A ski entre les bassins de la Mer du Nord et de la Mer Noire
Pierre Schommer, Zürich
Tout le monde ne peut pas se permettre de consacrer quinze jours à des tours à ski improvisés. Mais quand on a tout juste fini ses études et qu' on a un peu d' argent en poche, c' est le moment de profiter une dernière fois de ses longues vacances d' etudiant.
C' est ainsi que, Pete dernier, avant meme les examens finals, Ruedi et moi nous nous étions demande où et comment nous pourrions faire un peu de ski avant d' occuper notre première place. Nous étions tombés d' accord de nous rencontrer au printemps et de décider alors de la suite.
En février, Ruedi doit accomplir d' abord son cours de répétition. En l' attendant, je file en Hollande en auto-stop. Que cet exercice soit ou non indique pour s' acclimater ä la montagne, c' est une autre question... Mais j' ai ainsi le plaisir de passer en une semaine de Paltitude de six mètres au-dessous de la mer jusqu' à presque 4000 mètres! Je rentre ponctuellement le jour du licenciement de Ruedi, partage tout de meme entre le désir de rester en Hollande et celui de retrouver la montagne.
Arme de crampons, d' un piolet, d' une corde et de tout un équipement, je me rends un mardi chez Ruedi à Gais. Ce voyage à Gais indique déjà clairement que je renonce au Valais. Quant à l' Oberland bernois, il manque de neige d' une facon critique. D' autre part, Ruedi possède un vieux programme des cours de guides de Pontresina. Nous pouvons y apprendre quelles cabanes sont ouvertes au printemps et quels sommets se pretent à une ascension à ski. Au cours de la soirée, nous envisageons les innombrables possibilités, pour tomber enfin d' accord sur l' alternative suivante: si le temps est meilleur au nord, nous nous dirigeons vers la cabane Grialetsch, s' il est meilleur au sud, vers la cabane Jürg Jenatsch. Après avoir pris cette décision, il nous faut encore assurer la mère de Ruedi, un peu inquiète, que ce ne sera pas dangereux et que nous ferons attention. Assurance que j' ai du donner moi aussi ce matin à la maison!
Le mercredi, nous avons un ciel sans nuages; le Säntis brille dans le soleil du matin, et Ruedi a fort envie d' y filer tout droit. Mais il lui faut bien reconnaître qu' il devrait apporter la neige dans son sac! Nous partons donc pour Coire de bon matin, nous demandant où nous allons aboutir durant ces 15 jours. Afin de nous décider pour une des deux cabanes - celle de Grialetsch ou celle de Jürg Jenatsch - nous telepho-nons de Coire à Preda pour nous informer des conditions météorologiques. Le bulletin de la météo annonce en effet des précipitations sur l' Engadine. Mais saint Pierre se moque de notre bulletin et l' hötelier de Preda doit etre plutöt surpris de notre question, car un soleil radieux brille sur le Julier tandis que nous roulons vers St-Moritz, pour gagner la cabane Jürg Jenatsch par le Piz Nair.
Nous voulons laisser notre voiture à St-Mo-ritz. Nous nous engageons donc dans un parking à étages. Les prix affiches y sont si faramineux que nous cherchons la sortie en vitesse. Après des tours et des tours, chaque étage devant etre parcouru à l' aller et au retour, nous sortons enfin. Un peu confus, nous avouons à la caissière que c' est trop cher pour nous, excuse qu' elle accepte en riant. Après quelques recherches, nous trouvons un garage souterrain. Des maintenant l' auto ne sert plus que de camp de base où nous déposons du linge propre et autres objets. Un dernier répit force nous est accordé avant la première marche: une attente de plusieurs heures au départ des téléphériques de Corviglia et du Piz Nair. C' est avec des sentiments mitigés et surtout envieux que nous regardons la foule se bousculer sur les magnifiques pistes bien enneigées de Corviglia. La tentation est grande de skier sur piste cet après-midi. Mais nous tenons bon. Nous espérons nous dédommager par une bonne goulache au restaurant du Piz Nair. Mais au bout d' une demi-heure nous n' avons pas encore apercu de serveuse et l' appétit s' en va. Sans attendre davantage, nous prenons le départ, en descendant d' abord par la piste jusqu' au Val Suvretta. Puis c' est une montée raide vers la Fuorcla Traunter Ovas, sous le soleil tapant, avec la fatigue du voyage et le « paquetage complet ». De plus, nous trouvons judicieux d' attaquer la pente directement, car elle nous semble en partie avalancheuse. Nous sommes heureux d' arriver en haut au bout d' une heure. Au soleil couchant, nous jouissons d' une belle descente dans la neige poudreuse ou dure selon l' exposition des pentes. Après quelques tätonnements, nous arrivons au fond du Val Bever. Une seconde montée plus courte nous mène à la cabane Jürg Jenatsch. Elle est fort accueillante: Trente recrues y logent et le cuisinier est déjà en train de s' occuper du souper. Nous n' avons qu' à lui donner nos cöte-lettes et à passer à table! Tout le reste est pris en charge par l' équipe de cuisine et de Service.
Le lendemain matin, nous jouons encore les pique-assiettes auprès de l' armée qui nous offre le petit déjeuner. De plus, la compagnie a gravi la veille le Piz d' Err, si bien que nous choisissons ce sommet-lä pour notre premier tour, vu qu' il existe une bonne trace. Il nous faut deux heures et demie pour atteindre ce sommet que e ne connaissais jusque-là que par les mots croisés: Montagne des Grisons en trois lettres! Nous sommes un peu essoufflés, car nous allons trop vite, comme toujours, pour gravir les rochers faciles qui mènent au sommet. Ou bien ne sommes-nous pas encore habitués à l' altitude? Nous jouissons d' une vue merveilleuse; nous commencons à reconnaître ces montagnes encore peu familieres, et dejä Ruedi enumere:
- Voilä une belle pente pour skier, et lä aussi a droite, et aussi...
Nous choisissons le Piz Calderas pour notre course du lendemain. Une fois redescendus, nous nous laissons dorer par le soleil, et nous faisons la sieste dans les rochers bien chauds ä proximite de la cabane, pareils ä des skieurs sur piste fatigues plutöt qu' ä des grimpeurs fanatiques. Lorsque le soleil disparait, assez tot dans l' apres, nous disparaissons ä notre tour dans la cabane. Les militaires sont partis et nous devons popoter nous-memes. Ce travail, ajoute ä celui de faire fondre la neige, represente une occupation bienvenue, car une longue partie de' 97 jass ä deux ne serait pas tres passionnante et en fait de lecture, nous ne trouvons, ä part le livre d' or tout neuf, que deux vieux numeros dechires du Reader' s Digest ( ä propos, y a-t-il une cabane CAS sans un seul Reader' s Digest? ). Pour le souper nous avons des Spaghetti. En l' absence d' autres ingredients, nous y mettons le beurre que l' armee a laisse sur place ä notre grande joie.
Comme nous l' avons decide au Piz d' Err, nous escaladons le vendredi le Piz Calderas. II promet une belle descente dans la neige poudreuse. Mais avant d' en jouir, nous attaquons encore deux sommets voisins, le Piz Picuogl et la Tschima da Flix, que Ruedi veut gravir rien que pour leur joli nom! Malheureusement, le premier se revele etre une arete de caillasse monotone et interminable. Mais nous ne nous laissons pas decourager pour autant et le gravissons malgre tout. En contrepartie, nous nous accordons une sieste au sommet. Ce petit somme est bien plus agreable que celui de ce matin ä 9 heures; en effet, le bruit d' un avion-ecole, qui a decolle et atterri cinq fois de suite, nous a fait lever l' ancre rapidement. La vue etendue nous permet de nous amuser - ä l' en d' un vrai esprit CAS - d' un skieur etranger qui descend une pente en face de nous par des conversions style empereur Franc,ois-Joseph, malgre la neige poudreuse.
Le quatrieme jour ( samedi ), nous allons retrouver Hanspeter, un ami qui va passer la semaine prochaine avec nous. Le rendez-vous a ete fixe ä la gare de Madulain entre 12 et 14 heures, car nous voulions d' abord gravir le Kesch ä partir de ce village. Mais il fait si beau que nous decidons de monter aujourd'hui encore ä la Diavolezza et d' attaquer demain le Palü. Mais il nous faut d' abord, de la cabane Jürg Jenatsch, gagner Madulain. Nous voulons descendre vers le Julier par la Fuorcla d' Agnels. Les Piz Surgonda et Traunter Ovas qui sont sur notre chemin sont englobes dans notre programme. Et nous nous y tenons. Plus loin que la Fuorcla d' Agnels, nous tombons sur de belles pentes couvertes de neige de printemps, si bien que nous commencons à foncer. Nous croisons beaucoup de gens qui doivent sürement nous envier, eux qui montent à la sueur de leur front dans le chaud soleil du matin! Arrivés au Julier, nous constatons que le prochain autobus ne passe que dans une heure. Nous décidons de tenter notre chance en auto-stop. Malgré deux paires de skis et deux sacs à dos, nous sommes rapidement embarqués, à notre propre surprise. A St-Moritz nous reprenons la voiture et arrivons à Madulain juste au moment où un train entre en gare. Pour la seconde fois aujourd'hui nous avons une bonne surprise en voyant Hanspeter en chair et en os sortir de ce train!
Nous achetons quelques provisions à Pontresina un peu au « pifometre », car nous n' avons pas de programme pour les menus. Puis nous faisons rapport à nos parents par téléphone, afin de les rassurer. Au bout de deux heures d' attente à la station inférieure de la Diavolezza, nous pouvons enfin monter à notre tour, mais nous apprenons, à notre grande déception, que l' arete sommitale du Palü est en glace vive. Comme nous avons laisse nos crampons bien à l' abri dans le coffre de la voiture, une discussion sans fin s' amorce: allons-nous renoncer au Palü ou puiser dans nos porte-monnaie le prix d' une seconde montée en téléphérique pour aller chercher nos crampons? Personne ne donne son avis franchement, si bien que les crampons restent finalement où ils sont. Après tout, il est peut-tre exagéré de parler de glace vive...
Le dimanche nous nous mettons en route à Taube. Il n' y a pas foule pour monter, en tout quinze personnes environ. Encore à moitié endormis, nous descendons le glacier sur une piste gelée, ce qui est plutöt pénible. Toute la montée est encore dans l' ombre. Après les séracs, nous devons traverser une gorge extremement profonde. Il nous faut enlever les skis, descendre de quatre mètres, passer un pont de neige et enfin remonter de l' autre cote. A peine avons-nous traverse que trois personnes non encordées apparaissent. Elles nous demandent innocemment si elles devraient s' encorder. Nous leur répondons que « c' est une question de goüt » et continuons notre route. A l' endroit où nous devons déposer nos skis, le bruit qui courait à propos de la glace vive se confirme, si bien que nous ne pouvons envisager l' ascension du sommet. Nous nous accordons alors une collation: thé, pain, et meme beurre et confiture à volonté! Ensuite... je me rase, au grand dépit de Hanspeter. Que diable, ce n' est pas tous les jours que je peux me raser ä 3750 mètres! Pendant ce temps, un guide attaque Parete sommitale avec cinq alpinistes débutants. En le voyant tirer certains d' entre eux sur le ventre pour traverser la glace et perdre ainsi une heure pour les cinquante premiers mètres, nous jugeons toute cette équipée plutot malsaine. Nous redescendons peu après dans la vallée et faisons la traditionnelle petite sieste au soleil sur l' Isla Persa, et, une heure plus tard, nous arrivons à la cabane Boval. Nous n' y trouvons hélas! qu' un local d' hiver froid et malpropre. Nous nous cuisons une coupe qui devrait suffire à notre repas. Mais un méli-mélo de spaghetti, trouvés au fond du sac, nous contraint à avaler deux grandes platees de pätes, accompagnées de beurre... et encore de beurre!
Le lendemain matin - par un soleil toujours aussi éblouissant - nous prenons pour but le Piz Misaun; une montée variée par des vallons, des pentes courtes, mais raides, et des mamelons aplatis nous conduit au sommet. Mais il faut nous arreter plus d' une fois pour étudier la carte avant de trouver ce fameux sommet. Une fois en haut, nous chantons le Trueber Bueb à pleine voix. Une belle descente dans de la poudreuse et du gros sel nous conduit ä Morteratsch.
Nous achetons de nouveau des provisions pour quatre jours environ à Pontresina. Nous voulons maintenant entreprendre l' ascension du Kesch. Comme nous avons en vue, aussi pour plus tard, le groupe de la Silvretta, nous eher- chons à Pontresina un guide décrivant cette région. Nous allons meme jusqu' à St-Moritz pour cela, mais la librairie est fermée à midi. Nous nous offrons alors une entrecöte café de Paris et un café au « Stefani », que je nomme mon quartier général pour y etre venu l' été passé. Une fois notre guide en poche, nous démarrons enfin. Nous garons l' auto définitivement sur la place de la gare de Madulain, nous faisons nos sacs, et fixons les peaux de phoque. Une discussion s' élève pour savoir si nous prendrons ou non les piolets.., La montée à la cabane Es-Cha est très pénible, car la neige, qui subsiste encore au fond de la vallée, est terriblement molle. Parfois, on passe au travers de toute la couche, et nos sacs lourds nous Orient quand nous tentons d' en ressortir. Pour la meme raison, nous n' osons pas nous appuyer sur nos bätons, ce qui ne facilite pas précisément notre marche. Ce n' est qu' à un quart d' heure de la cabane que la neige devient dure. Au coucher du soleil - seuls le Palü, la Bellavista, la Bernina et le Roseg brillent encore dans le soir - nous atteignons la cabane qui est très bien située et fort propre. Fatigués par les deux ascensions de la journée, nous disparaissons vite sous les couvertures. Le lendemain, ca marche de nouveau tout seul: je me lève à 5 heures et, encore mal réveille, fais du feu dans le fourneau. Sans un mot de trop, Ruedi et Hanspeter plient les couvertures. Puis chacun prépare son sac, fixe les peaux de phoque. Des que l' eau cuit, nous mangeons et, une heure après, nous sommes prets à partir. Ainsi s' est instauré un « teamwork » non organisé, vu qu' il est trop tot pour parler, meme si nous nous sommes couches à 8 heures la veille.
Bien que la cabane Es-Cha nous invite à un plus long séjour, nous la quittons le lendemain par un temps splendide et un beau ciel bleu. Nous commencons par monter vers le Piz Kesch par la Porta d' Es. Après la descente vers l' alpage de Funtauna, nous avons deux autres montées à faire jusqu' à la cabane Grialetsch, but de notre course d' aujourd. La première montée nous conduit au Col de Scaletta, la seconde va de Dürrboden, dans le Dischmatal, à la Fuorcla Grialetsch. Cette dernière grimpée nous coüte bien des efforts, car le soleil tape dur, il n' y a pas un souffle et la soif nous tenaille. Nous sommes d' autant plus contents d' arriver à la cabane. A notre grand plaisir, elle est desservie, si bien que nous avons tot fait de vider une boîte de bière. Gusti est un excellent gardien et cuisinier, en outre fort sympathique et serviable. Nous lui remettons nos provisions — de la soupe et des spaghetti, comme d' habi. Il en fait un repas sensationnel, en ajoutant à notre sachet de sauce du vin, des épices et des oignons tirés de sa réserve. Le soir, nous hésitons longuement à rester un jour de plus. Je voudrais déjà filer vers la cabane Tuoi, mais Ruedi et Hanspeter aimeraient jouir un jour encore de cette hospitalité agréable. Finalement nous remettons la décision au lendemain.
Le jour suivant nous nous dirigeons vers les Piz Grialetsch et Sarsura, restant donc encore dans la région de la cabane Grialetsch. Nous aurions voulu gravir aujourd'hui le Piz Vadret, mais il nous paraît un peu difficile, surtout par le fait qu' on doit enfoncer jusqu' au ventre si l'on suit la voie normale d' hiver. L' après nous pelletons la neige, au grand plaisir de Gusti, et enlevons la glace devant la porte à l' aide de nos piolets -que nous avons heureusement pris avec nous.
Le lendemain, jeudi, neuvième jour de notre équipée, nous continuons notre route, bien que j' aie à mon tour quelque regret de quitter cette cabane accueillante et confortable. Tot le matin, nous montons déjà vers la Fuorcla Sarsura. En passant, nous gravissons le Piz Sarsura Pitschen. Puis c' est une descente fantastique vers le Val Sarsura. Dans la partie supérieure, nous trouvons de larges champs de neige de printemps, mais, sitot qu' on arrive dans des endroits moins exposés, on trouve encore une poudreuse excellente. Dans la partie inférieure de la vallée, plus étroite, nous traversons de grands 1Au Piz Palü Photo Hans Rostcttcr, Illanz 2 Montee au Piz. Palü. Sommets est et ouest 3Vue de la Fuorcla Traunter Ovas vers l' ouest: P. Picuogl, P. Calderas, P. d' Err cönes d' avalanche et « slalomons » entre les sapins de la foret clairsemee. En cherchant bien les endroits enneiges, nous parvenons ä descendre sur nos skis jusqu' ä la route de Susch, village oü nous nous approvisionnons ä nouveau. Comme il n' y a pas de boucherie, nous devons nous contenter, une fois de plus, de sehübligs, wienerlis et autres saucisses. Nous nous consolons ä l' idee du bon repas ( avec pommes frites ) que nous allons faire ä Guarda, point de depart de la montee ä la cabane Tuoi. Mais quelle deception! Les deux hötels sont fermes et dans l' unique restaurant, il n' y a que des plats froids. Ruedi commande un salsiz qu' il avale avec mepris. Decus d' avoir vu nous echapper ce festin, nous partons pour la cabane Tuoi dans l' aprcs. La premiere partie du chemin n' est plus enneigee, puis nous suivons une longue vallee assez monotone. Mon estomac me cause des ennuis, si bien que je me dis en secret que j' aurais mieux fait de garder Pargent du maigre diner de Guarda pour une ceuvre de charite. Mais maigre tout nous arrivons ä la cabane au bout de trois heures. Deux Allemands y sont dejä depuis une heure, si bien qu' il fait bon chaud ä la cuisine. Nous leur avouons que nous ne connaissons pas du tout la region. Nous sommes montes ici sur l' indication de notre guide qui precisait que cette cabane etait ouverte ä Päques. Nous en avons conclu qu' elle devait convenir a des tours ä ski. Les deux Allemands nous conseillent de descendre du Piz Buin, que nous voulons gravir demain, ä la cabane Wiesbaden. Comme Ie confort des cabanes autrichiennes nous attire, nous tombons d' accord pour suivre ce conseil.
Le lendemain, nous restons endormis, c' est que la diane est ä six heures au lieu de cinq. Puis c' est le depart pour le Buin, avec tout d' abord une pente tres raide. Une fois de plus, Ruedi envie mes couteaux fixes aux skis. Mais, plus haut, la pente devient si abrupte que je dois egalement porter mes skis. Nous arrivons ä la Fuorcla dal Cunfin oü s' ouvre soudain le paradis du ski autrichien. Une foule de skieurs s' ebat sur les glaciers, tandis que du cöte suisse nous n' avons pas rencontre äme qui vive. Meine si la propagande du Piz Buin ne concerne qu' une creme solaire, il vaut la peine de vanter ce sommet, car on y jouit d' une vue grandiose. Le temps est extraordinairement clair, pareil ä certains temps d' automne. Nous voyons le Finsteraarhorn, le Lauteraarhorn, le Dammastock, FOberalpstock, le Tödi et la Ringelspitze, puis les Alpes autrichiennes de l' Ötztal avec le Weisskogel et la VVildspitze. Cela me rappeile une tournee faite Fan passe dans l' Ötztal... mais c' est une autre histoire. Nous voyons aussi, bien sür, de vieilles connaissances comme le Palü, la Bernina, le Kesch et le magnifique Sarsura. Au sommet se trouvent aussi des gens moins experts en geographie qui nous demandent si l'on peut voir d' ici les Alpes suisses. Et ils regardent justement dans la direction des Alpes glaronaises en pretendant qu' il s' agit du Vorarlberg! La descente vers la cabane de Wiesbaden est jolie; il y a meme une vraie piste. Nous nous rattrapons ä la cabane du diner manque ä Guarda: escalope viennoise, pommes de terre au sei et avec tout cela... de la salade de pommes de terre!
Le samedi, onzieme jour de nos vacances, nous devons retourner ä la cabane Tuoi, achevant ainsi ce mini-tour circulaire, car les vacances de Hanspeter prennent fin. Nous lui demandons de conduire notre voiture de Madulain ä Coire. Ainsi, Ruedi et moi, nous pourrons nous rendre par la cabane Silvretta ä Klosters, car nous comptons rester encore quelques jours dans la region. Le matin nous gravissons la Dreiländerspitze ( ou pointe des trois pays ). Arrive au sommet, je constate que les deux autres pays ne sont pas l' Autriche et l' Italie, mais bien le Vorarlberg et le Tirol! Cela ne nous empeche pas d' admirer le paysage. Puis nous nous dirigeons vers le Col du Jam par l' Ochsenscharte. Une fois au sommet de la Vordere Jamspitze, l' en me vient de gravir aussi la Hintere Jamspitze, 1 Vue de la Porta d' Es vers le P. Kesch - ligne de partage des eaux entre la Mer du Nord et la Mer Noire Vue de la Vordere Jansspitze: Dreiländerspitze, Silvrettahorn, Schneeglocke, Schattenspitze Dans le Val Tuoi. P. Buin et Dreiländerspitze Pliotos Pierre Schommer, Zürich qui n' est qu' à un jet de pierre du col. Ne rencontrant pas l' approbation générale, je menace mes camarades d' y aller au besoin tout seul! Peu après nous voilä tous sur cette « bete de montagne ». La vue est à peu près pareille à celle qu' on a du Piz Buin, de la Dreiländerspitze et de la Vordere Jamspitze, et pourtant c' est chaque fois un nouvel enchantement de contempler ce splendide panorama. Le temps est encore plus clair que le jour précédent sur le Buin. La descente du col la cabane Tuoi est belle, mais raide, et nous avons à nouveau une bonne neige de printemps. L' après, Hanspeter nous quitte tandis que Ruedi et moi, nous nous reposons au soleil et relisons d' anciens numéros des Alpes et l' introduction de notre guide, à défaut de lectures plus passionnantes. ' A 15 heures déjà, le soleil disparaît derrière de hauts sommets, c' est pourquoi le souper est déjà pret à 16 heures, avec au menu, naturellement, de la coupe et des saucisses. N' ayant pas de radio - ce que nous ne regrettons d' ailleurs pas du tout - nous nous couchons déjà avant l' heure des nouvelles. Quelques Allemands ( nous ne pouvons pas distinguer leur nombre dans notre demi-sommeil ) arrivent après 20 heures et se demandent pourquoi toutes les lampes sont éteintes si tot. De toute facon, nous nous rendormons bientöt, après qu' ils nous ont encore demande si la cabane était pleine - en fait nous sommes quatre en tout!
Le dimanche nous attaquons la Fliana. Il nous faut gravir d' abord la meme pente que pour le Buin, mais ensuite nous devons rester sur la gauche. Après avoir enlevé les skis, nous suivons une arete rocheuse facile puis un névé qui nous conduit au sommet. Ayant retrouve nos skis, nous empruntons la direction du Verstanklator et arrivons ainsi à la cabane Silvretta. Nous sommes surpris de n' y trouver que quelques personnes comme à la cabane Tuoi: un couple et deux frontaliers. Au milieu de ce 1 Esperons que la publication de ces lignes relèvera la qualité de notre revue! ( Red. ) paradis du ski, nous nous attendions à trouver des cabanes archipleines comme c' est le cas des cabanes autrichiennes. Est-ce leur confort qui attire tant de monde?
Pour souper nous avons des pätes et de la saucisse! Mais nous en avons dégusté de telles quantités durant ces deux semaines que Ruedi est d' avis de les jeter par la fenetre...
Le lundi, treizième jour de vacances, nous voulons gagner la cabane des Saarbrückner par la Schneeglocke, mais pour la première fois depuis quinze jours, le soleil fait grève. Lorsque le gardien réveille les frontaliers à 4 heures, il annonce de la neige fraiche et du brouillard. Nous croyons à une plaisanterie, mais nous constatons bientöt que c' est l' amère réalité. Nous nous joignons alors au couple tout aussi de
Nous avons quelque peine à trouver le chemin du Galtürtäli, tant le brouillard et la neige sont denses, et nous ne descendons que lentement et prudemment' sans oser glisser droit en bas, à notre grand regret. La prudence est mère du courage! Il nous faut deux heures pour atteindre l' Alpage de Sardasca. De là, gräce à la neige fraiche, nous pouvons glisser tout le long de la vallée à la manière des coureurs de fond. Pour finir, il nous faut marcher sur la route asphaltée jusqu' à Klosters. Mais nous constatons que le temps n' a pas l' air de s' améliorer, ce qui nous console un peu.
Heureux et reconnaissants d' avoir vécu deux semaines sans un accroc ni un seul incident, et d' avoir joui jusqu' à présent d' un temps si Clément, nous nous offrons à Klosters un dernier repas, ou plutöt un festin — puis nous nous mettons à rever au bon bain qui nous attend chez nous.
Celui qui suit notre tour sur la carte pourra constater que nous avons traverse pas moins de quatorze fois ( Piz d' Err et Piz Grialetsch com- pris ) la ligne de partage des eaux entre le bassin de la Mer Noire ( Inn ) et celui de la Mer du Nord ( Rhin ), et c' est ce qui justifie le titre de ce recit.
Traduit de l' allemand par Annelise Rigo