Anti-exploit
Jan Spoorenberg
A Jean-Blaise Fellay, guide de montagne et jésuite Cher Jean-Biaise, Après to première, dans la face ouest des Douves Blanches, au-dessus d' Arolla, tu disais aux journalistes: « Je déteste ce mot d' exploit, parce qu' il sous-entend toujours une notion publicitaire. Et ce dont nous avons besoin, c' est précisément de qualités intérieures, de courage et d' en. Ce qui compte pour nous, c' est la seule et unique satisfaction d' avoir réalisé ensemble une vraie et belle course, et pas tant qu' elle soit connue ou non du public » ( Tribune de Lausanne, le 24 août 1974 ).
Dans l' une de nos conversations tu me laissais entendre qu' une telle réussite ne vient pas toute seule, comme par un coup de chance à la loterie ou parce que tout d' un coup on s' est lance dans quelque chose de démesuré, par un coup d' au. Une telle réussite est plutôt comme le fruit lentement mûri, d' une longue période d' entraîne régulier et persévérant. Dans le travail de chaque jour de son métier de guide, on fait un peu plus et un peu mieux que la veille, honnêtement, sans trop s' en rendre compte, sans en tirer gloire. Si bien qu' au bout du compte, ce que les autres veulent qualifier d' exploit, est devenu, pour ceux qui l' accomplissent, une chose normale, naturelle, on ose presque dire banale, tant est riche la tranche de vie dont elle est l' aboutissement.
Je saisis bien, alors, combien il est irritant de voir des gens s' emparer de toute cette plénitude de votre vie pour la capturer dans un pauvre mot, tout suintant de propagande publicitaire et, encore plus à mon sens, d' esprit de compétition.
* Publié avec l' aimable autorisation de la rédaction de « Choisir » ( novembre 1974 ).
Car, je le sais, ce que vous avez fait a déjà suscité des jalousies. A cause de cette première il y a des « montagnards » qui ne vous saluent plus. Les pauvres! Ce n' est pas de leur faute, après tout. La rivalité, la compétition, c' est la base de notre société, que certains nomment chrétienne. Dans tous les domaines, les affaires, le sport, la course au niveau de vie, la mode, à commencer par l' école. J' entends encore cette voix féminine de grande personne qui disait bien haut, à une petite première communiante vêtue en mariée ( c' était il y a pas mal d' années ) et perdue au milieu de ses camarades au sortir de la messe: « Tu es la plus belle de toutes! » Ce n' est pas l' Evangile, à ce qu' il me semble, que de vouloir être plus que les autres. L' Evan, il me semble, c' est de vouloir se dépasser soi-même. Et c' est déjà bien assez. Et j' ai plus de respect pour mon très jeune ami Yves qui, avec le lourd handicap qui lui reste d' une polio, a escaladé l' été dernier la Dent de Valerette, cette montagne à vaches, que pour l'«exploit » de Laurent, le bûcheron, fièrement rentré d' une longue course avec une énorme avance sur le reste du groupe « parce que c' est fatigant de ne pas marcher à son rythme et de demeurer avec les traînards ».