circuler à l' aise il est indispensable d' être bien chaussé. Pas de petits souliers à talons-allumettes! Certaines vires peuvent donner un petit frisson; il faut regarder où l'on pose les pieds et, à moins d' être ovin ou caprin, ne pas avancer deux de front! Pour nous tout allait bien: si Quichotte portait encore le sac, le parapluie et le piolet, Panca, lui, libéré de tout souci et fame légère, ne portait plus rien du tout.

Du promontoire de l' Hannigalp on jouit d' un panorama étendu qui comprend la chaîne du Weisshorn et bien des sommets des Alpes bernoises, à quoi s' ajoute la vue dominante dans les vallées qui entourent cet alpage et dont on s' amuse à déterminer les nombreux villages.

Par Grächen et son ancien chemin muletier je rejoins Saint-Nicolas dix heures après le départ de Saas-Fee et c' est là que se ferme la boucle de mon tour. Sitôt mon bagage retiré et arrimé sur mon vélo, inutile de prolonger mon arrêt. Avec deux sacs ( l' un contenant les habits de plaine pour changer à Viège ), le piolet, Riflard qui pointe toujours du sac au-dessus de mon chapeau, j' attire l' attention et provoque les sourires de quatre jeunes skieurs vaudois revenant d' en haut et rentrant en voiture. Que voulez-vous, je fais comme vous, je m' échappe - quand je peux - de la plaine et de sa fébrile activité pour gagner la montagne, et si nos équipements respectifs sont si dissemblables, le plaisir que nous prenons au-dessus de 2000 m est probablement identique.

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